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Quelle laïcité pour quelle république?

à propos d'un livre de Cécile Laborde

Par Denis Collin • Débat • Dimanche 23/05/2010 • 3 commentaires  • Lu 2560 fois • Version imprimable


Cécile Laborde : Français, encore un effort pour être républicains, Seuil, mars 2010. Avec un titre parodiant le marquis de Sade, le livre de Cécile Laborde promet plus qu’il ne tient. L’introduction annonce une intervention « dont l’intérêt majeur est qu’elle s’inscrit dans un dialogue entre la pensée politique française et la philosophie politique anglo-saxonne » (p.8) mais c’est plus à une confrontation entre deux versions françaises de la laïcité que l’auteure nous convie et nous sommes bien loin d’une dialogue serré avec la philosophie politique anglo-saxonne, d’autant que l’existence d’une chose comme « la » philosophie politique anglo-saxonne est très problématique. Un peu plus loin, elle annonce: « c’est donc une refondation de l’idéal de citoyenneté républicaine que cet ouvrage propose » (p.9). Là encore, c’est très exagéré: il s’agit en réalité d’une tentative d’appliquer le concept de « non-domination » forgé par Philip Pettit à un aspect exagérément grossi du débat en France, celui qui s’est noué autour du port du voile à l’école et de la loi de 2004, débat censé réfracter les clivages fondamentaux du républicanisme français. Oublions donc les promesses non tenues et les exagérations de l’introduction. Ne demandons pas à ce livre d’être une « refondation » de l’idée républicaine. Contentons-nous de l’intervention sur la laïcité et la question du voile – question qui vient de ressurgir bien que dans des termes différents avec la proposition d’interdire le port de la burqa ou du niqab sur la voie publique. 

Si on s’en tient à la manière dont l’auteure aborde la question laïque, nous ne pouvons que partager globalement son approche. Elle tente de définir une position « républicaniste critique » entre les laïcistes stricts et les partisans d’une « laïcité ouverte » très proches du libéralisme et de la tolérance. Elle réfute à la fois le paternalisme coercitif des laïcistes stricts qui veulent contraindre les musulmanes à s’émanciper en restant aveugle à la réalité et aux risques d’une domination s’exerçant sur les citoyens ayant des convictions religieuses fortes différentes de la majorité, principalement les musulmans. Mais elle refuse tout autant la position libérale tolérante qui est aveugle à la domination qui s’exerce dans la sphère privée. L’école a bien pour mission, selon Cécile Laborde, d’éduquer à l’autonomie mais elle ne peut le faire par une coercition non justifiée (le devoir de réserve religieuse s’applique aux professeurs mais pas aux élèves), mais par l’effort éducatif. Elle relève également, et à juste titre, que bien souvent le laïcisme est intransigeant avec les musulmans en oubliant combien il a passé de compromis de fait avec les religions instituées ayant une longue tradition en France, principalement la religion catholique – on pourrait ajouter le statut très privilégié dont jouit depuis quelques années le judaïsme.

Bien que souvent très critique vis-à-vis de la tradition « catho-laïque » française, elle reste cependant finalement beaucoup plus proche de celle-ci, de ce qui a inspiré les défenseurs de la loi de 1905, Aristide Briand et Jean Jaurès, que des partisans de la « laïcité ouverte ». On s’en tiendra ici à évoquer les conclusions les plus importantes de ce bref ouvrage. Ainsi à l’encontre des tendances qui veulent faire entrer de plain-pied les religions dans la sphère publique, Cécile Laborde réaffirme : « Dans les sociétés pluralistes contemporaines, il est important de préserver une sphère publique qui soit autant que possible détachée des appartenances religieuses. Telle est la clause principale de la laïcité critique (qui suit sur ce point la laïcité classique). » (p.95) L’État peut parfaitement consulter les représentants officiels des religions quand il doit prendre des décisions les concernant, sans que cela signifie une reconnaissance officielle des religions dans « la sphère commune de la citoyenneté ». Elle poursuit sur cette voie en affirmant que le financement public des écoles confessionnelles lui « paraît contraire au principe de laïcité. » (p.96) C’est pourquoi elle s’étonne que les commissions Stasi et Debré, qui devaient remettre à plat la doctrine de la laïcité ne se sont pas interrogées sur la légitimité de ce financement...

