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Après 6 manifestations contre la réforme des retraites, il est incontestable que la mobilisation des salariés dans la rue demeure massive. De plus, les sondages à répétition, une fois n’est pas coutume, indiquent une sympathie croissante de l’opinion pour les manifestants. Relativisés les discours sur les « français pris en otage par les grévistes ou les bloqueurs », c’est plutôt des messages de sympathie qui sont exprimés. A plus de 69%, les sondés indiquent leur volonté de voir le mouvement aller jusqu’au bout. Une façon d’agir ou de faire grève par procuration. En même temps, le président Sarkozy atteint son plus bas depuis 2007 avec seulement « 30% de satisfaits », entrainant son premier ministre et toute la majorité dans son sillon. Face aux défilés rejoints depuis peu par une partie de la jeunesse lycéenne et étudiante, face aux grèves qui éclatent ici ou là, face aux blocages notamment des raffineries ou dépôts de carburant, le gouvernement se veut cependant inflexible. Il affirme la volonté conforme aux impératifs dictés par Bruxelles de faire passer coute que coute, comme si nul ne protestait, la réforme des retraites baptisée réforme clé du quinquennat Sarkozy. Mais ce gouvernement sait qu’il marche sur des œufs. Pour tenter de clore administrativement le dossier, Eric Woerth annonçait jeudi 21 octobre dans la soirée une procédure accélérée au Sénat, alors qu’au même instant les grandes centrales syndicales se prononçaient pour une nouvelle journée d’action. La question est politique est nul ne peut l’éviter. Maintenant, que faire ?
Un embarras général
Pour le gouvernement, ce dossier des retraites devient un véritable boulet. Contre toutes les prévisions en effet, les réactions populaires expriment un mouvement en profondeur des forces sociales tout autant dans la fonction publique que dans le privé.
Tout s’apparente en effet à une véritable vague de fond en train de rassembler l’énergie nécessaire à son déferlement. L’histoire même de ces mobilisations permet d’en comprendre la profondeur. L’argument selon lequel l’assemblée nationale avait déjà voté, et donc que rien ne pourrait être modifié, a fait long feu. Alors que tous les pronostics laissaient entendre que les manifestations seraient un baroud d’honneur tout juste bon à marquer le coup, une dynamique propre s’est mise en branle, démentant la coutume qui veut que les journées saute-mouton démoralisent et démobilisent.
Alors que le point de départ fixé par les confédérations, sous l’impulsion initiale de Bernard Thibault et François Chéréque, portait sur la négociation de la réforme, sur la pénibilité ou sur les femmes par exemple, offrant ainsi l’occasion à tous les protagonistes de trouver une sortie de crise négociée, peu à peu, la rue a exprimé la volonté du retrait du projet.
C’est donc l’affrontement direct, sans échappatoire, qui a été fixé par la base, entrainant avec elle les sommets qui n’avaient pas prévu de se laisser ainsi embarquer. D’autant que celui qui ferait défaut porterait alors la responsabilité de la division, mettant en péril des pans entiers de son organisation. C’est ainsi que les responsables des grandes confédérations se retrouvent pour le moment ligotés à la volonté qui vient d’en bas, pour le retrait du projet aujourd’hui, pour sa non application en cas de vote demain.
Sacré Sarkozy
Face à ce mouvement de fond, les réactions intransigeantes de Nicolas Sarkozy risquent fort de produire l’effet inverse de celui recherché.
D’abord il montre son mépris des principes les plus élémentaires de la démocratie. « Jai été élu pour réformer » dit-il pour couper court à tout débat sur le contenu de la dite réforme, oubliant d’ailleurs que lors de l’élection de 2007 il s’était engagé à ne pas toucher à la question des retraites. Mais qu’importe. L’attitude présidentielle qui affirme un diktat s’inscrit dans la foulée de la soirée du Fouquet ‘s et des amitiés entre forts et puissants au détriment du bas peuple. Sa réforme emblématique ne pouvait d’ailleurs être mieux portée que par l’ami de Liliane Bettencourt, l’ancien trésorier de la campagne présidentielle et de l’UMP. Par le contenu de la réforme et par l’attitude du président de la république et de ses ministres, il ressort que le gouvernement, loin d’être neutre, conduit une politique au profit de quelques-uns, les amis du Cac 40, et au détriment du plus grand nombre.
Ensuite, ce qui dans le scénario initial ne devait être qu’une « question syndicale » s’avère être au plus haut niveau une question politique. C’est Sarkozy lui-même qui a modelé cette réalité, rendant perceptible pour des millions d’individus que la question posée était en définitive celle du pouvoir et des intérêts défendus. Ainsi, Nicolas Sarkozy a réhabilité la lutte des classes. C’est l’affrontement contre le gouvernement et les forces sociales qu’il incarne qui domine, plus qu’une question particulière qu’il suffirait de régler pour permettre à chacun de tourner la page. Cet affrontement contre le pouvoir, contre Sarkozy lui-même permet d’ailleurs de comprendre ce que les médias dans leur ensemble tentent d’étouffer depuis que la jeunesse a fait sienne cette mobilisation. « S’occuper de sa retraite à l’âge de 16 ans, absurde » entend-on dire sur les ondes, pour mieux se persuader que la jeunesse n’a pas de pensée, pas de conscience. C’est très exactement l’inverse qu’exprime la situation présente. Les jeunes font irruption dans l’histoire poussés non seulement par une motivation personnelle –les difficultés à entrer sur le marché du travail- mais surtout par un sentiment politique, la volonté d’en découdre avec un régime qui produit inégalités, exploitation et qui n’offre aucun avenir.
