S’il fallait, en quelques mots, qualifier la commémoration du cinquantenaire du Traité de Rome, il serait possible d’utiliser la formule devenue célèbre et dire que « la commémoration a fait pschitt ... »
Le 25 mars dernier, la grisaille n’était pas que dans le ciel, elle était également présente chez les participants à cet anniversaire et ce malgré les efforts et l’optimisme de la chancelière allemande.
Les européistes, nostalgiques du Saint Empire, partisans d’une Europe dissolvante des frontières nationales, (accord de Schengen), défenseurs d’une économie libre et non faussée, (stratégie de Lisbonne), n’ont pourtant pas manqué de présenter la construction européenne comme le passage obligé d’une évolution moderne et inéluctable de nos sociétés.
Ils avaient surtout pour objectif d’effacer leur échec du 29 mai 2005 en tentant de faire de cet anniversaire la rampe de lancement d’un sursaut pour poursuivre la construction d’une Europe libérale subsidiaire de la globalisation financière.
Cette fiesta, entre amis bien pensants de tout bord, a eu pour sommet Berlin.
Mme Merkel, chancelière allemande en fut la grande prêtresse puisque depuis le 1er janvier 2007 et pour six mois, l’Allemagne préside aux destinées de l’Europe.
Ils ne manquèrent pas de rappeler que l’Europe nous a apporté la paix et la monnaie unique.
Certes, l’histoire montre qu’il faut remonter très loin dans le temps pour constater une période de paix aussi longue (soixante années à ce jour) sur la majeure partie du territoire européen. Même si personne ne peut oublier le drame vécu dans les Balkans au cours des années 90 dont la stabilité reste précaire.
Il est certain que le rapprochement des peuples et de leurs dirigeants a contribué à ce résultat. L’image des « couples » De Gaulle - Adenauer et Mitterrand - Kohl symbolise ce rapprochement, mais certains expliquent que la politique de dissuasion nucléaire du Gal De Gaulle poursuivie depuis, même si elle a été amoindrie et réorientée depuis la disparition de l’U.R.S.S., n’est pas innocente de ce résultat.
Mais, sommes-nous, pour autant, assurés d’une paix durable ?
Le capitalisme pur et dur relayé et impulsé par l’Union Européenne, détruisant une à une les protections sociales des plus exposés, privatisant les services publics et délocalisant l’emploi vers des pays à très bas coûts de main d’œuvre, paupérise et fragilise une partie de plus en plus grande de la société, jetant par désespoir ceux qui souffrent, dans les bras du populisme et de l’extrême droite, à tel point que récemment, un groupe d’extrême droite s’est constitué au Parlement européen !
N’est-ce pas une menace concrète pour nos libertés et par conséquent pour la paix ?
Cette construction qui, par ailleurs, tend à effacer les Etats, pour promouvoir les régions et par conséquent le régionalisme comporte un risque supplémentaire de déstabilisation des peuples.
En Italie, les ressentiments nord-sud ne sont pas une vue de l’esprit, en Belgique l’opposition Flandre-Wallonie existe. En France, même si la situation n’est pas aussi exacerbée, sauf pour la Corse, le régionalisme basque, breton, voire alsacien est latent.
Ainsi, cette situation découlant du concept de l’Europe des régions n’est pas sans menacer la stabilité des peuples européens.
Certes, la paix est un bien inestimable, mais pourquoi faudrait-il la payer au prix d’énormes sacrifices pour une partie de plus en plus importante de la société ? Pourquoi toute cette misère, pourquoi tous ces sans abri, pourquoi tous ces travailleurs pauvres, pourquoi ce recul du pouvoir d’achat, pourquoi tous ces exclus du droit aux soins etc... etc... ?
A quoi rime une Europe des reculs sociaux ?
Ainsi, la paix reste une valeur fragile.
Pour vendre l’euro, le seul argument utilisé consiste à dire qu’il est drôlement pratique de pouvoir se rendre à l’étranger sans avoir à se munir de la monnaie locale.
