La politique ayant horreur du vide, le peuple nu (évoqué dans une chronique précédente) a été très vite invité à se rhabiller. Les clergés du monde ayant enfin assumé leur mutation de puissance foncière en puissance financière, les peuples ont pu retrouver à portée de main, des habits religieux tout neufs.
Bien sûr ce cadeau m’a pas déferlé sur les peuples partout à la même vitesse. On sait que les protestants furent parmi les premiers religieux à se trouver en phase avec le capitalisme. L’Islam et le catholicisme pataugèrent longtemps entre tradition et modernité jusqu’au moment où ils comprirent que ça pouvait être la même chose en y mettant du sien. Les Evangélistes donnèrent le ton du prêche télévisuel. La manne pétrolière fut un don de Dieu pour les fous d’Islam. Il restait au Vatican à se faire « Banque d’abord » suivant les critères classiques des « lois du marché » et pas de jaloux, les habits étaient en place.
Le peuple s’invita lui-même à les saisir au rythme des crises auxquelles les forces de la démocratie se refusaient à répondre.Face à la crise de la démocratie représentative pour inventer autre chose on a eu droit à la démocratie participative que j’ai défendu en m’imaginant pas les dérives. Or cette démocratie participative est surtout utile pour les membres du MEDEF qui sont les mieux à même de réunir les moyens de sa mise en œuvre. Peu nombreux et chacun très puissants, les maîtres du monde s’occupèrent dès lors à faire le ménage parmi leurs archaïques pour que le capitalisme puisse révolutionner le monde à son avantage.
Quand je dis que le peuple nu quand il est sans représentants, je ne parle pas forcément des représentants politiques classiques (sans les éviter pour autant), il s’agit aussi de représentants syndicaux, associatifs et autres. Si le pouvoir du peuple doit s’éparpiller en organisations éparses, il se détruit vu que sa force essentielle, c’est son nombre ! La démocratie participative a eu pour effet de parcelliser des forces unitaires construites au cours d’années et années, donc le clérical se faisant politique vient combler le vide du peuple faisant masse ! Faut-il rappeler que les peuples firent diverses révolutions au cours des ces dernières années : à Berlin comme à Téhéran ?
Ce clérical appuie sur une autre nudité à laquelle le système a réduit le peuple : l’hypothétique fin des frontières.J’entends très bien ceux qui à gauche disent tout bas : « C’est bien connu le peuple est un « attardé mental », il a besoin de frontières pour exister ! » Or, le capitalisme est le plus grand destructeur de frontières que je connaisse, laissant ainsi, une fois de plus, le peuple nu ! Fut-il encore s’entendre sur le mot « frontière » !
Le peuple – et je ne parle pas d’un peuple mythique − est étranger aux frontières qui enferment, car le plus souvent, il n’y a pas plus étranger (au sens premier) que lui ! Il a besoin de frontières qui assurent un droit à l’existence, pour mieux vivre avec les autres. Cette assurance, les classes dominantes n’en ont jamais eu besoin, leurs forces venant de leurs richesses, et si parfois elles usent des frontières comme prétexte à quelques guerres, c’est pour accroître leur puissance. Pourquoi faudrait-il confondre les frontières, avec la vision que les riches veulent en donner, sauf à leur laisser le bénéfice de gouverner nos pensées ?
Le peuple de France a vérifié en 1789 ou 1939 comment les classes dominantes savaient oublier les frontières en jurant plutôt Hitler que le Front populaire. En 2009, il est aussi question de riches fuyant la France pour quelques enfers fiscaux (il me faudrait dire paradis mais paradis pour qui ?). Quand les peuples changent de pays (l’immigration) c’est une toute autre aventure.Il existe un peuple chassé de chez lui, les Sahraouis, qui aimerait avoir des frontières, et dans une autre sphère, les Palestiniens sont dans le même cas. Les Slovaques se sont donnés des frontières, qu’ils ont relativisées en se retrouvant avec la Tchéquie dans l’Union européenne. Mais l’Union européenne n’est la frontière d’aucun peuple !
En plus clair peut-être, si la bataille politique est « pour ou contre » les frontières, c’est faire le jeu de la classe dominante qui veut vider de sens toutes les réalités qui ne devraient se résumer qu’à celles de l’argent (comme les « frontières » des émirats arabes unis). Il s’agit de développer une conception des frontières qui puisse à la fois servir de repères politiques et d’ouverture aux autres. Chacun comprend que derrière le mot « frontière » il y a le débat, si souvent abordé sur ce site, entre nation et nationalisme.
Les habits religieux, surtout côté Islam, permettent donc au peuple de rêver à un monde dépassant les nations, un monde que nos multinationales pratiquent à chaque instant. D’où la nécessaire reconstruction de l’internationalisme.15-02-2009 Jean-Paul Damaggio