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Le bruit, le commerce et la guerre

Lettre bernoise 41

Par Gabriel Galice •  • Mardi 26/06/2012 • 0 commentaires  • Lu 2642 fois • Version imprimable


Pour le meilleur et pour le pire, le progrès technique nous dote immédiatement à Berne des dernières nouvelles parisiennes. 

Nonobstant, l’histoire bégaie. Jean-Jacques Rousseau dut souffrir les commérages et fantaisies de Thérèse, sa compagne et gouvernante. Thérèse lui valut des démêlés avec ses voisins et la commisération de ses amis. Jean-Jacques écrit à son propos : « II est vrai que cette personne si bornée, si stupide en apparence, était d’excellent conseil, sensée et affectueuse ». Le Roi de France Hollande Ier est affublé d’une première Dame, Valérie, dont l’entendement semble borné par le contour des ressentiments à l’encontre d’une ancienne rivale, Dame Royal. A la discrétion bienveillante qui sied ordinairement à sa fonction, elle préfère la tonitruance accoutumée au « poids des mots, au choc des photos », selon la maxime de la gazette qui recueille ses épanchements. Quel tapage après le tweet intempestif ! L’insignifiance bruyante est signe du temps.

D’autres sujets colportés importent bien autrement, qui font moins de bruit. Au 20h du jeudi 7 juin de l’an de grâce 2012, Sieur David Poujadas s’est enflammé contre ces insolents Indiens, dont tu es, qui enfreignent les sacro-saintes règles du libre-échangisme. Muni pour Winchester du rapport de l’UE « Forte montée du protectionnisme au sein du G20 », le cow-boy Poujadas flingue ces maudits Indiens qui ont le mauvais goût de nous vendre leurs vaches sacrées et leurs cornichons tout en limitant l’accès de nos chers fromages à leurs sélectifs palais et même, horresco referens, de refuser l’implantation de nos grandioses supermarchés pour privilégier insolemment l’emploi des boutiquiers locaux. L’envoyé spécial en témoignait de visu depuis l’une des échoppes, devant l’hilare commerçant du coin. La volée de bois vert continuait avec les Russes qui se mettent en tête d’imposer un volume de pièces d’origine locale dans les voitures vendues sur leur marché, avec les Argentins mauvais joueurs et vaguement hispanophobes. Sieur Poujadas avait l’air de croire dur comme fer aux inepties du Comité Central de l’UE qu’il nous débitait. Pour donner plus de poids à sa récrimination, notre justicier cite « le Français Pascal Lamy, directeur de l’OMC », comme lui membre du prisé club « Le Siècle ». Il aurait même pu ajouter « Le socialiste français… » pour faire plus solennel encore après le changement d’hôte de l’Elysée. Même sans solliciter le fougueux Karl , une lecture du modéré Max Weber nous instruit d’un aspect de la violence du marché : « Le critère d’évaluation, sans lequel le compte de capital ne peut exister, provient, d’une manière constamment renouvelée, de la lutte de l’homme avec l’homme sur le marché. » (L’histoire économique, Paris, Gallimard, 1991, p.16)

 

 

Les nouveaux chiens de garde du désordre établi font comme si le monde était construit sur des principes harmonieux aussi intangibles qu’indiscutables. Comme si, pour acquérir le martial « Rafale » de chez Dassault promis à Sarkozy, les Indiens ne devaient pas vendre aux Français moult vaches, cornichons et véhicules Tata. Dans ce monde de rivalité des Etats adossée à la concurrence des entreprises, tous les coups et verbiages sont permis. Ne pas prendre les mots pour des faits ou des idées devrait être axiome de la gent journalistique, s’il ne s’agissait de vendre au mieux des discours frelatés.

 

Le commerce et la guerre sont réciproquement liés. Le commerce est une concurrence plus ou moins violente, la guerre une rivalité exacerbée. Entre la guerre et la paix figure l’état de guerre ou paix armée. Le commerce des armes est une forme emblématique de la relation du commerce à la guerre. Vient de paraître sous le titre SIPRI Yearbook 2011 – Armaments, DIsarmament and International Security, le gros livre rouge qu’édite annuellement le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute). Cette 42ème édition des turpitudes belliqueuses et vicissitudes belligènes de notre monde enchanté devrait être mise entre les mains de tous les échotiers, politiciens, étudiants et citoyens.

 

Le premier chapitre porte sur « la corruption et le commerce des armes : les péchés de la commission. » Les auteurs relèvent que si les ventes d’armes ne représentent qu’une faible part du commerce global, elles constituent 40% de la corruption. La corruption alimente copieusement les classes politiques de tous pays. La hiérarchie des vendeurs d’armes vaut mention : Etats-Unis (30% du total), Russie (23%), Allemagne (11%), France (7%), Royaume-Uni (4%). Les principaux clients des Etats-Unis sont la Corée du Sud (14%), l’Australie (9%) et les Emirats Arabes Unis (EAU) (8%), ceux de la Russie l’Inde (33%), la Chine (23%) et l’Algérie (13%), ceux de l’Allemagne la Grèce (15%), l’Afrique du Sud (11%) et la Turquie (10%), ceux de la France Singapour (23%), les EAU (16%) et la Grèce (12%), ceux du Royaume-Uni les Etats-Unis (23%), l’Arabie Saoudite (19%) et l’Inde (13%).

 

Pardonne-moi cette énumération chiffrée, mon cher, mais je dois parler le langage des nombres pour dire crûment des choses cruelles, dont plusieurs, hélas, concernent ton beau et grand pays. A y regarder de près, ces chiffres éclairent bien des faits de la politique mondiale que la gent journalistique néglige.

 

Le commerce des armes n’a rien à envier aux armes du commerce, mon cher Amartya ; que Ganesha te protège !

 
Ton Guillaume tel que tu le prises : constant.
 
Berne, le 20 juin 2012

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