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Séguin, De Gaulle, Napoléon III

Par Jean-Paul Damaggio • Histoire • Jeudi 14/01/2010 • 3 commentaires  • Lu 4231 fois • Version imprimable


Le 3 octobre 1968 les habitants de Lima découvrirent des chars dans la rue de la vieille ville. Le Général Velasco Alvarado venait de prendre le pouvoir en douceur afin de nationaliser une entreprise pétrolière nord-américaine. En 1962, il était en mission à Paris où il a pu étudier de près les faits et gestes de son idole : De Gaulle. La grandeur du Pérou, comme celle de la France, c’était de pouvoir dire merde au pouvoir des USA. Dix ans après, en 1972, un jeune officier vénézuélien était en mission à Lima où il a pu étudier les faits et gestes de son idole : Velasco Alavarado. Il en est parti en se disant qui lui n’attendrait pas d’être général, pour accéder au pouvoir ! En 1992 il tenta un coup d’Etat qui échoua mais qui lui valut l’oreille de la droite soucieuse d’en finir avec la social-démocratie. Il utilisa ce soutien pour arriver légalement au pouvoir et pour y conduire SA politique et non celle de ses soutiens. Vous l’avez reconnu, il s’agit d’Hugo Chavez, admirateur de Bolivar mais aussi de de Gaulle.

 

De Gaulle, Napoléon III

Philippe Séguin admirateur de de Gaulle décida d’aller aux sources en faisant l’éloge, en 1990, de « Louis Napoléon le Grand » dans un livre portant ce titre, pour tenter d’enterrer le célèbre « Napoléon le Petit » du non moins célèbre Victor Hugo. Dans cet affrontement les deux ont un point commun, ils enferment le personnage dans les murs étroits de Paris alors qu’il détenait son pouvoir du suffrage universel qui avait « nationalisé » la politique comme jamais auparavant. De ce fait, le point crucial, le coup d’Etat du 2 décembre est réduit par Séguin, à une parenthèse, quand chez Victor Hugo il occupe tout l’espace.

Du temps où Victor Hugo était monarchiste, Louis Napoléon tentait quelques écrits dans la presse de gauche sur ses vues économiques et politiques et Séguin retient par exemple cette citation : « On vous demandera […] où est le parti napoléonien ? Répondez : le parti est nulle part et la cause partout. Ce parti n’est nulle part parce que mes amis ne sont pas enrégimentés, mais la cause a des partisans partout, depuis l’atelier de l’ouvrier, jusque dans le conseil du roi, depuis la caserne du soldat jusqu’au palais du Maréchal de France. » Et Séguin ajoute : « Cela revient à dire que la cause est nationale, et que la création d’un parti est formellement interdite. Et si un jour un groupe – un rassemblement ? – devait se constituer, il ne serait en aucun cas un parti comme les autres. Comment ne pas discerner, déjà, de multiples correspondances entre la pensée de Louis Napoléon et celle de Charles de Gaulle ? »

Plus loin : « Pour Louis Napoléon comme pour de Gaulle, le peuple est le juge suprême et, plus encore, la source de tout pouvoir. C’est une idée que les deux hommes expriment avec les mêmes mots. » Philippe Séguin sait cependant que les mots n’ont de sens qu’en lien avec le contexte, et il cite et son époustouflant 18 Brumaire qui dit du Napoléon de la Seconde République : « Pressé par les exigences contradictoires de la situation, se trouvant comme un escamoteur dans la nécessité de tenir fixés sur lui par une surprise continuelle les yeux des spectateurs pour leur faire croire qu’il était bien le remplaçant de Napoléon, obligé par conséquent, de faire tous les jours un coup d’Etat « en miniature », Bonaparte met toute l’économie de la société bourgeoise sens dessus dessous, touche à tout ce qui avait semblé intangible à la révolution de 1848. Grâce à cela, il rend les uns résignés à une révolution, les autres désireux d’en faire une et crée l’anarchie au nom même de l’ordre… »

Mais laissons là, le jeune Louis Napoléon pour passer à Napoléon III. Quels furent ses mérites selon Philippe Séguin ?

