S'identifier - S'inscrire - Contact

École : un débat de fond nécessaire

Réflexions à propos de la réforme du collège

Par Denis Collin • École • Lundi 25/05/2015 • 1 commentaire  • Lu 4041 fois • Version imprimable


Le décret réformant le collège, publié par le gouvernement Hollande le soir même de la grève et des manifestations des professeurs le 19 mai, ravive le débat sur l’école qui secoue périodiquement la France. Le gouvernement refuse tout dialogue. La réforme est impérative et urgente. Les prises de position hostiles à la réforme se sont multipliées, aussi bien à gauche, de Régis Debray à Aurélie Filipetti qu’à droite de Bayrou et d’Ormesson à Bruno Le Maire. Le socialiste Julien Dray a même tenté de mettre en garde son ami Hollande : il pourrait y avoir un million de personnes dans la rue à la rentrée prochaine si le gouvernement ne recule pas ! Comme de coutume, l’affaire est présentée comme un affrontement entre les « conservateurs », les « immobilistes », voire les « réactionnaires » d’un côté, tous tenants d’un élitisme coupable, et les partisans du « progrès », de « l’égalité », des « réformes », etc., de l’autre. Cette présentation médiatique des choses évidemment travestit la réalité. Les prétendus partisans de l’égalité – dont les enfants fréquentent souvent les meilleures écoles (privées le cas échéant) dénient aux élèves « issus des milieux défavorisés » le droit de participer à la grande culture et entérinent les rentes de situation de la caste privilégiée sous couvert de réforme. La droite n’est pas moins hypocrite qui, après quelques hésitations, s’engagent dans la lutte contre la réforme Najaud-Belkacem, alors que celle-ci s’inscrit rigoureusement dans le prolongement des réformes Fillon, avec la fameuse « école du socle », et Chatel dont certaines recettes élaborées pour le lycée sont transférées au collège, l’accompagnement personnalisé, par exemple. Au-delà des prises de position partisanes conjoncturelles, on remarquera ainsi une étonnante continuité des réformes entreprises depuis un demi-siècle. Ainsi entre les réformes Fillon et Chatel prend place la loi Peillon dite de « refondation » de l’école, adoptée, rappelons-le par toute la gauche, Front de Gauche inclus, et qui permet d’avancer très largement sur deux directions : une plus large autonomie des établissements avec l’abandon d’horaires et de programmes nationaux impératifs et, en second lieu, la mise en pièce des savoirs disciplinaires. Comme l’a dit Mme Parisot, ancienne présidente du MEDEF et soutien fervent de la réforme, « Les professeurs du secondaire doivent accepter que leur mission dépasse largement leur seule discipline. »

 

Si on remonte plus loin dans le temps, on notera encore cette continuité : la réforme Allègre, qui avait vu se dresser contre elle la majorité des professeurs, a été consolidée et prolongée par les gouvernements de droite. Sur l’école, donc, si on fait abstraction des plus et des moins statistiquement répartis à près également entre les deux « camps », le consensus droite-gauche est total. M. Sarkozy voulait se débarrasser de la Princesse de Clèves et Mme Najaud-Belkacem se débarrasse du latin et du grec. L’enseignement de l’histoire est maltraité par tous les gouvernements depuis si longtemps qu’on en a oublié ce que pouvait signifier un enseignement cohérent et rigoureux de cette discipline si fondamentale. Le niveau en mathématiques s’est abaissé dramatiquement – la veille de la grève, le Parisien publiait une étude ministérielle indiquant que 20 % des élèves de troisième atteignaient à peine un niveau de CM2 – et si la philosophie semble avoir échappé au « massacre à la tronçonneuse », elle le doit au fait qu’elle ne touche que les classes terminales, que les professeurs se sont massivement opposés à la réforme Renault proposée par le ministre Luc Ferry en 2002 et surtout qu’on en diminue régulièrement le poids relatif dans l’obtention du diplôme du baccalauréat.

Cette situation se traduisant par une confusion croissante des esprits, confusion qui interdit bien souvent que les enjeux politiques et culturels de cette cascade de réformes soient perçus correctement. Pour apprécier ce qui est en jeu aujourd’hui, par exemple autour de la question des langues anciennes, il est nécessaire de partir de principes et non pas se contenter de geindre en disant que le niveau du collège est catastrophique qu’il faut bien réformer. Pour une lecture philosophique des réformes, on renverra au gros et minutieux travail de Denis Kambouchner, L’école, question philosophique (Fayard, 2013). Nous nous proposons ici une autre approche : considérer la question de l’école du point de vue de et de ceux qui se sont mis à son école et notamment Antonio Gramsci dont les Cahiers de prison constituent un trésor de réflexions que nous ferions bien de méditer. En même temps, nous délaisserons ce prêt-à-penser de la bonne conscience de gauche qu’est l’œuvre de Pierre Bourdieu. Que Bourdieu soit devenu la bible d’une certaine gauche radicale ne laisse pas d’étonner : si les bonnes intentions charitables de Bourdieu ne sauraient être mises en doute, l’effet politique de son œuvre s’est révélé particulièrement catastrophique, notamment en promouvant une conception de la société et des rapports de classe en tous points étrangères à la tradition de , mais qui, en raison de l’abaissement du « marxisme », a réussi à se présenter comme un substitut de la théorie de l’auteur du Capital. Une étude critique systématique de Bourdieu manque encore. Je ne peux pour l’heure que renvoyer à mon article « Étatisme, libéralisme et république sociale ainsi qu’aux remarques de j’ai faites dans Qu’est-ce qu’une éducation républicaine ?. Je me contenterai ici d’y ajouter quelques considérations en lien avec la question brûlante qui se pose à nous.

École et capitalisme

Commençons par le commencement : l’école est toujours une institution d’une société donnée et dont la visée première est de reproduire la société telle qu’elle existe. Penser que l’école transformerait la société est une de ces billevesées qui servaient de bagage théorique à tous les « réformateurs » sociaux. Quand Bourdieu et ses amis affirment que l’école actuelle reproduit la division de la société en classes, on a envie de leur demander ce que l’école pourrait faire d’autre ! Si le capital n’est pas une chose, mais bien un rapport social, comme le répète, en travaillant, les prolétaires produisent le capital et donc reproduisent les rapports sociaux. Quand on l’a dépouillée de ses oripeaux théoriques ou pseudo-théoriques, la critique « bourdivine » se résume aux vieilles revendications concernant « l’ascenseur social » : il faudrait que plus d’enfants d’ouvriers accèdent par l’école aux classes supérieures. Mais on ne s’avise jamais de dire que la société ne peut pas être composée que de polytechniciens et de diplômés de HEC (Dieu nous en garde !) et qu’il faut bien des ouvriers pour produire la valeur en valorisant les moyens de travail et les objets du travail. Bref pour un enfant d’ouvrier qui monte, il faut au moins un enfant de bourgeois qui redescende conformément à la théorie de la circulation des élites de Pareto. On peut rêver d’être milliardaires, comme le demande le ministre de l’Économie Emmanuel Macron, mais il y a aura très peu d’élus ! Il est d’ailleurs assez remarquable que l’idéologie moyenne de la « gauche » ne soit qu’une reprise affadie de cette vieille mystification de l’american dream.

