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Le retour du Géorgien

De l'Iran et du retour de Staline et du stalinisme

Par Denis Collin • Débat • Dimanche 28/06/2009 • 4 commentaires  • Lu 2979 fois • Version imprimable


La crise politique en Iran a agi comme un révélateur qui a mis en évidence le retour d’un pensée proprement stalinienne qu’on croyait (imprudemment) disparue depuis de nombreuses années. Toute une série de groupes, de personnalités, de sites informatiques ont agi comme mus par des réflexes conditionnés, volant au secours du régime de mollahs en difficultés sérieuses après la gigantesque opération de fraude de la dernière présidentielle, fraude aujourd’hui avérée, sauf pour ceux qui ne croyaient ni aux camps d’extermination ni aux crimes de Staline. Au delà des prises de positions conjoncturelles se développe un véritable révisionnisme qui vise à minimiser ou à justifier complètement les crimes du stalinisme et à réhabiliter la tyrannie du petit père de peuple ainsi que celle de son disciple chinois, le grand timonier. Il y a, il est vrai, un longue tradition de soumission de l’intellectuel petit-bourgeois européen, fort en gueule, révolutionnaire en paroles et vantard, qui n’aime rien tant que d’adorer un maître.

 

L’axe du mal

On sait que Bush, à la suite de Reagan, avait défini une catégorie spéciale d’États, les « États voyous » regroupés autour d’un « axe du Mal ». Idéologie de guerre, au service de nouvelles « croisades » et de la stratégie du « clash of civilizations », l’idéologie de l’axe du Mal n’a aucun consistance et cherche uniquement à imposer une certaine perception de la réalité sociale inspirée des plus mauvais westerns hollywoodiens : le combat des bons contre les méchants remplaçant les complexités de la lutte des classes sociales (de toutes les classes sociales).

Les Bush et consorts trouvent leur complément parfait dans « l’anti-impérialisme » défendu par ce qui reste de la « gauche ». Cet « anti-impérialisme » est une doctrine d’une très grande simplicité: vous prenez l’axe du mal de Bash et vous en renversez les signes: ce qui est mal chez Bush devient bien chez les « anti-impérialistes » et vis-versa. Bush (avec ses alliées impérialistes occidentaux) diabolise l’Iran, Ahmadinejad devient ipso facto un héros « anti-impérialiste ». Sur le même axe du « bien anti-impérialiste », on trouvera le Hamas et le Hezbollah (qui font partie de l’axe du mal bushiste). On y trouve aussi la Russie de Poutine et la Chine appelée encore, on ne sait pourquoi, « communiste ». Ajoutons-y le régime cubain et Chavez. Une fois l’axe du « bien anti-impérialiste » identifié, il ne reste qu’à faire tourner à plein régime la machine à décerveler les militants. Par exemple, si Kim Jung Il, le tyran de la Corée du Nord, menace de relancer la guerre contre la Corée du Sud, l’anti-impérialiste de base choisit son camp, celui de Kim Jong Il, sans se poser une seule fois la question du régime de Kim Jung Il. Sur « Le grand soir » ou « Bellaciao », on a d’ailleurs une réponse toute prête: 1) tout le mal qu’on dit « en Occident » de son régime est bidonnage médiatique - seul le journaliste (sic) du Grand Soir ou de Bellaciao connaît la vérité sur ces régimes ; 2) on dit du mal de Kim Jung Il pour mieux soutenir quelque tyran pro-occidental qui est bien pire. On le même genre de logomachie à propos du régime de Mugabe au Zimbabwe : si vous ne soutenez pas Mugabe, c’est parce que vous aimez Bongo...

