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Rossi, Clavier, Tapie et autres affaires sans importance

ou comment on drogue l'opinion publique

Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 07/09/2008 • 1 commentaire  • Lu 2558 fois • Version imprimable


Un de nos amis, fidèle lecteur de nous écrit à propos de quelques affaires qui ont récemment défrayé la chronique et souligne l'écart entre l'écho donné à des questions somme toute secondaires et la gravité des véritables enjeux politiques stratégiques. Ainsi, concernant l'affaire Clavier/Rossi, notre correspondant remarque:
L’affaire Clavier, une tempête dans un verre d’eau. Sarkozy s’est ridiculisé en parlant de cette histoire de cornecul en Syrie. Dans trois mois la plainte sera classée. Faire de cela une affaire d’État, c’est très excessif à mon goût. Nos élites politiques et éditoriales seraient mieux inspirées , surtout à gauche, de s’inquiéter sérieusement  de la direction prise par Sarkozy au moyen Orient où il se fait le petit télégraphiste des Israéliens, menaçant en leur nom l’Iran de frappes atomiques et , au passage oubliant de citer la Russie, tout de même présente dans la région, aussi membre du quartet censé résoudre le problème   Israël-Palestine.

Concernant l'autre sujet du moment, le chèque généreusement attribué à Bernard Tapie, notre correspondant considère également que l'affaire est close, que des raisons juridiques imposent qu'on s'en tiennent là et qu'il est inutile, quand on est de gauche d'aller mêler sa voix à celle d'ultra-libéraux fanatiques comme Charles-Amédée de Courson. Comment donner tort ce lecteur? Il y aurait effectivement beaucoup de choses à dire concernant les affaires corses, c'est-à-dire le lien étroit entre les questions corses, le milieu des affaires (immobilières) et le milieu tout court. Beaucoup de choses auxquelles les relations particulières du président avec l'acteur (médiocre, NDLR) Christian Clavier n'apportent rien de nouveau. Les cris d'orfraie que la gauche pousse contre Tapie ont quelque chose d'un peu indécent, si on veut bien se souvenir que la fortune politique de Tapie a été le fait de la gauche au pouvoir, si on se souvient qu'il fut le chouchou de Mitterrand bluffé par ce riche aux allures de voyou, si on souvient aussi du rôle particulièrement douteux joué par la gauche (essentiellement le PS) et nombre de ses éminences dans les divers scandales financiers des années 80 et 90. Quand on voit par ailleurs les profondes convergences entre la soi-disant opposition et la majorité présidentielle sur les dossiers réellement importants, on peut légitimement estimer que les évènements de politique intérieure qui agitent les médias ne sont qu'un théâtre d'ombres dont l'objectif est d'endormir l'opinion publique.

Premier exemple: le RSA. Bataille à droite, embarras à gauche sur le financement du RSA. Le président de la République brouille (pas tout à fait) les pistes avec sa proposition de taxation des revenus du capital ... sauf ceux du gros capital protégé par le bouclier fiscal. La droite propose un financement par des économies budgétaires, alors que des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires sont déjà supprimés (pour donner une comparaison, Renault SA emploie en France 42000 salariés: les coupes sombres dans la fonction publique reviennent en termes d'emploi à fermer les deux tiers de Renault tous les ans...) Mais même si on trouvait un mode de financement du RSA "juste" (taxer les stock options, les retraites dorées des PDG y compris les incapables comme Tchuruk qui a mis son entreprise Alcatel au bord gouffre), cela ne changerait absolument rien au problème puisque ce qui devrait être en cause, c'est la nature même du RSA (voir les articles précédents sur notre site). Mais sur cette question, il y a un consensus presque complet entre droite et gauche pour mettre en place cette mesure qui détruit les garanties des chômeurs, fournit des salariés précaires et ajustables aux entreprises et se révèle l'équivalent du plan Hartz IV de Schröder qui avaient, lui aussi, brutalement détruit les garanties des salariés privés d'emploi. 

Second exemple: l'Afghanistan.Là encore le consensus règne. Et pour cause: ce sont les socialistes qui ont engagés les troupes françaises dans cette guerre. Quand Nicolas Sarkozy renforce le dispositif militaire français, François Hollande se contente de chipoter sur les conditions de ce renforcement, mais bien évidemment l'alignement français sur la politique des États-Unis n'est jamais mis en cause. Et sur ce sujet la "gauche" du PS est encore plus discrète - si c'est possible - que sur le RSA. Or la question essentielle est là: quelle est la nature de cette prétendue "guerre au terrorisme" qui tue surtout des femmes et des enfants et envoie au casse-pipe des jeunes hommes qui se sont engagés pour défendre leur patrie et non pour ces combats douteux?