Cela étant posé, les conditions dans lesquelles l’école accomplit sa mission de reproduction de la société de classes ne sont nullement indifférentes. Le salariat est le salariat, mais les conditions qui sont imposées à un certain stade et un certain niveau de rapports de forces entre les classes sont très importantes. Quand des lois imposent la limitation de la journée de travail, un salaire minimum et des conditions d’hygiène dans les usines permettant de préserver la santé des ouvriers, on reste dans une société de classes et dans la reproduction élargie du capital, mais ce n’est pas du tout la même chose que les conditions d’exploitation transformant les hommes en bêtes qui règnent en l’absence de ces lois. Il en va de même de l’école. Dans le livre I du Capital analyse longuement les raisons qui ont finalement poussé le gouvernement britannique, contre l’opinion dominante du patronat, à limiter le travail des enfants et à organiser une instruction élémentaire obligatoire. Partons de ceci :

Ce qui est en germe dans le système de la fabrique, c’est l’éducation de l’avenir qui associera pour tous les enfants au-delà d’un certain âge le travail productif à l’enseignement et à la gymnastique, et cela non seulement comme méthode pour élever la production sociale, mais encore comme l’unique méthode pour produire des hommes dont toutes les dimensions soient développées. (Capital, I, chapitre XIII, PUF Quadrige, p.544)

Il s’agit, pour , de montrer que le mode de production capitaliste contient en germe et de manière contradictoire à la logique profonde de la « valorisation de la valeur » les éléments du futur. Le communisme n’est pas un projet à réaliser, mais le « mouvement réel », quelque chose qui s’impose par la dynamique même du capital comme rapport social. La survie même de la production capitaliste conduit à briser les barrières du capital – le développement des forces productives entre en contradiction avec les rapports sociaux de production, dit-il dans une formule ramassée qui a suscité quelques incompréhensions dommageables. L’émancipation des travailleurs devient une question de vie ou de mort. Mais n’a jamais réduit cette émancipation à ce qui est posé dans les revendications immédiates : réduction du temps de travail et meilleurs salaires, même si c’est là le point de départ nécessaire. Il s’agit pour lui d’un bouleversement radical du mode de production, des conditions du travail et de la vieille division du travail. En finir avec l’exploitation du travail, c’est aussi en finir avec le travail aliéné. Pour , la lutte contre l’aliénation suppose le développement de l’homme dans toutes ses dimensions et non pas un homme atrophié, d’un côté un travailleur réduit à l’état de bête de somme et d’auxiliaire de la machine et de l’autre un pur cerveau incapable de faire quoi que ce soit de ses dix doigts. L’éducation des enfants, « au-delà d’un certain âge » doit combiner la formation théorique, le développement des aptitudes physiques et le travail productif ! C’est à la fois l’abolition de la séparation entre travail intellectuel et travail manuel (séparation essentielle dans une société divisée en classes) et le développement d’un homme complet, sachant que la production, le travail productif, est l’essence même de l’homme.

Mais dans le mode de production capitaliste, ce processus qui découle des modifications mêmes du mode de production s’effectue de manière contradictoire en broyant les enfants et en en faisant des individus inaptes à tout travail utile dès qu’ils sont devenus adultes. C’est le « côté négatif » : « l’immolation orgiaque ininterrompue de la classe ouvrière, dans la dilapidation démesurée des forces de travail et les ravages de l’anarchie sociale » (p. 548). Mais d’un autre côté, par ses « cataclysmes », la grande industrie, bouleversant tout avec la force des lois de la nature, fait

« une question de vie ou de mort de la reconnaissance, comme loi universelle de la production sociale, des changements de travail, donc de la nécessité de la plus grande polyvalence possible pour l’ouvrier, et de l’adaptation de la situation à la réalisation normale de la loi. » (p. 548)

Contre l’individu partiel, il faut exiger la formation d’un « individu total » recevant une instruction polytechnique, c’est-à-dire un enseignement technologique, théorique et pratique. Les rapports capitalistes sont en contradiction totale avec ces « ferments » qui visent à bouleverser la situation sociale des ouvriers et qui conduisent ni plus ni moins qu’à l’abolition de l’ancienne division du travail. Pour , donc, les intérêts généraux de la classe capitaliste l’ont poussée à développer une instruction élémentaire, très insuffisante, mais qui constitue un premier pas et pose la potentialité de l’homme du futur. Remarquons cependant que pense l’instruction « polytechnique » essentiellement contre une instruction scientifique et technique et que la culture humaniste reste tout à fait absente, alors même que la réduction drastique du temps de travail nécessaire ouvrira, comme le dit , la possibilité pour tous les hommes du développement « des occupations libres, spirituelles et sociales des individus » (p. 593), occupations qui, par nature, ne peuvent être liées exclusivement aux besoins de la production.

Du point de vue des objectifs qui sont ceux de , celui de la réalisation d’un homme non aliéné, une instruction la plus large possible, à la fois littéraire et scientifique est donc une nécessité fondamentale. Nous savons que l’école ne peut changer les rapports de classes, elle ne peut que produire des ouvriers, des cadres et des capitalistes. Mais il vaut mieux des ouvriers instruits que des ouvriers ignorants. Et donc la transmission des savoirs théoriques et pratiques fait pleinement partie des revendications sociales qui forment le noyau dur de toute opposition sérieuse au mode de production capitaliste et de toute transformation radicale des rapports sociaux de production.

Quel doit être le contenu de l’instruction ? Une lecture de Gramsci

Parmi les « élèves de  », c’est sans doute Antonio Gramsci qui a réfléchi le plus systématiquement et le plus rigoureusement à la question de l’enseignement. Une des questions centrales que se pose Gramsci, dans la perspective d’une transformation sociale radicale, est celle de la création d’une nouvelle culture pour le bloc historique appelé à être hégémonique ; pour le bloc des travailleurs manuels et intellectuels il est nécessaire que leur vision du monde commence à devenir la culture de la nation, la culture du révolution morale et populaire. En cela la question de l’enseignement est bien autre chose que la question des conditions de travail et de la qualification des professeurs – ce qui n’est pourtant pas négligeable du tout – ou même de l’attitude purement défensive, légitime, mais insuffisante, de défense de l’instruction et de la culture léguées par les générations antérieures.

Gramsci reprend la question là où l’avait laissée et en élargit la vision.

« L’étude de la « vieille logique formelle » est désormais tombée en discrédit et en partie à raison. Mais le problème de faire faire l’apprentissage de la logique se représente si on se pose le problème de créer une nouvelle culture sur une base sociale nouvelle qui n’a pas de traditions comme la vieille classe des intellectuels. Un « bloc intellectuel » traditionnel, avec la complexité de ses articulations, réussit à assimiler dans le développement organique d’une science l’élément de l’apprendre même sans avoir besoin de le soumettre à un apprentissage formel. Mais ceci ne se fait pas non plus sans difficulté et sans pertes. Le développement des écoles techniques professionnelles dans tous les degrés post-élémentaires a représenté ce problème. Il faut se rappeler l’affirmation du professeur Peano1 selon qui même au Politecnico et en mathématiques, il ressortait que les mieux préparés étaient les élèves provenant du lycée classique relativement aux élèves provenant des écoles-instituts techniques. Cette meilleure préparation était procurée par le complexe formé par l’enseignement « humaniste » (histoire, littérature, philosophie). Pourquoi les mathématiques ne peuvent-elles donner les mêmes résultats ? On a rapproché la mathématique de la logique. Pourtant, il y a une énorme différence. La mathématique se base essentiellement sur la série numérique, c’est-à-dire une série infinie d’égalités (1=1) qui peuvent être combinées de manières théoriquement infinies. La logique formelle tend à faire la même chose, mais jusqu’à un certain point. Son abstraction se maintient seulement au début de son apprentissage, dans sa formulation immédiate nue et crue, mais elle s’actualise concrètement dans le discours même dans lequel cette même formulation abstraite s’accomplit. Les exercices de langue, que l’on fait dans le lycée classique, montrent ceci : dans les traductions latin-italien, grec-italien, il n’y a jamais identité entre les deux langues ou au moins cette identité qui paraît exister au début (rosa = rosa) va en se compliquant toujours plus avec la progression de l’apprentissage, c’est-à-dire en s’éloignant du schéma mathématique pour atteindre l’historique et le psychologique dans lesquelles les nuances, l’expressivité « unique et individuelle » a la prévalence. Et ceci advient non seulement dans la confrontation entre deux langues, mais intervient dans l’étude de l’histoire d’une langue elle-même, c’est-à-dire dans les variations sémantiques de la parole-son à travers le temps et de ses changements en fonction de la période. (Quaderni del carcere - I, §153 – tome 1 p. 136, Einaudi, 2007)