Au-delà de questions strictement religieuses, sont en question les discriminations sociales bien réelles – celles qui frappent en particulier les jeunes issus de l’immigration – et les modes de « l’intégration » des minorités. Là encore le républicanisme critique soutenu par l’auteure, cherche une voie qui écarte le « nationalisme civique aveugle » (p.122) sans tomber dans le postnationalisme multiculturel. « L’enjeu est bien de repenser l’identité nationale elle-même, comme une identité historiquement fluctuante, et considérablement enrichies par les apports des vagues d’immigration successives. » (p. 123) Mais c’est bien d’identité nationale qu’il s’agit, d’un patriotisme civique qui n’oblige pas la minorité à se plier à la majorité et oblige la nation tout entière à une ré-évaluation critique de sa propre histoire.

Si l’on peut donc suivre l’auteure sur le plan principiel, on lui reprochera toutefois d’avoir laissé de côté la dimension proprement politique et la conjoncture de ce débat qui n’avait rien d’un conflit philosophique entre deux versions du républicanisme. Car la loi sur le port du foulard en 2004 et l’affaire de la burqa aujourd’hui mettent face à face des camps très hétéroclites. Les partisans de la laïcité pure et dure, la « catho-laïque », se recrutent massivement dans le camp d’une droite qui n’a cessé de grignoter les principes laïques au profit de l’école privée, essentiellement catholique. Et le grand défenseur de la laïcité va donc être un président qui exaltait il n’y a pas bien longtemps le sens du sacrifice du curé supposé supérieur à celui de l’instituteur. C’est tout de même très étrange. Inversement, on trouve des « laïcistes » classiques, comme la Libre Pensée et certains courants de la gauche socialiste ou syndicale (FO) qui s’opposent à la loi de 2004 sur le foulard et à toute loi sur l’interdiction de la burqa, estimant qu’il s’agit en fait de discrimination visant uniquement les musulmans (voir l’audition de Marc Blondel devant la commission « ad hoc » de l’Assemblée Nationale). C’est Blondel qui a rappelé les principes libéraux selon lesquels l’État n’a pas à s’occuper de la façon dont les gens s’habillent et c’est encore lui qui rappelait aux censeurs emmenés par le communiste Gérin que la France n’est pas une république athée – toutes déclarations qui vont beaucoup plus dans le sens de la « laïcité critique » de Cécile Laborde que dans celui du laïcisme « classique ».

Car à une discussion sérieuse sur l’application aujourd’hui des principes de la laïcité se sont substituées diverses opérations politiciennes à visées électorales qui expliquent qu’une question aussi mineure que le port de la burqa soit transformée en « urgence nationale ». En rediscutant la question du républicanisme à la française uniquement sous cet angle, on pourrait reprocher à Cécile Laborde de tomber elle aussi dans le piège de cette opération au fond assez nauséeuse où la chasse à l’électeur FN passe avant toute considération de principe. C’est là que le caractère restreint de l’ouvrage devient gênant. Si l’on veut réellement engager la refondation d’un républicanisme critique, il vaut mieux ne pas braquer le projecteur trop exclusivement sur la question laïque, mais s’intéresser aux questions sociales, celles du chômage de masse dans les classes populaires en particulier, et aux nouvelles formes d’aliénations qui sont souvent à l’origine directe des tensions religieuses et des menaces contre le « patriotisme constitutionnel ».


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Commentaires

Une recension qui manque ses cibles par Miguel le Mardi 25/05/2010 à 12:12

Vos commentaires manquent la cible a deux reprises :

1) Vous reprochez a L'auteure de ne pas prendre en compte les interpretations tendencieuses et politiciennes de la laicite en France (Sarkozy, FN, mais aussi une grande partie de la gauche, notamment le PS). C'est une critique injuste et infondee, car ce n'est pas le role d'une philosophe politique de se pencher sur les aleas politiques d'une notion. Sa tache est au contraire d'en dechiffrer le contenu normatif et de l'opposer aux differentes interpretations en vigueur (laiciste autoritaire populiste Vs.multiculturaliste relativiste tolerante). C'est un peu comme si vous reprochiez a un historien du mouvement ouvrier de ne pas predire l'avenir du socialisme.

