Analyser ce texte long en détail demanderait beaucoup de temps, tant il y aurait à relever d’implicites discutables, de silences éloquents, de petits glissements progressifs où d’une position apparemment « de gauche » on prépare en fait une motion « Aubry-compatible », c’est-à-dire compatible avec l’européisme et l’atlantisme de Martine Aubry et de ses amis. Par exemple, quand la motion signale, à juste titre, l’extraordinaire régression qu’a subie le salaire dans le partage capital/salaire du revenu national (on est passé de 78% pour les salaires en 1981 à moins de 67% en 2004), nous sommes gratifiés, pour illustrer ce propos, d’un graphique éloquent qui montre que le retournement se situe en 1982, que la pente est très raide pendant les deux septennats de Mitterrand et que le gouvernement Jospin de 1997 à 2002 n’en en rien enrayé ce phénomène. Autrement dit les politiques de la droite et de la gauche, sur le plan fondamental, celui de la plus-value et donc de l’exploitation capitaliste ont eu les mêmes résultats. Ceci aurait mérité au moins quelques réflexions critiques, car constater qu’il n’y a pas de différence importante entre Mauroy 82 et Sarkozy 2008, cela devrait contraindre normalement tout socialiste honnête à faire son examen de conscience.
Il y a aussi dans ce texte d’incroyables bourdes. Ainsi à propos de la politique de l’immigration, la motion propose une politique alternative à celle de Sarkozy, à l’exemple de « nos camarades espagnols » (page 34). Le problème est que, s’il est vrai que l’Espagne a procédé jadis à de massives régularisations de sans-papiers, depuis deux ans, il y a eu un retournement complet. Avant de féliciter « nos camarades espagnols », les rédacteurs aurait pu prendre connaissance d’un fait public : l’an passé l’Espagne a procédé à 56000 reconduites à la frontière contre « seulement » 28000 en France ! Et de fait, la politique migratoire de l’Espagne est aujourd’hui une des plus restrictives d’Europe. Ce « détail » témoigne tout simplement de la légèreté – c’est le moins qu’on puisse dire – avec laquelle ce texte a été écrit.
Je voudrais me concentrer ici sur un seul point, la politique européenne. La motion C propose de « réorienter la politique européenne » : on peut réorienter un bon véhicule qui va dans la mauvaise direction. Mais il aurait été préférable de se concentrer sur la nature de la construction européenne. Car la politique actuelle de l’UE n’est pas une déviation par rapport à une bonne « Europe sociale » (cette chimère de la gauche socialiste). La banque indépendante, l’euro fort, le libéralisme économique, ce ne sont pas des nouveautés mais l’application stricte du traité de Maastricht (que la plupart des signataires ont approuvé en son temps). Réorienter la politique européenne, c’est ni plus ni moins que dynamiter l’UE. Ainsi que la motion affirme « La France doit exiger un moratoire immédiat sur les libéralisations en cours », posons la seule question intéressante : si les 26 autres veulent continuer les « libéralisations », le premier ministre Hamon enverra-t-il l’UE au diable et retournera-t-il au monopole postal ? Il en est de même de toutes les propositions concernant l’UE comme celle-ci : « Activer le tarif extérieur commun au niveau européen ». Tout cela n’est qu’un catalogue de vœux pieux puisque fondamentalement la motion C, qui déploie des efforts touchants pour faire croire à son européisme angélique, reste dans le cadre de la discipline des 27. Du reste, au début de la motion, pour ceux qui ne comprendraient pas, il est précisé que le nationalisme constitue un danger majeur auquel la crise actuelle nous confronte. Autrement dit, l’UE « réorientée », oui ! L’État-nation, jamais ! Ce qui est parfaitement cohérent avec le reste du texte et notamment toute la partie consacrée à la politique étrangère qu’il n’est qu’une bouillie fade destinée à faire passer l’à-plat-ventrisme devant l’OTAN : le texte critique bien le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN mais se garde bien de dire que le président Hamon fera sortir la France de ce commandement intégré et même de l’OTAN.
Élaboré par le concile des grands chefs de cette petite gauche, Dolez et Mélenchon étant sommé de le prendre tel qu’il est, ce texte, loin de traduire le renouveau de la gauche du PS, en montre au contraire la décomposition politique et morale.
Cher Denis,
Comme bien souvent, je partage ton analyse.
Je te lis depuis longtemps et si je t'ai bien compris:
- point de salut au sein du PS. Ton article le démontre une fois de plus;
- trop de bavardages et une position erronée sur la construction européenne chez les altermondialistes;
- un regard bienveillant et sympathique pour le Parti Ouvrier Indépendant, mais pas plus d'avenir qu'avec le MPPT et le PT qui l'ont précédé.
Alors, que fait-on ?
A propos que devient " Devoir De Résistance" ?