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Les prospérités du vice

Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 12/10/2008 • 4 commentaires  • Lu 2580 fois • Version imprimable


Les évènements qui secouent l'économie mondiale depuis plusieurs semaines maintenant - en vérité depuis l'été 2007 mais on espérait qu'un miracle allait empêcher la crise des subprimes de produire ses effets - font dégouliner la "moraline" à grands flots. On oppose le capitalisme moral, celui qui s'occupe de produire au capitalisme immoral du pur spéculateur qui est prêt à prendre des risques inconsidérés pour amasser encore quelques sous, quitte à discréditer le "bon capitalisme". C'est le discours commun de la droite et de la social-démocratie. Il y a le feu et la cohorte des défenseurs de l'ordre capitaliste se mobilise pour sauver le système, le pouvoir et les profits qui vont avec. Car, si on laisse un peu le brouhaha médiatique, il ne peut qu'apparaître clairement aux yeux de tous que c'est le capitalisme lui-même qui est fondamentalement "immoral" -- n'en déplaise à quelques philosophes médiatiques qui, ces dernières années, se sont évertués à soutenir le contraire, le contraire de l'évidence.

Le marquis de Sade, dont l'oeuvre entière expose l'essence même du capitalisme, oppose "les infortunes de la vertu" qui accablent la pauvre Justine aux "prospérités du vice" dont jouit sa soeur Juliette. Il arrive parfois que les prospérités du vice se parent du manteau de la vertu. Ainsi cette dame dirigeante d'une association nommée "Ethic" (ça ne s'invente pas) et qui, après quelques protestations de vertu outragée face aux excès de quelques grands patrons fait l'éloge des délocalisations avec les salaires à 200 euros mensuels, le travail 7 jours sur 7 et l'absence de syndicat (Voir Riches et presque décomplexés de Jacques Cotta, pp. 115-119). Ce frappe cependant à la lecture du livre de Jacques Cotta, c'est le portrait d'une classe capitaliste totalement débarrassée du vernis moral et moralisateur qu'on pouvait encore trouver dans le patronat français à l'ancienne, comme ce patronat du textile dans le Nord dont le film de Samuel Gantier (Arte, 5 octobre 2008) a fait un portrait à la fois hagiographique et passionnant. Ces familles Motte, Dufour, Mulliez sont des capitalistes obsédés par l'accumulation du capital industriel, une tâche qu'ils considèrent comme un devoir chrétien, (Dieu, travail, famille, telle est leur devise). De ce patronat industriel, ne subsiste que l'"association familalle Mulliez", un énorme conglomérat d'enseignes commerciales (Auchan, Decathlon, Kiabi, Les trois Suisses ...) non côté en Bourse car propriété intégrale de la famille. Mais ce capitalisme-là n'est qu'une survivance du passé.  La classe capitaliste moderne, celle dont l'avènement s'est fait au forceps dans les trente dernières années est une classe capitaliste débarrassée du soucis de gérer des entreprises, de s'occuper de choses aussi "ringardes" que la production. Et celle-là n'a plus besoin ni de Dieu, ni de la famille, ni des valeurs du travail.

La classe capitaliste dont Jacques Cotta fait le portrait est dominée par les gestionnaires de patrimoine, les patrons de fonds d'investissement, les dirigeants des grands groupes financiers. Pour eux, une entreprise est uniquement un investissement. Ils n'ont pas l'âme du propriétaire, de celui qui est fier de ce qu'il a construit. L'entreprise n'est que le détour obligé pour l'argent produise de l'argent. On achète (par "effet levier", si possible, c'est-à-dire sans débourser un sou), on démantèle et on revend et on calcule le retour sur investissement (le ROI): 15% minimum! Pour que le système dure, il faudrait que la plus-value produite  réellement soit à 15%, ce qui est très loin d'être le cas. Donc il faut agir sur la "variable d'ajustement" qu'est le salaire. Ainsi tous ces capitalistes considèrent que ces salariés qui ne veulent pas être payés au tarif chinois, ni travailler aux horaires chinois, sont leurs pires ennemis.  Il y a chez ces rois de la finance un mépris de classe ou plutôt de caste, absolument hallucinant, y compris et peut-être surtout chez nos entrepreneurs "ethic".Avec une touchante unanimité ils réclament la destruction de tout ce qui protège les travailleurs.Et ne se sentent évidemment tenus à rien envers eux. Le patronat paternaliste chrétien d'antan ne considérait par les ouvriers comme des humains de même rang, mais il se sentait tout de même obligé d'un minimum de sentiment chrétiens à leur égard, car ils tenaient encore les ouvriers pour des humains.  Suivant une tradition que le protestantisme anglo-saxon a largement permise, le capitalisme d'aujourd'hui ne connaît plus rien de tout cela. L'égoïsme des possédants est la seule loi sacrée et tout ce qui peut freiner leur insatiable cupidité est tenu pour une intolérable entrave à la "liberté", c'est-à-dire leur liberté de tyranniser comme ils l'entendent le reste de la société.

Le fond de la question est cependant facile à comprendre: la prospérité du capitaliste réside dans sa capacité à extraire de la plus-value. Or la plus-value ne vient pas des placements astucieux, ni de la propriété miraculeuse qu'aurait l'argent de faire des petits. La seule puissance productive est celle du travail humain. Et la source de la plus-value est l'exploitation du travail humain, ce qui implique un certain genre de rapports sociaux dans lequel les uns (les ouvriers) sont traités par les autres (les capitalistes) simplement comme des moyens et jamais comme des fins en soi -- pour parler comme le grand Emmanuel Kant. Donc l'immoralité du capitalisme financier n'est rien d'autre que celle du "capitalisme pur", du capitalisme débarrassé des scories du passé qui l'empêchent d'être lui-même. Ce qui explique encore pourquoi la classe capitaliste contemporaine est d'une vulgarité sans bornes, d'une bêtise crasse (pour une définition de la bêtise, voir Robert Musil). L'intelligence des affaires semble s'accompagner nécessairement de la privation de tout raffinement, de toute compréhension de ce qu'est vraiment l'intelligence des choses humaines. Au fond, l'expression "culturelle" (si on ose employer ce terme) la plus adéquate de cette classe, c'est Bigard, l'ami du président.