Si on suit le raisonnement de Gramsci, il est clair que la « culture scientifique » est absolument inséparable de la culture humaniste ou, plus exactement, que la culture humaniste est la meilleure préparation au développement de la culture scientifique. Les exemples qu’il donne sont particulièrement significatifs puisqu’il s’agit de l’étude des langues anciennes (latin et grec ancien), langues que l’on n’étudie pas pour les parler, mais précisément comme objets d’études en elles-mêmes. De ceci nous pouvons tirer immédiatement deux conclusions :

  1. L’idée marxienne d’une instruction polytechnique est insuffisante. Une bonne instruction polytechnique requiert une instruction humaniste !

  2. Il faudrait revoir toute l’évolution du système éducatif français à la lumière de cette thèse gramscienne. Et d’abord observer que l’école élémentaire (primaire et primaire supérieur) instituée la IIIe république, si elle répondait bien aux exigences du capitalisme de disposer une main-d’œuvre apte à prendre dans sa place dans un système qui avait désormais besoin d’ouvriers sachant lire, écrire et compter, intégrait cependant des éléments de cette « culture humaniste », d’abord par l’attention que l’on qualifierait aujourd’hui de « maniaque » apportée à la langue (grammaire et orthographe) et par un enseignement de l’histoire qui n’était pas réductible, comme on le dit aujourd’hui, par ignorance ou par volonté de tromper, au « roman national » ou à une histoire mythifiée mise au service de la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine ! C’est également toute l’évolution du secondaire (les lycées) rigidifiant progressivement la séparation classique/moderne jusqu’à l’euthanasie de l’enseignement classique que l’on pourrait réévaluer.

Attardons-nous un moment sur la question des langues anciennes. Dans un passage consacré à l’enseignement du latin et du grec dans l’ancienne école moyenne italienne, Gramsci explique :

L'efficacité éducative de la vieille école moyenne italienne, telle que l'avait organisée la vieille loi Casati, n'était pas à chercher (ou à nier) dans la volonté expresse d'être ou non école éducatrice, mais dans le fait que son organisation et ses programmes étaient l'expression d'un mode traditionnel de vie intellectuelle et morale, d'un climat culturel répandu dans toute la société italienne par de très anciennes traditions. Un tel climat et un tel mode de vie sont entrés en agonie, et l'école s'est détachée de la vie : c'est ce qui a déterminé la crise de l'école. Critiquer les programmes et l'organisation disciplinaire de l'école, cela signifie moins que rien si l'on ne tient pas compte de telles conditions. Ceci nous ramène à la participation réellement active de l'élève à l'école, participation qui ne peut exister que si l'école est liée à la vie. Quant aux nouveaux programmes, plus ils affirment et théorisent l'activité du disciple et sa collaboration active au travail de l'enseignant, plus ils sont prévus comme si le disciple était une pure passivité. Dans la vieille école, l'étude grammaticale des langues latine et grecque, jointe à l'étude des littératures et des histoires politiques respectives, était un principe éducatif dans la mesure où l'idéal humaniste, qui s'incarne dans Athènes et Rome, était répandu dans toute la société, était un élément essentiel de la vie et de la culture nationales. Même le caractère mécanique de l'étude grammaticale était vivifié par la perspective culturelle. Les notions particulières n'étaient pas apprises en vue d'un but immédiat pratico-professionnel : le but apparaissait désintéressé parce que l'intérêt était le développement intérieur de la personnalité, la formation du caractère à travers l'absorption et l'assimilation de tout le passé culturel de la civilisation européenne moderne. On n'apprenait pas le latin et le grec pour les parler, pour devenir employé d'hôtel, interprète, correspondant commercial. On les apprenait pour connaître la civilisation des deux peuples, présupposé nécessaire à la civilisation moderne, c'est-à-dire pour être soi-même et se connaître soi-même en pleine conscience. Les langues latine et grecque étaient apprises selon la grammaire, mécaniquement, mais il y a beaucoup d'injustice et d'impropriété dans l'accusation de mécanisme et d'aridité. On a affaire à de jeunes enfants auxquels il importe de faire acquérir certaines habitudes de diligence, d'exactitude, de bonne tenue même physique, de concentration psychique sur des sujets déterminés, habitudes qu'on ne peut acquérir sans répétition mécanique d'actes disciplinés et méthodiques. Un savant de quarante ans serait-il capable de rester seize heures de suite assis à son bureau s'il n'avait dès l'enfance été contraint, par coercition mécanique, d'adopter les habitudes psychophysiques appropriées ? Si l'on veut sélectionner de grands hommes de science, c'est encore par là qu'il faut commencer, et c'est sur tout le domaine scolaire qu'il faut faire pression pour réussir à faire émerger ces milliers ou ces centaines, ou ne serait-ce que ces douzaines de savants de grand talent, dont toute civilisation a besoin (même si l'on peut faire de grands progrès dans ce domaine, à l'aide des crédits scientifiques adéquats, sans revenir aux méthodes scolaires des jésuites). (Q-12, op. cit.tome 3, p.1543-1544)

Pour Gramsci, bien que cette école ancienne soit en réalité « oligarchique », l’enseignement du latin et du grec y est cependant lié à un « principe éducatif » correspondant à un état d’esprit répandu dans toute la société. Si l’éducation ancienne est en crise parce qu’elle ne correspond plus à l’état social actuel, Gramsci cependant lui reconnaît sa pleine valeur et entame ici une critique des méthodes d’éducation active qu’il ne cesse de poursuivre dans les Quaderni del carcere. Il y a une discipline nécessaire pour faire prendre aux enfants de « bonnes habitudes », pour leur apprendre l’exactitude et la diligence. Et comme Gramsci ne raconte pas d’histoires, il affirme la nécessité de « sélectionner » des milliers ou des centaines de savants, nécessité qui s’impose à toute société – y compris donc à une société « sans classes ». Et les méthodes dites « actives » ne permettent justement pas cet apprentissage de la concentration. Un mot encore sur ce point : les intellectuels de pacotille et autres variétés de petits bourgeois, valorisent la spontanéité et la création – c’est tout ce qui tourne autour de l’antienne pédagogiste de « l’élève au centre », l’élève créateur de son savoir, etc. Mais cette idéologie est celle de gens séparés du travail, de gens qui prennent leur emploi d’idéologues pour du travail. Mais le travail productif exige, lui, cette diligence, cette attention méticuleuse et cette précision sans lesquelles, le « travail bien fait » et la fierté qui en résulte sont impossibles. L’idéologie de la créativité spontanée – le droit absolu de l’enfant à rester enfermé dans les dessins d’enfants – est, en outre, le meilleur moyen de tarir à sa source toute véritable créativité. Du reste, ces partisans du pédagogisme et des « méthodes actives » ne sont pas les derniers à faire apprendre la musique à leurs enfants, apprentissage difficile, laborieux où justement précision, attention et travail répété sont indispensables, et ce sous la férule d’un maître de musique qui doit être particulièrement exigeant. Ils savent, au fond d’eux-mêmes, que leurs thèses « modernes » sont des balivernes … à destination des enfants des classes populaires.

