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Effondrements… (1)

Encore un effort pour redevenir vraiment républicains

Par Denis Collin • Actualités • Dimanche 25/09/2016 • 0 commentaires  • Lu 3006 fois • Version imprimable


La situation politique, sociale et économique du pays s’aggrave de jour en jour, non pas nécessairement par des événements visibles qui frappent les esprits – deux mois sans attentat, c’est le calme – mais parce qu’il semble que ni les dirigeants ni les simples citoyens n’ont plus aucune prise sur leur propre destinée. Et ce n’est pas l’examen de la situation internationale qui va nous rassurer. Comme le rapporte un analyste du Monde Diplomatique (septembre 2016), la question de la possibilité d’une guerre classique – mais avec possibilité d’emploi de l’arme nucléaire – est mise à l’ordre du jour des états-majors et des cercles dirigeants des « grands de ce monde ». Y compris sur le théâtre européen. Le « monde occidental » ne manque pas d’ennemis : la Russie fait un commode épouvantail, mais la question de la Chine est toujours en arrière-plan. Dès lors les scénarios des séries de science-fiction deviennent des possibles à envisager.

 

On se reprend immédiatement : il ne faut pas rejoindre les prédicateurs de l’Apocalypse : « la fin des temps est proche, repentez-vous » ! Mais par deux fois au cours du siècle dernier, le pire est arrivé menaçant jusqu’aux fondements même de la civilisation. Je laisse pourtant de côté cet examen d’ensemble pour m’en tenir à ce qui est propre à la situation française. Il y a trois niveaux à considérer, étroitement liés évidemment mais qu’on doit distinguer pour les besoins de l’analyse.

  • Tout d’abord, le niveau politique institutionnel. C’est en son cœur qu’est touchée la Ve république. La construction voulue par de Gaulle dès 1945, mais différée jusqu’en 1958, est en ruine. Les principaux partis qui la supportent ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes et la séparation entre les citoyens et la représentation nationale atteint son point de rupture.

  • Crise sociale et économique ensuite : l’offensive du capital contre le travail – avec la loi El Khomry et les hold-up réalisés par le patronat sur les deniers publics (CICE, etc.) ne peut évidemment pas résoudre les difficultés d’un capitalisme français dont les milieux dirigeants – comme leurs homologues européens – considèrent leur base nationale comme un fardeau dont il faudrait s’émanciper. C’est pourquoi malgré l’usage intensif de la méthode Coué par le président de la République, la croissance est à nouveau à zéro et les prédictions concernant le chômage en 2017 sont catastrophiques. Le trucage des statistiques et la méthode des « villages Potemkine » ne peuvent plus guère empêcher la manifestation au grand jour d’une réalité cruelle.

  • Crise nationale enfin : la poussée de l’islamisme politique concomitante avec les actions terroristes organisées, revendiquées ou récupérées par l’État islamique font éclater le malaise qui couve depuis plusieurs décennies – sans doute depuis les premières émeutes de la banlieue lyonnaise au début des années 80. Quelque désagréable que cela puisse paraître la question de l’identité nationale est placée au centre du débat et on ne s’en tirera avec les habituelles vociférations contre Sarkozy qui sert ordinairement de repoussoir à ce qu’on appelle encore la gauche.

Commençons par ce dernier aspect. Avec des hauts et des bas, la question de l’immigration a toujours été une question épineuse. On a un peu oublié les violences contre les ouvriers italiens au début du XXe siècle, débouchant sur de véritables pogroms. On a oublié les renvois massifs de travailleurs polonais juste avant le seconde guerre mondiale. On se souvient à peine du solide mépris qu’entretenaient beaucoup de Français à l’encontre des Portugais qui vivaient souvent en communauté et ne se mélangeaient guère. Si encore au début des années 70, Pompidou envoyait ses sergents recruteurs dans les anciennes colonies pour ramener des ouvriers maliens, marocains ou sénégalais, le racisme en France était très largement répandu. Quand un immigré algérien tua un chauffeur de bus à Marseille, le rédacteur en chef d’un grand titre de la presse quotidienne régionale, Gabriel Domenech se lança dans un dithyrambe raciste qui allait être le point de départ d’une véritable « ratonnade » faisant près de cinquante victimes en quelques mois. Doit-on rappeler que la « marche des Beurs » et quelques semaines après « SOS Racisme » ont pris comme point de départ un certain nombre de meurtres ouvertement racistes ? Ces rappels semblent nécessaires pour rafraîchir les mémoires défaillantes de ceux qui nous parlent de « lepénisation » des esprits, d’islamophobie galopante, etc. Si on considère les choses avec un peu de recul on doit constater que ce pays est beaucoup moins raciste, beaucoup plus tolérant qu’il y a 30 ou 40 ans et donc que le tensions actuelles de la société française n’ont pas leur source dans une sorte d’identitarisme français qui se durcirait face à « l’altérité » et à la « diversité » (pour parler le jargon d’aujourd’hui).

