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Effondrements (2)

Crise de la Ve république ou "le poisson pourrit par la tête"

Par Denis COLLIN • Actualités • Mardi 11/10/2016 • 2 commentaires  • Lu 2461 fois • Version imprimable


Nous avons vu précédemment la signification de cette véritable crise nationale qui menace notre pays. Mais cette crise est inséparable de la crise politique qui affecte non seulement les institutions de la Ve République, mais l’édifice républicain lui-même.

Quand de Gaulle revint au pouvoir en 1958, il essaya de mettre en œuvre l’orientation politique et institutionnelle qu’il avait tracée plus d’une décennie avant dans le fameux « discours de Bayeux ». Contre le « régime des partis », c’est-à-dire contre la démocratie parlementaire dans laquelle il voyait le cause de tous les maux de la France et notamment de sa défaite de 1939-1940, de Gaulle proposait l’instauration d’une sorte de démocratie plébiscitaire dans laquelle la clé de voûte serait « l’homme de la Nation », l’incarnation du pouvoir exécutif (lui-même en réalité) capable de s’élever au-dessus des partis pour maintenir un ordre social cohérent et assurer la grandeur de la France. Le projet était clairement « bonapartiste » au sens que l’on peut donner à ce terme en partant des analyses que a consacrées au 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Mais la réalisation de ce projet en 1958 avec la création de la Ve république est restée inachevée. La constitution conserve en effet un aspect parlementaire, puisque le premier ministre est contrôlé par le parlement qui peut le censurer. Cet aspect parlementaire tient à plusieurs facteurs et notamment au fait que De Gaulle s’est appuyé sur la SFIO pour instaurer cette nouvelle constitution mais aussi aux convictions de Michel Debré qui souhaitait maintenir cette dimension parlementaire de la nouvelle constitution. Ajoutons, pour être tout à fait juste, que, dans l’esprit de De Gaulle, la puissance considérable du chef de l’exécutif devait s’appuyer sur une sorte de contrat de confiance entre lui et la nation. Les référendums comme les élections parlementaires devaient servir à vérifier si cette confiance existait encore – c’est pourquoi à la veille des élections, De Gaulle appelait à voter pour sa proposition référendaire ou pour son parti (qu’il méprisait souverainement par ailleurs) en menaçant de démissionner s’il était indirectement désavoué. Ce qu’il a d’ailleurs fait sans hésiter dès les résultats du référendum de 1969 connus. Le régime de la Ve république est bien comme l’ont proposé plusieurs chercheurs en sciences politiques, un régime semi-bonapartiste semi parlementaire – un genre de régime finalement assez courant, même sous les masques de la démocratie parlementaire.

Bien que puissant en apparence ce régime est extrêmement fragile. Pour gouverner, le président doit disposer d’une majorité à sa botte, d’un « parlement croupion » qui votera tout ce qu’on lui demande de voter et ne sera que le prolongement du pouvoir exécutif. Les trois périodes de cohabitation où le président a dû s’accommoder d’une majorité parlementaire (1986-88 et 1993-95 pour Mitterrand et 1997-2002 pour Chirac) ont montré que la constitution pouvait dans ce cas fonctionner comme un régime quasi-parlementaire. C’est d’ailleurs pour éviter cette situation et pour tenter de restaurer dans toute sa pureté « l’esprit » de la constitution que, s’entendant comme larrons en foire, Chirac et Jospin ont concocté l’inversion du calendrier électoral et la réduction a cinq ans du mandat présidentiel qui placent l’élection législative dans la foulée de la présidentielle et offre normalement au président nouvellement élu une assemblée docile que l’on n’aura pas besoin de dissoudre en cours de route.

