Si nos souhaits étaient d’une quelconque utilité, on ne pourrait que demander le retrait de toutes les troupes étrangères du sol syrien (les Russes comme les Américains, les Turcs et les Saoudiens comme les Iraniens), le respect de l’intégrité du territoire syrien et le remplacement du tyran de Damas par un gouvernement démocratique ou du moins un gouvernement capable de préparer une transition démocratique. Se poserait évidemment la question des Kurdes, une question qui met en cause la Syrie, la Turquie, l’Irak et l’Iran. Ce qui ne manquerait pas d’entraîner de nouvelles complications, principalement avec la Turquie et l’Iran, l’autonomie des Kurdes d’Irak étant un fait dont tout le monde s’est accommodé, ce qui explique que les Kurdes irakiens n’ont guère soutenu leurs frères syriens, dont la révolte pouvait aboutir à une remise en cause du statu quo.
Ce qui rend encore plus difficile la situation, c’est la passivité des opinions publiques dans les pays démocratiques. Beaucoup se demandent : qu’allons-nous faire dans cette galère ? Tout en redoutant les conséquences de l’afflux de centaines de milliers de réfugiés syriens en Europe. Certains proposent la poursuite et l’intensification de l’engagement aux côtés de la « coalition » des « Occidentaux » et des pays du Golfe. D’autres, les « russophiles », soutiennent Poutine. Et parmi eux de nombreux militants « de gauche » qui ont transféré sur l’autocrate de Moscou le vieux soutien à l’Union Soviétique – les « camps » ont la vie dure.
Que faire ? Nous sommes bien impuissants. Mais il est au moins possible de contrer les propagandes des puissances intervenant sur les territoires syriens et irakiens. Y compris les propagandes des « humanitaires » prétendus qui voient les horreurs d’un côté mais restent délibérément aveugles sur ce qui se passe de l’autre côté. On ne peut guère condamner les bombardements des hôpitaux à Alep quand on feint d’ignorer ce que l’Arabie Saoudite fait Yemen. Et réciproquement. On ne peut condamner les atrocités de l’État islamique et considérer les atrocités de Bachar comme de malheureux dommages collatéraux.
Notre axe devrait être assez simple : le droit des peuples, ce qui inclut le droit de se gouverner démocratiquement, et la défense de la paix. Le droit des peuples suppose donc la chute de la tyrannie de Bachar et le retrait de toutes les troupes étrangères de Syrie, la fin de toute aide aux groupes jihadistes. Cela pourrait s’accompagner de sanctions contre les États qui continueraient de s’immiscer dans les affaires syriennes et notamment des mesures contre l’Arabie Saoudite et la Turquie. Le droit des peuples, c’est aussi le soutien aux Kurdes, la défense de leur droit à l’auto-détermination, sachant que celle-ci n’est pas obligatoirement la constitution d’un État kurde mais pourrait être la reconnaissance de gouvernements autonomes kurdes dans les quatre pays concernés (une solution que les Kurdes turcs envisagent et qu’Erdogan refuse avec obstination). On pourrait admettre qu’il faille détruire l’EI, de fonds en combles. Mais alors si c’est là le but de guerre, il faut l’annoncer comme tel et s’en donner les moyens avec l’accord des États concernés dans la région. Il est de toutes façons assez aisé de couper les communications, les sources de financement et les sources de recrutement de l’EI si les puissances impliquées le désirent réellement – par exemple, on peut se demander comment l’EI a toujours accès à l’internet… Ceci implique aussi que nous apportions notre soutien à toutes les oppositions démocratiques, qui n’ont pas encore été totalement écrasées, dans tous les pays concernés. Seuls des régimes démocratiques peuvent garantir la paix et le droit de toutes les nations de la région à vivre dans des frontières sûres et reconnues.
On dira que nous rêvons. Peut-être. Mais y a-t-il une autre solution ?