Lors des derniers évènements en Iran, « l’anti-impérialisme » s’est une nouvelle fois distingué par sa capacité à raconter n’importe quoi et à soutenir n’importe quelle tyrannie pourvu que Bush l’ait classée dans « l’axe du mal ». Ainsi de Bellaciao au « Grand Soir », au site de Michel Collon, au PRCF en passant par des contributeurs assez nombreux à Agoravox ou « Marianne 2 » et en y ajoutant les embarras emberlificotés de Mélenchon et du PG et tous les aficionados de Chavez – qui venait d’apporter son soutien à Ahmadinejad, tous se sont entendus pour ne rien dire du soulèvement populaire et classer les événements iraniens soit dans la rubrique « manipulations de l’impérialisme et des médias occidentaux » (Meyssan, encore plus crétin que de coutume, prétend même que c’est la CIA qui a organisé les manifestations en Iran et il est relativement suivi sur le terrain, y compris dans « le grand soir » et Bellaciao), soit dans la rubrique querelles de mollahs, sachant que Moussavi était soutenu par Rafsandjani, corrompu notoire, au contraire d’Ahmadinejad aux mœurs simples... Il est évident pour les « anti-impérialistes » qui mènent de furieux combats par internet, qu’une révolte contre un gouvernement aussi anti-impérialiste que celui d’Ahmadinejad ne peut être qu’une révolte réactionnaire, une opération montée par les classes moyennes aisées aidées par l’impérialisme et les médias « occidentaux »! Pietro Pagliani, sur le site Comunismo e comunità, d’ordinaire mieux inspiré, voit dans les événements d’Iran la répétition du scénario par lequel les classes moyennes renversent les éléments « prolétariens », comme lorsque Khrouchtchev a entrepris la déstalinisation ou lorsque, après avoir réprimé le mouvement étudiant de 1989, les dirigeants chinois ont compris la leçon et se sont tournés vers l’impérialisme... À ce niveau de bêtise perverse ou perversité stupide, on ne sait plus que répondre.

Le retour de Staline

Car ce qui unit tous les « anti-impérialistes », c’est un nostalgie du régime de Staline ou, au moins, un goût certain pour les régimes politiques qui s’en inspirent. Les « anti-impérialistes » détestent la démocratie et n’acceptent l’intervention des masses que lorsqu’elle est dûment encadrée par un parti à la discipline d’acier, une organisation militaire ou, à défaut, la hiérarchie cléricale.

Faute de comprendre les raisons politiques et historiques de la déconfiture totale du communisme du XXe siècle et en particulier de sa variante italienne, Losurdo, par ailleurs philosophe honorable capable d’écrits remarquables sur Kant, Hegel ou Nietzche1, a visiblement perdu la tête – Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. Après un très mauvais livre intitulé « Fuir l’histoire », Losurdo, qui fut pourtant aux avant-postes de la lutte contre le révisionnisme historique, notamment celui de Nolte, s’est lui aussi converti aux délices empoisonnés du révisionnisme, cette fois au profit de Staline. Son dernier livre, Stalin, storia e critica di une legenda nera, ouvre la voie à réhabilitation du stalinisme en considérant Staline comme un politicien réaliste qui a su faire ce qui était nécessaire dans une situation difficile... Bref, retour à la case d’avant 1956! Les vieillards gâteux retombent souvent en enfance. Losurdo, qui était trop jeune pour être un stalinien de la grande époque est pris de nostalgie d’une époque qu’il n’a pas connue. Triste fin d’un penseur sérieux qui peut maintenant être publié dans les organes néo-staliniens français.

Dans « Le Grand Soir », Losurdo se livre à un incroyable numéro de virtuose sur fond de conception policière de l’histoire, en expliquant que le mouvement démocratique qui culmine avec la manifestation de la place Tien An Men en 1989 était en réalité une tentative de coup d’État visant à renverser le régime « communiste », avec comme relai au sein de la direction chinoise par l’ex-secrétaire Zhao Ziyang. Fort heureusement, selon Losurdo, le parti et l’armée, unis derrière Deng Xiaping, ont déjoué cette manœuvre qui visait instaurer l’empire américain mondial! Qu’un philosophe intelligent puisse écrire des âneries pareilles, cela laisse pantois. Losurdo oublie que la direction chinoise du vivant de Mao a noué une alliance stratégique avec les USA par l’intermédiaire de Kissenger, que cette alliance c’est concrétisée dans le soutien complet aux Khmers rouges, y compris quand ils ont été chassés du pouvoir grâce à l’intervention, humanitaire pour le coup, du Vietnam. Losurdo fait mine de ne pas savoir que la réintroduction brutale du capitalisme en Chine est d’abord l'œuvre de Deng … et ainsi de suite. Et si certains Occidentaux voyaient d’un bon œil la tentative de démocratisation de la Chine, ils ne peuvent que se féliciter que la direction du PC chinois a écrasé le mouvement de 1989, car jamais un régime démocratique n’aurait pu transformer aussi facilement la Chine en atelier du capitalisme mondial où des ouvriers sans sécurité sociale, sans retraite, dans éducation gratuite, travaillent pour le dixième du salaire d’un ouvrier occidental – et, accessoirement, agissent, à leur insu, comme des briseurs de grève qui cassent, par la concurrence et les délocalisations, les conventions collectives arrachées de haute lutte.

