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Durant des mois le Président de la République, la premier ministre et les membres du gouvernement ont refusé de recevoir les responsables syndicaux unis dans l’intersyndicale pour s’opposer à la réforme des retraites.
Après 10 manifestations rassemblant des millions, après des sondages à répétition indiquant que 70% des Français, 90% des actifs, sont opposés à cette réforme, et à la veille d’une onzième journée de manifestation, voilà que le téléphone d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, l’ami de Macron baptisé le « président bis », mis en examen pour « prise illégal d’intérêt », s’est mis à sonner chez Laurent Berger le responsable de la CFDT. Une réunion est soudainement convoquée pour le 5 avril entre Elisabeth Borne, ses ministres et les membres de l’intersyndicale.
Que nous vaut donc un tel changement d’attitude ? Qu’attendre d’une telle réunion ? Que cherchent gouvernement et responsables syndicaux ? L’histoire, sur ses grandes lignes, ne fait en réalité que bégayer.
L’échec de la violence
En suscitant cette réunion, le gouvernement -Emmanuel Macron président du chaos en tête- fait preuve de faiblesse. Il reconnait que la violence organisée ne réglera pas le problème majeur auquel il est confronté, la mobilisation massive des ouvriers et salariés et l’obstination de l’opinion.
Il a pourtant fait tous les efforts possibles dans ce sens, brigades motorisées BRAV-M et leurs excès, usage d’armes de guerre, grenades en tout genre dont les nouvelles lacrymo ou autres explosives … Pour tenter de faire basculer l’opinion contre la grève et les manifestations, les tentatives d’assimilation de millions de manifestants à quelques vitrines cassées, ou feux de poubelles, ou encore camion de gendarmerie dans le champ de Sainte Soline, ont été bon train. Les chaines d’information en continu se sont surpassées.
En écho, une partie de la gauche a mis l’accent sur « les violences policières » sans même se rendre compte que le pouvoir cherchait précisément à déplacer son problème, celui de la réforme des retraites rejetée par le peuple dans sa presque totalité.
Il y a violence, mais la question, la seule qui vaille, est de savoir qui l’organise, et dans quel but. Le fonctionnaire de police qui fait du zèle est évidemment condamnable. C’est d’ailleurs assez mystérieux de constater une obéissance aveugle, pratiquement décérébrée, dés lors qu’elle concerne les porteurs d’uniforme. Ici les fameux Brav-M, hier les fonctionnaires de police faisant du zèle pour rafler et remplir sur ordre de Pétain le Vel d’hiv, ou encore sous un autre uniforme ces soldats se saisissant de lance-flammes pour cramer les habitants d’Oradour-sur-Glane dans leur église. Mais la question qui demeure est la suivante : qui sont les donneurs d’ordre, pour quelle politique, qui sont donc les véritables responsables, sinon les détenteurs du pouvoir qui délèguent en réalité les basses oeuvres.
Le pouvoir a voulu faire peur. Il a voulu dissuader, décourager, résigner. Mais a dû constater qu’échouant a faire rentrer de la sorte les millions au bercail, l’heure était venu de demander de l’aide…
Le 5 avril, un gout de réchauffé
Nous sommes en 1968 et depuis des mois la grève, les manifestations, les émeutes se succèdent. Là encore les forces de « maintien de l’ordre » ne régleront pas le problème qui menace De Gaulle, son gouvernement et le régime. Le gouvernement convoque donc une réunion tripartite —patronat, gouvernement, syndicats— pour trouver un accord qui mettra fin à la mobilisation historique qui partant de revendications assez classiques se concentre sur la question du pouvoir et des institutions de la 5è république.
Après deux jours de discussion, il revient aux chefs syndicaux de « faire preuve de responsabilité » en allant porter la bonne parole dans les usines et faire accepter les accords de Grenelle. Georges Séguy pour la CGT se rend à Renault Billancourt, mais à sa grande surprise, les ouvriers ne l’entendent pas ainsi. Malgré un quadrillage organisé notamment par les cadres de la CGT et du PCF dans la cours de l’usine pour que les chefs reçoivent le soutien qu’ils attendent, les milliers de présents se mettent à scander « Ne signez pas » pour indiquer leur refus d’accords qu’ils jugent bien insuffisants et qui signifieront la fin de la grève générale qui menace le régime.