2) Contrairement a ce que vous affirmez, l'auteure a raison de prendre la question du foulard comme point focal de toutes les contradictions et derives du republicanisme francais. L'obsession anti-foulard des Francais "republicains" n'est rien d'autre qu'un rejet profond, lointain et souvent inconscient de l'alterite "arabe" en France / de Francais. C'est donc un point de depart oblige de toute analyse de l'ideologie republicaine en France, car c'est a travers l'obsession anti-foulard que l'on peut comprendre comment la republique sert les interets des classes moyennes possedantes et de "culture" judeo-chretienne. La laicite anti-clericale (interpretation dominante en France depuis les annees 20) est une invention des elites bourgeoises de la IIIe republique, qui a servi depuis a assoir la domination politique et economique de ces memes elites (cette laicite anti-clericale est en realite une "catho-laicite", tant la laicite s'est accomodee des normes et exigences de l'Eglise catholique). Au debut du 20e siecle, c'etait le paysan catholique que ces elites meprisaient, aujourd'hui, c'est le proletaire musulman. L'ideologie republicaine a renforce cette domination de classe et la laicite fournit a ce republicanisme une superstructure pseudo-egalitaire et pseudo-emancipatrice.


Re: Une recension qui manque ses cibles par la-sociale le Mardi 25/05/2010 à 12:45

1) Je maintiens que la transformation d'un "débat" politique en débat philosophique un peu abstrait est un procédé discutable. En réalité, Cécile Laborde polémique contre des adversaires inexistants réellement: les laïques purs et durs étaient contre la loi de 2004 et ceux qui défendaient la loi de 2004 n'étaient pas des laïques purs et durs, mais des défenseurs de la "laïcité ouverte", du statut de l'Alsace-Moselle. Je note d'ailleurs que ce livre ne donne aucune analyse de la loi de 1905 et des positions qui s'y sont affronté. C'est un peu dommage quand on veut parler de la position laïque traditionnelle des républicains français.

2) Votre 2e point est une pure pétition de principe. Vous dites que "la republique sert les interets des classes moyennes possedantes et de "culture" judeo-chretienne". C'est une affirmation gratuite. Les "classes moyennes", je ne sais pas ce que c'est! Je ne vois pas que la "république" (???) serve les intérêts spécialement des paysans, des artisans, des professions intellectuelles et libérales. Du reste, je ne sais pas très bien de quelle répubique vous parlez... Si vous parlez de la Ve, elle si est peu républicaine! En ce qui concerne la critique de la république réelle existant en France depuis 1875, je vous renvoie tout simplement à mon livre "Revive la République" (Armand Colin, 2005), particulièrement le chapitre 4, qui aborde notamment les contradictions entre les proclamations universalistes et le caractère communautaire de la république française, une question que Cécile Laborde effleure. J'y reprends aussi la caractérisation de Engels: un Empire sans empereur.

3) le plus gênant, c'est que vous vous lancez dans des diatribes contre ma recension alors même que j'ai noté que j'étais d'accord sur le fond à le "républicanisme critique" de Cécile Laborde et j'ai même évité de relever les inexactitudes et méconnaissances de l'histoire dont son texte fait parfois preuve, précisément parce que je voulais que ma critique reste suffisamment bienveillante.

4) pour que les choses soient claires, j'étais opposé à la loi de 2004 sur le foulard et je suis contre une loi d'interdiction de la burqa et du niqab. Je m'en expliquerai prochainement. Mais je crois qu'il s'agit dans les deux cas d'opérations politiciennes nauséabondes et manoeuvres de diversion au moment où les retraites sont sur le grill.

