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Petit Poème sans titre

suivi de "Comment enseigner l'histoire?"

Par Kurt Tucholsky & Gilbert Molinier • Actualités • Mercredi 12/11/2008 • 4 commentaires  • Lu 2491 fois • Version imprimable


PETIT POEME SANS TITRE[1]

Kurt Tucholsky

Lorsque les cours de la bourse s’effondrent,

chez la plupart l’inquiétude gronde ;

pour quelques autres, ça prospère.

Leur remède ? Vendre du vide.

Sans aucune vergogne, ils bradent tous ces riens

qu’ils ne possèdent même pas

provoquant eux-mêmes le chaos dont ils ont besoin.

 Génial, n’est-ce pas ?

 

Plus encore ; en de telles circonstances,

ils encaissent le pèse avec ses dérivés :

Quand l’oseille frise la valeur du papier,

Ils se remplissent la panse.

 

Quelques banques viennent-elles à faire faillite,

les débiteurs n’ont plus qu’à ravaler leurs rires !

Maison hypothéquée ? Locataires, dehors !

Et si les grandes banques sont dans l’coup,

Le monde entier chavire,

tout excités, les spéculateurs jubilent !

L’ensemble du système serait-il menacé ?

On doit sévir, mais seulement ainsi :

Privés, les gains restent privés,

les pertes, l’Etat les encaisse.

Mais alors, l’Etat doit ouvrir  crédit,

ce qui aussitôt ravigote les profits.

Ainsi, dans chaque pays,

Tient-on le gouvernement dans ses griffes.

 

Indistinctement, pour payer les pots cassés par ces truands,

les petits doivent casquer, pas seulement en Amérique !

Et lorsque les cours remontent, rouvre le bal.

Toujours, on redistribue les cartes à l’identique.

Jamais les masses ne devraient s’en laisser compter.

Qu’elles baissent la garde, on connaît la suite :

Une p’tite guerre… 

Ein bisschen Krieg.

Traduction

 de Gilbert Molinier

Comment enseigner l’histoire ?

Bien qu’on admette qu’un poème se suffit toujours à lui-même, on l’introduit souvent par ses circonstances. Par exemple, comment  comprendre vraiment Le dormeur du val si l’on ignore que la tâche de sang -les deux trous rouges-, sèche encore entre France et Prusse depuis 1870…

Pour lire le poème suivant, écrit en vers, contre tous, traduit comme on l’a pu, il suffit de savoir qu’il a été écrit et publié en 1930 dans une célèbre feuille d’alors, Die Weltbühne, La scène du monde. Feuilleter aujourd’hui la Weltbühne, c’est vivre les derniers moments de l’esprit critique allemand, joyeux, cruel, sensuel avant  le grand et définitif nettoyage… Définitif, c’est-à-dire à long terme irréversible !

Son auteur, Kurt Tucholsky, écrivain et poète, journaliste et critique, Allemand, Juif, Communiste -mais pas de ceux qui avaient « mis leur marxisme  sous une cloche à fromages », est de la taille d’Heinrich Heine, auquel on le compare souvent. Grand maître de la langue allemande, jonglant du berlinois au yiddish, il fut, comme Karl Krauss à Vienne, le plus haï des écrivains allemands. Jamais les Nazis ne lui pardonnèrent, ni son élégance littéraire, ni sa supériorité intellectuelle, ni son persiflage. Il devait mourir ; il mourut.

Qu’en reste-t-il ? Anecdote. Pardonnez-moi ces choses un peu personnelles ! Comme je suis très inquiet pour mes placements en bourse -pas grand-chose, quelque cinq millions d’euros-, je consulte quotidiennement tous les sites boursiers internationaux-, notamment ceux de Wall-Street, où l’on peut trouver ce poème sans titre signé Kurt Tucholsky. Aussitôt, je l’ai envoyé à quelques amis allemands, vieux amis berlinois de vieille date. Pour voir…

… tout simplement pour savoir les circonstances posthumes de Kurt Tucholsky, de cette sorte de poésie qui n’hésitait pas à remuer la merde. Aussi pour savoir ce qu’il est advenu de certaines choses…

J’ai vraiment honte de devoir raconter ces choses si personnelles. Evidemment, j’aime mes amis, même mes amis allemands. J’ai la prudence de ne les aimer que par définition. Même si souvent ils trouvent que j’exagère dans tout ce que je leur écrit, même si souvent je les énerve… Nous nous retrouverons toujours dans ces espèces de cercles d’entraide pour lourds handicapés intellectuels, au restaurant, au café, à la maison, en vacances ensemble et tout çà.