Les tenants de cet honteux discours feignent bien de dire que l’euro a été inventé pour servir les intérêts des spéculateurs, en maintenant la monnaie européenne à une forte parité, fixée par la Banque Centrale Européenne, en dehors de tout choix et tout contrôle politiques. Ils se gardent bien de dire que ce dogme monétaire dessert nos exportations et donc la croissance. Même la Ministre du Commerce extérieur, Mme Christine Lagarde s’est plainte, récemment, de cette situation en avertissant que si l’euro devait demeurer perché aux alentours de 1,30/dollard, les effets sur le commerce extérieur français se feraient sentir plus qu’en 2006 (Paris-Normandie 10.02.07).
Quelques semaines plus tôt, c’était l’organisme français des grandes cultures qui se plaignait de ne pouvoir exporter son blé, faute d’un euro surévalué.
Par ailleurs, la communication publiée le 22 novembre 2006 par le commissaire européen Joaquim Almunia sur le bilan 2006 de l’économie de l’Union Européenne mérite pour le moins quelques interrogations.
Il énonce quatre consignes à l’adresse des pays ayant adopté l’euro :
1 - « accélérer le rythme des réformes structurelles » en clair, affaiblir les règles du travail - code du travail - conventions collectives - statuts ;
2 - « consolider les finances publiques » autrement dit, continuer à privatiser les services publics ;
3 - « veiller à ce que les agents économiques - notamment les syndicats - prennent mieux en compte les implications de l’appartenance à une union économique et monétaire » en clair, s’abstiennent de revendiquer des augmentations de salaires ;
4 - « demande aux politiques nationaux d’expliquer aux citoyens les avantages de l’euro ».
De plus, comment interpréter l’attitude des industriels qui délocalisent à l’intérieur de l’Union Européenne mais hors zone euro. Mr Henri Lachman, Président Directeur Général de Schneider-Electric, n’hésita pas à déclarer publiquement cette volonté, en juillet 2003.
Bien des choses ont été dites et écrites sur les travers de la construction européenne au cours de ces dernières années, mais curieusement l’une des idéologies dominantes est soigneusement tenue à la discrétion, même si le drapeau choisi pour l’Europe est un étendard qui ne trompe personne.
Le rôle joué par la religion et plus particulièrement par le catholicisme du Vatican est non négligeable pour ne pas dire capital.
Il explique clairement les attendus de cette construction européenne.
C’est ce créneau qui n’est que très rarement traité que je veux modestement évoquer, sans aucune prétention d’exhaustivité.
LES INFLUENCES POLITIQUES AU MOMENT DU TRAITE DE ROME
Avant d’aborder l’influence du religieux sur la construction européenne, il me paraît nécessaire de rappeler succinctement les positions et les comportements de trois politiciens français qui, au moment du Traité de Rome, dominaient la politique française et européenne : Pierre Mendés France, Robert Schuman, Jean Monnet.
Pierre Mendés France
Beaucoup d’hommes politiques actuels, de gauche, mais parfois de droite, tous des européistes se réfèrent à Pierre Mendés France.
Ont-ils tort, ont-ils raison ? Cela les regarde en conscience, mais ce qui est sûr, c’est que tous commettent une coupable omission, celle de taire que Pierre Mendés France fut un opposant déterminé au Traité de Rome. Après avoir argumenté ses positions à la tribune de l’Assemblée Nationale le 18 janvier 1957, il refusa par un vote négatif que soit transmise à un tiers la souveraineté du peuple français.
Déclaration
« Le projet du marché commun tel qu’il nous est présenté est basé sur le libéralisme classique du XXième siècle selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, elle recourt soit à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »
Cette clairvoyance était et reste remarquable d’autant que l’ancien député de Louviers n’avait, et chacun le sait, aucune attirance pour la subversion et l’extrémisme. Il avait d’ailleurs refusé, quelques années auparavant, les voix des communistes lors de son élection à la Présidence du Conseil, le 18 juin 1954.
