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Tête de Turc

Par Denis Collin • Internationale • Jeudi 04/06/2009 • 8 commentaires  • Lu 2454 fois • Version imprimable


Il y a au moins un point qui unit les droites (UMP, DLR, MPF, FN, etc. … et MODEM), c’est le rejet de la Turquie. Le pompon est détenu par l’UMP : tous ses députés et dirigeants, y compris leur chef bien-aimé, ont approuvé le processus d’intégration de la Turquie dans l’UE. Du reste la Turquie fait partie depuis 40 ans d’une instance européenne moins connue que l’UE mais tout aussi européenne, le Conseil de l’Europe. Autrement dit, l’UMP et son chef suprême, le vrai chef de l’Europe si on en croit la propagande de ce parti, signent pour l’entrée de la Turquie quand ils sont à Bruxelles ou à Strasbourg, mais disent le contraire jusqu’au 6 juin au soir quand il s’agit de s’adresser aux citoyens français. Une fois de plus, l’UMP et son « lider maximo » pratiquent avec un culot extraordinaire l’art du double langage si bien épinglé par Orwell. Nous avons eu l’occasion de rappeler la formule d’Anton Ciliga à propos de l’URSS, « le pays du mensonge déconcertant ». C’est ce qu’est devenue la France depuis quelques années.

Commençons par le commencement. Ceux qui rejettent l’UE comme une prison des peuples n’ont évidemment pas à réclamer l’entrée de la Turquie dans l’UE. Les amis du peuple turc d’ailleurs ne peuvent que lui souhaiter de rester en dehors de ce « machin » qui va bientôt réglementer le taux de sucre dans les loukoums… Et on pourrait clore ici la discussion. Mais il vaut la peine de se placer un instant du point de vue de ceux qui défendent la prétendue construction européenne et de démonter les arguties et sophismes dont ils nous abreuvent.

Premier argument : la Turquie n’est pas en Europe. « Il suffit de regarder une carte », dit le Propaganda Staffel de l’UMP. Il faut leur acheter des lunettes : la Turquie a des frontières terrestres avec la Grèce, la Bulgarie, la Géorgie et l’Arménie. En outre si la Turquie est en Asie, où est donc Chypre, une île à demi-turque, très loin de la Grèce et à quelques encablures ou presque des côtes « asiatiques » de Turquie.

Ce simple argument géographique est cependant insuffisant, car la géographie est aussi de l’histoire. Soit les chefs de l’UMP sont des analphabètes, soit ce sont des tricheurs, soit ils sont les deux à la fois. Mais on se doit de rappeler que la principale ville de Turquie est Istanbul que nous connaissons aussi sous le nom de Byzance ou de Constantinople, une ville grecque et romaine, qui fut capitale officielle de l’empire romain et capitale de l’empire byzantin jusqu’à sa prise par les troupes de Mehmet II en 1453. Visiblement, les députés, ministres et autres vénérables de l’UMP ont subi en avance les effets de l’école Darcos, car les humanités ne sont pas leur fort. Ce qu’on appelle aujourd’hui Asie Mineure comprend en réalité une bonne partie de la Grèce antique et des villes comme Éphèse ou Milet qui sont considérées comme les lieux de naissance de la philosophie « occidentale ». Plus proche de nous, quiconque connaît un peu l’histoire sait que l’empire ottoman fut une puissance européenne et avant la première guerre mondiale, les chancelleries le considéraient comme « l’homme malade de l’Europe », preuve qu’avant les « révisionnistes » de l’UMP (et des autres branches des incultes de la droite française), on considérait bien la puissance turque comme européenne. Enfin, la Turquie moderne, celle qui s’est construite après la première guerre mondiale, s’est construite comme une puissance explicitement européenne. Privée de toutes ses terres en Asie, elle s’est européanisée à marche forcée, tant sur le plan institutionnel (avec une laïcité de combat) que sur le plan linguistique avec l’abandon de l’alphabet arabe au profit de l’alphabet romain.