Aux reproches selon lesquels, en apprenant ou plutôt en étudiant le latin ou le grec, les enfants ne travaillent que sur une « chose morte », Gramsci répond que c’est vrai, mais que précisément « toute analyse faite par un enfant ne peut l’être que sur une chose morte » (ibid.). Les sciences que les enfants apprennent ne sont évidemment pas les sciences vivantes, celles qui sont en train de se faire, mais les sciences du passé ! L’éducation nationale cherche désespérément à faire de l’enseignement des sciences l’enseignement de la science qui se fait aujourd’hui, mais c’est une pure chimère. Un élève de terminale disposant d’un niveau convenable en mathématiques peut comprendre ce qu’est la physique classique ... et encore ! Mais la physique quantique lui est proprement inaccessible, ne serait-ce que parce que les outils mathématiques lui font défaut. De même est parfaitement absurde l’idée d’enseigner l’histoire jusqu’à hier matin. L’histoire est certes contemporaine, comme le dit Croce, mais uniquement parce qu’il s’agit toujours du regard que nos contemporains portent sur l’histoire comme passé, nullement parce que le présent pourrait d’ores et déjà être la matière du travail historique.

Mais la réponse de Gramsci a une deuxième dimension : si le latin est une langue morte, l’étude la fait revivre !

il ne faut pas oublier que là où cette étude est faite sous cette forme, la vie des Romains est un mythe qui, dans une certaine mesure, a déjà intéressé l'enfant et l'intéresse, si bien que dans ce qui est mort est présente une plus grande vie. Et puis, la langue est morte, est analysée comme une chose inerte, comme un cadavre sur la table de dissection, mais elle revit continuellement dans les exemples, dans les narrations. (...) Le latin (le grec aussi) se présente à l'imagination comme un mythe, même pour l'enseignant. On n'étudie pas le latin pour apprendre le latin ; depuis longtemps, en vertu d'une tradition culturelle-scolaire dont on pourrait rechercher l'origine et le développement, ou étudie le latin comme élément d'un programme scolaire idéal, élément qui résume et satisfait toute une série d'exigences pédagogiques et psychologiques ; on l'étudie pour habituer les enfants à étudier d'une façon déterminée, à analyser un corps historique qu'on peut traiter comme un cadavre constamment rappelé à la vie ; pour les habituer à raisonner, à abstraire schématiquement tout en étant capables de redescendre de l'abstraction à la vie réelle immédiate, pour voir dans chaque fait ou chaque donnée ce qu'il a de général et ce qu'il a de particulier, le concept et l'individu. (Ibid.)

On ne saurait mieux montrer le caractère formateur de l’étude du latin et du grec. Gramsci précise bien que ce n’est pas parce que ces langues auraient en quelque sorte des qualités intrinsèques tout à fait particulières. Sans doute faudra-t-il remplacer un jour cette étude par autre chose, dit-il, mais il s’empresse de souligner que trouver une discipline qui présente les mêmes avantages risque fort d’être une tâche ardue. Ici on doit faire une place particulière au latin dans la mesure où l’italien, comme le français, est une langue directement héritée du latin et donc l’étude du latin nous confronte directement non seulement la grammaire latine, mais aussi à notre propre grammaire. Bien qu’on ait coutume aujourd’hui de considérer la grammaire comme un ensemble de règles ennuyeuses qu’il suffirait de savoir à peu près respecter, la grammaire nous confronte à la formation des concepts, c’est-à-dire à l’essence même de la pensée discursive.

On n'étudie pas le latin pour apprendre le latin ; depuis longtemps, en vertu d'une tradition culturelle-scolaire dont on pourrait rechercher l'origine et le développement, ou étudie le latin comme élément d'un programme scolaire idéal, élément qui résume et satisfait toute une série d'exigences pédagogiques et psychologiques ; on l'étudie pour habituer les enfants à étudier d'une façon déterminée, à analyser un corps historique qu'on peut traiter comme un cadavre constamment rappelé à la vie ; pour les habituer à raisonner, à abstraire schématiquement tout en étant capables de redescendre de l'abstraction à la vie réelle immédiate, pour voir dans chaque fait ou chaque donnée ce qu'il a de général et ce qu'il a de particulier, le concept et l'individu. Et la constante comparaison entre le latin et la langue qu'on parle, que ne signifie-t-elle pas du point de vue éducatif ? La distinction et l'identification des mots et des concepts, toute la logique formelle avec les contradictions des opposés et l'analyse des différents, avec le mouvement historique de l'ensemble linguistique qui se modifie dans le temps, qui a un devenir et n'est pas seulement une entité statique. Pendant les huit ans de gymnase-lycée on étudie toute la langue historiquement réelle, après l'avoir vue photographiée dans un instant abstrait sous forme de grammaire : on l'étudie depuis Ennius (et même depuis les termes des fragments des Douze Tables) jusqu'à Phèdre et aux auteurs chrétiens ; un processus historique est analysé de sa naissance à sa mort dans le temps, mort apparente puisqu'on sait que l'italien, auquel le latin est continuellement confronté, est du latin moderne. On étudie la grammaire d'une certaine époque, une abstraction, le vocabulaire d'une période déterminée, mais on étudie (par comparaison) la grammaire et le vocabulaire de chaque auteur déterminé, et la signification de chaque terme dans chaque « période » (stylistique) déterminée, on découvre ainsi que la grammaire et le vocabulaire de Phèdre ne sont pas ceux de Cicéron, ni ceux de Plaute ou de Lactance et Tertullien, qu'un même assemblage de sons n'a pas la même signification à différentes époques, chez différents écrivains. On compare continuellement le latin et l'italien ; mais chaque mot est un concept, une image dont la coloration varie selon les temps et les personnes dans chacune des deux langues comparées. On étudie l'histoire littéraire des livres écrits dans cette langue, l'histoire politique, les hauts faits des hommes qui ont parlé cette langue. Tout ce complexe organique détermine l'éducation du jeune homme, du fait qu'il a parcouru, ne serait-ce que matériellement, cet itinéraire avec ces étapes, etc. Il s'est plongé dans l'histoire, il a acquis une intuition historiciste du monde et de la vie, qui devient une seconde nature, presque une spontanéité, parce qu'elle n'a pas été inculquée de façon pédantesque, par une « volonté » extrinsèquement éducative. Cette étude éduquait sans en avoir la volonté expressément déclarée, avec le minimum d'intervention « éducatrice » de l'enseignant : elle éduquait parce qu'elle instruisait. Des expériences logiques, artistiques, psychologiques étaient faites sans « y réfléchir », sans se regarder continuellement dans la glace, et surtout était faite une grande expérience « synthétique », philosophique, de développement historico-réel. Cela ne veut pas dire (et le penser serait stupide) que le latin et le grec, comme tels, aient des vertus intrinsèquement thaumaturgiques dans le domaine éducatif. C'est toute la tradition culturelle, vivante aussi et surtout hors de l'école, qui, dans un milieu donné, produit de telles conséquences. On voit d'ailleurs comment, une fois changée la traditionnelle intuition de la culture, l'école est entrée en crise, et est entrée en crise l'étude du latin et du grec. (op.cit. pp.1545-1546)