Robert Schuman
Résumer en quelques mots les actes forts de Robert Schuman n’est pas chose facile. Il est cependant un fait, que pendant que le Général De Gaulle organisait à Londres la résistance après l’appel du 18 juin 1940, Robert Schuman votait les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 !
Est-ce cela qui a conduit ce que l’on appela « l’épuration judiciaire » à s’intéresser à lui, pour finalement le relaxer pour « faits de résistance » ?
Ceci dit, la Haute Cour de Justice a statué, et c’est ce qu’il faut retenir.
Robert Schuman, qui présida le premier parlement européen de 1958 à 1960, était démocrate chrétien et à ce titre avait participé à la création du Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.)
Ainsi, en 1950, au cours des négociations sur le traité de la Communauté Européenne du charbon et de l’acier (C.E.C.A.), il déclara « l’Europe, c’est la mise en œuvre d’une démocratie généralisée dans le sens chrétien du mot ».
Le décor était planté.
Est-ce la raison pour laquelle, en 1988, le Vatican ouvrit à son endroit un procès en canonisation ?
Tenter de faire un saint, le Président du 1er Parlement européen ne laisse aucune ambiguïté sur l’influence exercée par le Vatican quant à l’orientation de la construction de l’Europe.
Voilà pourquoi le qualificatif qui avait été attribué à Robert Schuman de « Père de l’Europe » oblige à diverses interprétations.
Jean Monnet
Tout au long de sa vie Jean Monnet a eu une obsession, celle de considérer que les Etats/Nations sont source de perpétuels conflits. Il confondra en permanence nation et nationalisme.
Après la guerre de 39/45, il agira pour empêcher la reconstitution des souverainetés nationales.
Cette conception lui vaudra de s’opposer en permanence au Général De Gaulle. De Gaulle s’appuyait sur le principe d’indépendance et de souveraineté nationales, Monnet faisait des U.S.A. l’axe majeur pour assurer un monde libre.
Concrètement, à l’appel du 18 juin 1940, Monnet refusa lui aussi d’apporter son soutien à De Gaulle. Il tenta même de dissuader les Britanniques de servir de base arrière à celui qui devait devenir le chef de la France libre. Son schéma était celui d’une union forte entre la France et la Grande-Bretagne, voire une fusion des deux pays.
Le 2 juillet 1940, il se mit à la disposition de Churchill. Celui-ci l’envoya aux Etats-Unis, d’où il deviendra vice-président de la mission britannique d’achat de fournitures américaines. Il sera, en quelque sorte, un haut fonctionnaire britannique.
Son opposition obsessionnelle à De Gaulle allant de déconvenue en déconvenue, il finira par rejoindre le chef de la résistance, en entrant dans le Comité Français de Libération nationale constitué par De Gaulle.
Par ailleurs, comme Schuman, Monnet ne cachait pas ses réticences et ses méfiances à l’égard de la souveraineté populaire. Jamais il ne sollicitera un mandat électif. C’est ainsi que le 10 août 1952, il déclarait à Luxembourg devant la Haute Autorité de la C.E.C.A. « Nous exercerons nos fonctions en pleine indépendance dans l’intérêt général de la communauté. Dans l’accomplissement de nos devoirs, nous ne solliciterons ni n’accepterons d’instruction d’aucun gouvernement ni d’aucun organisme, et nous nous abstiendrons de tout acte incompatible avec le caractère supranational de nos fonctions »
Cette déclaration mérite t’elle un commentaire particulier, sauf à constater que cette pratique, s’affranchissant de l’avis et du contrôle des peuples, se perpétue toujours au travers de la commission, de la Banque européenne et de la Cour de Justice ?
UNE INFLUENCE DISCRETE, MAIS EFFICACE
L’objet de cette contribution n’est pas d’analyser la structure politique de ce traité ni de stigmatiser les effets négatifs de son application sur les peuples, cela a déjà été fait à plusieurs reprises, notamment au moment du débat sur feu le traité constitutionnel.