On dira que les Turcs sont un peuple d’origine asiatique. C’est exact. Mais tous les peuples européens sont originaires de quelque part entre l’Inde et le Caucase. Et on soulignera en particulier l’origine des Hongrois, descendants des hordes des Huns, des Avars, des Magyars et autres mongoles et tartares qui déferlent sur cette région et qui parlent même une langue étrange sans aucun lien avec les autres langues européennes. Soit dit en passant, si on veut faire de l’ethnicisme, les Français sont plus proches des Iraniens que des Hongrois puisque les Iraniens parlent une langue indo-européenne cousine du latin, du grec et des langues germaniques et slaves …
Deuxième argument : la Turquie n’est pas vraiment « clean » question droits de l’homme. Exact. Le problème est double :
1°) la Turquie a fait de gros efforts dans ce domaine – elle a même aboli la peine de mort, ce dont nos amis américains persistent à s’abstenir sans que nos éminences leur en fassent grief.
2°) Il n’est pas certain que les donneurs de leçons français soient les mieux placés pour faire des remontrances sur ce sujet. Avec une loi « sécurité » tous les ans ou presque, avec le développement de l’arbitraire policier, les interpellations des enfants de 6 ans dans les cours d’école, les emprisonnements arbitraires, et l’extension sans limite de la surveillance électronique, la France va bientôt être en mesure de se faire donner des leçons par le gouvernement d’Ankara.

Troisième argument : la Turquie ne se conduit pas bien avec ses minorités nationales kurdes. L’argument ne manque pas de force. Mais il n’est pas souvent mis en avant parce qu’il pourrait vite revenir dans la figure des dirigeants européens, qui sont loin d’être exemplaires dans ce domaine. En outre, les Européens, membres de l’OTAN (puisque depuis le traité de Maastricht, la défense européenne est officiellement l’OTAN), ne verraient pas d’un bon œil le démembrement de la Turquie, pilier de l’OTAN dans la région. Notons que la Turquie n’est pas bonne pour l’UE mais on la conviera, via l’OTAN, à la défense de l’Europe…

Quatrième argument : les Turcs n’ont pas fait repentance sur le génocide arménien. Laissons de côté ici la question de la qualification (un récent article de la revue L’Histoire montrait qu’il était pour le moins risqué de parler de génocide, planifié et organisé par le pouvoir) et tenons-nous en à l’application des principes évangéliques : les Européens voient la paille dans l’œil des Turcs mais pas la poutre qui est dans le leur. Loin de faire repentance du colonialisme et des guerres coloniales (peut-être un million de morts en Algérie), les dirigeants français ont pris le pli de s’en glorifier et vont à Dakar faire la leçon à « l’homme africain » qui reste en dehors de l’histoire. Les Britanniques ne se sont jamais repentis pour les horreurs de la colonisation de l’Irlande, une colonisation qui se maintient dans le nord de l’île (un peu comme les Turcs au Kurdistan…).

On le voit, de tous ces sophismes et discours où la mauvaise foi le dispute à la bêtise, il ne reste rien … sauf un dernier argument, à peine subliminal : les Turcs sont musulmans et l’Europe est chrétienne. Seul le vicomte chouan assume cet argument publiquement. Mais au fond, c’est là-dessus que jouent tous les autres. Ils espèrent tirer profit de ce vieux fond ultraréactionnaire, se rappelant les fortunes qu’il avait valu à Le Pen. C’est assez répugnant mais c’est ainsi. Pourtant de leur propre point de vue officiel, l’intégration d’une grande république laïque à majorité musulmane serait un bon moyen de montrer la supériorité morale de cette « Europe » qu’ils prétendent construire. Ce serait d’autant plus aisé que la religion n’a pas plus de poids en Turquie que ces deux pays de culs-bénits que sont l’Irlande et la Pologne. Mais leur but n’est pas de construire une association de peuples tolérants, faisant passer le droit civil avant les préceptes des bigots. Car en vérité tous ces dirigeants ne cherchent qu’à exploiter les peurs et les ressentiments au profit du seul dieu auquel ils croient, Mammon.


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Commentaires

suite du film feuilleton en 2 ou en multiples épisodes, plus dure sera la chute par quent1 le Jeudi 04/06/2009 à 14:39

Quant à l'entrée dans l'Europe "Unie" de la Turquie et de la Russie jusqu’à la frontière naturelle de l'Oural, certains groupes s'autoproclamant de gauche ou anti- capitalistes se taisent prudemment, opportunisme quand tu nous tiens ! Ou je n’ai rien su décrypter et lire à temps perdu ? Et une question subsidiaire hors sol géographie et hors-les-murs histoire et élection programmée du 7 : le 8 de juin de l’an neuf quels seront les sujets principaux de conversations des politologues ou autres ? Les analystes de tous bords auront à se creuser les méninges pour comprendre (ou du moins le tenter ?) ce que pourrait bien signifier l’abstention massive constatée dans les faits. Après Maastricht 92 prime puis déni de vote TCE 2005 puis pour conclure en beauté congrès chez les versaillais avec traité bis dit simplifié et empêchement d’exercer son droit de déposer bulletin dans l’urne, cela qu’elle soit transparente ou opaque ou électronique, on ne nous aura pas une troisième fois on a avait voté en 2005 et puis après ? Erreur fatale, Game over !
Le Coup d’état permanent ? Je ne me souviens ni plus très bien qui l’aurait écrit ce livre ni même du contenu, modulation de fréquence sur la FM.
.. .
http://www.observatoire-des-sondages.org/-Tripatouillage-et-Manipulation-.html