La stratégie du 5 avril 2023 est donc d’une clarté éblouissante. Il s’agit de faire endosser par les responsables de l’intersyndicale, derrière un jargon dont les technocrates de Matignon ont le secret, sous couvert d’avancées sur un point ou sur un autre, et de discussions et négociations à venir, la réforme elle-même, et le passage aux 64 ans agrémentés d’une aggravation du la loi Touraine, ex ministre de François Hollande, qui fixe le nombre de trimestres nécessaires pour une retraite à taux plein.
Les « rédacteurs » d’accords en tout genre peuvent faire preuve d’une grande imagination. Pour Laurent Berger, « la responsabilité pour sortir de la crise » ferait l’affaire. Et pour Sophie Binet, nouvelle secrétaire générale de la CGT, ses sympathies pour le « féminisme » à la mode, la « mixité », les discours « environnementaux » laissent envisager dans les sphères du pouvoir une note wokiste susceptible peut-être d’amadouer la nouvelle venue…
Si la comparaison avec 1968, notamment sur la forme des mobilisations, la grève générale dans un cas, les journées d’action dans l’autre, est bien abusive, il existe un point tout a fait similaire qui constitue la difficulté pour le gouvernement et les responsables syndicaux qui voudraient là aussi faire preuve de « la responsabilité » que le pouvoir attend d’eux. Le mandat du peuple est clair, sans ambiguïté. Cette réforme n’est ni négociable, ni amendable. Elle doit avant que tout sujet soit abordé être rejetée !
Au « ne signez pas ! » d’il y a 55 ans répond en écho maintenant « Exigez le retrait ! »
Alors, le 5 avril, pour quoi faire ?
L’unanimité a été forte pour condamner les dénis de démocratie que permet la constitution de la 5e république, dont l’article 49-3 fait figure de symbole. Une unanimité qui pourrait aujourd’hui sembler embarrassante. Car comment, après avoir condamné avec force l’attitude du pouvoir bafouant la représentation nationale pour faire passer la volonté du monarque sans risque d’un vote négatif, négliger aujourd’hui la volonté populaire en allant discuter de choses et d’autres dont le seul objet serait en fin de course de faire passer la réforme que le peuple rejette de toutes ses forces ?
Alors, le 5 avril pour quoi faire ?
Les responsables de l’intersyndicale auraient été légitimes à décliner l’offre dés lors que le projet n’était pas retiré. C’était d’ailleurs la condition qu’ils avaient fixée pour aller s’asseoir et discuter à Matignon. Mais sous la pression de Laurent Berger, ils ont décidé d’y aller. Dés lors une seule position est acceptable par les millions qui se sont exprimés : poser sur place comme préalable à cette réunion le retrait de la réforme. Et en cas de refus gouvernemental, se lever, s’en aller et appeler à amplifier la mobilisation qui fera céder le pouvoir et obtiendra satisfaction.
L’argument des opposants à cette stratégie qu’on entend parmi certains responsables syndicaux fait appel à la « nécessité de trouver une sortie de crise ». Mais de quelle crise s’agit-il ? Celle du pouvoir, du capital, de la 5e république… En quoi les organisations syndicales ont-elles à prendre en compte cette crise et à se fixer l’objectif de la régler ?
Cette réunion du 5 avril concentre en réalité des questions bien plus générale que celle de la réforme des retraites. Elle illustre quelques sujets récurrents auxquelles le mouvement ouvrier est aujourd’hui comme hier confronté : l’indépendance de classe vis à vis du pouvoir, l’indépendance vis à vis du capital et de ses institutions, l’indépendance vis à vis de la confédération européenne des syndicats par exemple, le bras armé de l’union européenne dans le monde du travail.
Et cette réunion illustre à sa façon ce qui constitue la force d’Emmanuel Macron dans ce « contexte agité ». Jamais un président n’aura été autant rejeté, autant haï. Jamais un président n’aura été jugé aussi méprisant, aussi arrogant, aussi étranger aux préoccupations du peuple, de « ceux qui ne sont rien ». Et pourtant, il parvient à durer. Emmanuel Macron ne tient que par l’absence de toute alternative politique saisissable par le plus grand nombre. Voilà en réalité le seul élément qui lui permet de durer et d’essayer de donner le change avec un 5 avril, qui quelle que soit l’issue, sera un échec politique pour le pouvoir, et pour tous ceux qui lui donneront leur concours.
Jacques Cotta
Le 1er avril 2023
Merci pour ce texte fort, qui saura être entendu.
Cordialement
Frédéric
Fleuriste Genève