Analysant Le révolte des élites, Christopher Lasch décrit ainsi l'évolution morale du capitalisme:
La convention sentimentale selon laquelle les meilleures choses de la vie sont gratuites est depuis longtemps tombée dans l'oubli. Puisqu'il est bien clair que les meilleures choses coûtent énormément d'argent, les gens cherchent à en gagner, dans le monde que dépeint la télévision commerciale, par des moyens honnêtes ou pas. L'idée que le crime ne paie pas – autre convention passée à la trappe – cède devant la prise de conscience que l'application de la loi est une bataille sans espoir, que les autorités politiques sont impuissantes face aux syndicats du crime et qu'elles gênent souvent la police dans ses efforts pour amener les criminels devant leurs juges, que tous les conflits sont réglés par la violence et que leurs scrupules sur la violence condamnent les scrupuleux à devenir des perdants. (La révolte des élites, éditions Climats, 1996, p.105)
Si on pose le problème dans les termes où Lasch et quelques autres le posent, on verra que ce qui est en cause, ce n'est pas seulement une certaine structure socio-économique qu'il faudrait remplacer par quelque chose de plus "rationnel". Non,  ce qui est en cause, c'est une conception de la vie humaine, une conception de ce qu'est une société, qui a émergé avec le capitalisme mais que droite et gauche, bourgeois et socialistes, partagent fondamentalement. Une conception radicalement antinomique à toute société décente, pour reprendre une formule de George Orwell.

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Commentaires

par Anonyme le Dimanche 12/10/2008 à 11:24

La crise n'est pas pour tout le monde, ils  s' amusent toujours: Fortis vient de dépenser 150 000 € dans un restaurant de Monaco pour régaler une cinquantaine de courtiers !!


Lien croisé par Anonyme le Lundi 13/10/2008 à 03:36

Betapolitique : " Un article extérieur envoyé depuis : Les prospérités du viceAllez le voir sur : http://la-sociale.viabloga.com/news/les-prosperites-du-vice"


par Anonyme le Mardi 14/10/2008 à 12:01

Crise capitaliste: le marché ne sauvera pas l'environnement

Par Daniel Tanuro,  le vendredi, 10 octobre 2008

Commençons par une mise au point: qu’on cesse de nous bassiner les oreilles avec cette euphémique «crise financière». C’est une crise du capitalisme que nous vivons. C’est quoi le capitalisme? Un système de production généralisée de marchandises. Cette définition ne va-t-elle pas comme un gant au monde qui nous entoure? Et c’est quoi, le capital? Une somme d’argent à la recherche d’une plus-value. L’activité bancaire relève-t-elle d’une autre logique? Il s’agit non seulement de capitalisme, mais de capitalisme chimiquement pur. Car le capital bancaire pousse à la perfection cette illusion capitaliste qui fait croire que l’argent est source de richesse, alors qu’il n’est que mesure de valeur. (...)

Le lien avec la politique environnementale? Le voici: toute la politique environnementale est basée fondamentalement sur les mécanismes de marché. Pillage des ressources ? Yaka donner un prix aux services rendus par les écosystèmes, et laisser faire le marché. Pollutions ? Yaka internaliser les coûts, et laisser faire le marché. Epuisement des énergies fossiles? Yaka libéraliser l’énergie, distribuer des primes, et laisser faire le marché. Changement climatique? Yaka créer des droits et des crédits d’émission, et laisser faire le marché du carbone. Yaka, yaka, yaka!… Eh bien, la crise actuelle est l’occasion de dire : non, ça ne marche pas, il faut une autre politique.(...)

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=1145%3Acrise-capitaliste-le-marche-ne-sauvera-pas-lenvironnement&Itemid=53&option=com_content







par Anonyme le Mardi 14/10/2008 à 12:03

Crise capitaliste: le marché ne sauvera pas l'environnement 

Par Daniel Tanuro le vendredi, 10 octobre 2008   

Commençons par une mise au point: qu’on cesse de nous bassiner les oreilles avec cette euphémique «crise financière». C’est une crise du capitalisme que nous vivons. C’est quoi le capitalisme? Un système de production généralisée de marchandises. Cette définition ne va-t-elle pas comme un gant au monde qui nous entoure? Et c’est quoi, le capital? Une somme d’argent à la recherche d’une plus-value. L’activité bancaire relève-t-elle d’une autre logique? Il s’agit non seulement de capitalisme, mais de capitalisme chimiquement pur. Car le capital bancaire pousse à la perfection cette illusion capitaliste qui fait croire que l’argent est source de richesse, alors qu’il n’est que mesure de valeur. (...)

Le lien avec la politique environnementale? Le voici: toute la politique environnementale est basée fondamentalement sur les mécanismes de marché. Pillage des ressources ? Yaka donner un prix aux services rendus par les écosystèmes, et laisser faire le marché. Pollutions ? Yaka internaliser les coûts, et laisser faire le marché. Epuisement des énergies fossiles? Yaka libéraliser l’énergie, distribuer des primes, et laisser faire le marché. Changement climatique? Yaka créer des droits et des crédits d’émission, et laisser faire le marché du carbone. Yaka, yaka, yaka!… Eh bien, la crise actuelle est l’occasion de dire : non, ça ne marche pas, il faut une autre politique.(...)



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