Nous pourrons y revenir ultérieurement, le débat est loin d’être clos.
Le but est de démystifier les influences quasiment occultes mais très efficaces qui ont prévalu à la rédaction du Traité de Rome et qui restent la pierre angulaire de la construction européenne et de sa gouvernance.
Tout d’abord, il est nécessaire de s’interroger pourquoi les « pères » de l’Europe ont choisi Rome pour identifier ce traité.
Il eut été de bon sens de choisir la capitale d’un des deux pays belligérants, devenus promoteurs de la construction européenne ? Mais Paris ayant été choisi, en 1951, pour identifier le traité de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (C.E.C.A.) restait Bonn, la capitale de l’Allemagne de l’Ouest.
Ce choix aurait été un acte d’une forte symbolique de réconciliation, de paix et pourquoi pas de fraternité.
A défaut, le choix de Bruxelles ou de Strasbourg aurait pu également être retenu même si Bruxelles avait identifié le traité de l’Union Occidentale en 1948.
Apparemment, tel ne fut pas la volonté des Schuman, Monnet et consorts. L’idée majeure fut, avant tout, d’amarrer la construction européenne au dogme du christianisme. Preuve en est le choix du drapeau européen. La couleur bleue symbolisant la voûte céleste parsemée d’étoiles dites de Marie ne laisse aucun doute sur les intentions des concepteurs de cet étendard. Ainsi Rome était l’identification idéale.
Tout au long du parcours de la construction européenne, le fil conducteur restera l’attachement au christianisme.
Preuve en est, les principaux hommes politiques qui exercèrent et qui exercent une forte influence sur la construction européenne appartiennent tous à la famille démocrate chrétienne, qu’ils soient classés à droite ou à gauche. C’est vrai pour Delors, Prodi, Barrot, Lamy etc...
Le creuset militant de la Confédération Européenne des Syndicats est issu de ce courant de pensée. La C.F.D.T. française est très influente au sein de la C.E.S..
Mille neuf cent quatre vingt huit marqua une forte connivence entre le Vatican et les animateurs de la construction européenne puisque le pape Jean-Paul II fut reçu en octobre au Parlement européen de Strasbourg.
Il ne peut y avoir un acte plus fort de lien entre la construction européenne et le catholicisme.
Imaginons un instant que l’Assemblée Nationale française reçoive le chef des évêques de France !!!
Mais faut-il s’en étonner puisque le Président de la commission des communautés européennes de 1985 à 1995 ne fut autre que Jacques Delors, chrétien convaincu ?
Subsidiarité
Parmi les ancrages au christianisme, l’intégration du principe de subsidiarité est une preuve intangible.
Il faut remonter au moyen-âge et plus précisément au 11ième siècle pour trouver les origines du principe de subsidiarité.
C’est Thomas d’Acquin, théologien italien qui inventa et initia le principe de subsidiarité.
Ce principe fut clairement rappelé et remis en selle en 1931, par une encyclique romaine traitant de la doctrine sociale de l’église, intitulée « Quadragésimo Anno »
Deux passages méritent d’être cités et portés à votre réflexion.