Bernard et François sont dans un bateau…
La question posée est non seulement celle du pouvoir mais également celle du soubassement politique autour duquel un large consensus traverse les directions syndicales, les états- major de partis, les sommets du pouvoir.
Angela Merkel fait tout voler en éclat. Ainsi, sur les ondes françaises, la chancelière allemande est-elle venue en secours de Nicolas Sarkozy, fustigeant les français qui refusent le passage à 62 ans de la retraite alors que les travailleurs allemands ont dû accepter eux de passer à 67 ans. Depuis d’ailleurs, bon nombre d’éditorialistes étrangers viennent marteler sur le même thème, oubliant d’indiquer que dans l’ensemble des pays d’Europe les peuples expriment leur refus des mesures d’austérité qui les frappent.
Plus que l’aspect révoltant de voir certains nantis venir donner des leçons au peuple français auquel on voudrait dénier le droit de s’occuper de ses propres affaires, ces réactions ont un double mérite :
- D’abord elles complètent la réhabilitation de la luttes des classes amorcée par le Président français, indiquant qu’elle est bien nationale dans sa forme, mais internationale dans son contenu.
- Ensuite elle éclaire d’une lumière vive les débats passés et à venir sur la question européenne. Quelle Europe ? Celle du marché libre et non faussé dont les Merkel et Sarkozy sont les porteurs, ou celle des peuples, des grecs, des français, des espagnols, des italiens, des allemands qui refusent l’austérité que le capital veut leur faire subir ?
Dans ce contexte, les moins embarrassés ne sont pas les responsables des centrales syndicales, Bernard Thibault et François Chéréque en tête. Le second a déjà indiqué qu’il retirerait bien le tapis, prétextant « la nouvelle période ouverte par le vote du Sénat », et « les violences » amplifiées pour l’occasion là où en réalité elles ne sont, eu égard à l’ampleur des mobilisations, qu’assez marginales. Mais se retirer présente deux inconvénients majeurs :
- Le premier, embêtant, mais surmontable. Le retrait serait sans doute suivi d’une désertion de bon nombre de militants de la CFDT réellement engagés dans la bataille.
- Le second surtout. Il laisserait la direction confédérale de la CGT seule, prise en étau entre un durcissement en bas de masses devenues de plus en plus incontrôlables, rassemblant leur force pour en découdre avec le pouvoir, et le gouvernement incapable de sortir par le haut de la situation ainsi créée.
Le risque dés lors serait grand de voir la vague en formation tout emporter sur son chemin le jour où l’énergie accumulée lui permettra de déferler. Les centrales elles-mêmes pourraient se trouver menacées. La contenir nécessite pour le moment un front des appareils, jouant les prolongations dans de nouvelles journées d’action, malgré leur volonté de prendre du recul et de se retirer… Soit de nouvelles journées de manifestations viendront momentanément à bout de la mobilisation, soit il faudra alors aviser et trouver d’autres moyens pour s’extraire de la situation…
Et maintenant que faire ? L’action…
Les confédérations ont donc décidé de nouvelles journées d’action, journées de manifestations. La bataille des chiffres, gonflés par les uns, minimisés par les autres, totalement absurde, va donc reprendre. A Paris les trajets traditionnels ont été épuisés. Faudrait-il visiter de nouveaux quartiers ?
De toute évidence, l’ampleur déjà atteinte nécessite –pour paraphraser François Chéréque- de prendre en compte la situation nouvelle. Il faudrait donc contraindre le pouvoir à ne pas appliquer un texte qu’il aura fait voter, comme cela fut le cas pour le CPE. Mais un texte ordonné par Bruxelles, dans la lignée des mesures d’austérité dictées par le FMI à la tête duquel se trouve Dominique Strauss Kahn. Pour parvenir à un tel résultat, il faut établir un rapport de force total.
De nouvelles journées d’action, avec manifestation sur des grandes artères loin des centres de décision, pourraient-elles répondre à la question ? Mais pourquoi ce qui n’a pas permis jusque là de faire reculer le gouvernement le pourrait soudainement ?
Ne faudrait-il pas, comme le suggère la confédération FO et la CFTC, décider une journée de grève générale, préparée, organisée, démontrant la force et la détermination des travailleurs du privé et du public réunis ?