Losurdo ne parvient pas à comprendre que son « communisme » réaliste stalinien, celui qu’il regrette était précisément celui du PCI, le parti communiste le plus stalinien, contrairement aux apparences – ce qu’explique fort bien Costanzo Preve2. Mais c’est précisément parce qu’il était stalinien et qu’il entretenait souvent avec la société des relations assez proches de celle du PCUS – dans régions « rouges » - que le PCI s’est effondré aussi rapidement pour laisser la place à au PDS puis au PD. D’Alema n’est pas un « traître » mais un produit nécessaire de ce stalinisme réaliste qu’affectionne Losurdo.

Mais Losurdo ne fait que dire tout haut ce que pensent et commencent à écrire beaucoup des « anti-impérialistes » auto-proclamés: Staline, c’était le bon temps. En France, une historienne (capable, par ailleurs, d’ouvrages intéressants sur l’histoire de France), Jeanne Lacroix-Riz, une des figures du PRCF (les reconstructeurs du PCF comme avant), travaille sur ce créneau de la nostalgie stalinienne.

On comprend mieux pourquoi, face au mouvement démocratique en Iran, on a vu ressurgir l’argumentaire qui avait servi aux partis staliniens du monde entier pour justifier l’écrasement de la « commune » de Budapest en 1956 ou l’invasion soviétique à Prague en 1968. Les manifestants de Téhéran ne sont pas encore ouvertement qualifiés de « vipères trotskystes », mais le cœur y est ! L y a tout de même une différence notable : on pouvait dans les années 30 et même dans les années 50 (compte tenu du rôle de l’Armée Rouge dans l’écrasement du fascisme) soutenir l’URSS comme pays socialistes et fermer les yeux sur les « bavures » du système en alléguant qu’on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs. À la rigueur on pouvait être maoïste dans les années 60 en prenant au sérieux la rhétorique fallacieuse des « communes populaires ». Mais quand cette argumentaire « vieux stal » est mis au service de Poutine qui restaure la « grandeur russe », sous l’égide de l’église orthodoxe et pour le grand profit des milliardaires bien en cour, alors là il ne s’agit plus d’une presque excusable bêtise ! Tous ces gens font comme si Poutine était le continuateur de l’URSS et au fond l’enfant légitime de Lénine. Et cela explique qu’ils considèrent comme des « contre-révolutions » les manœuvres et les pseudo-révolutions par lesquelles l’Ukraine ou la Géorgie ont cherché à changer de maître et à échapper à la férule de Moscou en s’appuyant sur l’impérialisme US – exactement comme les Cubains, au début, se sont appuyés sur Moscou pour échapper aux griffes de l’Oncle Sam.

C’est le même mécanisme intellectuel qui a conduit Mélenchon à soutenir la répression de Pékin au Tibet – si Mélenchon s’était un peu renseigné, il aurait su l’absurdité qu’il y a à identifier cette vieille ganache de « daïli lama » avec la résistance tibétaine – même si l’affaire tibétaine servait évidemment de moyen de pression dans les rapports de collaboration conflictuelle entre USA et Chine. Et pourtant on aurait cru Mélenchon vacciné par son passé contre ces modes de pensée (ou plutôt de non-pensée) binaires. Avec l’Iran, on a franchi une étape: les mêmes qui veulent interdire la burqa en France se retrouvent au coude à coude avec les islamo-gauchistes pour la défense du régime d’Ahmadinejad!

