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La gratuité en débat

Par Jean-Paul Damaggio • Bibliothèque • Samedi 30/05/2009 • 2 commentaires  • Lu 2709 fois • Version imprimable


Dans un livre collectif sous la direction de Paul Ariès, publié chez Golias : Viv(r)e la gratuité, une issue au capitalisme vert[1], nous pouvons pointer quelques constantes chez les divers intervenants qui passent par la philosophie, l’économie, la sociologie, le politique, et aussi quelques différences.

Bataille autour de l’objectif de la gratuité

Tous les intervenants s’accordent plus ou moins sur le fait que la gratuité est une grosse épine dans la marche capitaliste, une épine dont le système cependant est prêt à gérer les effets. N’est-ce pas d’ailleurs la caractéristique majeure du capitalisme : récupérer à son propre bénéficie l’action de ceux qui le contestent ?

Pour être explicite la gratuité peut devenir la gratuité des « journaux gratuits » qui ne sont en fait ni des journaux, ni des gratuits. Ce ne sont pas des journaux car ils n’emploient pas de journalistes et ne sont pas à la disposition possible de tout lecteur (il faut habiter les grandes villes pour en bénéficier). Ils ne sont pas gratuits car payés par la publicité, ils vivent sous son contrôle. Cependant, sur ce point, il arrive qu’ils aient moins de publicité que les quotidiens qui sont des journaux payants vu que les coûts sont limités : presque pas de frais de distribution par exemple.

Autre exemple : j’achète hier un paquet de farine et je découvre que je bénéficie de 50% du produit à titre gratuit !

Cette fausse gratuité s’oppose à la gratuité de l’école, des soins, à la gratuité acquise par les luttes des travailleurs, et très largement remises en cause ces dernières années. Cette gratuité est l’effet de la solidarité par l’impôt (d’où le rôle de l’Etat) ou par les caisses sociales.

Dans un monde où le capitalisme veut élargir en permanence le champ de la marchandise, la revendication d’une gratuité par la solidarité fait désordre. Des transports en commun gratuits, des cantines scolaires gratuites, c’est l’effet d’une bataille idéologique difficile car elle va à l’encontre des idées martelées sans cesse : la valeur de toute chose se mesure par l’investissement financier que je suis prêt à y mettre pour accéder à sa « propriété ». Utiliser les bibliothèques pour le prêt gratuit du livre ça n’entre pas dans le PIB.

Ne souhaitant pas être exhaustif sur le sujet, je passe à un autre élément qui apparaît à la lecture du livre en question et qui en est le sous-titre.

La gratuité face au capitalisme vert

Tout d’abord une question : ce capitalisme vert est-il une façade ou une réalité à prendre au sérieux ? Pour le dire autrement : Le capitalisme peut-il se mettre au vert ?

Comme beaucoup de réalités, je constate que la réponse est dans les supermarchés où les rayons « bio » prennent de plus en plus d’ampleur, y compris dans les produits de vaisselle etc. Le « vert » c’est donc une part de plus en plus importante de la machine économique, du tourisme « vert » à la santé « verte » etc. Jusqu’à quel point le capitalisme peut-il se refaire une santé en se mettant au «vert » ? Peut-être Nicolas Hulot, Daniel Cohn-Bendit, José Bové, Jean-Paul Besset ont la réponse.

Une fois de plus la gauche patauge face à cette évolution du contexte. Au cours des années 80 elle a raté la dimension écolo des luttes sociales, ce qui a empêché toute articulation entre le rouge et le vert (les deux perdants à ce rendez-vous manqué), et elle risque aujourd’hui de rater l’offensive du capitalisme vert.

Prenons l’exemple du revenu d’existence (version Baptiste Mylondo) qui entre dans le combat pour la gratuité. Côté écolo on va trouver ceux qui prétendent comme pour d’autres éléments de la gratuité, qu’un tel revenu est source d’irresponsabilité, de gaspillage etc. « Les transports gratuits c’est la porte ouverte à la casse ! » Côté social on va trouver ceux qui pensent qu’à être payé à ne rien faire (c’est le fondement du revenu d’existence) le travail est dévalorisé et que c’est très dangereux. Les deux arguments s’entendent mais on ne peut en rester là ! Une synthèse est possible et c’est toute l’originalité de Paul Ariès de vouloir, parfois contre vents et marées, la faire avancer. Il s’agit parfois d’être sur le fil du rasoir et il est facile de comprendre que la position n’est pas souvent confortable. Il est plus facile à chacun de suivre sa pente propre que d’aller sur les chemins des autres. Paul Ariès indique : « Je suis fondamentalement d’accord avec Jean Zin : la notion de « décolonisation de l’imaginaire (Serge Latouche) ou des « réveil des consciences » (Pierre Rabhi) est totalement insuffisante car le grand problème est d’abord celui des institutions.»