Tous ces amis sont des intellectuels, tous ont brillamment réussi leurs examens universitaires, tous ont un métier qui les avantage -double avantage ; avantage bancaire, avantage de prestance.

Nous nous rassurons mutuellement, constamment. De leur côté, ils sont contents de connaître un Français qui peut causer quelques mots d’allemand ; ce dernier prétend être professeur de philosophie ; du coup, ils sont comblés ; phénomène obscur de la tâche d’huile : le prestige. Parlant avec un ci-devant professeur de philosophie à la française, cela dit toujours attentif, mais d’une autre oreille, ce qu’ils ne savent pas, ils sont contents. Ils ont eux-mêmes l’impression d’être philosophes français… Par mes titres de pitre, ils reçoivent un Persilschein, un brevet de bonne conduite. Tout ce passe comme si nous  nous entendions à mi-mot. Pour cela, il suffit de parler de rien, c’est-à-dire, de ne jamais parler que du rien, les maladies qui envahissent petit à petit nos vieux corps, le dernier voyage qu’on entreprend direction le Chili ou le désert de Gobi... il faut bien remplir le vide de sa vie. Nous avons exclusivement des discussions potagères. La couleur et la fraîcheur de la salade est déjà un thème sérieux de discussion ; toujours suivent les questions de régime, de destruction de la planète… La salade se décline : elle peut être de tomates, scarole, etc. Ce qui nous donne le choix, entre vert et rouge, le droit d’exister et de combattre. Les variations de couleur de la salade est quasi la preuve ontologique de sa liberté. C’est l’alpha et l’oméga de leur monde ; c’est pourquoi nous n’avons jamais pu nous laisser aller jusqu’à parler ensemble du radis -rouge dehors et blanc dedans. Avec le radis, on entre aussitôt dans la dialectique, tout se met en mouvement. La vie grouille-t-elle ?, ils ont besoin du calme nécessaire au penseur. La contradiction, parce qu’anomalie de la pensée, leur est absolument insupportable.

De mon côté, je me réjouis de connaître d’aussi importants personnages ; à Berlin, quand le temps le permet, je suis souvent reçu sur leur terrasse. Et puis aussi, je les hais d’avoir en toute conscience renoncé à dire quelque chose de leur filiation. Petits bourgeois jusqu’à la moelle, ils veulent d’abord protéger leurs meubles.

Je leur ai donc envoyé la version originale du poème.  Résultat. Il est bon qu’il n’y ait de mémoire que de rien.

 

A propos :

Elle, psychiatre, me renvoie par mail : « Espérons que Tucholsky se trompe… »

Lui, manager de manager, m’écrit : « Ce serait extraordinaire si un Tucholsky avait pu écrire ce texte. »

Elle encore, journaliste : « C’est merveilleux ! Comment un homme de cette époque pouvait-il comprendre quelque chose aussi bien que nous ? »

Elle encore, historienne à l’épais manteau de bêtise : « Comment pouvait-il être possible qu’à l’époque, quelqu’un pensât ?

Gilbert  Molinier

P.S. : A table !

Ce matin du 11 novembre, je leur ai proposé l’exercice suivant : Lire le poème joint au petit déjeuner en dégustant un pain au chocolat, sinon, une partie de la saveur s’envolerait...

Confraternité avec le poète. Croquer dans le pain au chocolat au moment où Guillaume Apollinaire se ramasse un pain de dynamite dans la tronche... Sentir sa mâchoire éclater de tous les côtés, cela confère un goût étrange au chocolat fondant dans la bouche.  

 


[1] Ce poème en vers écrit par Kurt Tucholsky fut publié sans titre (sic !) dans la Weltbühne en 1930, en plein cœur de la tempête boursière. Aujourd’hui, il circule sur de nombreux sites financiers internationaux, notamment ceux de Wall Street. La poésie serait-elle en voie de titrisation ?


