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« Sans les socialistes, nous ne sommes rien ! » Nicolas Sarkozy.

Par Jacques Cotta • Actualités • Lundi 11/02/2008 • 0 commentaires  • Lu 1136 fois • Version imprimable


Cette citation inventée de toute pièce pourrait pourtant être bien réelle. En témoignent les commissions à répétition dirigées par des socialistes éminents, pour mettre en place la politique gouvernementale. Après Attali, voila Rocard ! Malgré un silence relatif dans la presse, sa présence dans « la commission éducation » mise en place par le président Sarkozy, est lourde de conséquence et de signification politiques... Il y a eu la commission Attali et ses recommandations approuvées pour l’essentiel par le Président. Malgré l’épisode « Taxis », le principal a été atteint. Par sa collaboration active le responsable socialiste a dégagé l’idée, en réalité majoritaire dans son parti, selon laquelle la seule politique possible est bien celle que met en œuvre le président de la république. Comme ils l’affirmaient déjà sur la question des retraites, à la veille du conflit sur les régimes spéciaux, les responsables socialistes ont parfois quelques divergences sur la forme, sur la façon de faire passer « les réformes », mais pas sur leur contenu...

 

Après Attali, voila Rocard donc, et avec lui la question de l’éducation, un des gros dossiers que le gouvernement s’est fixé en ce début d’année. Une nouvelle commission est donc mise en place. A quelque jours de la rencontre avec le ministre de l’éducation nationale Xavier Darcos pour lui faire part de ses conclusions, voila que Michel Rocard démissionne de la commission pour protester contre « l’exploitation politique et mensongère » d’une interview livrée au Figaro. Mais où est l’exploitation et où se trouve donc le mensonge ? Quand Rocard s’enfonce !

A la « une » de son édition du 31 janvier, le Figaro avait titré : « Rocard propose de payer les profs au mérite ». C’est cela qui a fait sortir l’ancien premier ministre socialiste de ses gonds.

Pourtant le contenu de son interview a le mérite de la clarté. - question du figaro : « Faut-il envisager une rémunération au mérite ? » - Réponse de Rocard : « On ne peut pas dire qu’il n’y ait pas déjà de rémunération au mérite dans notre système puisque les enseignants sont notés ».

Remet-il en question cette notation des enseignants, donc la rémunération au mérite qui existe déjà « dans notre système » ? Il continue : « Mais le système de notation ne marche pas. Tout le monde a la même note. Soit entre 18 et 19,5 sur 20 ».

Faudrait-il donc en finir avec ce système qui ne marche pas ? Il poursuit et suggère « une augmentation du nombre des inspecteurs ou encore le renforcement du poids des chefs d’établissement dans l’évaluation de son équipe ».

Pour qui veut faire l’effort de comprendre, soit l’ancien premier ministre ne mesure plus très bien la portée des mots -ce qui est possible- soit il préconise non seulement le maintien de la notation au mérite qui existe déjà, mais son renforcement avec un recrutement des inspecteurs chargés de mettre les notes à l’issue d’inspection et le renforcement du poids des chefs d’établissement qui en plus du mérite auront l’avantage de noter à la tête du client. On sait par exemple qu’aujourd’hui, dans nombre d’établissements, le fait de faire grève ou d’affirmer ses convictions contre les réformes gouvernementales, de défendre par exemple les programmes contre les activités extra scolaires, est souvent très mal pris et a parfois pour conséquence un emploi du temps mal ficelé, ou des classes demandées non attribuées. Avec la proposition Rocard, c’est en plus au porte monnaie que la hiérarchie pourrait frapper.

Et il ose se dédire ?

Plus que la paye au mérite, il préconise en fait un affaiblissement des règles nationales au profit de règles exclusivement locales, et l’abandon du principe du statut au profit de règles contractuelles de plus en plus individualisées. Le cœur de la réforme sarkozyste en fait : la remise en cause du statut... pour modifier le rôle même de l’éducation !

Profs mis au pas pour enseignement bradé !

En réalité, le jeu auquel se livre aujourd’hui Michel Rocard aux côtés de Nicolas Sarkozy, semblable sur le fond à celui auquel se livrait déjà Claude Allègre sous Lionel Jospin, concerne plus que les professeurs et leur rémunération. Il s’agit de mettre au pas l’ensemble d’un corps professionnel dont la résistance pourrait être l’obstacle majeur à l’a réforme désirée.

La réforme consiste à mettre en musique quelques recommandations ou directives européennes dont les effets sont déjà là, palpables, indiscutables. [1] Le puissant lobby constitué par une quarantaine des plus importants dirigeants de l’industrie européenne a d’abord prôné « une rénovation accélérée du système d’enseignement et des programmes » [2]au nom de « la modernité » en déplorant « une faible influence de l’industrie sur les programmes enseignés » [3]. Puis les enseignants ont été stigmatisés pour « une compréhension insuffisante de l’environnement économique, des affaires, de la notion de profit, et des besoins de l’industrie » [4]. La mission de l’éducation est passée du développement de la culture à la fourniture d’une main d’œuvre adaptée aux besoins précis des employeurs, « des travailleurs capables de s’adapter aux changements permanents et de relever les nouveaux défis » [5].

