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La décomposition de la caste dirigeante

Après la démission de Christiane Taubira, une nouvelle étape de la crise politique de la Ve République

Par Denis Collin • Actualités • Vendredi 29/01/2016 • 1 commentaire  • Lu 1958 fois • Version imprimable


La démission de Christiane Taubira, garde des Sceaux, n’est pas anecdotique. Elle marque une nouvelle étape de la crise politique. La nomination de Manuel Valls en remplacement de Jean-Marc Ayrault avait marqué une étape importante de la décomposition du « gouvernement de gauche ». Ayrault n’avait pas mené une « politique de gauche », mais la nécessité d’engager une offensive d’ensemble contre les acquis sociaux et pour la mise en œuvre des exigences de la discipline budgétaire de l’UE exigeait un changement d’équipe. C’est ainsi que Valls, qui avait réussi le score de 5 % à la primaire socialiste se retrouva premier ministre. Du même coup, EELV quittait le gouvernement. La base politique du gouvernement Hollande-Valls était donc nettement plus étroite que la celle du gouvernement Ayrault. Ensuite ce furent les départs de Montebourg et Hamon, c’est-à-dire les représentants de la « gauche » du PS, ceux que la presse a surnommés les frondeurs. Nouvel affaiblissement du gouvernement. Restait Taubira qui, à tort ou à raison – plutôt à tort selon nous – semblait être le dernier ministre proche de la « gauche » du PS. Son départ fait reposer le gouvernement sur une tête d’épingle. Les sondages catastrophiques pour l’exécutif, après des élections tout aussi catastrophiques (municipales, départementales, régionales, européennes) qui ont abouti la perte de milliers d’élus socialistes et d’autant de ressources financières et humaines. Avec le départ de Taubira, le roi est nu !

Hollande, le pire président de la 5e République, espère pourtant être réélu et quelques socialistes sont même prêts à le considérer comme un génie de la stratégie. Les commentateurs font leurs choux gras de la « triangulation » par laquelle Hollande, jouant sur la rivalité entre Le Pen le candidat LR qui serait Sarkozy, si les vœux de Hollande sont exaucés, pourrait se qualifier pour le second tour face à Marine Le Pen et l’emporter. C’est cela qui expliquerait le « virage sécuritaire » et l’emprunt à l’arsenal du FN de la proposition de déchéance de la nationalité. Cette vision, propagée par les médias main stream est cependant très superficielle et finalement parfaitement erronée.

En premier lieu, il y a un lien étroit entre le « virage sécuritaire » du gouvernement et la politique économique dont Macron est la figure emblématique. La discipline budgétaire européenne – qui n’est pas budgétaire en réalité, mais sociale et politique – suppose qu’on ne s’en tienne pas aux demi-mesures et que « l’État social » issu des conquêtes de la Libération soit enfin détruit : fin des conventions collectives, ouverture de la protection sociale au marché, liquidation du code du travail, du SMIC et de la durée légale du travail, etc. Hollande a pour mission de réaliser ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait véritablement réussi. Mais cela exige que « l’ordre règne » et que les luttes sociales puissent être jugulées par tous les moyens. C’est la raison pour laquelle le gouvernement, se saisissant des attentats terroristes, s’est lancé à une marche forcée dans la réforme des institutions de la 5e République. Le projet de la 5e République était dès le départ un projet bonapartiste, mais ce projet est resté inachevé. Il maintenait des restes de démocratie parlementaire et quelques apparences de la séparation des pouvoirs. C’est précisément ce dont il s’agit aujourd’hui. En 2011, Jean-Jacques Urvoas, le remplaçant de Christiane Taubira, s’était prononcé pour un grand ministère fusionnant la justice et l’intérieur. On ne peut mieux indiquer symboliquement la volonté d’en finir avec la séparation des pouvoirs. Si le ministère de l’Intérieur est celui qui donne des consignes aux procureurs, « l’État policier » devient une réalité. « Police partout, justice nulle part ! » Ce projet d’unification de la justice et de la police commence à être mis en œuvre avec l’état d’urgence promulgué au lendemain du 13 novembre, prolongé pour trois mois et qui se prépare à être à nouveau prorogé pour trois mois en attendant de l’institutionnaliser en le faisant entrer dans la constitution. Ce tournant autoritaire du régime ne vise évidemment pas à terroriser les terroristes – tous les mouvements susceptibles de troubler « l’ordre public ». En outre l’état d’urgence entretient un climat de peur qui vise à dissuader les citoyens de toute action collective. Ainsi le discours « droitier » de Hollande n’est pas (ou du moins pas principalement) une manœuvre habile (?) de politicien roué.