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Commentaires

par manuel resende le Mercredi 12/11/2008 à 21:55

"Leerverkauf" ça veut dire "vente à découvert", "shortselling" en anglais. C'est un terme technique de finance



Re: Leerverkauf par Gilbert Molinier le Mardi 18/11/2008 à 11:11

Bonjour,

Evidemment, suis-je bête !
Vous me faites honte, mais je vous remercie beaucoup pour cette correction. 
Un contresens : moins cinq points !
Bonne journée.
Gilbert M.


par alberto le Jeudi 13/11/2008 à 10:54

Klasse!
J'ai pu lire la version allemande ici


par quent1 le Mercredi 19/11/2008 à 23:09

Vers, rimes et rythmes, dissonances et assonances. Voici que tombera La Bombe à retardement en Reprise de vers avec envoi de mon merci tardif pour ces trois si petites grandioses choses Vers la vie : 1/ le petit poème sans titre ni fonds de pension traduit 2/ la fleur de lin bleu étrangère signalée et 3/ la remise en forme avec formule de vers sonnants et trébuchants, air et ère de septembre 1930 à la chambre de 12 députés 1928 seront 107 1930, etc…
Je ne connaissais pas la langue du Chant du départ mais grâce au lien bleu DE signalé ai pu recevoir en avoir le texte originel ainsi qu’un jour avant je crois, cela grâce au site Social la traduction qui a su en être faite parfaite ou presque.
1930 sales temps des entre-guerres et guerres non finies, cela quels que soient les siècles et ans sassés au sablier: passé, présent, futur proche ou plus lointain y compris sur sol oriental criblé de bombes BASM ou autres néos techniques et ce malgré ce qu’aurait signé Alain Resnais et même d’autres aussi dont Brest-Livstock.
Revenons à la grande poésie 1930 : ce qui reste le plus important est avant tout cependant le fond et non la forme du petit poème sans titres ni coupons ni emprunt russe ni argent fou. « …il suffit de savoir qu’il a été écrit et publié en 1930…. » + «  Leerverkauf" ça veut dire "vente à découvert", "shortselling" en anglais. C'est un terme technique de finance ».
Termes
chus et terminaisons échues, La chute en reprise :

« Wenn die Börsenkurse fallen,/regt sich Kummer fast bei allen,/ aber manche blühen auf:/ Ihr Rezept heißt Leerverkauf… »
*******

« Lorsque les cours de la bourse s’effondrent/Chez la plupart l’inquiétude gronde / Pour quelques autres, ça prospère./Leur remède ? Vente à découvert … »

Resterait bien pour y voir plus clair et net une idée de génie en provenance du revenant fantomatique de Gogol, qui, lui, avait égaré Les Ames mortes enchainées aux draps livides ou transparents  absents :  il serait possible, utile, nécessaire de retrouver où se serait caché l’héritier de l’agent de change de M. Tchitchikov et puis ensuite dénicher une des meilleures banque-s mondiale-s pour racheter aux propriétaires les âmes (soit les serfs mâles) mortes entre deux recensements boursiers. Ainsi s’ouvrirait béante une fosse commune avec possibilité de s’enrichir au plus vite dans L’espoir de faire fortune en négociant ce bien réel irréel à déposer en coffre blindé collé juste à côté des lingots d'or, personne n’y trouverait à redire, tous gagnants-perdants mais grand étonnement personne n’aurait encore songé à l’actualiser  XXIème siècle cette projection du temps des guerres encore un peu partout ou j’aurais raté le deal new ou plutôt plus réaliste marxiste c’est du déjà exécuté et n’inquiète pas trop grand monde, presque personne pour savoir Que faire sans dérives totalitaires ? Game over 2ème partie des Ames mortes à reprendre, par grand froid elles ont brûlé puis par grand vent se sont évanouies par envolées en cendres grises.  Qui donc en d'anciens temps chantait Vive la crise ? BT+ YM+ France plus + + Les années folles France A fric de goooche mais fallait comme toujours séparer les bons grains  sans ergot de l'ivraie CFA.
Et bien antérieur aux années 80 une minuscule petite ombre de revenante, vol plombé à travers les âges de la vie, arrestation 1933 de Gerda-Gerta P, puis libérée elle prit un envol volontaire vers Guerra de Espana, mujer al borde de un ataque mais attaquer à quai qui et quoi ? Le fourgon postal blindé ? du déjà fait ! Le tank décati envoyé pour "soutenir" les BI l'a éventrée à quelques mois de ses 27 ans 1937!  Vers la vie..  Ein bisschen Krieg..



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