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Samazan honore Renaud Jean

Par Jean-Paul Damaggio • Histoire • Dimanche 26/04/2009 • 0 commentaires  • Lu 3037 fois • Version imprimable


Parmi les congressistes de Tours en 1920, il y avait un homme trois fois marginal, mais qui, ironie de l’histoire, venait d’être élu député dans une élection partielle en Lot-et-Garonne, avec l’étiquette communiste. Trois fois marginal ? Dans ce tout nouveau parti communiste qui, plus que le P.S., se veut le parti de la classe ouvrière, c’est un paysan fils de paysan ; né en 1887 dans le petit village de Samazan, il a pour langue maternelle le gascon jugé inutile pour mener la révolution prolétarienne ; enfin, clause rédhibitoire qui aggrave définitivement cette marginalité, Renaud Jean – tel est son nom – affiche avec fierté ses origines de paysan gascon ! Cet homme peut avantageusement remplacer, chez les jeunes, les icônes classiques de la révolution devenues trop usées, trop surfaites et trop malmenées par l’histoire, une icône qui, de plus, changerait le sens même du mot, pour reconstruire un imaginaire laïque de nos rêves. Voilà pourquoi je m’y arrête un instant.

Pour qui connaît un peu l’histoire du parti communiste, Renaud Jean cumulait les caractéristiques du futur dissident, ou du futur exclu, or, encore en 1961, sur son lit de mort, un de ses soucis c’était… « la carte du parti » ! Histoire peu commune d’un homme peu commun, qui fut surtout un homme d’action soucieux de défendre en permanence les petits.

Le 24 avril, à l’initiative de quelques personnes de son village, une association est née pour honorer le personnage ce qui peut paraître logique au premier abord. Sauf qu’il est mort en 1961 et que l’association vient de naître en 2009 ! Où était la difficulté ? Il y aurait eu une tache dans sa vie, tache qui occupa un bon moment de la discussion. Les dirigeants communistes de 1945 jugèrent qu’entre 1939 et 1945 l’ancien député n’ayant pas fait de Résistance, il était déchu de ses mandats nationaux (on ne pouvait pas le déchoir de ses mandats locaux dont les dirigeants n’étaient pas les maîtres). Pourquoi remuer aujourd’hui cette histoire du pacte germano-soviétique ? Pourquoi sortir les fantômes de l’ombre ? Parce que l’histoire n’étant jamais celle qu’on raconte dans les livres bien rangés, il faut pouvoir marcher dans les friches. Dès 1922, Renaud Jean en mission à Moscou s’était fait remarquer par son manque de discipline et les dirigeants de l’Internationale communiste ne cachèrent jamais leur mépris pour ce petit paysan. En 1939, Renaud Jean n’a été ni pour, ni contre le pacte ! Que Staline signe un pacte avec Hitler pour la défense des intérêts de l’URSS, c’était compréhensible vu le manque d’empressement que La France et l’Angleterre avait eu pour signer un tel pacte avec Moscou. Par contre, que le PCF puisse considérer que ce pacte était bon pour la France, là c’était d’un ridicule à pleurer ! Confondre les intérêts de partis avec les intérêts de pays, ce n’était plus être communiste d’autant que, malgré ses demandes, les dirigeants de l’URSS refusaient d’expliquer le contenu du pacte. Les députés communistes qui furent contre le pacte évitèrent la prison, mais lui a été condamné avec ceux qui étaient pour. C’est donc de la prison qu’il vit l’effondrement de la France face à Hitler : un jour ses geôliers français furent remplacés par des geôliers allemands, la « République » ayant décidé de livrer les députés communistes aux nazis. Après de multiples péripéties, il est libéré le 11 juin 1941 car il est depuis des mois sérieusement malade. Une fois de plus, sa vie a tenu à un fil (il fut gravement blessé pendant la guerre 14-18). Quelques jours après, Hitler attaque l’URSS et des centaines de communistes français sont alors arrêtés. Ceux qui étaient encore en prison comme son ami le député communiste du Lot et Garonne Philippot, sont dirigés vers les camps. Renaud Jean libéré, il se cachera jusqu’en 1945. Attitude peu honorable pour un militant ?

Laissons ce débat imposé par le Stalinisme pour en revenir aux premiers efforts de l’association dans le cadre de la réunion de Samazan. Plusieurs témoignages furent apportés, celui très émouvant d’une dame âgée très émue (Melle Laviale), celui d’un fondateur de l’association qui rappela les liens de Renaud Jean avec un anarchiste de sa commune (Renaud Jean pousse chacun au-delà de Renaud Jean), ainsi que l’éclairage de l’historien Hubert Delpont. Quels caractères du personnage est-il bon d’analyser pour toucher les nouvelles générations ?

Pour ma part, le cas de Renaud Jean me passionne car il se situe, de manière originale, au cœur d’un carrefour majeur de l’histoire de l’humanité : la disparition de l’agriculture en tant que système économique dominant en France puis dans le monde (après l’Angleterre). Renaud Jean est né dans une France où, la grande majorité des couples paysans pensaient encore que leurs enfants continueraient l’histoire millénaire de leur famille, et il est mort dans une France où la majorité des paysans savaient qu’ils étaient les derniers maillons de cette chaîne. Cette histoire paysanne fut à la source d’une intelligence spécifique qui allait du culinaire au professionnel, en passant par le linguistique et le solidaire. Avant la réunion, Hubert Delpont avait fait quelques détours pour aller vers les coins à mousserons (un champignon qui se perd). Au-delà de la gloire locale, le combat de Renaud Jean concerne toute la réflexion sur l’exode rural de la planète. Quel avenir populaire construire sans perdre les atouts de « la vieille France » ? Un homme a apporté le simple témoignage d’une femme qu’il n’a pas eu le réflexe d’enregistrer : elle se souvenait gamine que les huissiers étaient venus pour la saisie de sa ferme, qu’ils avaient mis dehors tous les maigres meubles de sa maison et que, peu après, Renaud Jean était arrivé avec ses amis, qu’il avait remis tout en place, qu’il fut envoyé quelques jours en prison pour ce geste, mais qu’ensuite la saisie fut annulée. Nostalgie de solidarités perdues ? Au vu de la réunion de Samazan, les Amis de Renaud Jean démontrent à mon sens, qu’à sortir de l’oubli ce paysans phénoménal, plus que la nostalgie, ils obligent chacun par ce simple fait, à mettre en mouvement une intelligence du présent et du futur, une intelligence trop souvent endormie, une intelligence trop souvent aseptisée.

25-04-2009 Jean-Paul Damaggio

Pour en savoir plus : http://la-brochure.over-blog.com/categorie-10712179.html

 


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