Les petit-bourgeois veulent un maître

Ainsi donc, toutes sortes de personnages et de prétendus « intellectuels » qui se donnent d’ordinaire pour des « résistants », des défenseurs de l’impertinence et du droit de critiquer le pouvoir volent au secours de gouvernements qui matent leurs peuples, emprisonnent les syndicalistes et utilisent des milices fascisantes comme les bassidji iraniens pour tuer et torturer. Il y a là une sorte de mystère.

En vérité les intellectuels petit-bourgeois – le militant groupusculaire s’y apparente fortement du point de vue psychologique – n’ont qu’une envie, c’est de devenir des dominants: ils possèdent le savoir, le monde doit leur obéir. Mais devenir membre à part entière de la classe dominante n’est pas toujours facile – la concurrence est rude – et une position critique sied souvent mieux du point de vue du capital symbolique. L’intellectuel petit-bourgeois est donc facilement dominant par procuration – ce qui lui évite de se salir les mains avec le sang et la merde de la domination réelle. C’est pourquoi l’intellectuel petit-bourgeois se fait volontiers spécialiste de la géopolitique – les misères ordinaires disparaissent derrière les pions qu’on déplace sur le grand échiquier du monde; il est au courant des secrets des grands et il fait l’éloge des chefs qui agissent à sa place. Avant la seconde guerre mondiale, on a vu les intellectuels français se partager entre fans de Staline et admirateurs de Mussolini et d’Hitler. Leur propension a abdiquer toute pensée, à se vautrer dans l’abjection devant les chefs a toujours étonné : comment Drieu, esthète subtil, pouvait-il faire bon ménage avec les miliciens ? Comment Aragon qui sut très vite à quoi s’en tenir sur le régime stalinien est-il resté si longtemps le poète officiel ?3. Même phénomène dans les années 60 et 70 avec tous ces normaliens convertis au maoïsme et à la destruction de l’université « bourgeoise » qu’il fallait convertir en base rouge. Même phénomène et même culte du chef – le Führerprinzip – et même fascination devant les armes et la violence – sublimes quand on les voit de loin - qui ont amené aussi d’ex-maoïstes, d’ex-staliniens et même quelques ex-trotskystes à se rallier à Bush et à la révolution mondiale exportée par les avions et les blindés du nouvel empire.

Psychologiquement, il n’y a aucune différence sérieuse entre les thuriféraires d’Ahmadinejad et les croisés de l’Occident comme Redeker ou la revue « Le meilleur des mondes ». Le « come back » de Staline apparaît ainsi simplement comme une des formes de l’éternelle soumission des chiens de garde. Et les chiens de garde des tyrans orientaux ne valent pas mieux que ceux des tyrans occidentaux. La tyrannie n’a ni géographie, ni race ni religion. « Je n’aime pas les chiens qui cherchent un maître » dit Gabin dans Quai des Brumes. Moi non plus.


Le site "La Riposte" publie une déclaration des "marxistes révolutionnaires" vénézuéliens. Voilà une position nette (quoiqu'un peu trop gentille pour Chavez) et qui prouve qu'on peut véritablement lutter contre l'impérialisme sans devenir un propagandiste des mollahs. Ceux qui se prétendent "marxistes", "communistes" ou autres peuvent en prendre de la graine.

Solidarité avec le mouvement des masses iraniennes – Déclaration du Courant Marxiste Révolutionnaire (Venezuela)

En réponse aux récentes interventions du Président Hugo Chavez sur la situation en Iran, nos camarades vénézuéliens ont publié cette déclaration. Ils y expliquent pourquoi nous soutenons le mouvement de masse en cours et quelle est la véritable nature du régime iranien.

