Avant toute bataille et tout engagement collectif il est souvent malvenu d’émettre des réticences, poser des questions, faire valoir des divergences. Celui qui s’y risque est assimilé à un traine savate qui organise l’impuissance et pire, portera le cas échéant la responsabilité de l’échec. Après la bataille, surtout lorsque la sanction est sans appel, celui qui se permet de critiquer est assimilé à un « petit monsieur je sais tout » dont la parole ne mérite pas plus d’intérêt que de temps pour y répondre. Conclusion il serait toujours impossible de parler simplement de la réalité et de tenter de la comprendre… La question est pourtant d’importance. Comment qualifier les résultats du Front de gauche au regard des choix qui ont été faits ? Comment apprécier l’orientation et la stratégie qui ont été adoptées à la lumière des résultats ? Quelles leçons politiques plus générales est-il possible de tirer ? Il ne s’agit évidemment pas ici de désigner qui que ce soit comme responsable d’une situation qui apparait en toute clarté au lendemain des élections présidentielles et du premier tour des législatives. Mais il serait coupable de ne pas débattre sans tarder de la situation et des erreurs politiques qui ont été commises.
Avant d’aborder ces questions, il faut sans doute se pencher rapidement sur la photographie d’ensemble issue de cette période électorale.
Des présidentielles aux législatives, une continuité
Quelques traits se dégagent des présidentielles et du premier tour des législatives.
- Les élections présidentielles avaient indiqué la volonté majoritaire de chasser Nicolas Sarkozy du pouvoir, sans illusion particulière en François Hollande …
L’abstention massive qui a marqué le premier tour des élections législatives s’inscrit dans le même processus. Elle indique d’une part le sentiment du travail accompli avec le rejet de Sarkozy et de ses amis dans le scrutin présidentiel, le sentiment d’inutilité donc de retourner aux urnes quelques semaines plus tard, et surtout le peu d’engouement pour « donner une majorité massive au président afin qu’il assure le changement » alors que ses quelques engagements censés aider la mobilisation populaire auront été des plus limités. L’absence de « vague rose » annoncée au second tour va dans le même sens.
- Globalement le Front national confirme.
Il se maintient dans les zones rurales, progressant parfois, et dans les régions anciennement industrielles sinistrées. L’explication serait-elle dans l’ancrage des positions racistes au sein de cet électorat ? Sans doute ce facteur n’est pas à relativiser car l’extrême droitisation de Sarkozy pour le second tour des présidentielles (viande Hallal, vote des étrangers, reconduites aux frontières, pillage des comptes sociaux, etc.….) a porté ses fruits. Mais l’explication n’est-elle pas d’abord à rechercher dans des causes sociales qui nous ramènent aux années 80 – 90. L’abandon politique dont sont victimes les ouvriers, les travailleurs, et les couches moyennes de la part de la gauche comme de la droite trouvent là un recours illusoire. Le FN s’est montré assez « bon » et « compréhensible » dans la dénonciation du système, et égal à lui-même dans les propositions alternatives, mettant toujours l’exclusion de l’autre au centre de ses positions et la défense sur le fond du capital contre le travail. Mais l’électorat en est resté à la dénonciation…
- Dans ce cadre d'abstention, les résultats indiquent une polarisation entre droite et gauche traditionnelles.
PS et UMP se répartissent en gros 70% des suffrages exprimés. Les verts lorsqu'ils existent à l'issue du premier tour sont ceux qui ont bénéficié de l'investiture PS. Les autres font des résultats très médiocres. Quant au centre, il disparait comme un mirage laissant jusqu’à son chef sur le bord du chemin, réduit aux présidentielles, laminé aux législatives.
Cela nous amène à l’essentiel.
Quid du front de gauche, de son orientation, de la stratégie adoptée ? En accord avec « Les leçons d’Hénin Beaumont » que tire Denis Collin sur notre site, je veux ici préciser quelques points qui me semblent incontournables tout autant pour ceux qui ont tenté l’aventure d’un « Die Linke » à la française que pour tout démocrate, républicain, citoyen qui cherche les voies et les moyens de la république sociale.