 

Droite sociale

Le nationalisme confondu avec la défense de la nation se change alors en créations économiques et sociales dont on ne finira jamais de répéter que, si le pouvoir fort attire les capitaux, le peuple n’en découvre que les miettes. A l’actif de Napoléon III on ne va plus cesser de répéter ses réalisations économiques et sociales. N’a-t-il pas autorisé les syndicats ? Développé les voies ferrées ? etc. Après Napoléon III on répètera la même chose pour Mussolini et ses grands travaux, Hitler et sa fin du chômage ou dernièrement Pinochet mettant le Chili sur les rails de la modernité économique. J’en conviens, Philippe Séguin crierait au scandale à lire de telles comparaisons anachroniques, or les courants politiques traversent les décennies. Aujourd’hui en Italie, même s’ils sont dans le même gouvernement, Fini et Berlusconi-Bossi s’opposent sur cette question. Fini s’est trouvé d’accord avec le ministre de l’économie qui a déclaré en 2009 que le travail précaire était nuisible à la vie familiale et qu’il fallait donc privilégier à nouveau les contrats à durée indéterminée. Berlusconi-Bossi ont crié au scandale car pour eux les pauvres ne seront jamais assez pauvres, les droits acquis seront toujours de trop, et les fonctionnaires qui sont le type même des contrats à durée illimitée sont la plaie économique majeure. Fini comme de Gaulle s’inscrivent dans cette droite sociale liée au catholicisme social. Mais si on coupe le social de la liberté alors le social devient du charitable. Y compris dans l’idée de « république sociale » : si, pour faire court, on oublie le terme démocratique, tout change de face d’où la question suivante, celle de la liberté.

 

Et la liberté ?

On en arrive à l’essentiel qui tient dans cette phrase de Philippe Séguin :

« Le constat est incontournable : le suffrage universel s’est bel et bien exprimé, librement, largement, en faveur de Louis Napoléon. Le seul crime de celui-ci est de l’avoir rétabli, fidèle dans cette démarche au principe de toute son existence. »

Sincèrement, comment Philippe Séguin qui comme première étude historique, en 1967, se penche sur la presse marseillaise de la Seconde République, peut-il en arriver à ce constat qui fait froid dans le dos ? En tant que source, pour son livre sur Napoléon III, il ne fait référence qu’à trois journaux du Second Empire, le Moniteur (journal officiel), Le Constitutionnel (opposition officielle) et le Journal des débats. Cette presse au ordres, j’en ai découvert une version moderne dans la Tunisie de Ben Ali ! Oui Louis Napoléon a rétabli le suffrage universel masculin dont la droite républicaine avait exclu 10% des plus pauvres, mais dans quelles conditions ? Après une répression qui frappa 100 000 personnes, il a supprimé le droit de réunion, d’association et la liberté de la presse ! Tout ce qui permit la « nationalisation » de la politique entre 1848 et 1851, et qui contribua à faire de la révolte de 1851, une révolte populaire dans les villages (les villes étant sous contrôle), est mis sous tutelle. Sur ce point, Philippe Séguin n’a rien à dire ! Au contraire il ne cesse de répéter que les Français étaient d’accord ! Sans doute partage-t-il cette idée si répandue qu’il faut d’abord au peuple du pain sur la table, les roses du poète ne venant qu’après ! Combien sont-ils à professer, au nom de la bonté pour le bon peuple, le plus grand mépris envers celui-ci ? Ceux là n’ont jamais compris que le paysan voulant devenir petit propriétaire n’a pas en premier lieu un souci économique, mais un besoin de liberté, liberté qui est son seul moyen pour accéder à une progression sociale, liberté qui est la même que celle du petit artisan et du petit commerçant. Encore en 1950, en France, il était facile de comparer la situation d’un métayer travaillant avec son domestique vingt hectares de terre, et celle du petit paysan d’à côté propriétaire sur trois hectares. Le métayer avait la vie la plus dure. D’ailleurs, quand le dit métayer, accède enfin à la propriété, il change alors en un rien de temps sa façon de travailler et installe chez lui le confort minimum. Aujourd’hui, même les coiffeurs sont « franchisés » !

La Seconde République, puis pour une bonne part la Troisième, ont reposé sur la dite « petite bourgeoisie » qui pouvait ouvrir sa gueule devant la grande car elle avait les moyens économiques de résister.

Je suis un lecteur attentif et souvent admiratif de Jacques Rancière, philosophe de l’égalité, mais parfois je me demande où il place exactement la liberté. Il est totalement erroné de croire que la liberté authentique est issu mécaniquement de l’égalité. Nous retrouvons là tout le problème du système soviétique dont la mort n’a pas tué son idéologie : il fallait d’abord le développement économique puis viendrait ensuite la liberté (il fallait le développement économique puis viendraient ensuite les droits des femmes), alors que dans le capitalisme, la dite liberté était réduite à du « formel » à cause des inégalités sociales. Au bout d’un moment, lassé d’attendre, le peuple (et non les élites qui elles ont toujours la liberté et savent se recaser) ont fait leur révolution si bien qu’un Hongrois disait dernièrement à son cousin en France : « en dix ans de capitalisme on a perdu sept ans d’espérance de vie, mais c’était le prix inévitable pour accéder à la liberté. » Il y a le cas du Franquisme qui a, dit-on, provoqué le développement économique du pays. Depuis, on entend que grâce à l’Europe, l’Espagne a pu entrer dans le monde moderne. C’est sous-estimer le facteur économique que représente l’accès à la liberté. Dire en 1960, à un démocrate espagnols, que les libertés françaises étaient « formelles », c’était se moquer de lui qui savait que le PSOE comme PCE avaient leur base en France.