En Iran, il y a une situation où l’opposition dénonce une fraude électorale, où ces accusations reçoivent le soutien des puissances impérialistes, et où des manifestations de rue contestent les résultats. On comprend que des révolutionnaires, au Venezuela, puissent y voir un parallèle avec des situations bien connues de la révolution bolivarienne. Plus d’une fois, au Venezuela, l’oligarchie contre-révolutionnaire – appuyée par l’impérialisme – a essayé de créer une situation de chaos, dans les rues, en criant à la « fraude électorale », dans le but de discréditer les victoires électorales de la révolution (lors du référendum révocatoire de 2004, lors des élections présidentielles de 2006, lors du référendum constitutionnel de 2007, etc.)

Cependant, un tel parallèle ne correspond pas à la réalité.

La République islamique : un régime révolutionnaire ?

Tout d’abord, la République islamique n’est pas un régime révolutionnaire. La révolution iranienne de 1979 était une authentique révolution de masse, à laquelle participaient activement les travailleurs, la jeunesse, la paysannerie, les soldats, les femmes, etc. La grève générale des travailleurs du pétrole fut l’élément décisif dans la chute du régime du Shah. Des millions de travailleurs s’organisaient dans des shoras (comités d’usine) et prenaient le contrôle des entreprises – d’une façon semblable à ce qu’ont réalisé les travailleurs du pétrole, au Venezuela, lors du lock-out patronal de décembre 2002. Des millions de paysans iraniens occupaient les terres des grands propriétaires terriens (comme le font les paysans vénézuéliens, aujourd’hui). Les étudiants occupaient leurs universités et s’engageaient dans leur démocratisation, pour mettre un terme à l’élitisme qui y dominait jusqu’alors. Les soldats, eux aussi, s’organisaient dans des shoras (conseils) et prenaient des mesures pour purger l’armée de ses officiers réactionnaires. Les nationalités opprimées (Kurdes, Arabes, Azéris, etc.) luttaient pour leur liberté. Le peuple iranien secouait le joug de l’impérialisme.

Cependant, entre 1979 et 1983, la République islamique s’est consolidée sur la base d’un écrasement de cette révolution par le clergé fondamentaliste. En quelques années, toutes les conquêtes de la révolution de 1979 ont été détruites. Les paysans ont été expulsés des terres qu’ils occupaient. Les comités d’usine ont été liquidés et remplacés par des shoras islamiques. Les travailleurs ont été privés du droit de s’organiser et de faire grève. Une interprétation particulière de l’Islam a été imposée à la population. Les droits de femmes ont été brutalement écrasés. L’oppression idéologique de la majorité du peuple a atteint des sommets.

Le détournement et l’écrasement de la révolution de 1979 ne fut possible que sur la base de la politique erronée des organisations de gauche, qui pensaient pouvoir former un Front unique avec le clergé musulman dirigé par l’Ayatollah Khomeini. Elles ont payé leurs erreurs au prix fort. En l’espace de quatre ans, la République islamique s’est consolidée en attaquant brutalement la gauche. Ce faisant, le clergé musulman a dû se parer d’un masque anti-impérialiste. Il a organisé l’incident de l’ambassade américaine et a habilement utilisé la guerre contre l’Irak. En 1983, tous les partis de gauche étaient interdits (malgré leur soutien initial à Khomeini), et quelque 30 000 militants de la gauche réformiste, nationaliste et révolutionnaire avaient été assassinés. Telles sont les origines de l’actuelle République islamique d’Iran. Ce n’est pas un régime révolutionnaire – mais, au contraire, un régime né de l’écrasement d’une révolution.

Y a-t-il eu fraude électorale ?

Certains prétendent qu’il n’y a pas eu de fraude électorale, en Iran, le 13 juin dernier. Or, de nombreux éléments attestent de la fraude. Mais soulignons déjà que pour se présenter, tout candidat devait être préalablement approuvé par un organe non-élu de 12 dignitaires, le Conseil des Gardiens.

