Commençons par énoncer les points d’accord. C’est d’abord l’analyse qui refuse de circonscrire le problème à l’EI et pose plus largement celui de l’islam radical incluant l’Arabie Saoudite et le Qatar – à ceci près que l’islamisme n’est pas analysé en relation avec les développements de la mondialisation et du chaos général engendré par le « capitalisme absolu ». L’accord est total également quant à l’exigence de la levée de l’état d'urgence.
Où les choses se gâtent c’est quand Bernard Germain écrit : « Il faut une coalition internationale et aller les détruire. Il n’y a pas d’autre alternative. » Si je comprends bien, Bernard Germain est sur la ligne Poutine, une coalition large incluant la Russie, les États-Unis, la France, etc. pour détruire l’EI. Suit une argumentation qui repose sur des analogies – analogie avec le nazisme dans les années 40 –, d’où se déduisent des mesures de boycott des alliés d’EI. Et il conclut : « Quiconque est attaché à la liberté ne saurait s’offusquer que des mesures « radicales » de ce genre soient prises par nos sociétés démocratiques. En parallèle d’une intervention terrestre pour, comme dirait Poutine « aller les buter jusque dans les chiottes ». »
Pour dire les choses clairement, je suis en désaccord radical avec tout cela et je pense qu’à suivre cette ligne nous irions au-devant de graves déboires.
Premièrement, les analogies de Bernard Germain ne valent rien. Comparer l’EI au IIIe Reich, c’est se moquer du monde. Mais ça rappelle la rhétorique bushienne I version 1991 puis bushienne II version 2003 selon laquelle Saddam Hussein était un nouvel Hitler. Quant aux comparaisons avec la bande à Baader et Action directe, elles sont franchement ridicules.
Deuxièmement, une « large coalition internationale », c’est la proposition de Poutine, et ce que Hollande cherche à monter. C’est la stratégie 1991 et 2003 des deux guerres du Golfe qui devaient éradiquer le terrorisme et ont conduit au beau résultat que nous connaissons. Bernard Germain oublie tout simplement ce petit détail, que ceux à qui il demande d’éradiquer le terrorisme, sont ceux qui l’ont financé et entraîné (les États-Unis en tête) ou ont fourni des armes directement : la France a armé Al-Nosra, branche locale d’Al-Qaida dont une partie s’est ralliée à l’EI. Bernard Germain oublie cet autre détail : il veut envoyer pour rétablir l’ordre ceux-là même qui ont semé la pagaille, détruit les structures étatiques et précipité le chaos. Je ne sais si nommer Al Capone au poste d’Eliott Ness est une bonne solution pour lutter contre les bandits...
Troisièmement, une guerre pour détruire l’EI sur place ne sera pas une partie de plaisir. Ceux qui croient que le peuple accueillera en libérateurs les troupes de la « large coalition internationale » risquent fort d’être détrompés. On aura un remake de l’Irak-2003 et des dizaines de milliers de victimes civiles qui seront ensuite exploitées par EI et tous les islamistes contre « les Croisés ». Beaucoup de régimes plus ou chancelants de la région n’y résisteraient pas et la responsabilité de ce chaos sanglant retombera sur notre tête et celle de nos enfants. Si nous ne pouvons pas faire le bien, la première chose à faire serait de ne pas faire le mal. Ou de ne pas aggraver celui qui a déjà été fait.
Quatrièmement, l’idée d’une commission d’enquête internationale pour montrer que l’Arabie Saoudite et les autres financent EI est un vœu pieux dans le meilleur des cas. Il est sans doute vrai que l’Arabie Saoudite ne finance plus EI et qu’elle a peut-être cessé de financer directement Al-Qaïda. Le régime saoudien est détestable, mais à trop concentrer le feu sur lui on oubliera ses commanditaires et les intérêts qu’il défend et qui ne se limitent pas à l’islamisme fondamentaliste ! En outre comme Bernard Germain n’a aucun moyen de mettre sur pied cette commission d’enquête c’est une proposition vaine. Par contre nous avons les moyens de peser sur la politique étrangère de notre gouvernement et c’est cela qui devrait être fait.