On pourrait aussi montrer que la situation des immigrés s’est améliorée – à niveau social équivalent, le destin scolaire et social des enfants d’immigrés n’est pas très différent de celui des enfants de parents français depuis plusieurs générations. La France très pauvre n’est pas forcément celle des cités. Il ne s’agit pas de peindre un tableau lénifiant. Tout ne va pas très bien, madame la Marquise ! Mais les immigrés et leurs enfants sont victimes de la crise sociale au même titre que l’ensemble de Français. Comme souvent les immigrés appartiennent aux classes sociales défavorisées, ils paraissent plus touchés que l’ensemble de la population, mais c’est très largement une illusion d’optique. Ils sont plus victimes de la crise que les membres des CSP++ ! Mais pas plus que toute cette France suburbaine dont parle Christophe Guilluy…

Le problème est ailleurs. Il y a bien des problèmes d’immigration, d’insertion des immigrés et de leurs familles, d’accueil des réfugiés, etc., problèmes sérieux et dont on devra reparler. Mais il y a aussi un double problème : celui de l’identité de la France et celui de l’islam en France. Concernant la question de l’identité nationale, j’ai eu l’occasion de l’aborder voilà quelques années (voir sur «  », À propos de l’identité nationale). L’identité nationale (qui n’est pas l’identité des citoyens qui n’ont pas à être identiques!) est fortement mise à mal, non par la présence des immigrés, mais d’abord par la désintégration politique et morale de ce pays soumis à la dictature de l’Union européenne et à la pression culturelle du « softpower » américain, un pays qui ne sait plus où il est, qui perd toute fierté nationale tant les médias répètent en chœur que les Français sont des arriérés aux particularités aussi ringardes que le béret basque et la baguette de pain sous le bras. Un pays où l’école transmet de moins en moins de savoir, de moins en moins de sens de l’histoire au profit d’études « utilitaires » et dépourvues de sens. Un pays aussi qui était structuré par des forces politiques assez stables, médiateurs de cette identité nationale (le gaullisme, la démocratie chrétienne ou les centristes, les socialistes, les communistes). Mais cette structure politique avec sa division droite-gauche s’est effondrée et avec elle toute une manière d’appartenir à la république.

Si la pression de l’islamisme politique se fait sentir partout (en Allemagne autant qu’en France bien que les médias français n’y veuillent rien voir), elle provoque une véritable crise en France, une crise qui pourrait bien tourner à la panique. Il y a d’abord les attentats meurtriers et répétés qui n’ont pas touché les voisins de la France avec une telle ampleur. Et ce n’est pas un hasard : comme le dit Fetih Benslama, pour les islamistes la France est vraiment l’ennemi numéro 1 tout simplement parce qu’à leurs yeux la France incarne ce qui est le plus détestable, les Lumières et la laïcité. Et, ce n’est un secret pour personne, la France est le plus athée et le plus agnostique du monde (à l’exception peut-être de la Chine qui est dans un autre monde de ce point de vue-là). Cet islamisme n’est pas spécifiquement « arabe » ; il faudrait supposer pour cela que les Maghrébins sont des Arabes et il mord aujourd’hui sur une fraction faible mais significative de jeunes Français n’ayant aucune ascendance musulmane à quelque titre que ce soit. Il reçoit le renfort de tous ceux qui, en bons libéraux, défendent le droit des islamistes à imposer leurs coutumes, leurs accoutrements et leur idéologie obscurantiste. Les ravages de ce relativisme propagé par les classes supérieures et les « élites mondialisées » ne sont plus à démontrer.