En ce qui concerne la fraude elle-même, ne donnons qu’un exemple. Le candidat conservateur Hoshem Rezaei, qui n’a ni appelé à manifester, ni participé aux manifestations, a dénoncé le fait que dans 80 à 170 villes, la participation était supérieure au nombre d’inscrits ! Dans toutes ces villes, Ahmadinejad l’a emporté à une large majorité – dans certains cas avec 80 ou 90% des voix. Le 21 juin, après une semaine de manifestations, le Conseil des Gardiens a dû partiellement reconnaître le bien-fondé des accusations de fraude. Au nom du Conseil des Gardiens, Abbas-Ali Kadkhodaei a déclaré que « les statistiques fournies pas les candidats, qui prétendent que dans 80 à 170 villes, il y aurait eu davantage de votes que d’inscrits – ces statistiques sont fausses. Ce n’est le cas que dans 50 villes. » Plus loin, il explique que dans la mesure « où cela ne concerne que 3 millions de personnes », cela ne pouvait pas modifier le résultat final.

Ahmadinejad – un révolutionnaire ?

Comme le clergé en 1979, Ahmadinejad a cherché à gagner le soutien des masses en recourrant à une rhétorique anti-impérialiste et « pro-pauvres ». Mais comparons la situation au Venezuela, aux conditions réelles du peuple iranien, sous la présidence d’Ahmadinejad. Premièrement, au Venezuela, la révolution s’est traduite par un puissant développement des organisations syndicales et des luttes militantes des travailleurs. Le Président Chavez a appelé les travailleurs à occuper les entreprises abandonnées et à les administrer sous contrôle ouvrier. En Iran, les travailleurs n’ont ni le droit de se syndiquer, ni le droit de faire grève – et lorsqu’ils bravent ces lois anti-démocratiques, ils s’exposent à la répression la plus brutale. Par exemple, lorsque 3000 chauffeurs de bus de Téhéran ont pris l’initiative d’organiser un syndicat, l’entreprise a répondu par des licenciements massifs. Les dirigeants syndicaux ont également été attaqués par la police – y compris le secrétaire général du syndicat, Ossalou.

Lorsque des militants syndicaux, à Sanandaj, ont essayé d’organiser une manifestation, le 1er mai 2007, la police les a brutalement réprimés. Onze dirigeants ont été condamnés à une séance de flagellation et au paiement d’une amende. Lorsque 2000 militants ouvriers ont essayé d’organiser une manifestation du 1er mai, cette année, à Téhéran, la police les a également réprimés. 50 militants ont été arrêtés (certains sont toujours en prison). Des millions de travailleurs iraniens n’ont pas reçu de salaires depuis des mois. Lors qu’ils essayent de s’organiser, la police les réprime.

Au Venezuela, la révolution bolivarienne a mis un coup d’arrêt au processus de privatisation d’entreprises publiques – et a nationalisé un certain nombre d’entreprises. En Iran, Ahmadinejad a accéléré la privatisation des entreprises publiques. Près de 400 entreprises ont été privatisées, depuis 2007, y compris les télécommunications, l’aciérie Isfahan Mobarakeh, le complexe pétrochimique d’Isfahan, l’entreprise Ciment Kurdistan, etc. Parmi les entreprises qui ont été privatisées figurent la plupart des banques, des entreprises du pétrole et du gaz, les assurances, etc.

Même si le gouvernement d’Ahmadinejad critique l’impérialisme américain, dans le but de détourner l’attention des masses des problèmes internes, il n’est même pas conséquent dans sa lutte contre cet ennemi. L’intervention américaine en Irak a pu compter sur la passivité de la classe dirigeante et du gouvernement iraniens, qui voyaient d’un bon œil l’affaiblissement de cette puissance rivale, dans la région. Au lieu de favoriser une lutte de libération nationale unifiée, en Irak, le régime iranien a joué un rôle clé dans la division des Irakiens suivant des lignes religieuses.

Le « réformateur » Moussavi ne vaut pas mieux. Il était premier ministre dans les années 80, à l’époque du massacre de 30 000 militants de gauche. Tout d’un coup, il a découvert que la République islamique – à laquelle il ne s’oppose pas, sur le fond – avait besoin d’être « réformée », c’est-à-dire de subir quelques changements mineurs, de façon à ce que tout reste comme avant. L’opposition entre Ahmadinejad et Moussavi est l’opposition entre deux sections du régime réactionnaire : l’une veut faire des réformes d’en haut pour éviter une révolution d’en bas ; l’autre redoute que des réformes d’en haut ne déclenche une révolution d’en bas.