Le front de gauche : d’une victoire relative…
Au regard des prévisions et des pronostics souvent bien optimistes, les élections présidentielles ont été marquées par un score mitigé du front de gauche. La relative victoire de JLM qui obtient donc un score à deux chiffres était dés le soir du premier tour bien illusoire. Loin derrière la candidate du FN qui avait polarisé l’essentiel de la campagne de Jean Luc Mélenchon, le résultat peut se décrire ainsi : un siphonage des voix de l’extrême gauche, la remobilisation partielle d’une partie de l’électorat de gauche qui ne serait pas allé voter sans sa présence, l’attirance d’une partie de l’électorat sceptique de François Hollande, le tout permettant de ressusciter un mort, le parti communiste qui seul n’aurait sans doute pas fait plus que quelques points comme précédemment Robert Hue ou Marie Georges Buffet.
Plus que les chiffres, le décalage entre l’objectif politique affirmé et le résultat obtenu donne l’ampleur de la désillusion. Le challenge qui consistait à offrir une alternative de gauche au vote ouvrier lepéniste a échoué. Ce qui d’ailleurs devrait interroger sur ce vote, et sur le fait qu’il ne suffit pas de vociférer contre l’extrême droite pour convaincre. Cela étant, le FG a pris une part active et sans doute décisive dans la victoire de François Hollande. Si cela est tout à son honneur –le fait d’avoir joué un rôle dans la défaite de Nicolas Sarkozy- l’objectif du front de gauche était ailleurs, affirmer un ancrage à la gauche de la gauche pour donner sens à cette expression de JLM le soir du premier tour : « la prochaine fois, ce sera nous ».
… A un échec patent.
En réalité, le front de gauche connait un échec terrible au regard de ses ambitions.
D'abord échec vis-à-vis du PS. Il s'agissait de "renverser la table". La table reste en place... IL s'agissait de s'affirmer comme un recours électoral à gauche, échec. Echec d’autant plus patent que l’opération Hénin Beaumont prend un caractère symbolique en se traduisant par une défaite sans appel. Il s'agissait avec la candidature Mélenchon dans le Pas-de-Calais de balayer l'opération Le Pen... En réalité les projecteurs médiatiques ont plus servi l'extrême droite que le responsable du PG. Il s’agissait de s’appuyer sur la corruption du personnel politique local, les notables du PS notamment, pour arriver en seconde position et emporter le duel au deuxième tour. Jean Luc Mélenchon est troisième, contraint de se retirer au profit du candidat socialiste, cible de ses attaques durant les semaines de campagne…
Plus généralement, le groupe parlementaire du front de gauche est menacé faute d’un nombre suffisant de députés. Des sortants, communistes, sont défaits dès le premier tour, contraints de se désister pour le candidat socialiste arrivé devant eux. Ainsi en Seine-Saint-Denis, Jean Pierre Brard et Patrick Braouzec, cumulant neuf mandats à eux deux, devraient laisser la place. Comme Roland Muzeau dans les hauts de seine. Ou encore Marie Hélène Amiable. Ou aussi Pierre Gosnat dans le Val-de-Marne, Jean-Paul Lecocq en Seine-Maritime, Michèle Picard dans le Rhône…
Au sein du front de gauche, le parti de gauche se trouve marginalisé. Après avoir ressuscité le PCF en état de mort clinique à la veille de la campagne, le PG sort en effet de là comme le grand perdant.
Pour ce qui est de la politique au sens propre, c'est l'échec de la polarisation contre "le fascisme" incarné par le FN. Si en effet telle devait être la priorité, alors il fallait combattre pour un front unique anti fasciste demandant l’alliance de toutes les forces démocratiques contre « la peste brune ». Mais la campagne engagée par le front de gauche contre le FN a bien montré qu’il n’était question que d’un argument électoral laissant de côté l’essentiel.