En second lieu, la 5e République a besoin d’un « parti godillot », une « société du 10 décembre » relais du pouvoir exécutif. Elle a aussi besoin d’un « Bonaparte », un « homme de la nation » capable de transcender la lutte des partis. Ces deux conditions manquent. Pour mener cette politique, le PS n’est pas le parti adéquat au bonapartisme et c’est pourquoi, depuis des années, Valls réclame le changement de nom et la liquidation de toute référence – même purement formelle – au vieux socialisme. Pour les mêmes raisons, Cambadélis a proposé un « dépassement » du PS dans une nouvelle « alliance populaire » – on avait envie de lui souffler un nom : « rassemblement national populaire » pour rappeler l’ancêtre idéologique de Valls, Marcel Déat. Jusqu’à un certain point les défaites électorales successives aident Hollande et Valls dans leur entreprise de destruction du vieux PS d’Épinay. C’est ce qui explique que le PS ait été sacrifié aussi aisément dans deux de ses bastions historiques (Nord et PACA) lors des dernières régionales – la tentative de l’éliminer aussi dans l’Est ayant butté sur l’entêtement de Masseret. Et le PS comme parti se laisse conduire à l’abattoir. Les élus indociles sont menacés d’être renvoyés dans leur néant, et la menace est d’autant plus efficace que les places seront chères au printemps 2017. En ce qui concerne le Bonaparte, les choses ne sont guère plus brillantes. Hollande était la plus éminente médiocrité du PS et l’exercice du pouvoir n’a rien arrangé !

Dans les autres partis de droite, il n’en va pas mieux. Les « primaires » initiées par le PS et reprises par LR sont présentées comme un moyen.moderne de sélection du candidat à la présidentielle. Elles sont cependant antinomiques avec l’esprit de la 5e République telle que de Gaulle l’avait voulue. Si le pouvoir du président découle de la rencontre entre un homme et la nation, la sélection du candidat par une fraction de la nation est justement la négation de cette rencontre. En réalité, les primaires se sont imposées en raison de la crise du leadership, à droite autant qu’à gauche. Le régime repose sur le « principe du chef », mais il n’y a pas de chef qui s’impose.

L’examen des personnalités de la caste gouvernante – LR et PS réunis – jette une lumière crue sur cette crise de régime. L’inculture, la vulgarité, l’absence de toute pensée politique cohérente, chacun se contentant en matière de discours public de débiter les « éléments de langage » que les « communicants » lui proposent, tout cela donne un spectacle particulièrement affligeant. La ministre de la Culture est inculte, la ministre du Travail ignore ses dossiers et mélange tout, la ministre de l’Éducation nationale fait preuve d’un entêtement rare dans son entreprise folle de saccage de l’école, le ministre des Affaires étrangères a transformé le Quai d’Orsay en une sorte de bateau ivre, drogué au salafisme et wahhabisme, un homme de la droite néolibérale la plus fanatique, le banquier Macron tient le ministère de l’Économie, pendant que la ministre de l’Écologie ne fait rien avec un talent remarquable. La bande d’en face ne vaut pas mieux. Le livre (?) de Sarkozy aurait dû faire éclater de rire toute personne douée d’un peu de bon sens. Et le héros du jour est Monsieur « droit ses bottes », le maire de Bordeaux dont la ressemblance avec le Nestor dessiné par Hergé dans les albums de Tintin est peut-être le seul trait un peu constant. Divergeant sur quelques questions secondaires – Juppé est le plus « sociétal » de la bande, quoique tout aussi antisocial que les autres – tous les prétendants LR font la course à qui sera le plus à droite, à détruira le plus vite le système de protection sociale et l’on voit même un certain Fillon, jadis collaborateur du président de la République, se rêver en Mrs Thatcher. Mais qu’ils soient au gouvernement ou dans l’opposition, tous ces gens sont d’accord sur le fond. Macron ne dit de différent de Fillon en matière sociale et économique. La politique étrangère actuelle est encore plus atlantiste et UE-iste que celle de Sarkozy. Et ils méprisent tous la laïcité et les libertés publiques.

Le Front national est à la fois le produit et le miroir de cette décomposition de la 5e République. Sa force propre est quasi nulle. Le FN, comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer à plusieurs reprises, n’est pas un parti fasciste. Il lui en manque les ingrédients essentiels.

  1. L’idéologie incohérente du FN est certes « réactionnaire », autoritaire, largement xénophobe et souvent passablement raciste, mais ce n’est pas l’idéologie totalitaire d’un Hitler ou d’un Mussolini. Cela n’a rien à voir avec la cohérente de l’islamisme et le parti lui-même, fait de multiples clans et groupuscules reflète bien cette incohérence.