Ces divisions, au sommet, ont ouvert un espace pour un authentique mouvement de masse. Y a-t-il le moindre doute sur le caractère populaire et révolutionnaire de ce mouvement ? Voyons quelle est l’attitude de l’avant-garde ouvrière iranienne, à son égard. Pendant la campagne électorale, la plupart des organisations syndicales et ouvrières (qui sont illégales) n’ont appelé à voter pour aucun des candidats en lice, car, expliquaient-elles, aucun des candidats ne représentait les intérêts des travailleurs. Cette position était parfaitement correcte. Cependant, une fois le mouvement de masse engagé, le syndicat des chauffeurs de bus de Téhéran (Vahed) a exprimé son soutien sans faille au mouvement. De même, les travailleurs de Khodro Iran, la plus grande entreprise de l’industrie automobile du Moyen-Orient, ont organisé une grève d’une demi-heure pour soutenir le mouvement. A présent, les militants révolutionnaires iraniens discutent la question d’une grève générale contre le régime et pour les droits démocratiques.

Comme révolutionnaires, nous devons évidemment nous opposer à toute ingérence impérialiste en Iran. Ces dernières années, à l’occasion de forums internationaux, le président Chavez a correctement dénoncé les menaces impérialistes contre l’Iran. Cependant, il serait fatal de mélanger révolution et contre-révolution. La révolution bolivarienne doit être du côté du peuple iranien, des travailleurs, des jeunes et de femmes qui, dans les rues de Téhéran et d’autres villes, accomplissent leur Caracazo ou leur « 13 avril » contre le régime réactionnaire et détesté d’Ahmadinejad.

Le 18 juin, le Président Chavez a une nouvelle fois félicité Ahmadinejad pour sa réélection. Chavez a parlé de la « solidarité du Venezuela face à l’agression du capitalisme mondial contre le peuple de ce pays ». Le Courant Marxiste Révolutionnaire, au Venezuela, ne partage pas cette position. Les observations ci-dessus sont destinées à nourrir ce débat.

Les images de la répression brutale contre la jeunesse et les travailleurs d’Iran ont provoqué une vague d’indignation, dans la jeunesse et la classe ouvrière du monde entier. Conscients de cela, les médias bourgeois s’efforcent – avec un cynisme et une démagogie caractéristiques – d’assimiler le Venezuela à l’Iran – et Chavez à Ahmadinejad.

En comparant ces deux régimes et ces deux dirigeants, les médias capitalistes cherchent à semer la confusion, chez les travailleurs du monde entier, et à miner la sympathie dont bénéficie la révolution vénézuélienne. Les travailleurs et la jeunesse révolutionnaires du Venezuela ne peuvent contrer cette campagne qu’en ouvrant un débat sérieux sur le caractère réel du régime iranien, en étudiant l’histoire de ce pays et sa situation actuelle – et en manifestant notre solidarité avec la lutte que mènent nos frères et sœurs d’Iran pour conquérir ces droits dont nous bénéficions, ici, au Venezuela. Nous devons à la fois dénoncer la répression des masses iraniennes et les manœuvres des impérialistes.

En même temps que nous rejetons toute interférence impérialiste, nous soutenons le mouvement révolutionnaire des masses iraniennes contre la République islamique, pour des droits démocratiques et l’amélioration de leurs conditions de vie.

Au Venezuela, le 22 juin 2009

Publication : jeudi 25 juin 2009



2Costanzo Preve, Storia critica del marxismo, La Città del Sole, non encore publié en français.

3Et je continue pourtant à tenir Aragon pour un des grands poètes de la langue française.


