Après les élections cantonales, les commentaires se sont bornés à apprécier de façon assez basique les résultats électoraux. Une défaite de l’UMP, une victoire mesurée du PS et de la gauche dans son ensemble, un succès du Front National qui apparait comme une des principales forces électorales à l’issue de ce scrutin, et surtout une nette victoire des abstentionnistes. Mais quid de la signification politique précise qui concerne le pouvoir, les partis, l’avenir ?
La crise du régime
Il n’aura pas fallu attendre bien longtemps. Les couteaux sont sortis à droite, sans retenue. Copé attaque Fillon ouvertement sur un plateau de télévision[1]. Les ministres se partagent, les uns penchant pour le chef du parti présidentiel, l’UMP, les autres pour le chef du gouvernement.
Situation réellement inédite au sein de la 5ème république qui pourtant n’a jamais été très économe des crises en tout genre, notamment des déchirements entre partis présents dans le même gouvernement. Là, un pas est franchi. C’est au sein du parti du président que les affrontements ne peuvent être contenus.
Derrière leur véritable signification politique, les thèmes sont instrumentalisés, laissant libre cours à toutes les tensions au sein de la majorité.
- Il y a eu le ni-ni d’abord, opposant le président de la république à son premier ministre après les résultats du premier tour des cantonales et l’appel, à droite comme à gauche, à un prétendu « pacte républicain ».
- Il y a eu ensuite le débat sur « la laïcité »opposant alors le président de l’UMP à l’occupant de Matignon et dans leur sillage ministres aux ministres, débat dont le risque principal, contrairement aux apparences entretenues, est de voir l’Etat accorder plus de droits, financiers notamment, aux différents cultes.
- Il y a eu Juppé menaçant de quitter l’UMP en cas de rapprochement avec le FN.
- Il y a eu dans la foulée Borloo menaçant de relancer son petit commerce personnel « si un autre cap n’était pas décidé »…
- Il y a eu Villepin, il y a eu…
- ….
La sortie des couteaux annonce une guerre sans merci. Pour une raison simple qui tient à la nature du régime et à ses limites. La 5ème république, régime présidentiel par excellence, ne tient que si le président élu permet, pas sa présence et par sa poigne, d’éteindre les incendies qui couvent autour de lui. Le fait que nul ne peut calmer aujourd’hui les différents protagonistes qui s’écharpent au plus haut niveau de l’état ne tient qu’à la faiblesse de l’Elysée qui a perdu la main.
La plupart des élus ou des responsables politiques qui vénéraient le président il y a peu encore, qui le craignaient et qui n’avaient d’autre préoccupation que de ne point lui déplaire, s’interrogent aujourd’hui ouvertement. Et si Sarkozy était devenu encombrant au point d’être un handicap pour l’avenir. Il n’a su ni étouffer les scandales à répétition qui depuis une année environ polluent la « bonne marche » du régime, ni étouffer les voix discordantes qui osent au grand jour s’interroger sur son avenir. Jusqu’à Neuilly, lieu symbolique s’il en est, où il a été incapable d’imposer les siens, la marraine de son fils notamment, Isabelle Balkany, battue par un illustre inconnu de droite.
Dés lors la question qui se pose est la suivante. S’ils veulent mettre le maximum de chances d’être réélus de leur côté, les députés et caciques de l’UMP ne doivent-ils pas dés maintenant prendre une distance suffisante avec le Président ? Mais alors vers qui se tourner ? Juppé, Fillon, Copé –qui devancerait bien l’échéance de 2017 qu’il a fixé à son plan de carrière- ou qui encore ? Les ambitieux ne manquent pas, créant leur tombe à force de vouloir les uns et les autres être calife à la place du calife, refusant le constat prudent de François Baroin qui après avoir pris partie pour la dissidence à voulu se rattraper en indiquant que « hors de Sarkozy, c’est l’échec ».
Pourtant rien n’y fait. Ni l’entrée « en guerre » en Lybie, ni les hélicoptères qui « frappent » la côte d’ivoire, ni un retardement des hausses de gaz inventé à la hâte. Rien n’y fait !
Alors, avec Sarkozy, quel avenir pour cette cour entrée en rébellion ?
La gauche, dernier recours possible?
Décidemment la principale force du clan au pouvoir n’est-elle pas dans la capacité de la gauche de désespérer Billancourt, à coup de programmes sans saveur ni odeur et de primaires qui laisseront place là aussi à toutes les ambitions personnelles ?
Les primaires d’abord.
Elles expriment un alignement total du parti socialiste sur les institutions de la cinquième république. Elles seraient en effet justifiées par le cadre même des élections présidentielles qui sanctionnent « la rencontre d’un homme (ou d’une femme) avec le peuple ». Ainsi donc les primaires reviennent à choisir le meilleur sourire, le plus beau profil, la compagne ou le compagnon le plus attrayant, la famille modèle… On voit bien là la voie à la fois absurde et profondément dangereuse que représentent les primaires.