Cinquièmement, on ne peut pas s’opposer à l’état d’urgence et réclamer la guerre. « Nous sommes en guerre », répète le gouvernement pour justifier les restrictions des libertés publiques. Et ça, c’est au moins une position un minimum cohérente. En réalité, nous ne sommes pas en guerre au sens juridique et politique du terme. Mais c’est une autre affaire. En tout si nous devons faire la guerre pour détruire l’État islamique, il faudra mobiliser des dizaines de milliers de soldats – ce dont la France n’a pas les moyens – et faire passer en priorité l’effort de guerre, donc l’austérité pour financer la guerre, la répression des conflits sociaux qui affaibliraient l’effort de guerre. Et même, comme l’ont proposé certains socialistes, établir un étroit contrôle de la presse.
Sixièmement, l’argument « humanitaire » – là-bas c’est le 13 novembre tous les jours – ressemble à du pur BHL. Le fameux « droit d’ingérence humanitaire » au nom duquel le chaos a été organisé en Irak, en Lybie et ailleurs – qu’on se souvienne des bombardements de Belgrade et la guerre du Kosovo – est des plus grandes escroqueries morales de notre époque.
Alors faut-il baisser les bras ? Évidemment non, mais la première tâche du gouvernement est de protéger ses citoyens. Pas de faire le gendarme mondial. La fin de l’article de Bernard Germain en contredit d’ailleurs la substance. Il écrit : « Tout comme en Irak, rien ne se règlera durablement si la solution vient de l’extérieur et s’impose aux peuples. » Et bien, si la dizaine de millions d’habitants du territoire de l’EI et les habitants des régions voisines veulent vraiment se débarrasser des 30 ou 40000 combattants d’EI, ils y parviendront mieux sans nous ! Nous, nous devons protéger nos frontières – Schengen, c’est fini – et traquer les réseaux islamistes, et pour cela s’en donner les moyens financiers – le pacte de stabilité, c’est fini. Mais aussi les moyens politiques : on ne vainc pas le fascisme, fût-il l’islamo-fascisme, avec un peuple terré, cloitré dans la peur, privé de ses droits d’expression. Les quatre millions de manifestants de janvier, c’était la bonne réponse ! Il faut aussi réaffirmer haut et fort ce en quoi nous croyons et qui s’appelle « république » et en finir avec les complaisances coupables envers le multiculturalisme, la bigoterie, l’irrationalisme et le laxisme scolaire. Cesser de faire des jeunes des cités uniquement de « pauvres victimes » mais les traiter vraiement comme des égaux, en droits en devoirs, en récompenses, en positions sociales, mais aussi en sanctions pénales réellement appliquées – pas besoin d’état d’urgence pour cela, la loi rien que la loi. Bref mener aussi une bataille idéologique de fond. Et dans cette bataille, appliquer la doctrine Clemenceau : lutte contre le gouvernement pour défendre la patrie, c’est-à-dire le peuple de ce pays. Et défendre la république, ce n’est pas exporter la démocratie à l’aide des « bombardements humanitaires ».
Je terminer par un point essentiel sur lequel je reviendrai. On dit qu’il faut défendre « nos » valeurs, « notre » mode de vie, etc. Qui est donc ce « nous » ? Je n’ai pas les mêmes valeurs que M. Gattaz ou Mme Le Pen, ni les mêmes intérêts. La république à défendre, la vraie, c’est « la sociale ». Les capitalistes qui détruisent l’esprit de la communauté nationale, qui détruisent la culture, qui convertissent les humains en consommateurs abrutis, qui trafiquent et usent de toutes les ficelles pour rendre opaques les circuits financiers, ceux-là ont fait le lit du terrorisme. Et pour éteindre le feu, ils proposent d’arroser de l’essence ! La défense du peuple de notre pays, ce ne peut pas être l’union sacrée des travailleurs et des jeunes derrière leurs exploiteurs.
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(...) Et bien, si la dizaine de millions d’habitants du territoire de l’EI et les habitants des régions voisines veulent vraiment se débarrasser des 30 ou 40000 combattants d’EI, ils y parviendront mieux sans nous ! (..)
Il y parviendrons que si ils disposent d'armes lourdes... c'est une demande du YPG (Rojava), etc...
https://twitter.com/info_Rojava
De plus, depuis maintenant plusieurs semaines, les YPG/YPJ (comme les Peshmergas) avancent grâce au soutient de la coalition...
- Rojava Le Pouvoir au Peuple: une expérience syrienne de la démocratie
http://inforojava.tumblr.com/post/132152414430/rojava-le-pouvoir-au-peuple-une-exp%C3%A9rience