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Commentaires

Stalinisme branché par Michel Gandilhon le Mercredi 01/07/2009 à 12:11

S'agissant de Domenico Losurdo, il me semble que DC vient de découvrir la lune ! Son tropisme stalinophile est une constante de sa vie politique depuis des lustres. Il a ainsi adhéré, il y a une quinzaine d'années, au fantomatique comité Honecker, dont la raison sociale était de défendre l'honneur et la mémoire du grand dirigeant ouvrier qu'il était. Cela ne l'empêche pas bien sûr d'écrire parfois des livres intéressants et qu'il faut lire (je pense notamment à Démocratie et bonapartisme et Heidegger et l'idéologie de la guerre). Cela dit, je partage le constat de Collin relatif à un certain retour en grâce du stalinisme, notamment sous sa forme chinoise avec Mao, réédité par La Fabrique. Ici, l'influence d'Alain Badiou  et de Zizek est particulièrement nuisible car si l'hypothèse communiste se fonde encore sur les références à la révolution culturelle ou à Enver Hoxha (pourquoi pas Pol Pot ?), comme on le voit dans le dernier livre de l'illuminé de la rue d'Ulm, eh bien il est à craindre que le communisme n'ait plus beaucoup d'avenir. Et ce sera tant mieux.  Il faudrait mentionner également la réactivation du vieux tiers-mondisme des années 60 par les Ingigènes de la République d'Houria Bouteldja (la Djamila Bouhired des plateaux télé) et le guévarisme de l'inénarrable Besancenot (le Che de Neuilly-sur-Seine). On comprend pourquoi avec un tel paysage dévasté, la réconciliation des milieux populaires et ouvriers avec le projet d'une transformation radicale de la société n'est pas près d'arriver ! Surtout qu'un autre fondement de ce courant intellectuel, et là on pourrait rajouter à la liste précédente le pro-situ Julien Coupat et son Insurrection qui vient, tient dans la détestation du prolétaire européen (blanc, raciste, islamophobe, intégré) et la sacralisation du sans-papier et du jeune-de-banlieue, lesquels sont devenus la nouvelle avant-garde, comme on l'a vu en Novembre 2005, ce "formidable soulèvement", de la révolution en marche.Je crois qu'avec de tels opposants, Sarkozy est tranquille pour longtemps.


Re: Stalinisme branché par d_collin le Mercredi 01/07/2009 à 17:40

Je viens justement de lire l'interview de Badiou dans "Politis" (Badiou, c'est "je suis partout"). Ce qui me frappe, c'est surtout le vide sidéral, la nullité totale du propos qu'on arrive à étaler sur 4 pages pour conclure que "l'hypothèse communiste" peut être reposée car Badiou soi-même, Zizek et Negri se sont réunis à Londres pour une réunion internationale dont, modestement, Badiou dit qu'elle était "tout à fait importante". Negri, notre saint François d'Assise giscardien penseur du communisme ... quelle triste blague.


Lien croisé par Anonyme le Dimanche 09/01/2011 à 19:26

Commentaires pour Changement de société : "http://la-sociale.viabloga.com/news/le-retour-du-georgien"


par Rogers le Mardi 08/02/2011 à 13:47

Bonjour,
tout d'abord merci pour votre site. Je me suis procuré, par curiosité, le dernier livre de Losurdo qui vient de sortir aux éditions Aden. Il me semble que vous y allez un peu fort dans la mesure où il ne s'agit pas d'une simple réhabilitation; un mérite de l'étude de Losurdo consiste peut-être à "tordre le bâton dans l'autre sens" et à rompre avec le modèle de la politique "western" : le sanglant et parano Staline qui fait échouer le processus révolutionnaire, une sorte de Malet et Isaac macabre. Il reconnaît sans hésitation la dimension tragique et la catastrophe humaine de l'expérience stalinienne. J'ai en fait plutôt l'impression qu'il cherche à comprendre et non pas à rire ou à pleurer, ni à condamner ou à louer : l'isolement dramatique de l'URSS dès sa fondation est une donnée structurante de sa politique qu'il faut prendre en compte sous peine de sombrer dans une approche non historique. la récusation de la dimension scientifique du concept de totalitarisme me semble également essentielle en ce qu'elle empêche l'assimilation Hitler-staline : la lecture du pacte germano-soviétique en est un peu moins caricaturale et replace Staline dans une logique politique générale qui n'est pas la simple projection de lubies d'un ex-brigand géorgien. Bref, ce livre est peut-être, et c'est là peut-être son seul mérite, le pendant nécessaire au Livre noir du communisme. 
Salutations.



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