Mais cette manœuvre institutionnelle n’a pas consolidé le régime car le ver était dans le fruit. Les transformations continuelles du parti de la « droite » et l’affaiblissement d’un PS rompant progressivement tout lien avec la vieille social-démocratie ont montré l’usure irrémédiable de ce système politique, incapable de se renouveler et incapable de faire jaillir un nouvel « homme de la nation ». La « caste », unissant droite et « gauche » utilise les subterfuges des institutions et les astuces du scrutin uninominal pour conserver le pouvoir alors que s’étend le phénomène de l’abstention et de la non-inscription sur les listes électorales, que le vote blanc compté comme non exprimé progresse et que les « petits partis » réduits à faire de la figuration au premier tour regroupent à eux tous la moitié du corps électoral. Les luttes de clans, de cliques et de factions en tous genres – exprimant de manière déformée la situation de crise du pays – traversent les « partis de gouvernement » et s’expriment au grand jour dans le système des primaires. Les vieux gaullistes comme Henri Guaino enragent : les primaires sont la négation de la Ve République telle que l’a voulue De Gaulle. Ce n’est plus le peuple qui choisit le président, ce sont les sympathisants des partis. C’était pourtant devenu inévitable quand Chirac a regroupé sur son nom seulement 1/5 des suffrages exprimés en 2002 et quand Le Pen est arrivé second éliminant le candidat « socialiste » Lionel Jospin. Calquées sur le modèle américain, un modèle lui aussi en crise profonde comme on peut le voir dans la campagne opposant Mme Clinton et M. Trump, les primaires sont une caricature de démocratie et une entreprise de démoralisation de tout esprit civique. Nous avons des primaires à droite dans lesquelles les électeurs de tous bords, y compris de gauche, se préparent à aller désigner le candidat de la droite après avoir signé un papier où ils s’engagent à soutenir les valeurs de la droite. On nous dit que Juppé, pronostiqué par les sondages comme vainqueur, sera le candidat « de la droite et du centre » alors que les militants LR seuls auraient certainement désigné Sarkozy. Et comme on annonce une défaite assurée de la « gauche », au fond ce sont les primaires LR qui sont censées désigner le prochain président ! Après quelques hésitations, Hollande semble s’être rallié à l’idée de primaire du PS et de ses alliés. Et là il se pourrait que les électeurs de gauche décident de renvoyer le président sortant – certains sondages donnent Montebourg gagnant face à Hollande. En tout, donc, ce sont au maximum 5 ou 6 millions d’électeurs qui vont élire le président. Les autres sont priés de venir ratifier en avril et mai 2017 les choix issus des batailles d’apparatchiks. La « république des partis » chassée par le porte revient par la fenêtre mais sous la pire forme qui soit. Plus de batailles d’idées, plus de batailles de programme, mais la lutte pour le pouvoir et le combat des écuries présidentielles. À Rome, les « partis » qui structuraient les luttes politiques sous la république avaient fait place, sous l’empire, aux groupements de soutien aux équipes des conducteurs de chars dans les jeux du cirque donnés par les empereurs pour occuper le peuple. Nous en sommes là.

À partir du moment où la droite et la gauche ne se distinguaient plus sur le plan programmatique, il était fatal qu’on en arrive là. Le PS joue, de ce point de vue un rôle stratégique. C’est le parti moralement le plus corrompu – et pourtant la concurrence est rude : la droite qui est de droite fait « honnêtement » une politique de droite, alors que le PS qui se dit « de gauche » fait une politique tout autant à droite en la baptisant politique de gauche. L’appareil du PS n’a pas d’autre objectif que d’assurer les places de ses fidèles et les reclassements de ses chefs dans les sphères de la « classe capitaliste transnationale ». Structurellement européiste, inféodé aux puissances financières, ce parti a non seulement envoyé promener son électorat d’ouvriers et d’employés, non seulement renoncé à la laïcité et aux libertés démocratiques, non seulement poursuivi et aggravé l’offensive engagée par la droite contre les acquis sociaux, mais encore a renoncé à la souveraineté nationale et à la République. Ses appuis sont dans la « upper middle class » qui bénéficie de la mondialisation et dans l’immense couche parasitaire des spécialistes en communication et des intellectuels demi-instruits qui donnent le ton dans les médias et dans « l’industrie culturelle ». Il paraît même qu’une partie du patronat « pro-PS » l’a abandonné au profit de ce zéro absolu de la politique qu’est Macron. Ayant perdu la majeure partie de ses bases locales (communes, départements, régions), ce parti devrait être rayé de la carte comme l’a été PASOK grec ou, jadis, le PS italien. Heureusement pour lui, la droite lui donne un coup de main, elle qui fait la course à qui dira les pires horreurs et annoncera les suppressions d’emplois publics les plus massives : Fillon veut supprimer 500.000 fonctionnaires ; qu’à cela ne tienne, Le Maire en annonce un million ! Le PS espère se sauver en ralliant tous les naïfs qui croiront que la droite ferait encore pire que la gauche. Mais ceux qui ont compris la nature de la loi El Khomry, ceux qui savent qu’à l’école la « gauche » n’a fait que poursuivre et aggraver les réformes Fillon et Chatel et beaucoup d’autres encore auront du mal à se laisser convaincre d’aller encore une fois mettre un bulletin PS dans l’urne, même en se bouchant le nez et les oreilles.