Les différentes tentatives pour aller dans cette direction au niveau national et européen ont été analysées dans le détail par Nico Hirtt sur le site de l’APED. Cette histoire vient de loin. L’adaptation de l’école aux besoins de l’économie a échoué dans les années 50 et 60 d’autant plus lamentablement que l’économie capitaliste est opposée à toute velléité de planification. Les prévisions concernant les besoins de main d’œuvre ou de qualifications sont hasardeuses à un horizon de quelques années seulement. Comment donc tenter d’aller dans cette voie alors que le contexte économique n’a jamais été aussi instable et imprévisible. « le maître-mot de la nouvelle adéquation École-entreprises est le mot "flexibilité" » [6].

Voila comment on parle alors de « l’apprentissage tout au long de la vie », ce qui n’a pas grand-chose de commun avec le développement de la culture, l’acquisition de connaissances scientifiques, littéraires ou géographiques. Cette doctrine, explique l’ OCDE, « repose en grande partie sur l’ idée que la préparation à la vie active ne peut plus être envisagée comme définitive et que les travailleurs doivent suivre une formation continue pendant leur vie professionnelle pour pouvoir rester productifs et employables » [7]. La nouvelle mission de l’école, définie et affirmée comme telle, est « l’adaptation au marché de l’emploi et à sa précarité ». [8] Contrairement aux idées reçues la plupart des emplois demandés sont en effet peu qualifiés. Une étude américaine [9] indique pour la période allant de 1998 à 2008 que les postes de travail qui connaîtront la plus forte augmentation en volume sont du type « formation sur le tas ». Il s’agit « des emplois de vendeurs, de gardiennage, d’assistants sanitaires, d’agents d’entretien, d’hôtesses d’accueil, de conducteurs de camions, de remplisseurs de distributeurs de boissons ou d’aliments ». Autant d’embauches qui vont bien de pair avec le développement de la précarité de l’emploi, des petits boulots. Le mérite de Rocard.

Michel Rocard a bien démontré en quelques mots la cohérence d’une politique qui d’une part préconise sur les questions d’éducation les mesures nécessaires à un alignement sur les impératifs dictés par les intérêts du capital et les directives de Bruxelles, et qui d’autre part, à l’occasion du traité de Lisbonne, préconise un déni de démocratie et un viol de souveraineté populaire.

Tout cela ne fait qu’un.

Michel Rocard dans la continuité de ses positions a le mérite de poser une question gênante pour l’ensemble des socialistes, que certains peuvent encore éviter, mais qui risque fort de s’imposer à tous dans les temps qui viennent.

Durant toute la période Mitterrand, Rocard incarnait une « deuxième gauche » dont il était coutume de dire qu’elle était minoritaire. Mais aujourd’hui, qu’en est-il vraiment ? C’est cette deuxième gauche qui l’a emporté, même si Rocard n’a pas eu le pouvoir, et qui a emporté avec elle le parti socialiste qui n’a plus de socialiste que le nom.

Certaines figures socialistes, à la suite de Bernard Kouchner, ont poussé la logique au bout en ralliant directement le gouvernement de Nicolas Sarkozy.

D’autres figures socialistes, de Jack Lang à Julien Dray, ont pour le moment refusé l’invitation, mais en mettant le temps, histoire de montrer que rien n’est impossible en ce bas monde.

La direction de ce parti, à l’instar de l’ancien premier ministre, a renié la démocratie, bafoué la souveraineté populaire en votant au congrès de Versailles comme l’entendait le président de la République, et en permettant donc l’interdiction du référendum sur le traité de Lisbonne.

Demeurent les militants et responsables qui se réclament d’une opposition de gauche, républicaine et sociale, réellement socialiste, dans le parti socialiste. Pour ceux-là l’espace se réduit.

Entre rupture pour ouvrir une nouvelle voie, et caution gauche à la politique de collaboration sociale libérale avec Nicolas Sarkozy, y a-t-il un autre choix ?


[1] Voir Commission européenne, Rapport du groupe de réflexion sur l’éducation et la formation « accomplir l’Europe par l’éducation et la formation », décembre 1996.

[2] Voir ERT : éducation et compétence en Europe. Bruxelles. Février 1989.

[3] Ibidem.

[4] Ibidem

[5] Ibidem.

[6] Voir « les trois axes de la marchandisation scolaire ». Juin 2001. Nico Hirtt.

[7] OCDE, Politiques du marché du travail : nouveaux défis. Apprendre à tout age pour rester employable durant toute la vie. Réunion du Comité de l’emploi, du travail et des affaires sociales au château de la Muette, Paris, 14-15 octobre 1997, OCDE/GD(97)162.

[8] Pour une Europe de la connaissance, Communication de la Commission européenne, COM(97)563 final.

[9] Publication du département fédéral américain de l’emploi dans le « Monthly Labour Review », mise à jour annuelle des projections décennales en matière d’emploi.


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