La question des « méthodes actives » et de toute cette pédagogie qui a érigé au rang de fétiche le « savoir » présupposé de l’élève transformé en « apprenant » dans le jargon officiel est posée par Gramsci, dans des termes qui doivent être médités :

§123. Chercher l'origine historique exacte de quelques principes de la pédagogie moderne : l'école active ou la collaboration amicale du maître et de l'élève ; l'école ouverte ; la nécessité de laisser libre cours au développement des facultés spontanées de l'écolier, sous la surveillance, mais non sous le contrôle voyant du maître. La Suisse a apporté une grande contribution à la pédagogie moderne (Pestalozzi, etc.) à travers la tradition genevoise de Rousseau ; en réalité, cette pédagogie est une forme confuse de philosophie liée à une série de règles empiriques. On n'a pas tenu compte du fait que les idées de Rousseau sont une réaction violente contre l'école et contre les méthodes pédagogiques des jésuites et en tant que telles représentent un progrès ; mais il s'est formé ensuite une espèce d'église qui a paralysé les études pédagogiques et a donné lieu à de curieuses involutions (dans les doctrines de Gentile et de Lombardo-Radice). La « spontanéité » est une de ces involutions : on se représente presque le cerveau de l'enfant comme une pelote que le maître aide à dévider. En réalité, chaque génération éduque la nouvelle génération, c'est-à-dire la forme ; l'éducation est une lutte contre les instincts liés aux fonctions biologiques élémentaires, une lutte contre la nature pour la dominer et créer l'homme « actuel » dans son époque. On ne tient pas compte du fait que l'enfant, dès qu'il commence à « voir et toucher », peu de jours peut-être après la naissance, accumule des sensations et des images qui se multiplient et deviennent complexes au moment de l'apprentissage du langage. La « spon­tanéité », si on l'analyse, devient de plus en plus problématique. De plus, l'« école », c'est-à-dire l'activité éducative directe, n'est qu'une partie de la vie de l'élève qui entre en contact aussi bien avec la société humaine qu'avec la societas rerum, et se forme des critères à partir de ces sources « extrascolaires » beaucoup plus importantes qu'on ne croit communément. L'école unique, intellectuelle et manuelle a aussi l'avantage de mettre l'enfant en contact en même temps avec l'histoire humaine et avec l'histoire des « choses » sous le contrôle du maître. (Q-I, op.cit. p. 114)

Contre l’idée que l’élève apprend de lui-même, Gramsci soutient que l’esprit n’est pas une « pelote » que le maître aide à dévider. Le lien fondamental est oublié dans toutes ces théories (ces idéologies en fait) selon lesquelles l’élève pourrait apprendre seul. En effet, comme le rappelle Gramsci, « chaque génération éduque la nouvelle génération ». Hannah Arendt ne dira rien d’autre dans La crise de l’éducation. Au-delà de la question de l’école, c’est évidemment pour Gramsci, toute la question de la culture qui est en cause, celle du lien entre les intellectuels et la classe ouvrière et celle de l’hégémonie, condition d’une transformation sociale sérieuse et réelle, là où l’on ne doit plus compter sur une guerre de mouvement (type révolution russe), mais sur une « guerre de position ». Si chaque génération éduque la suivante, la pédagogie « moderne », les « méthodes nouvelles » aboutissent au contraire à rompre ce lien des générations, cette transmission absolument nécessaire pour que les générations suivantes puissent elles-mêmes inventer leur avenir. En vérité, si le lien avec le passé doit être rompu, c’est parce que les classes dominantes et leurs idéologues veulent interdire que puisse être pensé un avenir différent de notre présent. Le sens de la rupture avec les études classiques, c’est de nous installer dans un éternel présent, lequel a un autre nom, la mort, tant est-il que pulsion de mort est bien la pulsion dominante du capitalisme tardif.

Retour sur la question de l’élitisme

S’agit-il, quand on défend une instruction publique rigoureuse fondée sur les « humanités » de défendre une conception élitiste, conservatrice, voire réactionnaire, du rôle de l’école. Nous avons vu, notamment avec les extraits de Gramsci que nous nous trouvons en bonne compagnie... Mais évidemment l’argument d’autorité ne saurait suffire.

Tout d’abord il convient peut-être de réhabiliter l’élitisme ! Aucune société ne peut exister qui ne dispose de moyens de sélection des élites. Lorsque Gramsci parle de sélectionner des savants, il se pose bien la question de la sélection des élites dans le domaine de la recherche scientifique. Chacun, quand il doit être opéré, espère l’être par le meilleur chirurgien, le plus savant et le plus habile à la fois ! Tout le monde trouve normal que les médecins soient sévèrement sélectionnés. On peut éventuellement contester les critères de sélection ou trouver cette sélection insuffisante ; il reste que la sélection est ici une question de vie ou de mort. Si la république décide de consacrer une partie de son budget à la recherche, elle cherchera toujours à employer les meilleurs parmi les diplômés. Il n’y a que dans les régimes corrompus et tyranniques que n’importe quel crétin peut occuper un poste stratégique, quel qu’il soit.

En fait, et tout le monde le sait, là où la sélection ne se fait pas sur la base du mérite scolaire, elle se fait tout de même, mais sur d’autres bases. De nombreuses écoles supérieures privées remplissent leurs cours sur la base du critère financier. Ceux que l’on recrute ne sont pas nécessairement les meilleurs, mais les plus riches, puisque les meilleurs parmi les plus pauvres ne peuvent suivre des cursus onéreux qui les obligeraient, éventuellement, à s’endetter lourdement. On a beaucoup critiqué et souvent à juste titre les « énarques ». Mais le recrutement par concours des hauts fonctionnaires est un système de sélection des élites politico-administratives plus juste et plus efficace que le recrutement par « copinage » qui prévalait avant la création de l’ENA – rappelons que l’ENA et le statut de la fonction publique sont issus directement de la Libération en 1945. Même dans une société débarrassée de la division en classes sociales antagoniques, il serait nécessaire de sélectionner des élites dans tous les domaines.

On remarquera que les contempteurs de l’élitisme ne trouvent rien à redire à ces disciplines basées sur la compétition, comme le sport. Or, si on peut admettre que tout élève (sauf pathologie avérée) peut apprendre à lire et écrire correctement et à résoudre des problèmes de mathématiques du niveau du baccalauréat, on sait qu’exceller dans les exercices physiques suppose une large part d’aptitudes innées. Un adolescent pâtissant de surcharge pondérale (comme on dit pudiquement aujourd’hui) aura beaucoup de difficultés à réussir à grimper à la corde, à courir ou à faire de la gymnastique... Curieusement, on ne met donc jamais en cause l’élitisme là où il le plus ouvertement fondé sur la différence des aptitudes naturelles innées ! Notons également que nos sociétés sont présentées et louées comme des sociétés de compétition et d’émulation … c’est-à-dire comme des sociétés qui offrent les meilleures opportunités aux meilleurs. Mais il faudrait en même temps décourager l’élitisme à l’école.