On sait que la corruption est presque inévitable tant que les puissances d’argent dominent la vie publique. La IIIe république avait connu quelques scandales retentissants – de Panama à l’affaire Stavisky – et la IVe ne fut pas reluisante. La Ve connut aussi ses scandales politico-financiers : des « chalandonnettes » aux « avions renifleurs », elle a toujours été plus ou moins cette république « des copains et des coquins », dénoncée par un connaisseur, Poniatovsky, lui-même mêlé à la sombre « affaire de Broglie ». On se souvient aussi de ce ministre retrouvé noyé dans 40 cm d’eau… Socialistes et communistes n’étaient pas en reste, bien que leurs affaires se traitassent plutôt au niveau municipal. Mais ce qui pouvait n’apparaître que comme des malheureuses exceptions – il y a toujours ici et là des moutons noirs – est devenu systémique. Les LR vont devoir choisir entre un homme condamné par la justice pour corruption et un homme mis en examen. Les barons LR couvrent tous la mafia des Hauts-de-Seine avec la figure de l’insubmersible Balkany, ami de Sarkozy. Sarkozy possède toujours son cabinet d’avocats d’affaires dans lequel officie son fils et dont l’associé principal est mis en examen dans les affaires de Balkany. Il n’en va pas mieux au PS. La série « Baron noir » est une fiction construite à partir de la réalité du PS actuel et elle a fort déplu aux maîtres de la rue de Solferino parce qu’elle dit vrai. Il ne s’agit plus seulement de fausses factures et de gestion frauduleuse des HLM en vue du financement illégal des campagnes électorales. Cahuzac s’est fait prendre la main dans le sac… pour fraude fiscale et comptes cachés mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les socialistes dirigeants ne sont plus des instituteurs ou des employés à qui l’accès aux affaires aurait fait tourner la tête (ainsi feu Bérégovoy) mais des dirigeants de banques qui passent par les cabinets ministériels et retournent à leurs affaires privées, des élus au plus haut niveau qui marchent la main dans la main avec les grandes entreprises comme Vinci, sans parler de la cohorte des prébendiers – laquelle a subi quelques pertes, il faut le reconnaître, avec les défaites cinglantes subies aux élections locales.

On rappelle souvent ce mot de Herriot, « la politique, c’est comme l’andouillette, il faut que ça sente un peu la merde, mais pas trop. » L’andouillette n’est plus consommable et les citoyens n’en veulent plus. Une rage sourde s’est répandue contre cette « classe politique » dans laquelle les filles et les fils succèdent aux pères, dans laquelle on se partage les « fiefs » (le vocabulaire féodal en dit long) et dans laquelle l’impunité est garantie. Quand la pauvreté s’étend, et que le gouvernement « socialiste » comprend 14 millionnaires, il ne faut pas s’étonner s’il prend l’envie à de nombreux électeurs soit de déserter la politique, soit de donner un grand coup de balai. Même parmi ceux qui craignent l’aventure, beaucoup seront tentés : plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin ! La seule question qui se pose alors est de savoir qui maniera le balai. Et ce n’est pas une mince question.

Nous sommes bien arrivés au terme d’un cycle. Mais entre le vieux monde qui ne veut pas disparaître et le nouveau qui ne parvient pas à émerger, les monstres tapis dans l’ombre sont prêts à surgir. La crise française est surdéterminée par la crise mondiale du mode de production capitaliste. Un effondrement de la Deutsche Bank, par exemple, aurait des conséquences dévastatrices. L’aspiration à un pouvoir fort se ferait nécessairement jour et balaierait ce qui reste des valeurs républicaines. Mme Le Pen attend son heure. Elle espère tirer les marrons du feu électoral et prendre la place de la « caste » pour mener une politique peu différente, mais avec un discours très à droite et en recourant aux habituels boucs émissaires. Mais elle serait incapable de résister à la tourmente. De son côté Mélenchon se voit en « homme de la nation », jouant à l’envers son De Gaulle. Mais s’il séduit une partie de l’électorat traditionnel de la gauche et parfois au-delà, il n’a pas la force militante, ni les réseaux qui lui permettraient de prendre et garder le pouvoir en cas de crise ouverte. Tous tablent sur un calendrier électoral normal, tous attendent leur tour. Mais l’irruption brutale de la réalité pourrait bien déjouer tous ces calculs.

Denis Collin – 11 octobre 2016

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Commentaires

Irruption brutale de la réalité ... par Anonyme le Jeudi 20/10/2016 à 17:03

--> Mais l’irruption brutale de la réalité pourrait bien déjouer tous ces calculs.


Les manifestations de nuit des policiers prennent de l’ampleur

(Les gendarmes ont bloqué les policiers, pour le moment ...)

http://www.lesinrocks.com/2016/10/news/manifestations-de-nuit-policiers-prennent-de-lampleur


Lien croisé par Anonyme le Samedi 12/08/2017 à 11:58

Le journal de BORIS VICTOR : "Effondrements (2) - 11/10/16"



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