 

Et Sarkozy

En France mais aussi très souvent à l’étranger, Sarkozy est vêtu des habits de Napoléon III et les écrits de Victor Hugo au sujet de Napoléon III nous arrivent souvent en boucle par internet. En Italie son livre a été préface par Fini mais il est aussi l’ami de Berlusconi. Tente-t-il de jongler entre les deux ? Sa politique est claire : il pousse à la disparition du social. A Montauban en 2001 un adjoint à la nouvelle maire sarkozyste a déclaré qu’il serait idiot de privatiser la régie de l’eau. Il était un enfant de la droite sociale. En 2007, l’âge aidant il a laissé sa place, et depuis la mairie a décidé de privatiser l’eau et de faire disparaître, petit à petit, le secteur social en l’éclatant entre les autres services. L’entrée de la France dans l’OTAN, que Sarkozy rappelle peu en terme de bilan, l’écarte également du gaullisme comme son opposition à tout référendum. Mais connaissant bien la France, il se doit cependant de se couvrir sur l’autre côté d’où son amitié avec Lula (qui risque d’être ternie s’il est floué sur le marché des Rafales).

Dans la fable de Monsieur Seguin, la chèvre est prise entre la soumission à son maître qui la soigne bien, et l’appel à la liberté qui lui coûte la vie au prix tout de même de la découverte du monde ! La droite sociale et la droite libérale s’épaulent à merveille, le loup servant d’épouvantail pour le maître, et le maître d’épouvantail pour le loup. N’y a-t-il au bout du chemin aucune autre solution entre Napoléon III et Reagan ? C’est à ce type de « choix » que se réduit de plus en plus la politique !

 

La république jusqu’au bout

En expliquant que « le socialisme, c’est la république jusqu’au bout » Jaurès espérait sans doute qu’à son tour Guesde lui réponde que « la république, c’est le socialisme jusqu’au bout ». Jaurès fut assassiné et Guesde entra dans le gouvernement de l’union sacrée. Nous ne sommes pas sortis de ce double drame. Pour la France et le monde ! L’enterrement de Philippe Séguin, comme celui demain de Chirac et de Giscard, permettront toujours plus, toujours mieux, d’écarter toute réflexion sur ce drame pour mieux en rester aux faux dilemmes. Le retour des clergés que je n’ai jamais confondu avec le retour du religieux, servira d’habits sacrés à notre éblouissement d’autant que l’année Jaurès n’a pas à mes yeux beaucoup éclairé notre lanterne. Quelqu’un pourrait-il nous en présenter un bilan ?

13-01-2009 Jean-Paul Damaggio

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Commentaires

par d_collin le Jeudi 14/01/2010 à 23:46

Merci à Jean-Paul Damaggio pour cet intéressant article où l'histoire éclaire singulièrement un problème politique aigu, celui de la liberté. Il est frappant de voir comment toute une partie de la gauche et même de la gauche la plus radicale, fait bon marché de cette question de la liberté. Les médecins de Cuba servent d'excuse à l'absence des libertés les plus élémentaires. On ferme pudiquement les yeux sur le bonapartisme de Chavez. Et on va même jusqu'à soutenir Ahmadinejad. Et je ne parle pas des néostaliniens qui font l'apologie du réalisme de Staline et regrettent le bon vieux temps d'avant le rapport Krouchtchev ... je viens de lire sur ce sujet un article si ignoble, si franchement révisionniste et négationniste, qu'en faire la critique me répugne.

La vérité, c'est que tant que nous n'aurons pas compris que la question clé est celle de la liberté et qu'il n'est aucune égalité possible sans liberté, alors les capitalistes dormiront sur leurs deux oreilles. et c'est pourquoi la complaisance des petits-bourgeois "révolutionnaires" pour des régimes qui au nom du socialisme ou de "l'anti-impérialisme" nient nos bonnes vieilles libertés "formelles" est une véritable canaillerie.

Denis Collin


Lien croisé par Anonyme le Lundi 18/01/2010 à 20:42

1851-2001 Nouveautés : "La Sociale, un"


Lien croisé par Anonyme le Lundi 18/06/2012 à 02:57

SEGUIN, DE GAULLE, NAPOLEON III - socialiste de gauche 65 : " la suite est sur le site la SOCIALE /  link "



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