« Que l’autorité publique abandonne aux groupements de rang inférieur le soin des affaires de moindre importance où se disperserait à l’excès son effort ; elle pourra dès lors assurer plus librement, plus puissamment, plus efficacement, les fonctions qui n’appartiennent qu’à elle, parce qu’elle seule peut les remplir : diriger, surveiller, stimuler, contenir, selon que le comportement les circonstances ou l’exige la nécessité. Que les gouvernants en soient donc bien persuadés : plus parfaitement sera réalisé l’ordre hiérarchique des divers groupements selon ce principe de la fonction de subsidiarité de toute collectivité, plus grandes seront l’autorité et la puissance sociale, plus heureux et plus prospère l’état des affaires publiques »
« (...) Récemment, ainsi que nul ne l’ignore, a été inaugurée une organisation syndicale et corporative d’un genre particulier. L’objet même de notre encyclique nous fait un devoir de la mentionner et lui consacrer quelques réflexions opportunes. L’Etat accorde au syndicat une reconnaissance légale qui n’est pas sans conférer à ce dernier un caractère de monopole en tant que seul le syndicat reconnu peut représenter respectivement les ouvriers et les patrons, que seul il est autorisé à conclure les contrats ou conventions collectives de travail. L’affiliation au syndicat est facultative, et c’est dans ce sens seulement que l’on peut qualifier de libre cette organisation syndicale, vu que la cotisation syndicale et d’autres contributions spéciales sont obligatoires pour tous ceux qui appartiennent à une catégorie déterminée, ouvriers aussi bien que patrons, comme sont aussi obligatoires les conventions collectives de travail conclues par le syndicat légal. Les corporations sont constituées par les représentants des syndicats ouvriers et patronaux d’une même profession ou d’un même métier et, ainsi que de vrais et propres organes ou institutions d’Etat, dirigent et coordonnent l’activité des syndicats dans toutes les matières d’intérêt commun. Grève et lock-out sont interdits ; si les parties ne peuvent se mettre d’accord, c’est l’autorité qui intervient »
Ainsi, les promoteurs d’une Europe soumise à l’influence du christianisme ne pouvaient qu’intégrer ce principe.
Ils choisirent le Traité de Maastricht pour l’inclure officiellement et donc juridiquement dans un texte communautaire, de surcroît un traité.
Quelques années plus tard, en 1994, un rapport sur la mission, les responsabilités et l’organisation de l’Etat, plus communément appelé « Rapport Picq » précisait sa pensée en matière de subsidiarité. « Pour le rapport Picq, l’Etat ne doit pas faire ce que d’autres sont à même de faire mieux que lui : il convient donc de définir les « situations particulières » dans lesquelles, « à titre exceptionnel », les collectivités publiques peuvent être conduites à intervenir, notamment quand l’exercice des libertés menace certains droits fondamentaux, quand un intérêt stratégique est en jeu ou quand le marché est défaillant ».
Puis, dans une publication des éditions « La Découverte » intitulé « L’état de la France 2000/2001 » on y lit la définition suivante : « La subsidiarité, ce vieux principe de la doctrine libérale, lui-même issu de la doctrine de l’église, signifie que l’intervention publique n’est légitime qu’en cas d’insuffisance ou de défaillance des mécanismes d’autorégulation sociale, étant entendu qu’il convient alors de privilégier les dispositifs les plus proches des problèmes à résoudre (proximité) et de faire appel à la collaboration d’acteurs privés (partenariat).
Dans sa livrée du 9 juin 1994, à son tour, le Monde levait un coin du voile et publiait l’article suivant :
« Si des responsables protestants ont aussi contribué à la naissance de la Communauté, celle-ci porte essentiellement le sceau du catholicisme. Les pères fondateurs, Schuman, De Gasperi, Adenauer, étaient de fervents catholiques, cinq des six pays de la future CEE étaient majoritairement catholiques et ce furent les partis démocrates-chrétiens qui constituèrent les bataillons les plus fidèles de cette Europe, dont l’acte de naissance fut signé ... à Rome »
« Si les catholiques n’avaient pas été là, commente le théologien belge Marc Luyckx, la Communauté n’aurait peut-être pas vu le jour et nous ne serions pas parvenus jusqu’ici. Mais aujourd’hui, pour qu’elle progresse, pour qu’elle puisse s’adapter à l’ère post moderne qui se dessine, l’apport des protestants se montre indispensable »
Héritage chrétien de l’Europe
L’autre tentation d’ancrage au christianisme eut lieu lors des débats de la convention présidée par Valéry Giscard d’Estaing qui avait pour mission d’écrire le projet de constitution européenne.
La question d’introduire dans le préambule une référence historique à la chrétienté fit débat.