Quel chemin de la gratuité à l’institution ? Tout comme la sécurité sociale, où l’école qui plaça l’institution dans le mot instituteur, le revenu d’existence passe par une autre direction pour les institutions. Laquelle ? « Contrairement à ce que pourrait être un mariage rouge-vert qui cumulerait les interdits, nous osons la liberté mais nous rappelons qu’elle doit être encadrée et qu’elle a nécessairement un prix. Chacun reste libre de s’offrir du mésuage (dans la mesure où la loi ne l’interdit pas exceptionnellement) ; par exemple en possédant une maison de campagne mais en supportant les surcoûts de ce mésuage. »

Aussitôt les militants sociaux vont dire : ça y est les riches vont pouvoir se payer ce qu’ils veulent et les pauvres vont se serrer la  ceinture. Du côté des militants écolos qui souvent sans le dire ouvertement voudraient des mesures dictatoriales contre les mésuages, là ils vont répondre : mais tout continue comme avant !

Or cette réflexion sur la gratuité vise aussi à réduire la hiérarchie des revenus par décision politique en taxant fortement les riches et en donnant ce fameux revenu d’existence. Bref la gratuité est-elle un élément d’un système (pour les capitalistes comme inversement pour les anti-capitalistes) où la pierre angulaire d’une reconstruction de l’horizon de la gauche ? Je me situe radicalement dans le second cas.

31-05-2009 Jean-Paul Damaggio

 

 



[1] Publié chez Golias : Viv(r)e la gratuité, une issue au capitalisme vert (12 euros) Les auteurs : sous la direction de Paul Ariès, Jean-Louis Sagot-Duvouroux. Denis Collin, Daniel Bensaïd, Roger Martelli, Pierre Sommermeyer, Jean-Luc Debry, Mathilde Ariès, Alain Jugnon, Jean-Claude Bessons-Girard, Michael Singleton, Philippe Godard, Gilles Alfonsi, Laure Pascarel, Denis Vicherat, Baptiste Mylondo, Jacque Testart, Réseau pour l’Abolition des Transports Payants, René Balme Jean-Paul Damaggio, Alain Bihr.

 


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Commentaires

par Serge_Gomond le Dimanche 31/05/2009 à 17:55

Jean-Paul Damaggio écrit : «… Je me situe radicalement dans le second cas…»

Réponse : Nous sommes beaucoup dans ce cas, pendant longtemps, des enseignants m’ont autorisé à donner des cours de restauration de livres anciens ou modernes et de documents (manuscrits, assignats, affiches, cartes etc.), ainsi que l’histoire du papier (y compris sa fabrication), des techniques d’impression (xylo, gravure, litho, typo, hélio, offset etc.) de peinture et de dessin, à des enfants de la maternelle jusqu’aux CM1 et CM2, c’était gratuit, mais tellement "payé" en retour.

Leur apprendre que nous devions beaucoup aux Phéniciens, du fait de l’invention de l’alphabet, des bases du commerce (international) en Méditerranée puis en Europe (les deux inventions bien sûr), l’accès aux sciences telles que :  l’algèbre, la géométrie, les mathématiques (y compris les chiffres arabes) et surtout la chimie (les pseudos connaissances de "nos" alchimistes, à côté de ces connaissances réelles, les faisaient passer pour de joyeux farfelus !) via la première Université européenne et au monde (à Padoue, pendant l’occupation de l’Espagne par nos amis arabes) Avec tout ça ils apprenaient que les "arabes" et les cultures du monde pouvaient nous enrichir, et dans le cas des Phéniciens, nous faire passer de Cro-Magnon à la culture et aux connaissances révolutionnaires (2). 

(1)   pardonnez la méthode (sortir une phrase de son contexte),  mais c’est plus facile pour répondre.

      (2) Il s’agit de réelle Révolution, et pas comme le font croire certains, des amuseries de salle de patronage  (pseudo-réformes en tous genres et verbiage délirant) 


Vive la gratuité par JoëlP le Samedi 12/09/2009 à 13:08

J'organise lundi prochain un débat dans ma commune sur le sujet de la gratuité largement inspiré du livre. 
J'ai trouvé les articles du livre très inégaux. Celui de Jean-Paul Damaggio "Les Amériques et la gratuité" fait un raccourci saisissant mais au bout de ce raccourci, il y a cette idée qui me paraît essentielle "Apporter les outils novateurs pour rendre la gratuité socialement compétitive"

Les entreprises sont en effet capables de mettre en oeuvre des outils puissants de "Business Inteligence", les responsables de l'économie utilisent des outils dits "d'intelligence économique". Si on veut que la gratuité ne dérape pas, il faut des outils d'intelligence sociale qui mettraient en place les indicateurs de bon fonctionnement et permettraient un suivi de la gratuité accessible à tous. La mise en place d'un tel outil pour mesurer les objectifs de l'éducation ou de la santé me semble nécéssaire et réalisable rapidement. Une réflexion et un débat sur ce sujet serait un bel objectif pour la gauche.



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