Ne faudrait-il pas, à tout le moins, décider d’une grande manifestation nationale, à l’Elysée, pour exiger la non application du texte qui aura été voté et que le peuple refuse ? Une montée nationale à Paris avec des trains réquisitionnés pour l’occasion.
N’est-ce pas à la hauteur de l’enjeu qu’il faut se positionner ? Et n’est-ce pas ainsi la meilleure façon de soutenir ceux qui depuis des semaines sont déjà engagés dans la grève, avec les efforts que cela suppose ?
… Ou attendre 2012 ?
Ceux qui refusent, notamment à la tête des organisations politiques, d’aller à l’affrontement maintenant avec le pouvoir, préconisent d’attendre 2012.
La réalité sociale est telle qu’il est évidemment absurde de demander, comme le font certains responsables socialistes, d’attendre les futures élections présidentielles pour rediscuter un texte qui prendrait effet prochainement. Une telle position démontre une incompréhension totale des forces sociales en mouvement et des processus en cours de formation. C’est maintenant, tout de suite que le retrait de la réforme s’impose. C’est pour cela que la contestation a pris corps. Pas pour des lendemains d’autant plus hypothétiques que la position de plusieurs responsables socialistes, dont celle de Martine Aubry, laisse pour le moins pantois. Dans le contexte actuel, la première secrétaire a en effet annoncé qu’elle comprenait l’allongement de la durée de cotisation et s’inscrivait dans les 41,5 annuités fixées par François Fillon en 2003.
Pourtant, ce que les masses du pays désirent et ce qu’elles expriment dans leur opposition à Nicolas Sarkozy, c’est très exactement l’inverse. Retraite à 60 ans et à taux plein pour tous ! Ce qui inévitablement nécessite non seulement de ne pas reculer sur les 40 annuités exigées, mais pose le problème par souci d’égalité, d’un retour à 37,5 années de cotisations pour tous.
Puisque certains préconisent 2012 contre l’obtention par le rapport de force d’une solution tout de suite, il serait sans doute utile par souci de clarté et d’efficacité d’obtenir une position commune sur ces questions. « 60 ans, 37 ans et demi, taux plein » ! Une telle base, un tel engagement qui implique l’affrontement avec le capital, permettrait de réaliser l’unité tout de suite et serait sans nul doute à la fois la voie tracée à l’unité sur des questions plus large, l’emploi, les salaires, la ré-industrialisation, le crédit, la monnaie… mais aussi la meilleure garantie qu’un candidat unique de la gauche batte à plate couture celui de la remise en cause des retraites des français.
A l’inverse le risque encouru par le consensus sur la remise en cause des acquis historiques du peuple français est grand. C’est la reconduite du candidat de la droite, sinon de la droite extrême, forte de la démoralisation qu’engendrerait une nouvelle capitulation.
Jacques Cotta
Le 21 octobre 2010
Au point où sont arrivées les choses, la mobilisation pourrait s'essoufler car, soyons réaliste, on ne va pas manifester ad vitam aeternam. La grève générale une vraie, si jamais on arrivait à la voir, face au réformateur compulsif et têtu plus sa clique, elle ne serait jamais assez longue pour le faire plier au point de le faire retirer le projet de reforme des retraites. Plutôt affamer le peuple que descendre de son piédestal.
Du moment qu'il n'y aura plus de pénurie de carburant le mouvement pourrait s'émousser assez rapidement. Si par exemple les camionneurs s'en mêlaient à fond ça pourrait rallonger la sauce, mais jadis ils ont déjà payé de leur personne pour le résultat que l'on sait.
Au Sénat l'opposition au projet se déroule d'une façon intéressante, compte tenu des forces en présence, même si, là encore, cela ne pourra pas aller beaucoup plus loin.
En définitif il est plutôt illusoire de prévoir la sortie des évènements. Ils ont duré plus longtemps que beaucoup l'auraient espéré. Désormais il faut se rappeler du grand Danton. De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! Aujourd’hui les héros existent encore. Laissons les monter sur la scène car c'est maintenant qu'il faudra agir, même si l'incontournable question des retraites n'a pas fini d'être remuée pour encore bien des fois.
Avec les retraites c'est autre chose qui gène le peuple de France pour ne parler que de lui, et la mobilisation de jeunes gens de ce pays, bien plus attentifs à la politique qu'ils ne le laissent paraître, l'illustre sans équivoque. La crise financière de 2007-2008, face à la faillite des banques et les scandales qui leur sont associés, nous mène à un poker. On ne paye plus sans voir le jeu.
Les réformes dont nous avons besoin demandent l'intervention d'authentiques hommes d'état contrairement à ce que nous avons pris l'habitude de voir défiler devant nos yeux depuis bien des années. Si actuellement nous avons un monsieur qui traite les affaires du pays à coups da Karcher, dans le trottoir en face c'est la bande d'éléphants pseudo-socio-démocrates que depuis Mitterrand semble plus que jamais portée à la lutte des places qu'à la lutte des classes. Si on attend que les socialistes pour gouverner la France, au mieux on se trouvera avec un Jospin bis. Non merci, on a déjà donné.