Le pape, en personne, n’hésita pas, lors d’une visite en Pologne le 18 mai 2004 à remercier publiquement ceux qui étaient à l’origine de cette proposition pensant à l’époque que la formule prendrait place dans le préambule.
Le rejet formel des tenants de la laïcité, mais aussi de ceux qui développaient l’argument de ne pouvoir faire référence à la chrétienté en ignorant les autres religions et notamment l’islam ont conduit les rédacteurs à reculer sur ce point.
Mais compensation fut donnée au Vatican et à ses ouailles puisque c’est à Rome, le 29 octobre 2004, que fut signé le traité établissant une constitution pour l’Europe par les 25 Chefs d’Etat et de Gouvernement.
Pendant toute la période consacrée à la rédaction de ce projet de constitution, les évêques européens, le bras armé du Vatican, ne restèrent pas cloîtrés.
Dans un document officiel de juin 2002 adressé au G.O.P.A. (Groupe des conseillers politiques du Président de la commission) les évêques européens firent part de leur conception du mot « dialogue ».
Le document indique que les églises veulent participer à la phase d’élaboration des textes législatifs et bénéficier ainsi d’un rôle spécial dans l’élaboration des directives européennes sur tout sujet qu’elles estiment de leur ressort.
Elles demandent également à participer à des rencontres de travail avec le Président de la Commission sur des objectifs généraux et spécifiques. Elles réclament un bureau de liaison au sein des services de la commission afin d’être entendus par les Présidents de la commission, du Conseil des Ministres et du Parlement européen.
Il ne leur reste plus qu’à demander le sacre du Président de la commission à Reims où à Aix-la-Chapelle !!!
Des relais bien assurés
L’un des derniers « actes de foi » du lobby religieux fut exercé au cours de l’été 2006.
Marris de l’échec du 29 mai 2005, les évêques européens, réunis en conférence, constituèrent un groupe formé, entre autres, d’ecclésiastiques, sorte de missionnaires chargés de « faire prendre conscience » des valeurs européennes à la plupart des gens « totalement ignorants » de celles-ci, selon les propos tenus par l’ancien ambassadeur belge auprès de l’Union européenne.
La partie civile de ce lobby était notamment composée d’anciens membres de la commission européenne comme : Mario Monti, Franz Fischler, Layola de Palacio, Jacques Santer..... Le porte-parole de ce groupe avait confié qu’il visait à influer « indirectement » sur la déclaration solennelle que les Etats préparaient pour le cinquantenaire du Traité de Rome.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mission a fait « pschitt »
Mais le bilan des actions religieuses serait incomplet si celle de Mme Merkel n’était pas portée au « tableau d’honneur ».
Quelques temps après son élection à la chancellerie allemande, Mme Merkel rendit visite au Pape et déclara, après l’entretien pontifical : « Nous avons besoin d’une identité européenne sous forme d’un traité constitutionnel, et je pense que cela devrait être connecté au christianisme et à Dieu, car le christianisme a forgé l’Europe de manière déterminante ».
Voilà qui est clair et qui donne du crédit à ceux qui voyaient dans les articles I-52-3ième alinéa et II-70 du projet de traité constitutionnel une intrusion juridique de la religion dans la gestion de l’intérêt général de l’Union européenne.
Faut-il rappeler que dans les pays où le christianisme exerce une forte influence sur la gestion de l’intérêt général, par exemple les lois en faveur de la libération de la femme sont réduites au strict minimum ?
En Pologne, l’interruption volontaire de grossesse n’existe pas, et les dirigeants actuels, des catholiques intégristes, s’y opposent formellement. Au Portugal, sous la pression du peuple, un référendum a été organisé au début de l’année. L’I.V.G. devrait être légalisée. Mais le plus cocasse vient d’Italie quant au lendemain du référendum portugais, le Chef du Gouvernement Romano Prodi s’est fendu d’une déclaration précisant que sur ce type de dossier, il en référait toujours au Vatican.