Ces incohérences ont un sens. La critique de l’élitisme scolaire n’est pas le fait des classes populaires qui souhaitent le meilleur pour leurs enfants et donc l’accès à l’école « élitiste », mais plutôt le fait des classes moyennes supérieures et des classes dominantes. Il est toujours désagréable quand on appartient aux milieux intellectuels, aux cadres supérieures et aux professions libérales de constater que ses propres enfants ne réussissent par forcément à l’école, qu’ils sont moins bons en latin ou en mathématiques que l’enfant de travailleur immigré qui a vu dans l’instruction le moyen de son émancipation. Bizarrement, la critique de l’élitisme scolaire s’est développée au fur et à mesure que les enfants de toutes les classes sociales accédaient à l’enseignement secondaire. Cette inquiétante corrélation laisse penser que la critique de l’élitisme n’est qu’une forme particulièrement fourbe de ce « racisme de classe » qui a toujours caractérisé les « belles gens ». Quelques indices que c’est dans cette voie qu’il faut chercher. La suppression des langues anciennes au profit des langues vivantes est un premier exemple. Quand on apprend le latin, il suffit de suivre des cours de latin, de disposer d’une grammaire latine (gracieusement prêtée par le collège) et d’un bon vieux Gaffiot. Et ici pas de séjour linguistique qui tienne ! Par contre, pour l’anglais – l’allemand et l’espagnol à un moindre titre – il y a le catalogue des séjours linguistiques, « en immersion » qui promettent à l’élève de devenir « bilingue ». Contrairement au discours officiel, le latin ou le grec ne sont pas réservés aux classes aisées, mais bien plus ouverts à tous, en réalité, que les langues vivantes que l’on n’a apprendra jamais à parler convenablement par deux ou trois heures par semaine de cours en classes de trente élèves et qui demanderont une pratique qu’on ne peut véritablement acquérir qu’en dehors de l’école.

En disant cela, j’exagère un peu. Il existe actuellement avec les classes « bi-langues » et leur prolongement dans les classes « européennes » des lycées un possibilité véritable de maîtriser une langue étrangère et en particulier l’allemand qui ne se maintient de fait que dans ces classes... mais ces classes sont vouées à disparaître avec la réforme du collège. Là encore le prétexte à cette mesure est la lutte contre l’élitisme. De fait, ces classes regroupent souvent de bons élèves et peuvent apparaître comme des « filières d’élite ». Et c’est pourquoi elles s’attirent l’ire des élites de la bureaucratie de l’Éducation Nationale, du pouvoir politique et du pouvoir de l’argent. Car ces élites-là pensent qu’elles sont les seules élites légitimes et qu’en aucun cas un « élite du savoir » ne peut être autorisée à leur faire de l’ombre...

Il faut dire les choses clairement : l’école est par définition « élitiste ». Que l’on mette des notes (de 0 à 20), des appréciations (« aucun travail », « insuffisant », ..., « excellent ») ou des lettres (A,B,C,D,E), cela ne change absolument rien au fait que le travail du maître qui enseigne ses élèves est de vérifier ce qu’ils ont véritablement appris et de discriminer entre les travaux rendus par les uns et par les autres. Les maîtres des écoles primaires de la IIIe République devaient détecter tous les élèves prometteurs pour les emmener au certificat, les faire passer dans le « primaire-supérieur », proposer leur entrée au lycée, etc. Ce fameux « ascenseur social » fondé sur la méritocratie républicaine, c’était cela : la sélection des élites potentielles dans les classes populaires. Et évidemment pour que cette sélection soit possible, il fallait donner à tous ces rudiments de savoir dont doit partir toute instruction authentique. L’école d’aujourd’hui sélectionne tout autant, mais de manière plus hypocrite, si bien que ceux qui ne sont pas introduits aux méandres du système, ceux qui en ignorent la fourberie se laissent éliminer sans savoir comment. On a supprimé les classements de l’école primaire à la Terminale. Un professeur qui s’avise de rendre les devoirs dans l’ordre de la meilleure note à la plus mauvaise est vite dissuadé de poursuivre dans cette voie ; les élèves sont « traumatisés » ! Mais cela n’empêche nullement les conseils de classe de distribuer félicitations, compliments, encouragements et avertissements. Cela n’empêche le logiciel « admission post-bac » de classer les élèves. Dans la classe, personne ne sait que l’élève Martin est 3ème, mais l’établissement auprès de qui il a déposé un dossier le sait. Mais silence ! Cachez ce classement que je ne saurais voir ! Dans les classes préparatoires, on cherche à déterminer qui a « majoré » à telle ou telle épreuve et on s’entraîne aux concours qui couronnent ces études difficiles. Et rien n’est plus élitiste qu’un concours. Au baccalauréat, rien ne s’oppose en théorie à ce que tous les candidats soient admis – c’est d’ailleurs ce qui va bientôt arriver si la progression des « bonnes cuvées » se poursuit, selon les instructions ministérielles. Mais à un concours par définition, il y a des reçus et des collés ! À tous points de vue, l’anti-élitisme est une mauvaise plaisanterie à laquelle ne croient pas une minute les membres des élites politiques et financières, mais dont ils espèrent persuader les enfants des classes populaires afin qu’ils renoncent définitivement à vouloir concurrencer les « CSP++ » sur le terrain scolaire. Les slogans gouvernementaux du genre « l’excellence pour tous » qu’il faudrait opposer à l’élitisme sont absolument dénués de sens, surtout quand on organise la médiocrité pour tous à l’école publique.

De la « démocratisation » de l’école

La « démocratisation » de l’école que d’autres appellent « massification » est un autre slogan de l’idéologie contemporaine. Si le mot « démocratisation » a un sens, c’est un sens politique : le « kratos » de démocratie désigne le pouvoir. Ce qu’on appelle « démocratisation » n’est rien d’autre que l’élargissement de l’accès à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur. En ce qui concerne le terme de « massification », Gilbert Molinier apporte ici des éclairages fort utiles. Il constate :

La massification de l’enseignement, accompagnée des handicaps socioculturels sont donnés pour les symptômes et les causes de la crise actuelle de l’école comme des difficultés qu’elle rencontre dans son mouvement de modernisation. Ce sont les thèmes récurrents de la sociologie de l’éducation depuis plus de trente ans, eux-mêmes devenus les lieux communs des discours syndicaux comme des justifications des pratiques pédagogiques de nombreux enseignants. En même temps, la massification est devenue le thème récurrent à partir duquel sont élaborées les politiques scolaires, de gauche comme de droite ; elles se donnent l’air d’être bâties à partir des analyses savantes réalisées par des spécialistes de la sociologie et des sciences de l’éducation ; elles-mêmes sont devenues des sortes d‘évidences.

Après avoir soigneusement démonté les rouages des machines idéologiques et politiques à l’œuvre derrière le terme de « massification », il conclut :

Prétendre que le problème de l’école, c’est la massification, me semble extravagant. Celle-ci n’explique rien du tout, elle n’est qu’un pitoyable bricolage conceptuel, témoignage de la sociologie comme „intégrisme de la culture ultra-moderne“. La massification ne désignerait-elle pas plutôt l’introduction, dans l’école, d’une culture de masse, culture misérable au goût de hamburger, culture abrutissante chargée de produire des abrutis ? La sociologie, comme les sciences de l’éducation confondent, inversent les causes et les effets ! Ce n’est pas l’accès des masses à la culture qui affaiblit cette dernière, mais c’est, au contraire, l’introduction de la culture de masse qui pourrit les élèves. Va-t-on encore longtemps faire l’impasse sur les cadres culturels dans lesquels l’école est enserrée ? Même Zbigniew Brzezinski2 s’étonne, et il sait de quoi il parle, de l’emprise mondiale de la „culture“ américaine sur les jeunes ! Dans Le grand échiquier, il écrit : „Quoique l’on pense de ses qualités esthétiques, la culture de masse américaine exerce, sur la jeunesse en particulier, une séduction irrésistible. Malgré l’hédonisme superficiel et les styles de vie stéréotypés qu’elle vante, son attrait n’en demeure pas moins irréfutable.”