  2. Le FN n’est soutenu par aucune fraction significative du grand capital. Le grand capital ne finance pas un parti protectionniste, anti-européen, pro-Russe et qui menace – même si tout le monde sait que c’est de la frime – de rétablir la retraite à 60 ans. Qui plus est, un parti qui veut ferme le robinet de l’immigration à laquelle le patronat est particulièrement favorable.

  3. Le FN n’a pas de troupes, pas de SA, pas de « squadristi », prêts à attaquer les meetings ouvriers ou les locaux des syndicats, pas gros bras pour casser les grèves. Il s’enorgueillit au contraire de commencer à recruter des jeunes BCBG, sortant de « Sciences Po » et de l’ENA, bref de ressembler à un parti « honorable » comme les autres.

Le FN est la voiture-balai de la crise institutionnelle. Il n’est puissant que de la décomposition des autres forces politiques, de la morgue de cette caste qui se croit tout permis et la débilité de toute la « gauche de gauche » – de laquelle, par pure charité, je ne dirai rien aujourd’hui. En même temps, le FN sert le système. Il est suffisamment fort pour servir de croquemitaine, permettant l’existence du prétendu « front républicain ». Mais il est entendu qu’il ne peut pas et ne doit pas accéder au pouvoir. Le dispositif permettant le monopole politique de la caste a encore très bien fonctionné aux régionales puisque, premier parti en voix, le FN n’a gagné aucune région. Pour la même raison d’ailleurs, si d’aventure, Mme Le Pen était élue – hypothèse hautement improbable, il ne disposerait pas d’une majorité parlementaire. Sans doute cela fait-il enrager certains dirigeants du FN, à commencer par sa chef. Mais au fond, ils s’en accommodent. La conquête du pouvoir supposerait une transformation radicale du FN qui le ferait éclater. Les tendances les plus extrémistes de ce parti ne peuvent espérer conquérir une majorité et les tendances nationales-sociales « modernes » (genre Philippot) sont vouées à jouer les utilités. D’ailleurs le FN a fait savoir que la rupture avec l’euro ne signifiait nécessairement la sortie de l’euro...

Il y a bien une « triangulation », comme dit dans la presse, c’est-à-dire un jeu à trois, une « bande des trois » qui conjugue les impuissances au plus grand profit de la puissance du capital qui n’est pas spécialement français, mais de part en part transnational. Si le mouvement ouvrier se reconstruisait vigoureusement et menaçait sérieusement l’ordre capitaliste (comme ce fut le cas en Italie en 1919-1920 ou en Allemagne dans les années 20), nul doute que le FN pourrait jouer la carte d’un mouvement fasciste classique en s’appuyant cette fois sur certaines fractions décisives du capital financier. Mais cette hypothèse est hautement improbable. Le capital préfère les États forts institutionnels.

Ce dont nous devons partir, c’est de l’état d’esprit du peuple. Derrière une sorte de passivité ponctuée d’explosions de colère, il y a une véritable colère. 70 % des Français, disent les sondages, ne veulent ni de Sarkozy, ni de Hollande, ni de Le Pen. Qu’ils s’en aillent tous ! S’il existait un vrai parti ou un vrai mouvement décidé à mettre fin au règne de la caste et de la bande des trois, il partirait de ce constat. Il ne se poserait pas comme le « vrai parti de la gauche », mais comme le parti du peuple contre les grands qui l’exploitent. Il chercherait à unir travailleurs dépendants et travailleurs indépendants, chômeurs et jeunes, retraités menacés par la baisse des retraites, intellectuels écœurés par la destruction de la culture, etc., sur une base claire, la souveraineté du peuple et la république, la rupture avec l’UE et toutes alliances impérialistes, la paix et l’union des nations souveraines en Europe, la défense de l’État social et de l’indépendance des syndicats. Qui prendra ce drapeau, celui de la « république sociale » proclamée par les ouvriers parisiens en 1848 et qui attend encore qu’un mouvement assez fort le relever ?


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Commentaires

Décomposition suite... par Anonyme le Mardi 02/02/2016 à 21:49

- Frères musulmans à Lille...

Dimanche 7 février, l'Union des organisations islamiques de France organise à Lille son 9e Rassemblement annuel des musulmans du Nord. En plein état d'urgence et après une année sanglante, des prédicateurs antisémites et encourageant le djihad viendront y former la jeunesse. Le Premier ministre a été alerté.

http://www.huffingtonpost.fr/isabelle-kersimon/freres-musulmans-a-lille-laurence-marchand-interpelle-manuel-valls_b_9109980.html11

- Quand les élus locaux flirtent avec l'islam radical

http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/11/30/31001-20151130ARTFIG00247-temoignage-quand-les-elus-locaux-flirtent-avec-l-islam-radical.php?redirect_premium



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