Regardons de près la philosophie de cet homme (en fait à mes yeux c’est une religion dont il est le gourou) pour qui la crise est heureuse car, par la catastrophe inévitable, elle va obliger les citoyens à revoir leurs idées de base.
Voici le style 2009 d’un Latouche que l’on sent aux anges : « Les objecteurs de croissance savent aussi que, même en casquant plus de la moitié de 600 euros pour le loyer d’une turne sordide, nos enfants font encore partie du tiers privilégié de l’humanité que tentent désespérément de rejoindre tous les clandestins de la terre. » (peu importe la source)
Pas besoin d’être objecteur de croissance pour savoir qu’en France, dans l’ensemble, les conditions de vie sont meilleures qu’au Sénégal grâce sans doute à la bonté d’âme d’un capitalisme bon enfant qu’il faut tout de même moraliser un peu aujourd’hui.
L’universitaire se tourne vers le vocabulaire peuple : casquer, une turne. Compassion, quand tu nous tiens ! Il ajoute le sentimentalisme avec la référence à « nos enfants ». C’est incroyable comment, ces derniers temps, les mêmes qui pillent et vont continuer de piller «l’avenir de nos enfants , le placent au cœur de l’action politique ! En clair, le slogan « sauver la planète » signifie « sauvons ensemble le capitalisme » et j’entends aussitôt ceux qui me disent que j’exagère car Latouche dénoncent aussi « les honteuses rémunérations ».
Défenseur de la décroissance depuis des années, comme d’autres je pense que la religion du PIB est un drame, que la frugalité a ses charmes et qu’il faudrait choisir la qualité contre la quantité. Mais cette situation n’a strictement aucun lien avec le fait que, retraité à 1600 euros par mois (autant dire les faits), je doive me considérer comme un « privilégié ». La « guerre sociale » (je reprends ici un terme cher à Jaurès qui le préférait à celui de lutte des classes) en mettant face à face les dominateurs (avec leur idéologie) et les dominés (en quête d’unité), décide du sort du monde, et ce sort ne changera que si le rapport des forces change. Il existe des coupables à cerner, et des victimes qui, éclairés, doivent inverser les rôles. Or, la diminution de salaire en France est un atout de plus, dans les mains des dominateurs qui ont conduit la planète où elle se trouve. Disant cela, je ne tombe pas forcément, dans la trappe des vieilles lunes du compromis keynéso-fordiste. Oui, une grande partie de la gauche a pu y tomber mais éviter le piège ne peut en aucun cas nous inciter à faire l’impasse sur la guerre sociale. Les révoltés d’aujourd’hui doivent faire en sorte que les acquis sociaux soient en même temps l’acquisition d’un pouvoir sur le MOTEUR social, afin de le réorienter. C’était là le rêve qui se fit réalité par l’intermédiaire des nationalisations mais l’histoire nous a appris que, s’il ne suffisait pas de nationaliser, ça ne peut vouloir dire qu’il ne faut pas nationaliser !
La lutte pour un monde meilleur reste une lutte contre la domination capitaliste, une lutte qui, dans le rapport des forces, doit écarter deux orages : l’orage social en refusant le productivisme, et l’orage humain en refusant que l’argent soit la mesure de toute chose. Serge Latouche s’appuie sur les impasses de la première phase anti-capitaliste, celle qui crut (avec Jaurès) que les acquis sociaux conduiraient automatiquement à la prise du pouvoir par le peuple, pour proposer ses propres impasses : celles de la culpabilisation de TOUS comme forme de prise de conscience de l’inhumanité du système.
Au Sénégal aussi, chacun trouvera plus pauvre que lui-même, or nous savons que jamais les plus pauvres n’ont eu le moyen de conduire une révolution. Seule une gauche productive et non productiviste, portant enfin sa critique globale sur le cœur même du système, pourra renvoyer la vision de la décroissance style latouche dans les bras des dominateurs, et ouvrir la voie à la décroissance démocratique. La gauche, incapable hier de se saisir de la montée de la conscience écologiste, ne peut plus se permettre de continuer les erreurs du passé sous peine d’apporter encore une fois, à la marmite de l’adversaire de classe, les condiments de son renouvellement. Le capitalisme récupère des idées de gauche car la gauche apporte souvent sa pierre au capitalisme. Serge Latouche peut alimenter sa prose de citations adroites, il m’apparaît comme un modèle d’homme de droite, qui conforte le capitalisme en changeant les victimes en coupables pendant que les seuls coupables nous répètent, avec bienveillance, que l’argent ne fait pas le bonheur.
20-09-09 Jean-Paul Damaggio
Tout-à-fait d'accord sur un point : il faudrait absolument remonter les bas salaires et les petites retraites. Je n'ai pas besoin de me fonder sur le fordisme ou keynésianisme, mais sur la loi des systèmes (le libéralisme en est un). C'est une évidence que les gourous du "tout pour l'entreprise" soi-disant créatrice d'emplois ont en fait tout misé pour le profit. J'en fais la démonstration dans un bouquin (non encore édité). Louis Peretz