Sortons maintenant des formulations idéologiques et considérons de plus près les réalités sociales. Il est indéniable que depuis les années 60, qu’il y a eu un important élargissement du recrutement des bacheliers et diplômés de l’enseignement supérieur. Mais depuis la fin des années 90, on observe une assez nette stagnation dont atteste le graphique (source : Observatoire des inégalités)

Il faut cependant aller au-delà des données statistiques, brutes. La stagnation des parcours scolaires pour les classes sociales supérieures à un taux de 70 % n’a évidemment pas la même signification que pour les étudiants issus des milieux ouvriers et employés autour de 40 %! Toutes les statistiques (nombre d’individus d’une classe d’âge au niveau du bac, nombre de bacheliers dans les séries générales, etc.) vont dans le même sens. Et encore ne s’agit-il que de chiffres globaux. Si on détaille les statistiques concernant les étudiants des classes préparatoires et des écoles ingénieurs, on s’aperçoit alors que la sélection sociale, un peu moins impitoyable pour l’université, s’est aggravée dans cette catégorie. L’Observatoire des inégalités (6 septembre 2013) remarque :

Les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures constituent près d’un tiers des étudiants à l’université et la moitié des élèves dans les filières les plus sélectives comme les classes préparatoires aux grandes écoles ou les écoles d’ingénieurs, alors que leurs parents ne représentent que 15 % des emplois. L’écart est fortement marqué en écoles d’ingénieurs ; 47,8 % des élèves-ingénieurs (hors université) ont des parents cadres ou professions intellectuelles supérieures, 5 % sont enfants d’ouvriers et 6,4 % d’employés. Les enfants d’ouvriers et d’employés sont mieux représentés dans les filières courtes, des IUT aux BTS, en passant par les écoles paramédicales et sociales.

Dans un rapport du Sénat, on peut lire :

Une autre étude conduite en 1995 par MM. Claude Thélot et Michel Euriat22(*), et ciblée sur quatre grandes écoles prestigieuses (Polytechnique, l’École normale supérieure, HEC et l'ENA), constitue une « référence » dans l'analyse de la diversité sociale. Cette analyse aboutit à un constat apparent de « régression » dans le recrutement social de l'élite scolaire : en effet, alors que 29 % des élèves de ces écoles étaient d'origine « populaire » au début des années 1950, ils ne sont plus que 9 % quarante ans plus tard.

Il serait intéressant de mesurer dans le détail le rapport entre les « réformes » de l’école depuis 1968 et cette régression de la « démocratisation » des filières de recrutement des élites. Comprendre pourquoi l’école de 1950 permettait mieux aux enfants d’origine populaire d’intégrer les écoles prestigieuses que l’école de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Une telle étude constituerait un réquisitoire impitoyable contre cette « démocratisation ».

Il faut, en outre, comparer ce qui est comparable. Quel était le niveau d’instruction réelle d’un élève titulaire du certificat d’études primaires en 1960 et d’un élève titulaire du DNB aujourd’hui ? L’augmentation générale du nombre de diplômés s’accompagne d’une dévalorisation massive des diplômes. Le baccalauréat n’ouvre pratiquement plus l’accès à aucun métier. Des diplômes comme les BTS qui donnaient accès il y a une trentaine d’années à des emplois d’encadrement n’ouvrent plus guère aujourd’hui que sur des emplois subalternes. Ce phénomène a une double origine. D’une part la baisse de la qualification réelle de ces diplômes et d’autre part la dégradation massive du marché de l’emploi. Un processus de « déqualification/surqualification » qui a été analysé dans plusieurs études (voir les travaux de Michel Feyssinet). Une minorité de travailleurs très qualifiés est nécessaire, mais dans leur grande masse les emplois qualifiés nécessitent moins de qualification. remarque que « la virtuosité » de l’ouvrier est passée dans la machine. « La capacité de production de l’outil est affranchie des limites humaines. » (op. cit. p. 471) Dans cette situation, les qualifications professionnelles tendent à disparaître et on a un nivellement par le bas.

On voit bien que les bavardages sur « l’excellence pour tous » n’ont aucun sens dans la mesure où on évite de s’intéresser à la situation réelle, c’est-à-dire aux formes précises que prend aujourd’hui le mode de production capitaliste. Un rapport de l’OCDE de 1996 le disait déjà sans ambages : l’économie n’aura besoin que d’un petit nombre d’emplois qualifiés. Beaucoup d’analystes pensent que la prochaine « catastrophe industrielle » va toucher les emplois qualifiés du secteur tertiaire. Il faut donc apprendre à gérer les stocks de jeunes qui, de toute façon, resteront aux marges du « marché du travail » ou n’y entreront jamais. Tel est l’arrière-plan des « réformes » qui organisent la dégradation du contenu de l’instruction publique.

Collège unique et inégalités réelles

La réforme Haby de 1975 a consacré des évolutions engagées dès le début des années 60, abolissant la séparation entre les deux grandes « filières » de l’école ancienne, la filière primaire/primaire supérieur orientée vers la formation d’ouvriers et d’employés et la filière secondaire/supérieur qui du lycée dès la classe de sixième conduisait à la formation des cadres, des ingénieurs, des médecins et plus généralement de toutes les professions apparentées aux classes dominantes. La réforme Haby s’est prolongée au fil des années par l’abolition progressive de tout ce qui pourrait s’apparenter à des filières, avec la suppression des « 4e techno », laquelle sera complétée par la fusion des « secondes pro » et des secondes des lycées généraux et technologiques.

En créant un collège unique ouvert désormais à tous les élèves issus du CM2, la réforme Haby avait tout l’air d’une réforme profondément démocratique, traitant à égalité tous les élèves et leur ouvrant à tous les mêmes chances. Nous avons vu ce qu’il en était en fait : la poussée vers l’enseignement supérieur est antérieure au collège unique – et donc on ne peut lui attribuer le mérite d’avoir « démocratisé » l’accès aux diplômes du supérieur – et nous avons également vu que dès les années 90, c’est-à-dire quand le collège unique a commencé à produire ses effets les inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur ont cessé de se réduire et se sont même fortement aggravées en ce qui concerne les grandes écoles recrutant les élites de la nation.

Nous avons là un paradoxe étonnant qui n’a, semble-t-il, guère suscité la curiosité des chercheurs en sciences de l’éducation et autres sociologues de l’école. Ce paradoxe n’est étonnant que pour ceux qui pensent que l’école est toute-puissante et c’est elle qui produit les rapports sociaux. Si tous les élèves, quelle que soit leur origine, reçoivent le même enseignement, les différenciations sociales devraient s’effacer, et conformément à l’idéologie puisée dans la lecture de Bourdieu, il faut, pour parachever le travail de nivellement scolaire, effacer du cursus scolaire tous les « marqueurs » socioculturels des classes dominantes que sont la culture générale, les langues anciennes, la littérature classique. Meirieu, qui en est revenu, a été l’un des premiers à proposer l’abandon des textes classiques au profit de l’étude des modes d’emploi des appareils électroménagers comme moyen d’apprendre le français. Comme ses erreurs passées ne lui ont rien appris, il récidive à l’occasion de la réforme du collège, en soutenant que construire une maquette de la Rome antique est nettement plus profitable que d’apprendre le latin... Une fois le nivellement opéré, les distinctions sociales entre les élèves n’ont évidemment pas disparu, mais l’école fait comme si elles n’existaient plus. La culture classique qu’un élève issu des milieux populaires pouvait espérer acquérir à l’école est maintenant hors de sa portée pendant que les rejetons des classes dominantes vont pouvoir acquérir hors école, avec leurs parents et amis, tous ces « marqueurs sociaux » qui assureront leur succès dans les concours où la culture générale joue un rôle important.