Même en France l’épiscopat français vient de se distinguer en stigmatisant le Téléthon. S’il s’était agi de poser le problème du financement de la recherche par des collectes de charité, l’interrogation aurait été de bonne aloi, mais le courroux des religieux était d’une autre nature.
Les catholiques refusent toujours, l’interruption volontaire de grossesse, même lorsqu’il est médicalement constaté que le fœtus est atteint de maladies graves répertoriées. En effet, l’église catholique fait une question de principe le droit fondamental et primordial à la vie de l’être humain, depuis sa conception jusqu’à son dernier souffle. Le pape Benoît XVI a d’ailleurs rappelé le 16 septembre 2006 cette « limite infranchissable ».
ABSOLUE NECESSITE DE SEPARER POLITIQUE ET RELIGION
A la découverte ou à la confirmation de l’ossature religieuse de la construction de l’Europe, comment s’étonner des résistances venant du pays des lumières, venant du pays de Voltaire et venant du pays de la loi du 9 décembre 1905, dite de séparation des églises et de l’Etat ?
Ceux qui s’imaginent que la laïcité n’est plus qu’un slogan, qui finira par disparaître au fil du temps, se font de douces illusions.
Le chat ne dort que d’un œil, c’est bien connu.
Cependant, le problème posé est celui du prédateur de la laïcité qui jaillit de toute part, de droite comme de gauche. Souvenons-nous, la période n’est pas si lointaine, de la laïcité qualifiée d’ouverte et de plurielle. Maintenant, on nous parle de laïcité intelligente. De là à y voir une laïcité juste !!!
La constitution du Mouvement Européen est là pour nous le rappeler.
Les membres qui le composent ne peuvent être classés politiquement au sens historique du terme, mais globalement, la famille de pensée qui sert de catalyseur est bien la démocratie chrétienne.
Pour en revenir et conclure sur la construction politique de l’Union Européenne, les quelques années qui viennent de s’écouler montrent très clairement que les lignes de partage politique ne se situent plus dans un classement gauche, droite. Souvenons-nous, du slogan diffusé lors de la campagne de propagande du référendum sur le Traité constitutionnel « le oui de gauche est compatible avec le oui de droite ». Il n’y a pas plus évident pour justifier cette dilution.
En fait, la construction européenne et son évolution ont bouleversé les lignes.
Le citoyen français a désormais à choisir entre les valeurs d’indépendance et de souveraineté nationales, sans exclure les coopérations européennes, portées sur ce point par les successeurs idéologiques de De Gaulle et de Mendès France et celles des adeptes de Monnet et Schuman consistant à transférer à un, ou des tiers, les prérogatives que l’Etat assumait antérieurement.
Cependant, la tâche du citoyen est ardue par le fait que ces deux courants de pensée cohabitent dans des partis classés, tant à droite qu’à gauche.
Ainsi, il devient urgent que le peuple victime de cette ambivalence force les élites à éclaircir le jeu et à se positionner clairement. Cela demande de l’investissement individuel et collectif. C’est réalisable. Il y a quelques années, un homme politique français avait appelé de ses vœux au big-bang politique. Même si on ignore son dessein final, il est dommage que ce big-bang ne se soit pas réalisé, nous aurions pu agir pour reconfigurer le jeu politique français. Mais il n’est jamais trop tard.
VIGILANCE ACTIVE : NON A LA DOCTRINE SOCIALE DE L’EGLISE, OUI A LA LUTTE DE CLASSES
Ainsi, cette commémoration révéla le malaise existant. La piètre déclaration qui n’a même pas pu recevoir l’approbation des 27 membres des pays composants l’Union Européenne en est l’implacable illustration.
Seuls, la Présidente en exercice de l’Union Européenne, le Président du Parlement européen et le Président de la commission ont apposé leur signature sur cette courte et insignifiante déclaration. Les points qui ont posé le plus de problèmes ont été la référence à un modèle social européen, à l’espace Schengen, au traité constitutionnel et aux racines chrétiennes de l’Europe. Cependant, Mme Merkel, soit par excès d’optimisme, soit par calcul de politique intérieure, mais peut-être faut-il additionner les deux raisonnements, a fixé un cap pour l’instauration de nouvelles institutions. La date butoir de 2009 est désormais fixée.