Bon nombre de citoyens se sentent trahis. Au moment des attentats contre Charlie Hebdo et l’hyper-casher, ils ont réagi en masse et avec une grande dignité. Ils sont refusé à tout amalgame et n’ont jamais rendu les musulmans responsables des actes de quelques fanatiques. Comparons avec l’événement de 1973 rappelé plus haut ! Après le Bataclan, Saint-Denis et les cafés le 13 novembre, la stupeur et la peur l’ont emporté, mais aucune manifestation « anti-arabe » ou « anti-musulmane ». Le « surmoi » antiraciste a tenu bon, comme après les 84 morts de la Promenade des Anglais. Mais loin de voir se renforcer les liens d’amitié avec les musulmans de France, il leur semble qu’une hostilité croissante se développe, qui n’est pas le fait des musulmans mais de tous les courants islamistes et gagnent des fractions de plus en plus larges, notamment dans la jeunesse ainsi que l’a montré une étude récente. Des femmes à qui on serrait la main se masquent dans leur tenue et refusent maintenant de serrer la main à un homme, des voisins s’ignorent parce que les non-musulmans mettent de l’alcool (impur) à table. Dans certains quartiers, les islamistes dictent leur loi. Ils ne sont pas tous terroristes (heureusement) mais ils partagent fondamentalement les buts de Daech ou d’Al Qaida. Et naturellement, toutes sortes d’esprits plus ou moins instables se sentent prêts à passer à l’action.

Cette réalité pèse lourdement, d’autant plus lourdement que le seul facteur d’ordre possible, à savoir le mouvement ouvrier organisé, est lui-même passablement désorganisé et a dû encaisser la loi « travail » malgré une longue et intense mobilisation. Comment sortir de ce marasme ? La première chose à faire est de cesser de tourner autour du pot, de faire comme si cela n’existait pas ou de la nommer avec euphémisme. Il y a une véritable crise nationale, c’est-à-dire une crise de la nation. Une crise qui exige un examen de conscience, non pour ressasser les crimes passés (ce qui a été largement fait) mais pour comprendre comment on est arrivé là, comment une certaine idéologie et certaines orientations politiques ont conduit à ce délitement. Et ici on pointera ce « multiculturalisme » rampant pratiqué par de nombreuses municipalités qui ont sous-traité le maintien de l’ordre à des représentants « communautaires » autoproclamés et devenus distributaires d’avantages spécifiques – la politique des « grands frères ». On pointera aussi la décomposition de l’école de la république, l’abandon des exigences d’effort, de discipline et de respect de l’autorité des professeurs que systématiquement les élites jettent en pâture aux médias.

On n’en sortira pas sans réfléchir sérieusement aux questions d’ordre public – comment garantir la sécurité des citoyens ? – en évitant et l’abus de pouvoir et le laxisme. Bref que signifie l’État de droit ? Sarkozy, « roulant des mécaniques », avait promis de « nettoyer les cités au karcher ». En fait, il n’a rien nettoyé du tout et certains de ses amis politiques ont bien su utiliser les voyous même pas repentis de certaines cités à des fins électorales. Mais incontestablement, il faut sérieusement lutter contre la délinquance et les petits et grands trafics qui gangrènent certains quartiers devenus des « territoires perdus de la république ». Le rétablissement de la police de proximité s’impose, avec un renforcement général des effectifs de police et une formation républicaine sérieuse des policiers. Tous ceux qui exciperaient de leur fonction pour avoir des comportements illégaux avec des prévenus, des suspects ou de simples citoyens dont la tête ne leur revient devraient être sanctionnés par leur hiérarchie. On ne peut renforcer la police que si est renforcé le contrôle républicain sur la police qui ne doit pas se transformer en « garde prétorienne ».

On n’en sortira pas non plus sans remettre la laïcité au centre, c’est-à-dire la séparation de la sphère publique, celle de la politique, et de la sphère religieuse qui doit refluer dans l’espace privé. Il ne s’agit pas de nous concocter cette bouillie nommée laïcité ouverte derrière laquelle les curés et les « frères musulmans » s’avancent tranquillement, mais bien d’élever le mur entre la République et l’Église dont parlait le président Jefferson, l’un des pères fondateurs de États-Unis.

Évidemment tout cela ne peut fonctionner que si le bourbier où prolifère l’islamisme est assaini. Une politique active de création d’emplois pour permettre à quiconque le désire de gagner sa vie, faire en quelque sorte du droit au travail inscrit dans la constitution un « droit opposable » : telle est la première urgence. Il faut également traquer la déscolarisation, y compris avec des moyens de rétorsion : plus d’école, plus d’allocations. Une aide sociale plus généreuse qu’aujourd’hui est nécessaire mais elle doit s’accompagner d’une plus grande rigueur, notamment dans le contrôle de sa nécessité et de son utilisation.

Enfin, pour sortir du marasme, il faudrait que le désir d’assimilation au corps de la république l’emporte sur les « passions tristes ». Il faut donc redonner des raisons d’aimer ce pays, des raisons d’être fier de son passé (sans cacher ses crimes non plus!), des raisons que nous trouvons dans la culture, dans les monuments, dans l’histoire de la formation de la nation et dans sa tradition révolutionnaire. Bref, il nous faut faire un gros effort pour redevenir républicains.

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