Autrement dit, l’égalité apparente du « collège unique » en fait un multiplicateur des inégalités, d’autant plus efficace qu’il se dissimule. Ce que corroborent les statistiques. Il y a un deuxième aspect : sous couvert de « réussite des élèves », le collège inique autant qu’unique, en voulant faire rentrer tout le monde dans le même moule, bousille allégrement toute une génération. Sauf encore une fois à penser la toute-puissance de l’institution scolaire (ceux qui l’accablent de tous les maux la postulent de fait comme toute-puissante), on doit constater que les élèves ont des goûts et des aptitudes différentes. L’un aime le dessin et l’autre la musique. Les mathématiques ne réussissent pas à tous ! C’est d’ailleurs un point que l’on passe souvent sous silence : à côté d’une brillante école française de mathématiques, l’échec dans cette discipline est assez massif sans que l’on ait jusqu’à présent des explications convaincantes. Certains élèves supportent mal l’écoute et l’écriture et préféreraient mettre en œuvre des habiletés manuelles. On a reproché au système ancien des filières de sélectionner prématurément et d’organiser la ségrégation sociale. Mais le collège unique est un carcan qui est si insupportable et dont l’échec est si patent qu’on tente vainement de le desserrer en diminuant encore le niveau d’exigences dans chaque discipline.

Pourquoi donc les gouvernements successifs, de droite autant que de gauche, avec l’appui de quelques bureaucraties syndicales – la CFDT et les rescapés de l’ex-FEN, par exemple – s’obstinent-ils dans l’erreur ? Il y a, semble-t-il, deux types de raison.

La première raison qui, pour les gouvernements, milite en faveur du collège unique est qu’avec des classes toutes identiques, on peut facilement rationaliser les moyens et « blinder » les classes à 29 élèves par classe. Si on a 90 élèves indifférenciés, cela fait trois classes et l’affaire est réglée. Mais s’il faut distinguer ces 90 élèves « à l’ancienne » avec par exemple des « classiques » et des « modernes », c’est tout bien plus compliqué. Si on a 20 élèves en « classiques », il faudra 3 autres classes de « modernes » et donc non plus trois, mais quatre classes avec les effectifs correspondants en termes de professeurs. L’unification en termes de contenus s’est accompagnée d’un augmentation continue des effectifs et cela est vrai au collège comme au lycée si bien que les maxima d’hier sont devenus la norme incompressible d’aujourd’hui. Et quand on réduit les horaires disciplinaires pour faire de « l’aide personnalisée », ainsi appelée parce qu’elle se fait en classe entière, le sommet de l’hypocrisie et de l’escroquerie intellectuelle est atteint.

Il y a une deuxième raison, un peu plus sournoise. Les filières technologiques avaient pour mission jadis de déboucher sur une formation professionnelle avec un diplôme reconnu par les conventions collectives et un niveau de salaire bien déterminé, nonobstant les accords particuliers dans telle ou telle entreprise. Or, depuis plusieurs décennies, le patronat a entrepris d’en finir avec la reconnaissance des qualifications professionnelles et prône une polyvalence qui justifie la réduction de tous les salaires d’embauche au niveau du SMIC et la disparition de toutes les garanties collectives arrachées par les luttes syndicales. Dès lors la formation technologique n’a plus lieu d’être. Et plutôt qu’apprendre la mécanique ou l’électricité, il vaut mieux occuper les élèves avec des formations « farces et attrapes » sous forme d’EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) sur le « développement durable » ou les langues régionales.

Une réforme sérieuse du collège impliquerait qu’on en finisse avec le collège unique, qu’on revienne à des filières spécialisées, concentrées sur les enseignements disciplinaires et l’acquisition des savoirs fondamentaux. Mais la chape de plomb idéologique est si lourde que les syndicats, y compris ceux qui se sont opposés en son temps à l’introduction du « collège unique » n’osent plus en parler. Pour ne rien dire des partis : ceux de gauche sont des fanatiques du « collège unique » et ceux de droite, après l’avoir créé l’ont consolidé notamment avec la fameuse « école du socle » de François Fillon, dont Mme Najaud-Belkacem est une disciple fidèle, ce que l’on voit immédiatement si on s’intéresse à la vérité effective des choses et non au barnum médiatico-politicien qui ne sert qu’à amuser la galerie.

En guise de conclusion

Il y aurait encore beaucoup d’autres points à débattre ou à approfondir. Nous y reviendrons sans doute. Le plus important pour l’heure est de porter la discussion sur le fond et ne pas se contenter de mettre en cause « les moyens », ce qui est, malheureusement, la spécialité du syndicat majoritaire dans l’enseignement, la FSU. Les réformes ne sont pas critiquées pour elles-mêmes, mais parce qu’il n’y aurait pas assez de moyens pour bien les appliquer ! Mais c’est l’orientation de toutes les réformes depuis 1968 (au moins) qu’il faut mettre en cause, radicalement. Or, aller au fond des choses, c’est d’abord procéder à la « déconstruction » (chacun son tour!) de l’idéologie post-moderne bourdieusienne (ou bourdivine!) qui, née « à gauche », s’est révélée fonctionnellement adéquate à tous les projets « de droite ». Comme une large partie de la sociologie gauchisante est attachée à Bourdieu comme à la prunelle de ses yeux et comme les débris du marxisme, faute de comprendre quoi que ce soit à , ont fait de Bourdieu leur nouvelle idole, il y a du pain sur la planche. Enfin, c’est bien d’un retour à et au meilleur de la tradition qui s’inspire de lui (Gramsci) dont nous avons besoin, parce qu’il s’agit de penser la question de l’école du triple point de vue : du point de vue de la défense de la qualification des travailleurs face aux revendications du capital qui précisément pousse toujours plus à la généralisation du travail déqualifié ; du point de vue des intérêts généraux de la société qui a besoin de savants, d’ingénieurs et d’érudits en tous genres ; et, enfin, du point de vue de l’instruction publique visant à former des individus complets, aptes à prendre leurs affaires en main collectivement. Dernier paradoxe : l’apparent « conservatisme » que nous avons soutenu ici est pleinement inscrit dans une perspective de transformation sociale et de lutte des classes alors que les révolutionnaires de la pédagogie, les réformateurs de tous acabits n’ont d’autre préoccupation que de maintenir l’ordre existant et servir les besoins de la reproduction du capital. Un leçon à méditer.

Denis Collin – le 25 mai 2015

1 Il s’agit du grand mathématicien Giuseppe Peano.

2 Z. Brzezinski, « politologue » américain fut le principal conseiller de président Carter, membre de divers organismes publics sous la présidence de Reagan et reste un observateur écouté de la politique internationale. Son livre Le grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde (Bayard, 1997) est un plaidoyer pour le maintien de l’hégémonie américaine comme seule à même de garantir la paix dans le monde...

Articles portant sur des thèmes similaires :


Partager cet article


Commentaires

Lien croisé par Anonyme le Lundi 14/09/2015 à 09:47

Le journal de BORIS VICTOR : Où va le POI ? - article de La Sociale :Longue sc : "École : un débat de fond nécessaire - 25/05/15"



Archives par mois


La Sociale

Il Quarto Stato