¨ Absurde car expression d’un renversement des priorités au détriment de toute préoccupation démocratique. Car peu importe au peuple qui occupera les voitures de fonction. Ce qui compte n’est que le programme qui sera mis en œuvre, les mesures qui seront prises pour conjurer la crise subie par le plus grand nombre et surtout permettre des mesures audacieuses et rassembleuses à la hauteur des exigences républicaine de liberté, fraternité, solidarité et laïcité, allant dans le sens de la république sociale.
¨ Dangereuse, car la lutte des égos au détriment du débat d’idées ouvre inévitablement la voie à la division, aux coups bas, aux croches pieds, exercice dans lequel excellent les responsables de la rue de Solferino qui privilégient la politique du pire à celle du mieux… et qui pourrait bien constituer le dernier espoir de Nicolas Sarkozy.
Le programme ensuite.
N’entend-on pas déjà les responsables de telle ou telle écurie –celle du patron du FMI notamment- expliquer que le programme présidentiel sera d’abord celui du candidat et ensuite celui du parti ? Bref que les engagements pris aujourd’hui n’engageraient que ceux qui auraient la bonté de bien vouloir y croire. Outre cette vision totalement anti démocratique, cette distance prise d’ores et déjà avec les mesures annoncées par Martine Aubry devrait nous interroger sur un point essentiel : comment et pourquoi cette affirmation est-elle possible et plus, est-elle banalisée puisque visiblement nul ne semble vraiment s’en émouvoir ?
Le contenu même des mesures proposées par la première secrétaire permet aux affidés de Dominique Strauss Kahn en l’occurrence de consacrer leurs première remarque à une prise de distance, et d’envisager d’être le candidat d’un parti socialiste contre –ou sans- le programme du dit parti. En effet, Martine Aubry a proposé un catalogue exprimant la volonté de mieux gérer le système, de « façon plus égalitaire », avec nombre de mesures, mais sans cadrer dés le départ les mesures en question par une volonté politique de rupture affirmée avec laquelle il serait impossible pour tout candidat de prendre de la distance. Dés lors chacun peut piocher ou pas, là sur le social, là sur l’économique, là sur les jeunes, etc.…
Rappelons que nous avons ici déjà exprimé ce qui de notre point de vue pourrait être le cadre politique permettant de s’engager dans la rupture avec le système, qui permettrait d’inscrire toute mesure de façon positive et accessible, et de rassembler largement en revenant sur l’explosion des inégalités, sur le saccage de l’enseignement, sur la dégradation voire la liquidation de pans entiers de services publics, sur la désindustrialisation et la mise à mal de l’emploi, sur le développement de la précarité et donc de l’insécurité, sur l’ignorance du sort réservé à la jeunesse, sur celui de nos retraités, etc.…
¨ On nous parle de notre cohésion… Mais comment ne pas préciser que le cadre de notre cohésion est celui de notre Nation dans laquelle le peuple doit pouvoir réaffirmer sa souveraineté, reconquérir les bases même d’un fonctionnement démocratique, défendre ses intérêts remis en cause par des intérêts financiers qui lui sont étrangers ? Comment ne pas voir que le refus de partir de là déroule un tapis à tous ceux qui utilisent le mot Nation pour faire prévaloir un point de vue étriqué, souvent xénophobe, étranger à la république, synonyme d’un nationalisme vulgaire ?
¨ On nous parle de démocratie… Mais comment ne pas y accoler la nécessité de rompre avec des traités et une construction européenne qui sont un obstacle à toute avancée et qui au contraire organisent la régression généralisée, en France, mais aussi dans toutes les nations d’Europe ? Comment ne pas remettre en question dés lors la 5ème république et ses institutions et ne pas mettre à l’ordre du jour une constituante souveraine permettant de définir les contours d’une nouvelle république, permettant expression et représentation du peuple ?
¨ On nous parle d’instauration d’un pôle de financement public pour aider les PME et participer à la réindustrialisation…. Mais pourquoi ne pas y inscrire la nationalisation –visiblement mot tabou- d’une partie de nos grandes banques hier privatisées qui sont l’instrument d’une spéculation dévastatrice ? Une nationalisation à moindre coût puisque sans rachat à de gros actionnaires qui sont déjà « gavés » de façon indécente.
¨ On nous parle de déserts médicaux… Mais pourquoi ne pas s’engager à rétablir une médecine publique de proximité là où cela est nécessaire pour nos concitoyens, souvent où les services hospitaliers ou les hopitaux ont été fermés pour le plus grand bonheur du privé ?