Curieusement, c’est aussi celle qui est la plus souvent citée dans la campagne de l’élection présidentielle française.
Nous devons donc nous préparer dès maintenant. Nous devons assurer une vigilance de tous les instants et refuser que rentre par la fenêtre ce que 55 % des électeurs français ont sorti par la porte le 29 mai 2005.
Cependant, il faut reconnaître que cette présidentielle a considérablement troublé le jeu.
Nous aurions pu penser, l’utopie existe, que la confiance majoritaire faite aux porteurs du « non » n’aurait pas été déçue mais hélas, les égoïsmes et les calculs politiciens l’ont emporté sur la logique politique et démocratique.
On a même assisté au comble de l’ineptie.
Après le « oui de gauche est compatible avec le oui de droite » du printemps 2005, le printemps 2007 nous a gratifié du « non de gauche est compatible avec le oui de gauche » !!!
Après cela, osera t’on s’étonner du désarroi de l’électorat populaire ?
Laissons aux petits calculs politiques ceux qui excellent dans cet « art » et faisons confiance à celles et à ceux qui portent en eux les valeurs d’humanisme responsable.
Les individus, les citoyens, les militants attachés à la séparation des églises et de l’Etat, opposés à la mondialisation libérale dont l’Union Européenne se fait le chantre zélé, doivent croire en la résistance.
Pour cela, nous devons nous unir, nous réunir pour agir ensemble et solidairement.
La route sera longue, mais le but se rapproche.
ANNEXE
Mais, qu’avez-vous donc fait de l’héritage ?
En dehors du fait religieux dans la construction européenne, je veux profiter de cet espace pour interroger les européistes sur ce qu’ils ont fait des promesses de leurs aînés.
Il serait intéressant que ceux qui défendent becs et ongles l’actuelle Union Européenne nous expliquent ce que sont devenus les objectifs de la C.E.C.A., c’est à dire la mise en commun de la production française et allemande de charbon et d’acier au service de la paix en Europe.
Cet accord appelé également Traité de Paris signé le 18 avril 1951 précisait entre autres « L’Europe ne se construira que par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait »
Pour se faire, au cours des années 80, la sidérurgie française fut modernisée à grand frais de deniers publics et au prix d’importants sacrifices humains. (les lorrains s’en souviennent) Près de deux cents milliards de francs y furent engloutis. Tout çà pour livrer en 2006, « clés en mains », cet outil performant au géant indien Mittal, dont le but n’est autre que la spéculation.
Il en fut de même pour notre production d’aluminium puisqu’en 2003 le canadien Alcan fit main basse sur Péchiney, le champion français de l’aluminium. Ainsi, en quelques années, notre pays s’est vu déposséder de ses fleurons en matière de production de métaux.
Qu’est donc devenue la déclaration de Robert Schuman, faite le 9 mai 1950 à la construction de la C.E.C.A. « La France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l’Allemagne...L’Europe solidement unie et fortement charpentée. Une Europe où le niveau de vie s’élèvera grâce au regroupement des productions et à l’extension des marchés, qui provoqueront l’abaissement des prix » ?
Mais où est donc passée cette solidarité européenne autour des richesses minières ?
Il en est de même pour l’aéronautique. Ceux qui, abusivement, utilisèrent le succès d’Airbus au cours de la campagne du Traité constitutionnel, pour crédibiliser l’Europe, vont-ils nous expliquer que la difficile période que traverse actuellement l’avionneur est le symbole de l’échec européen ? Il serait plus honnête de dire que ces deux dossiers sont à dissocier et qu’en l’état actuel des choses et notamment avec le traité de Maastricht , il ne serait plus possible de construire une entreprise comme Airbus.
Jean-Louis ERNIS