par Pierre Delvaux le Jeudi 04/06/2009 à 17:50

Le rappel historique est aussi juste que le pointage de la crasse ignorance historique de nos dirigeants (ce qui est très grave en politique et nous ne commençons qu'à en payer le prix) et de la mauvaise foi de la plupart. Mais ce qui importe le plus dans le débat actuel, c'est que, de même qu'on ne saurait aller voter Dimanche si on rejette le "machin" européen, on ne peut que souhaiter aux Turcs, pour la même raison, de ne pas tomber dans ce chaudron infernal. D'ailleurs, une catégorie sociale de ce pays sait de quoi il en retourne depuis quelques années : les paysans. Tous les agriculteurs turcs redoutent l'entrée de leur pays dans "l'union", payant déjà un douloureux prix à la politique de dumping agricole de Bruxelles.


Re: par d_collin le Vendredi 05/06/2009 à 07:57

Qu'il faille souhaiter aux Turcs de rester en dehors de l'UE, c'est évident et je commence par là! Mais au fond, c'est à eux de le dire et pas à nous.
Je crois qu'il faut prendre au sérieux le droit des peuples dont l'UE est le négation. De même, je n'ai aucune envie de dire aux Polonais ou aux Irlandais "soyez laïques comme nous"! C'est à eux de décider comment ils veulent s'arranger avec la religion, pas à nous Français, ni à l'UE -- contrairement à ce qu'affirme par exemple Mélenchon qui veut imposer la laïcité aux autres pays d'Europe, au nom de son fédéralisme européen.


Tête de Turc mais encore! par Antonio Pereira Nunes le Samedi 06/06/2009 à 11:29

cher Denis,
Il est certain que le rouleau compresseur des droites françaises toutes confondues, avec les médias qui leur font la partie belle, ont conditionné les français à l'idée que l'entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne ne serait pas une bonne chose. J'ai bien peur que cette idée soit devenue plutôt monnaie courante parmi nos concitoyens, quand j'entends des gens au tour de moi de droite comme de gauche s'exprimer sur le sujet. Il va falloir faire un effort de communication important pour proposer un regard un peu plus critique et lucide sur cette question. C'est là où tes lignes sont intéressantes à lire.
Cependant il y a un aspect que tu n'as pas relevé, et qu'il me semble tenir un poids décisif dans cette affaire, celui de la représentation turque dans les instances européennes, au niveau du nombre des voix aux élections pour le parlement européen, le jour où ce pays deviendrait membre à part entière de la CE. Compte tenu de la population de la Turquie,  plus de 71 milions d'habitants donc plus que la France, ne serait-il plutôt là qui tiendrait le principal motif du refus de l'expression turque dans "notre vie communautaire?  Il faudra compter sur leur avis le jour où ils seront "parmi nous"  et il n'est par forcément du goût de tout le monde que ces "bronzées" parmi lesquels des fils de Mahomet ce comptent par légions aient désormais droit au chapitre!
Antonio


Re: Tête de Turc mais encore! Errata. par Antonio Pereira Nunes le Samedi 06/06/2009 à 11:47

Désolé pour le "bronzées" de mon texte. C'était "bronzés" que je voulais dire, pour dénnoncer le regard raciste que malheureusement encore beaucoup de monde porte sur les turcs et  que je ne partage absolument pas. Je ne voulais pas non plus porter une quelconque allusion féminine, le "e" de trop n'étant qu'une lamentable erreur de ma part.


Lien croisé par Anonyme le Mardi 09/06/2009 à 16:01

Utopie-Critique - Accueil : "Tête de TurcLa gratuité en débatLe capitalisme est-il une histoire sans fin ?"


Lien croisé par Anonyme le Jeudi 11/06/2009 à 18:21

Tête de Turc : " Un article issu de : Tête de TurcÀ voir en ligne ici : http://la-sociale.viabloga.com/news/tete-de-turc"



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