Troisième exemple: La privatisation de la Poste. En campagne pour le poste de secrétaire général du PS, plusieurs leaders ont fait de la dénonciation de l'ouverture du capital de la poste au privé un de leurs chevaux de bataille. Enfin, disons que cette affaire permet quelques numéros de pure rhétorique dans les assemblées des adhérents. Mais quand se pose la question de la riposte, le PS réfléchit et se déclare aux abonnés absents. Et pour cause. Le monopole postal n'existe plus depuis longtemps non par la volonté du locataire actuel de l'Élysée, mais par celle d'Union Européenne avec la bénédiction des socialistes européens, français inclus. Le PS n'a jamais proposé d'abroger les directives européennes sur le courrier et les services postaux, au contraire. Dès lors que la Poste est en régime de concurrence avec des entreprises qui sont parfaitement en état de lui rafler d'importantes parts de marché, il faut admettre qu'elle est une entreprise capitaliste comme un autre et non un service public. Et par conséquent l'ouverture de son capital est un outil normal pour financer ses investissements, de même que cette entreprise, comme toute entreprise capitaliste, doit chercher à développer sa rentabilité en supprimant les secteurs non rentables. Ne pas le faire dans un contexte de libre concurrence revient à ruiner l'entreprise et condamner ses employés au chômage. Les socialistes qui admettent l'économie capitaliste, le marché et la libre concurrence comme principes et considèrent les capitalistes comme des "partenaires sociaux" (voir leur dernière déclaration de principe) sont donc de vrais tartuffes quand ils font mine de condamner la privatisation de la poste, eux qui ont privatisé France-télécom dans les premières semaines du gouvernement Jospin en 1997.

Quatrième exemple: les rapports avec Bayrou. Un certain nombre de hiérarques et même de mini-hiérarques font des rapports avec le MODEM de Bayrou la pierre de touche du socialisme du XXIe siècle. Mme Aubry, maire de Lille, tente de faire l'union du "centre" et de la "gauche" du PS en dénonçant à l'avance tout alliance au centre et en prétendant incarner le maintien de la ligne de l'Union de la gauche. Mauvaise blague quand on sait que Lille est administrée par une coalition de toute la gauche et du MODEM, coalition voulue par Mme Aubry alors même qu'électoralement elle pouvait se passer de cette alliance pour conserver sa mairie. En vérité rien, politiquement, ne distingue le gros de l'appareil du PS de M. Bayrou. Peut-être même sur bien des questions, le député des Pyrénées Atlantique a-t-il été plus net et plus offensif dans le dénonciation des atteintes à la démocratie commises par le gouvenement de Nicolas Sarkozy. Sur l'Europe, il arrive à François Bayrou d'être moins bêtement européiste que les dirigeants du PS et si ces derniers étaient un tant soit peu cohérents ils chercheraient un programme commun de gouvernement pour présenter une alternative crédible immédiatement à l'actuel président de la République. Quand le PS avait rompu avec les alliances centristes, lors du congrès d'Epinay, c'était pour une raison stratégique: l'Union de la Gauche (à tort ou à raison) se présentait comme une politique réformiste de rupture (progressive avec le capitalisme). Mais dès lors que la rupture avec le capitalisme n'est plus au menu (voir encore une fois la dernière déclaration de principes adoptées en juin 2008 dans l'indifférence générale), alors le refus de l'alliance avec Bayrou n'apparaît plus que comme une simple manoeuvre de politiciens médiocres qui, nolens volens, confortent le régime bonapartiste de Nicolas Sarkozy.

L'agitation autour de faits secondaires (affaire Tapie, affaire Clavier, etc.) s'inscrit donc dans une politique systématique de brouillage des pistes. On crée des sujets de polémiques plutôt futiles afin de mieux masquer l'unité sur le fond des politiques de droite et de gauche. Dans ce jeu, la droite est évidemment bien supérieure à la gauche. Car c'est elle qui ment le moins. Elle défend le capitalisme, l'économie de marché, les profits et elle le dit. La gauche est dans le mensonge et le déni permanent. Faute de politique, il ne reste que de misérables ambitions personnelles portées par des petits marquis et des petites marquises plus médiocres les uns et les unes que les autres. La nullité est patente de ces Aubry, Delanoé, Moscovici, Royal, et autres Hamon, Peillon, etc. Il n'ont rien à dire d'intéressant - sinon la énième variation sur des discours creux auxquels plus personne ne croit. Et Jean-Luc Mélenchon a bien raison de souligner sur son blog que personne de sérieux ne voudrait confier le gouvernement du pays à ces vibrions. Cette atterrante nullité d'une gauche au bout du rouleau est la principale force de Sarkozy. C'est grâce à cela qu'il peut mettre en oeuvre son programme de "thatcherisation" de la France.