Alors que sur une ligne indépendante mettant au centre la question européenne, JLM aurait pu faire le choix du combat contre l'européisme d'où qu'il soit, la négation de la souveraineté nationale qui interdit toute mesure politique et sociale, il a laissé le terrain libre. Pendant qu’il se concentrait sur Marine le Pen et « le danger Front National », sur l'Europe, sur l'euro, sur les banques, le terrain était laissé libre à François Hollande et aux européistes de tout poil. Dés le lendemain du premier tour des législatives, les décisions de la BCE et de la commission européenne tombaient pendant que le leader du FG exprimait sa "satisfaction" d'avoir gagné 1000 voix et d'avoir fait "progresser la gauche". Sur le fond donc comme sur la forme Jean Luc Mélenchon et avec lui le Parti et le Front de gauche apparaissent comme un supplétif du PS et rien d'autre, faute de faire entendre une voix indépendante...
Plus que jamais les résultats marginalisent le Front de gauche dont la colonne vertébrale est clairement le PCF sans lequel rien ne se fera, ce qui veut tout dire....
Et maintenant ?
Les questions posées par Denis Collin dans « les leçons d’Hénin Beaumont » trouvent comme meilleure réponse l’analyse -même sommaire- du scrutin.
La campagne centrée sur le front national, le choc Mélenchon Le Pen ont été sanctionnés par l’échec car au départ se trouve une erreur politique d’appréciation. Ce n’est pas le fascisme qui aujourd’hui menace mais l’européisme à tout crin qui impose sous les coups de la Troïka dans toute l’Europe les pires coups que les peuples subissent depuis des décennies, pour satisfaire les exigences du capital et tenté de surmonter la crise du capitalisme sur le dos des peuples.
A défaut de réponses politiques précises et perçues comme réalisables, c’est vers ce qu’ils perçoivent comme étant le moins pire que les citoyens se dirigent, sans illusion et surtout sans enthousiasme. Ainsi, dans la crise, il ne suffit pas de dénoncer la gauche de gouvernement, le PS en tête, même d’ailleurs si les sujets ne manquent pas, pour obtenir un soutien. Sur ce que tous perçoivent comme étant le cœur des problèmes, la question de notre souveraineté, de la nation, de l’Europe, de l’euro, encore faut-il avoir des réponses claires et simples pour convaincre et se présenter comme digne d’intérêt…
A défaut, les réponses qui se veulent proclamatoires, qui font appel à des références en Amérique latine, au Venezuela ou à Cuba, ne convainquent personne. Le caudillisme sur lequel nous avons écrit ici quelques papiers ne saurait représenter le moindre exemple, ni ouvrir la moindre perspective. Sans démocratie, sans liberté d’organisation, sans débat libre et possibilité de choisir, il ne saurait y avoir de voie acceptable pour l’avenir…
Les questions sociale, politique et démocratique, sont centrales dans les préoccupations générales. A force de laisser le terrain européen libre aux européistes de tout poil, la négation des nations -d’une Europe libre des nations souveraines- ordonnées sur une monnaie commune pour les échanges internationaux mais laissant au cadre national la possibilité de gérer leur monnaie en fonction du niveau de développement de leur propre économie, en fonction de l’intérêt de leur peuple, ce sont, comme en 2007 des réponses sociétales qui sont substituées aux questions sociales. En 2012, avant que les responsables de tout bord ne soient contraints de se rendre à la porte des usines frappées par les plans de licenciement, l’histoire a bien failli se répéter comme en 2007 avec les questions –certes importantes pour les concernés, mais qui ne sauraient valoir de programme général- liées à l’adoption, au mariage homosexuel, à l’euthanasie ou au cannabis… Le décalage avec l’existence de 8,2 millions de travailleurs pauvres, avec le démantèlement des droits liés au travail, avec la remise en cause des services publics et de toute la sphère socialisée serait risible s’il n’était lourd de conséquences dramatiques…
Ces questions méritent débat. Les partis ne sauraient répondre de façon satisfaisante avec leur fonctionnement pyramidale qui aboutit en fait à demander aux militants et sympathisants d’appliquer avec discipline les décisions prises à leur insu. Là encore la question de la démocratie est incontournable. A défaut, les pires moments ne sont-ils pas devant nous… La situation ne pose-t-elle pas en conséquence une double exigence qui pourrait rassembler les bonnes volontés :
· une critique radicale de la société, la réappropriation du combat d’idées dont le capital et ses idéologues se sont emparés.