Denis COLLIN


Re: Une recension qui manque ses cibles par Michel Gandilhon le Mercredi 26/05/2010 à 10:39

Il est à craindre que le camarade Miguel soit lui même obsédé par l'obsession anti-foulardière au point d'en faire une sorte de prisme "incontournable" au travers duquel il faudrait analyser l'idéologie républicaine. Je trouve cela très très excessif. Le projet des classes dominantes, tel que l'exprime un Sarkozy, aujourd'hui ne relève pas d'un laïcisme populiste mais d'une idéologie importée des Etats-Unis visant à dégager une sorte d'élite issue de la "diversité" afin de créer une bourgeoisie et une petite-bourgeoisie de couleur susceptible d'exercer un contrôle social et idéologique sur sa communauté d'origine. C'est tout le sens des politiques de promotion de la diversité, que ce soit au plus haut niveau de l'Etat ou dans grandes écoles (quotas, carte scolaire). On est donc ici à des années lumières d'un quelconque laïcisme. Cette politique, comme aux Eats-Unis, contribuera à créer une élite communautaire intégrée et dévouée à l'ordre du capital tandis qu'on laissera de plus en plus la gestion de ceux d'en bas aux imams de terrain auquels sera confié le soin, aux côtés des travailleurs sociaux (modèle Obama dans le south side de Chicago) et des réseaux criminels, de jouer les pacificateurs des soubresauts du sous-prolétariat majoritaire sur le plan sociologique. Tel est à mon sens l'ordre qui se dessine pour demain. Les débats sur l'identité nationale et la burqa (qui sont de vrais problèmes contrairement  a que pense Denis Collin) visent à donner des gages à l'électorat populaire souchien (selon l'admirable expression d'Houria Bouteldja) lui même attaché au modèle républicain assimilationniste que Sarkozy est en train de détruire. Nous sommes dans un formidable jeu de dupes. Et la moindre des dupes n'est pas ce gauchisme décérébré, si bien représenté par Badiou, qui hurle au fascisme à la moindre apparition d'un Brice Hortefeux. 
Il y aurait beaucoup à dire sur l'oppression du paysan catholique par les méchants républicains bourgeois laïcistes. Il me sembalit pourtant que la parcelle paysanne était une des bases du régime républicain bourgeois en France et que finallement ledit paysan n'a pas été trop mal traité en France même si le prix qu'il a payé à sa dévotion républicaine a été terrible entre 1914 et 1918. Mais il est vrai que les rapports sociaux dans les campagnes n'étaient pas exclusivement dominés que par la petite proprité parcellaire. Il existait un prolétariat agricole déraciné dont une partie, à l'instar des paysans africains d'aujourd'hui, migrait vers les villes à la recherche de travail. Un excellent historien, Brunet je crois, dans un excellent ouvrage sur l'histoire du 9-3, Saint-Denis ville rouge, a bien montré la dureté "laïcarde" des municipalités situés au nord de Paris à l'encontre notamment des Bretons. Ces municipalités à l'époque (fin du XIXe siècle) n'étaient pas dirigées par des bourgeois de droite laïciste mais pas des blanquistes qui n'éprouvaient que peu de tendresse à l'égard des superstitions réactionnaires des paysans bretons qui débarquaient. Souvent les processions religieuses en villes, la sonnerie des cloches des églises étaient interdites et l'anticléricalisme était au pouvoir. Cette politique, que l'on peut juger effroyable à l'aune de ce que pense la gauche multiculturaliste d'aujourd'hui, a eu le mérite d'assimiler des générations de prolvinciaux et d'en faire des prolétaires dotés d'une solide conscience de classe, qui formeront cette gauche ouvrière qui s'exprimera par ses grands mouvements sociaux et politique jusque dans les années 70. Au vu de ces résultats pendant envirion un siècle (1880-1980), cette politique devait donc avoir du bon.
Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que pensent certains,  les temps étaient  infiniment plus dur à cette époque pour le catholicisme que pour l'islam d'aujourd'hui, chouchouté par nos élites de gauche (Delanoë à Paris et la question des prières dans l'espace public) et de droite (Gaudin à Marseille inaugure une magnifique mosquée).  D'ici quelques années, nous disposerons de la distance nécessaire pour juger cette politique.



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