Car Sarkozy, au moins, a une politique cohérente, détestable, mais cohérente, même si la réussite n'est pas toujours au programme... Je crois qu'on réduit trop vite sa politique étrangère à une simple vassalisation de la France - ce qui se passe au Proche-Orient montre qu'il reprend peu ou prou les grandes lignes de la traditionnelle politique arabe de la France - et sur ce point je serai en désaccord avec notre lecteur. Simplement, Sarkozy fait le constat (assez juste) que la France étant désormais un puissance à peine moyenne elle ne peut jouer un rôle dans le concert impérialiste que dans l'UE et l'Alliance Atlantique donc l'OTAN. Si on veut critiquer Sarkozy sur sa politique étrangère, il faut aller au fond des questions politiques et mettre en cause radicalement les cadres de l'UE et de l'OTAN. Mais si on pense (comme le pensent tous les partisans des traités TCE ou de Lisbonne) qu'il n'y a pas de salut hors de l'Europe et de l'OTAN, alors Sarkozy a raison - et l'on peut sans dommage laisser de coté les élucubrations à la Meyssan qui fait de Sarkozy pratiquement un agent de la CIA...

Si on pense que le capitalisme borne notre horizon historique, que liberté et liberté du marché sont la même chose et que seule la croissance permet d'améliorer le sort des plus pauvres (et l'essentiel de la gauche officielle pense cela), alors il faut donner au capitalisme les moyens de son plein déploiement. Le ressort de la croissance capitaliste, c'est le conflit stratégique entre les grands groupes, les grands blocs de capitalistes. Donc il faut créer de nouveaux champs d'accumulation du capital (par exemple dans le domaine des "services" qui restent étatiques comme l'éducation) et permettre aux capitalistes français de jouer dans la cour des grands. Les minauderies moralisantes de la gauche petite-bourgeoisie ne peuvent rien contre cette dure réalité. Sur le plan humain, psychologique, "people", il y a sûrement des tas de choses à dire à propos de Sarkozy et Fillon (lequel est sans doute encore plus "à droite" que Sarkozy, lui qui représentait le "gaullisme social"), mais tout cela n'a aucun intérêt politique. Ils sont des défenseurs d'une stratégie et d'intérêts de classes précis. Et c'est seulement cela qui importe.

Des gens bien intentionnés pensent qu'on peut combattre le politique de Sarkozy en concentrant le feu sur la personne de Sarkozy, sa vie conjugale, ses rapports avec l'argent ou son goût du pouvoir. La campagne électorale présidentielle déchaînée jusqu'à l'indécence  a montré que cela n'avait strictement aucune portée. Ce qui fait mal à Sarkozy, ce ne sont pas les manifestations plus ou moins déplacées de la dérision ou des sautes d'humeurs des petits-bourgeois branchés, mais le prix du plein d'essence, les gamins au chômage ou les franchises médicales. Il est vain de courir après l'évènement - le président de la république est le meilleur sur ce terrain et sait faire parler de lui tous les jours. Il faut prendre le temps de la réflexion, prendre le temps des bilans sans concessions, prendre le temps de la pensée, pour élaborer une nouvelle alternative radicale au capitalisme.


 

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Commentaires

Clavier , tapie... par giorgio le Mardi 09/09/2008 à 17:37

Au  sujet du RSA, le problème  de fond ne se situe pas dans les modalités d’application du nouveau dispositif, on savait que la remise en cause du RMI par cette majorité se traduirait par une aggravation des contraintes pesant sur les chômeurs. Sur ce plan, pas de surprise, comme il n’y en  a pas dans l’accueil de socialistes se félicitant de la sortie de « l’assistance » (Aubry). Ces gens assujettis à l’ISF savent où se trouve leur portefeuille.

La véritable question de fond se trouve dans la négation du principe républicain de l’égalité devant l’impôt. 
Le bouclier fiscal constitue une  niche géante pour les plus riches qui vont continuer à s’enrichir à proportion de l’exemption de chaque taxe générale crée par le gouvernement pendant que la moitié ou les 2/3 des autres contribuables s’appauvriront à due concurrence. 
Une mécanique infernale au profit d’une caste. L’ancien régime est de retour. Rendez-vous dans dix ans si ce bouclier n’est pas rapidement abrogé

 Cordialement



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