Pour Sklair, il s’agit d’abord de faire l’histoire et la théorie de l’environnementalisme d’entreprise (corporate environmentalism : une expression lancée par le président exécutif de DuPont en 1989). La législation états-unienne dès 1980 entreprend de mobiliser les entreprises pour dépolluer leurs sites et agir en vue de réduire les émissions de déchets toxiques. On commence à prendre conscience que l’impact environnemental des industries pétrochimiques, par exemple, risque de nuire à terme à leurs intérêts financiers. Pendant des décennies, les grandes firmes ont essayé de marginaliser les discours sur la crise écologique et les dangers qui pèsent sur la vie sur la planète. À partir des années 80-90, ce sont souvent ces mêmes firmes qui tentent de faire front devant les questions environnementales.
Il faut suivre pas à pas la manière dont les grandes firmes multinationales se sont lancées dans le « développement soutenable », tant en liaison avec une partie du mouvement syndical, tantôt contre lui. Mais la ligne directrice a toujours été que les gouvernements n’étaient pas aptes à conduire une politique environnementaliste correcte et qu’il fallait s’en remettre aux acteurs économiques. Sklair montre avec force détails, donnant des faits précis, citant des rapports, comment il s’agit d’une politique conçue à l’échelle internationale par cette classe capitaliste transnationale. Il s’agit de répondre à la critique écologique radicale – une critique potentiellement anticapitaliste puisqu’elle met en cause le ressort même de l’accumulation du capital en lui substituant une série de problèmes environnementaux gérables du point de vue capitaliste.
« Le système capitaliste global existe en vue d’assurer les conditions pour une accumulation continue du capital et pour sa conversion légale garantie en richesse privée. Ceci, il le fait globalement à travers l’institution économique de la firme transnationale, politiquement à travers la classe capitaliste transnationale, et à travers la culture-idéologie du consumérisme. » (p. 206)
À ce système global correspond un système environnementaliste global qui « peut être conceptualisé en termes de coalitions qui se regroupent sur certains points selon un continuum plutôt que par deux ensembles de forces sociales ou de blocs historiques mutuellement contradictoires et irréductiblement opposés » (ibid.). Ce qui fait problème, c’est la question de la propriété (par exemple, le monopole public de l’appropriation du développement soutenable) et l’environnementalisme d’entreprise a précisément comme objet de préserver la propriété capitaliste sur ce type de développement.
Et c’est précisément le sens de ce « bloc historique » que cherche à construire la classe capitaliste transnationale. Ce qui explique les connexions qui existent entre cette classe et les organisations qui travaillent sur la question globale de l’environnement, notamment à travers le « sponsoring » par les firmes transnationales des organisations environnementalistes transnationales, y compris les organisations des Nations Unies, comme le programme environnement des nations unies, et y compris les ONG comme WWF, Green Peace, etc.
Ce « bloc historique » a trouvé ses premières concrétisations au sommet de Rio de 1992. La commission du développement soutenable de l’ONU résume dans un rapport de 1998 son idéologie:
« La consommation et la production soutenables sont essentiellement les deux faces de la même pièce. La consommation soutenable s’adresse au côté demande en examinant comment les biens et services requis pour rencontrer les besoins des gens et augmenter la qualité de la vie peuvent être fournis d’une manière qui réduit le fardeau sur la capacité de supporter de la Terre. L’accent mis sur la production soutenable est le côté offre qui se concentre sur l’augmentation des performances environnementales des secteurs clés de l’économie comme l’agriculture, l’énergie, l’industrie, le tourisme et les transports. » (cité p. 208)
Sklair fait remarque que ce genre de déclaration est construite sur des sophismes. Le premier de ces sophismes est le sophisme anthropologique (on confond ce qui est soutenable pour les gens et pour les sociétés et ce qui est soutenable pour la planète). Le second sophisme est celui qui pose comme objectif le développement continu de la production et de la consommation et le troisième celui qui affirme que la production doit rencontrer tous les besoins. L’amélioration des performances environnementales promises par les firmes transnationales n’est même pas une partie de la solution, mais plutôt une partie de ce problème.