Pour cela un large regroupement pourrait s’opérer, bâti sur la réflexion, l’élaboration, et la tenue périodique de réunions ouvertes non sur des objectifs partisans, mais sur des problématiques communes permettant de se réapproprier le champ culturel et idéologique. Une association, une fondation, un cadre de regroupement large et ouvert ferait l’affaire… Les questions liées à la république, à ses fondements, à ses valeurs, celles qui concernent l’Europe, la souveraineté, la monnaie, les questions sociales liées au travail, aux droits, celles qui concentrent les principes de la démocratie, des classes sociales, des bases républicaines, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la liberté, les questions liées aux services publics, au bien commun qui assure nos droits fondamentaux, celles de la république sociale et d’autres encore qui sont au cœur des processus vivants devraient y trouver un champ d’exploration et une capacité d’exposition nécessaire à l’élaboration de toute base programmatique, d’un programme minimum nécessaire pour ouvrir une rupture avec le système.
· des propositions d'actions unitaires, un programme minimum comme on disait jadis, dont la question européenne devrait constituer le point de départ.
Au nom de la crise et des déficits, le traité Merkel Sarkozy, qui comprend la fameuse « règle d’or », devrait en effet être imposé aux peuples d’Europe, donc au peuple français. Un combat unitaire ne pourrait-il être mené pour exiger que la souveraineté populaire soit respectée et qu’à l’issue d’une bataille sur le fond un tel traité soit rejeté….
Ces questions sont d’autant plus importantes que si la trajectoire prise est celle de la capitulation sur la question de la démocratie, de la souveraineté, de la nation, et donc de l’Europe qui conditionne l’ensemble des réponses politiques et sociales à apporter, le danger Le Pen ne se représente alors de façon beaucoup très précise. Ce serait elle qui pourrait dire de façon tout aussi dramatique que prémonitoire « le prochain coup, ce sera nous » !
Jacques Cotta
Le 15 juin 2012
Le Front de gauche a pris une belle raclée et avec lui toute la gauche...
Une première leçon n' a pas suffit à JLM et au Fdg..... ils recommencent aux législatives - (et JLM croit encore pouvoir battre Le Pen à Hénin-Beaumont, sinon au premier tour, au moins au second...) sans n' avoir jamais daigner tenter de savoir pourquoi un nombre de plus en plus important de gens votent FN et surtout pensent FN ou ne votent tout simplement plus.
Les raison du succès du FN - et de la déconfiture politique du Fdg - sont aussi à chercher du côté des non réponse aux problèmes du quotidien, ce quotidien, là, tout près, en bas de chez moi: le vote FN est aussi, un vote lié à l' insécurité, à la violence au quotidien bien plus qu' à la violence du patronat.
Le FN lui apporte clairement des réponses, et en face la rhétorique "révolutionnaire" quelque peu bobo du PG/Fdg prend l' allure au mieux d' une foutaise et au pire d' une insulte pour ceux nombreux qui d' une manière ou d' une autre souffrent. Le FN fait de la politique, le PG/ Fdg déraille.
La droite est majoritaire dans le pays. Et comme le dit Libération : "Entre le FN et l'UMP, «les digues» se fissurent".
Mélenchon à propulser et mis au centre le FN sans jamais pouvoir l' atteindre, bien au contraire. JLM est un danger pour la gauche.
Le PG ne veut pas voir que plus il gesticule contre le FN, plus ce même FN avance et pas uniquement dans les sondages:34% des sondés disent être en accord avec les idées du FN.... mais pour le moment tous ne votent pas FN.... Même le PCF y a perdu des plumes ( Pierre Laurent jugeant "impensable" que le FdG n'ait pas de groupe à l'assemblée préconise de "modifier le règlement" si celui-ci n'obtient pas les 15 députés nécessaires !)
La faillite de la "ligne antifasciste" risque bien d' annoncer « le prochain coup, ce sera EUX»
Les votes à droite en périurbain : « frustrations sociales » des ménages modestes ou recompositions des classes populaires ? Violaine Girard.
http://www.metropolitiques.eu/Les-votes-a-droite-en-periurbain.html