Toute l’analyse doit donc porter sur la stratégie séparatiste des riches, analyse déjà évoquée sur ce site, mais qu’il est bon d’actualiser après les événements de Géorgie.
Dès la large victoire de Moralès, les oligarchies ont saisi la faille où elles pouvaient s’engager, la bataille pour l’autonomie. Pourquoi la faille ? Le vice-président de Morales, Alvaro Garcia, en devenant un personnage clef de la nouvelle politique, transportait avec lui, après ses études au Chiapas, une vision des autonomies indiennes alliée aux thèses anti-nationalistes de Toni Negri.
De son côté Moralès était un admirateur de la stratégie très nationaliste d’Hugo Chavez. En conséquence, le nouveau gouvernement proposa un référendum pour demander la création d’une nouvelle constitution (comme le fit Chavez) et décida d’inclure dans ce référendum une question sur la nature autonomiste de cette nouvelle constitution. Au départ tout le monde appela à voter oui à l’autonomie. Ce n’est qu’au cours de la campagne électorale que le MAS de Morales changea son fusil d’épaule en appelant à voter non, pour que l’autonomie indienne ne se confonde pas avec l’autonomie des régions oligarchiques. L’erreur était faite et le référendum révéla que dans les régions riches le drapeau de l’autonomie allait servir à masquer les intérêts de classe. Ailleurs la religion ou les ethnies servent au même processus. Morales est devenu ainsi le président des Indiens pendant que les puissances économiques devenaient les défenseurs de leurs régions.
Ce drame n’est pas que bolivien et touche toutes les gauches du monde comme le démontre très bien James Petras. D’un côté la gauche en appelle à la classique «autodétermination des peuples » quand en face les USA peuvent soutenir le pouvoir mexicain contre la revendication d’autonomie au Chiapas (qui pour les Zapatistes n’est en rien une revendication d’indépendance) ou soutenir les Kurdes contre le pouvoir national irakien. Le cas Kurde est intéressant puisqu’en même temps les USA soutiennent la Turquie qui, de son côté, ne veut pas entendre parler d’un Kurdistan. En clair, la question nationale est pour les puissants une question qui passe après ses intérêts économiques, alors qu’à gauche il y aurait des invocations mythiques à des peuples mythiques.
Morales face à son peuple, c’est la gauche face à ses adversaires sur la planète tout entière. A partir des années 80, la contre-révolution capitaliste a compris qu’elle pouvait user des idées de gauche à son profit. Alors que dans les zones pauvres des pays (le sud de la France ou de l’Italie) certains demandaient l’autonomie pour échapper à l’exploitation des riches, un renversement s’est produit dont La Ligue du Nord en Italie fut le modèle : les riches veulent l’autonomie pour ne plus payer pour les pauvres ! Phénomène lié à l’immigration : autrefois les colonialistes allaient en Afrique exploiter les Africains et à présent il faut que ces derniers viennent en Europe se faire exploiter !
La dernière riposte de Moralès a consisté à expulser l’ambassadeur des USA. Après le référendum révocatoire d’août (idée reprise de Caracas) c’est encore le modèle vénézuélien. Or le cas de la Bolivie se distingue sur un autre point : comme pour le Paraguay les exploiteurs les plus puissants du pays sont plus les bourgeoisies brésiliennes et argentines que les multinationales US. Pas surprenant si les événements sanglants qui viennent de se produire eurent lieu à la frontière avec le Brésil. Et là une autre question apparaît, c’est celle des nationalisations des hydrocarbures auxquelles une compagnie comme PetroBras (Brésil) a décidé de s’opposer fermement. Un article de Humberto Claure Quezada (sur le site Rebelion) fait un point actuel minutieux qui montre que malheureusement, comme le craignait Andrés Soliz Rada qui fut le premier ministre des hydrocarbures (il démissionna), les Compagnies conservent un rôle stratégique et que le 50% des recettes des impôts à verser aux régions productrices est un piège (c’est donner des armes à l’adversaire). La revendication majeure des séparatistes touche à la perception de cet IDH (Impuesto Directo a los Hidrocarburos).
YPFB n’est pas PDVSA. Une métaphore explique la situation. S’il s’agissait de pain, la Bolivie est propriétaire de la farine et du pain mais se doit d’utiliser les services des Compagnies qui ont le contrôle des fours. PDVSA contrôle aussi les fours !
En conséquence, une réflexion fondamentale doit être relancée à gauche, sur la question nationale, sur celle des nationalisations afin de participer à la bataille idéologique imposée par l’adversaire. Il n’est plus possible de reculer. En Italie, toute proposition de gauche allant dans un sens autonomiste actuel pour les régions riches c’est aller toujours plus vers l’éclatement du pays et donc la féodalisation du monde. Je vis à côté d’une centrale nucléaire où les écolos conduisirent de dures batailles mais depuis que la centrale existe c’est le secteur où les écolos font les résultats les plus ridicules du département. Pourquoi ? La distribution de la taxe professionnelle de la centrale est un mode d’assujettissement. Or en France nous sommes encore loin de toutes les géopolitiques inégalitaires… Que l’Etat ne soit pas démocratique est une chose, qu’en conséquence l’Etat soit jeté dans les poubelles de l’histoire en est une autre.
15-09-2008 Jean-Paul Damaggio
1 – Mes articles visent surtout à présenter quelques informations venues des Amériques à partir des sites suivants : La Jornada (Mexique), Los Tiempos (Bolivie), Econoticias (Bolivie) et Rebelion (site plus général). Personnellement mon souci majeur n’est pas de juger mais d’analyser.
Commentaire reçu par e-mail:
Je n'ai nulle autorité autre que militante et citoyenne pour parler de la Bolivie.
Pas de famille, pas d'organisation soeur, rien,.
Rien que 3 ans de travail salarié au Brésil et au Venezuela.
Mais dans un organe militant, on ne peut écrire "Morales face à son peuple" sans suggérer qu'il n'est pas de son peuple et qu'il n'en n'est pas , au moins un peu, son mandataire.
Aucun militant - de gauche, évidemment - ne peut être spectateur inactif de ce qui se passe en Bolivie.
C'est pour cela que je suis pret à fonder ou à rejoindre un comité de solidarité avec la révolution bolivienne et appelle le camarade Damaggio à me rejoindre.
Cela écrit, oh combien Damaggio a raison de souligner la manipulation des aspirations régionalistes par les intérêts privés centrés sur les USA! au besoin en inventant ces "régions". Droit à la nation au Kosovo, mais pas pour les indiens aux USA, au Pérou, en Bolivie.
Le droit des peuples à disposer d'eux-même est précisément dirigé contre celui des empires à disposer des peuples.
Chavez mène et à mené une campagne constante contre les oligarchies régionales corrompues et clanistes "chavistes" des "états" venezueliens.
Celles-ci ont monopolisé, détourné et perverti les élections internes au PSUV, le programme et la campagne référendaire de 2007. Et à juste raison! Car elle était à l'origine destinée à fonder le "poder comunal" - des communes à la française - en lieu et place des Alcades, paroquias, municipios et estados, bureaucratisés hérités des la colonisation espagnole.
La corruption, la spéculation, le marché noir sont hautement centralisés. La défense des acquis démocratiques et populaire nécessite la même centralisation, la même organisation. Faute de quoi, les 40 %, le doublement de l'appui à Moralès dans la province de Santa Cruz, sera perdu et démoralisé. Un exemple parmi d'autres.
Christian Berthier