¨ On nous parle de la fonction publique… Mais pourquoi ne pas dire qu’une des priorités est la défense du statut des fonctionnaires sans lequel la fonction publique ne peut plus avoir d’existence réelle.
¨ On nous parle de l’enseignement et de l’école de la république… Mais quid des dizaines de milliers de postes supprimés dans le cadre d’une RGPP dévastatrice, du saccage des programmes, … ? Comment accepter la poursuite dans la même voie –celle par exemple qui préconise l’interdiction des redoublements- qui n’a été empruntée que par un souci d’économies budgétaires au détriment des élèves ? Pourquoi ne pas remettre en question sans ambiguïté les projets d’éclatement de l’éducation nationale, la régionalisation des programme, l’autonomie des établissements, l’autonomie des universités… ?
¨ On nous parle d’une série de mesures pour les jeunes, la création de 300 000 emplois… Mais comment ne pas partir d’un refus d’une assistance pour affirmer la volonté et donc la création d’emplois qui ne géreront pas la misère sociale, mais qui seront de véritables emplois après des formations si celles-ci sont nécessaires ?
¨ On nous parle de nos personnes âgées… Mais alors pourquoi ne pas indiquer sans ambigüité la volonté d’abroger les réformes successives des retraites et le retour de la règle des 37,5 années de cotisation, du départ à 60 ans, et de pensions payées à taux plein ?
Bref, on nous parle…..
Ne voit-on pas que pour interdire une lecture déformée d’une volonté politique affirmée, il n’y a qu’une voie : partir d’un cadre politique précis et indiquer que toute mesure ne sera valide que si elle rentre dans le cadre défini ? Ce cadre ne peut être que celui de la République sociale. Sans aucun doute il permettrait de rassembler par delà les clivages traditionnels. Mais à l’inverse, toute tergiversation, toute hésitation sera susceptible de diviser au sein même des courants de pensée qui devraient se rassembler. Sans doute est-ce sur cela, cette capacité de la gauche à tourner le dos à la République sociale, à son histoire, aux attentes de millions et millions de nos concitoyens, que comptent un régime failli, un gouvernement et un candidat à l’agonie.
Jacques Cotta
Le 6 avril 2011
[1] A Canal+, le président de l’UMP reproche publiquement au premier ministre de « ne pas jouer collectif » en évoquant « le débat sur l’Islam » rebaptisé en cours de route « débat sur la laïcité ».
Je partage le point de vue de Jacques sur la disparition de projet politique digne de ce nom tant à droite qu'à gauche et je pense qu'il complète celui que j'ai écrit sur le préprogramme du PS. Jacques fait bien d'insister sur le caractère purement politique de la crise que nous vivons aujourd'hui en France (comme dans les autres pays européens). Le fond du problème réside effectivement dans l'impéritie des dirigeants politiques français et européens. Ces enfants des années 80 semblent incapables d'avoir un véritable sens de l'Etat, un minimum de sens de l'Histoire et de la citoyenneté. Il est important de souligner ce manque de fond. Les années 60 eurent Mendes-France, De Gaulle et Kennedy, aussi critiquables fussent-ils. Nous avons aujourd'hui David Cameron, Berlusconi, Sarkozy, Strauss-Kahn et Aubry, tous prosternés devant les impératifs de la compétitivité mondialisée, de la concurrence libre et non faussée. Tous admettent que les peuples doivent accepter une certaine part de souffrance, de sacrifice tout au long de leur vie. La notion de progrès, à commencer par le progrès social hérité des Lumières, semble dissoute dans une obéïssance supposée évidente de la part des peuples à ceux qui les exploitent. Que recouvre le mot "GAUCHE" quand on intègre dans son programme la "concurrence libre et non faussée" ? C'est là-dessus que j'ai insisté dans mon article. On peut toujours trouver quelques mesures sympathiques dans le programme du PS mais elles sont microscopiques. Pour pouvoir réaliser le projet politique généreux et émancipateur de Jacques (une république sociale) il faut s'en donner les moyens économiques. C'est l'enjeu incontournable du moment que nous vivons et sur lequel j'ai voulu insister : rien ne sera possible dans le cadre du Pacte européen dont la réelle raison d'exister est le dégagement de profits spéculatifs (de par l'abaissement du coût du travail, la privatisation des services publics, etc...). Un programme réellement républicain et social devrait donc mettre la souveraineté économique au coeur de son programme. La majorité des électeurs français en sont plus ou moins conscients et, de là, sont de plus en plus nombreux à se tourner vers celle et ceux qui s'en réclament le plus ouvertement. Pas plus que l'UMP le PS n'a tiré de leçons du 21 avril 2002 ni du référendum de 2005. Advienne que pourra !
Pierre Delvaux