Lors d'un déplacement à Annecy, le président de la République a prononcé un discours visant à dégager quelques lignes de force de son nouveau plan économique pour faire face à la crise. Selon le journal Le Monde en date du 23 octobre :
Nicolas Sarkozy avait proposé mardi à ses partenaires européens la création de fonds souverains européens pour éviter que le capital des entreprises passe sous contrôle étranger. Dans son esprit, ces fonds étaient appelés à se coordonner. Sans attendre la réponse des autres pays, dont certains comme l'Allemagne affichent une nette réticence, le président de la République a décidé la création d'un fonds français.
Géré par la Caisse des dépôts et consignations, sous la surveillance du Parlement, bénéficiant des ressources propres de la Caisse, complétées "le cas échéant par d'autres ressources publiques ou privées", il servira aussi à défendre les filières jugées stratégiques soit pour les consolider, soit pour éviter l'éventuelle délocalisation de leurs centres de décision. Ces interventions prendront la forme d'avances remboursables ou de prises de participation au capital.
C'est évidemment très important. La page du "tout libéral" est tournée. Si l'État se dote d'un fonds "souverain" pour renflouer les entreprises qu'il juge "stratégiques", cela veut dire qu'on revient à la "politique industrielle", une "vieille lune" gaulliste que Mitterrand lui-même avait abandonnée en 1983 en choisissant l'austérité et la libéralisation des échanges pour rester dans ce qui était alors le "serpent monétaire" européen. La décision de Nicolas Sarkozy vise à promouvoir un type d'intervention de l'État au secours des entreprises privées est rigoureusement contraire aux clauses du traité de Maastricht et au principe de la concurrence "libre et non faussée". Si les États nationaux peuvent intervenir souverainement dans la vie économique, c'est que l'Union Européenne est morte et le président en exercice de ce "machin" est en train de creuser sa tombe.
Normalement les amis capitalistes de Nicolas Sarkozy devraient hurler à la trahison. Ils ne le font pas parce que, selon la bonne vieille tradition, le "bonaparte" doit sauver la bourgeoisie contre elle-même (lire ou relire de toute urgence le 18 Brumaire de Louis Bonaparte de Karl Marx). Les niais de gauche, ceux qui avaient fait de l'antilibéralisme leur fonds de commerce doivent être tout déconfits. Le président de la république leur vole leurs mots d'ordre et leur idéologie et leur donne - bien involontairement - une leçon essentielle: le capitalisme préfère le libéralisme, mais il ne lui est pas congénitalement attaché et s'il faut employer les moyens les plus extrêmes pour sauver l'essentiel, le saint Graal, c'est-à-dire le taux de profit, il n'hésite pas et brûle sans la moindre vergogne les tonnes de papiers qu'il avait consacrée hier à célébrer les vertus de la liverté en économie. Les journalistes de la presse de marché n'y comprennent rien et même Jean-Marc Sylvestre va être obligé de prendre des cours du soir en accéléré s'il ne veut pas rejoindre les rangs des demandeurs d'emploi.
Nous allons avoir une nouvelle mouture du keynésianisme anti-social: combinaison d'une forte organisation étatique de l'économie et d'une mise au pas du salariat. Là encore du pur "bonapartisme" au sens de Marx ... ou du "poutinisme". Les idiots sans tête qui dirigent le PS, après avoir récusé tout ce qui de près ou de loin rappelle Marx et l'horrible "lutte des classes" (définitivement congédiée en juin dernier lors du vote de la "déclaration de principes") se retrouvent incapables de s'opposer à Louis Napoléon Sarkozy. Après d'être abstenus sur le plan de sauvetage des banques, ils votent hier le "Grenelle" (une supercherie sur laquelle nous reviendrons) et l'on peut entendre Claude Evin sur France-Culture prendre quasiment la défense de la réforme hospitalière de Mme Bachelot, face aux critiques virulentes d'un chef de service hospitalier qui dénonce la soumission de l'hôpital aux critères. Syndicat de notables locaux, unis sur une ligne programmatique, "Sauvons nos fauteuils, nos voitures de fonction et nos secretaires, le PS français est la même voie honteuse que ses "partis frères" en Grande-Bretagne ou en Italie. Tous les militants sincères qui restent dans ce parti n'ont plus d'autre choix que la rupture.