Le capitalisme vert transnational se décompose en quatre fractions: les dirigeants des grandes entreprises, les bureaucrates « verts » qui regroupent tous ceux qui sont officiellement chargés de la protection de l’environnement, les politiciens verts (les dirigeants des partis verts et un grand nombre de dirigeant de partis non verts) et enfin les médias verts et les marchands. Il y a des contradictions à l’intérieur de système vert global, comme il y a des contradictions dans le système capitaliste global. Parmi les environnementalistes; les tenants de l’écologie profonde sont les seuls à rejeter radicalement l’idéologie consumériste. Mais l’écologie profonde ne fournit pas une alternative crédible au système capitaliste global. Et donc :
« En l’absence d’une alternative écologique crédible, les firmes qui interviennent à l’échelle globale, avec l’appui, parfois enthousiaste, parfois réticent, des principales organisations environnementales, ont créé un bloc historique du développement soutenable. Pour beaucoup de firmes, cela signifie présenter au public et au regard des mouvements verts une face environnementale nouvelle, mais (…) la politique et les principes des firmes en matière de respect de l’environnement ne sont pas toujours en parfaite harmonie avec leurs pratiques effectives. » (p.215)
Sklair détaille longuement les pratiques des entreprises qui ont fait de la protection de l’environnement et du développement soutenable leur cheval de bataille – cela va de la chime (Protect & Gamble) au pétrole (avec le rôle de BP et Amoco en Alaska) et à Intel, le fabriquant de microprocesseurs. Toute « high tech » qu’elle soit, la fabrication des microprocesseurs est une industrie très polluante qui a beaucoup sévi en Arizona, en s’assurant notamment la bienveillance du gouverneur...
La conclusion que tire Sklair de cette étude est sans ambiguïté: le développement soutenable est une idéologie globale, correspondant au stade actuel du développement du mode de production capitaliste. On comprend très bien lisant le livre de Sklair la place fameux « Grenelle de l’environnement » comme articulation « locale » de cette stratégie globale. On comprend également l’appui qu’a reçu « Europe Écologie » aux dernières élections européennes et la complicité manifestée de si bon cœur entre Daniel Cohn-Bendit et le président Sarkozy – dont les services avaient demandé aux préfets de veiller à la large diffusion du film de Yann-Arthus Bertrand pendant les semaines qui ont précédé les élections. Le mot d’ordre « sauver la planète » (qui peut vouloir tuer la planète?) permet de créer une espèce d’unanimité nationale, bien utile en ces temps de crise du capitalisme, pendant que se mettent en place les éléments d’une relance de l’accumulation du capital. L’exemple des primes à la casse pour se débarrasser des vieilles voitures polluantes et inciter les consommateurs à acheter des véhicules « verts » tout neufs est une parfaite illustration des analyses de Sklair.
Certains commentateurs trouvent très curieuse la position de Cohn-Bendit qui se veut à la fois écologiste et libéral européiste, favorable donc au développement du marché mondial qui par le transport à longue distance est un des principaux facteurs de dégradation accélérée de l’environnement, de consommation des ressources fossiles et de dégagement de gaz à effet de serre. Si l’on comprend que le « développement soutenable » n’est que l’idéologie destinée à rendre acceptable le consumérisme et l’accélération des folies techniciennes, alors Cohn-Bendit est au contraire parfaitement cohérent, comme l’est la quasi fusion entre l’électorat socialiste le plus droitier, l’électorat vert et celui du MODEM.
(à suivre)
Permettez-moi de formuler une réticence : « Le mot d’ordre « sauver la planète » (qui peut vouloir tuer la planète?) permet de créer une espèce d’unanimité nationale ». Ne nous enfermons pas dans ce qui est, peut-être contingent à l’élection européenne où le suffrage a été particulièrement « censitaire ».
C’est sans doute vrai pour le « théâtre d’ombres » provenant de la quasi-totalité de la représentation politique où tous ont tiré des résultats des élections qu’il faut se mettre au vert (c’est bon ça, coco ?).
Non que le peuple ne souhaite pas vivre sainement, manger sain etc…mais à ce stade, l’adhésion avec ces gens n’existe pas. Les verts, à juste titre, ne sont pas du même monde et Cohn-Bendit ou ses émules ne font pas un tabac chez les prolos. Ils sentent avec raison que ces gens ne sont pas de leur milieu, ce qui n’est pas difficile à s’apercevoir.
Où et quand les verts se sont réellement préoccupés du peuple ?
Attendant mon tour au bureau deLa Poste , je suivais des yeux, par ennui, une vidéo annonçant que les bouteilles plastiques provoquaient la mort de plus de 100 000 oiseaux annuellement mais qui décide la production de bouteilles plastiques ? La faute des « gens » ? Et la vidéo de conclure que celles-ci sont quasi indestructibles…Drôle, non ?
Dans un autre ordre d’idées, j’ai pu constater, en voyageant, qu’il faut avoir atteint un certain degré de suffisance économique pour prendre en compte ces problèmes. Sans doute, ventre « affamé » n’a pas d’oreille. D’où la double intelligence du capital dans les délocalisations : toutes les conditions deviennent plancher.
Si on veut « sauver la planète » ne faut-il pas partir de l’humanité, de ses conditions concrètes d’existence, de meilleure vie au quotidien, ce qui pourrait épargner y compris bien des oiseaux ?