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Je partage largement les thèses de Denis Collin malgré mon scepticisme sur la pertinence du concept de "bonapartisme" pour décrire l'activisme sarkozien. Cette crise économique est en train de mettre à l'épreuve la constrution européenne. Certes, dans le passé, d'autres évènements avaient fait vaciller l'ordre politique européen. Je pense notamment aux guerres balkaniques où l'on avait vu les intérêts impérialistes propres à chaque bourgeoisie reprendrent le dessus sur le pseudo intérêt général. L'Allemagne avait joué sa propre partition et soutenu les sécessions slovène et croate afin d'accroître son influence sur cette Europe orientale qu'elle considère comme sa chasse gardée. Aujourd'hui, surexposée à la crise financière et bancaire américaine par l'investissement de ces surplus en dollars gagnés sur le marché mondial, l'Allemagne, première puissance exportatrice de la planète, refuse d'entendre parler d'une quelconque solidarité intraeuropéenne et renvoie systématiquement le président français à ces chères études. Le moment est historique et il ne serait guère étonnant que les turpitudes de la crise réservent encore de belles surprises sous la forme notamment d'un éclatement de l'Union monétaire. Maastricht est déjà mort et il se pourrait que l'euro suive avec le départ de l'Italie, l'homme malade de l'Europe et grande victime de la politique de l'euro fort de M. Trichet. La France, si la crise economique et politique s'accroît, pourrait suivre. Pourquoi ? Parce que la politique monétaire en vigueur depuis des années ne correspond pas à ses intérêts : les industries italienne et française, moins bien positionnées que l'allemande sur le marché mondial souffrent terriblement et la crise actuelle, risque de les affaiblir encore plus profonsément. Mitterrand croyait pas l'euro tenir l'Allemagne par la monnaie. Eh bien c'est le contraire qui s'est passé. Elle a reconquis pacifiquement son hinterland européen en délocalisant une grande partie de son industrie, ce qui lui a permis de ne pas souffrir de la politique de l'euro fort. En outre, elle jouit d'une situation de quasi monopole en termes de production de machine-outil, dont elle innonde la Chine, ce qui fait aussi que là aussi la politique de M. Trichet ne l'affecte pas. Enfin, last but not least, grâce aux camarades sociaus-démocrates, et les dispositifs Hartz, l'Etat allemand a infligé une grosse défaite à la classe ouvrière sous la forme d'une dévalorisation importante de la marchandise force de travail et le tranfert des "charges sociales" à l'impôt. En tout cas, symptome de la gravité de la crise politique, l'euro baisse par rapport au dollar malgré des taux d'intérêt plus élévés en Europe qu'aux Etats-Unis. les investisseurs préfèrent encore les bons du Trésor américain même s'ils ne rapportent quasiment rien et votent donc pour la stabilité politique américaine contre la guerre froide politique intraeuropéenne.
Sur l'évolution de la crise, il est difficle de se prononcer. En termes de valeur détruites, elle est certainement plus grave qu'en 1929. la différence, et là aussi DC le dit très bien, c'est que l'Etat est incroyablement plus fort que dans les années 30. En 1929, l'Etat fédéral américain pesait 9 % du PIB ; aujourd'hui son périmètre tourne autour de 40 % : les moyens contra cycliques sont infiniment plus importants. Et puis, il faut répéter inlassablement aux tenants "gauchistes "de l'Apocalypse (en ce moment "lambertistes" et "pablistes" unis dans la bétise parlent d'effondrement du système, ce qui est une aberration), que la crise finale n'existe pas. Le capitalisme ne mourra pas tout seul de ses contradictions. Depuis 1847, première véritable grande crise du marché mondial, le capital connaît des crises périodiques plus ou moins graves. Celle de 2008/2009 ne sera guère que la 23e. Si les salariés, le prolétariat, et là compte tenu de l'état de décomposition du mouvement ouvrier, force est de constater que notre optimisme doit être très mesuré, ne profitent pas de ce moment d'affaiblissement, le capital rétablira la marche en avant de l'accumulation sur leur dos (licenciements, baisse des salaires).