Il est urgent de se demander comment en est-on arrivé là, dans ce pays profondément déchristianisé, dans ce pays où plus de la moitié des habitants ne croient ni en Dieu ni en l'immortalité de l'âme. Au risque de nous répéter, redisons que Nicolas Sarkozy ne mène la politique qui est la sienne que grâceau consensus politique qui l'entoure et c'est vrai dans la question laïque comme dans les autres questions. Un petit détail mettra nos lecteurs sur la bonne voie: la Libre Pensée avait décidé d'organiser un meeting de protestation contre l'engagement de l'État en faveur du pape. Comme par hasard, la mairie de Paris a refusé de lui accorder une salle. Le maire de Paris qui avait déjà baptisé une place du nom de Jean-Paul II, ne voulait rien faire qui pût choquer Sa Sainteté! Le meeting s'est tout de même tenu, la salle Japy ayant été louée par l'union locale FO.
Le détail est révélateur. La gauche n'est au fond pas plus laïque de la droite. Nicolas Sarkozy fait l'éloge de la "laïcité positive" et parfois de "laïcité ouverte", c'est-à-dire d'une laïcité qui doit favoriser l'intrusion des religions dans l'espace public. Mais il ne fait guère que reprendre en le modifiant à peine un concept né "à gauche", notamment du côté de la Ligue de l'enseignement, le concept de "laïcité ouverte", défendu par la LDH, le MRAP et une foule d'associations. C'est encore la "laïcité ouverte" que défendait le PCF lors du vote de la loi sur le voile. Évidemment, le terme est si vague qu'on y peut mettre n'importe quoi. Mais le besoin d'ajouter un adjectif à ce principe constitutionnel suffit a indiquer que, selon une ruse classique, on se prépare à tout autre chose, à une "laïcité" entièrement tournée vers la dialogue inter-religions.
Il y a encore autre chose. On sait que le traité de Lisbonne fait des représentants des religions des interlocuteurs officiels des institutions de l'Union européenne et qu'ils doivent être consultés sur toutes les questions de société. On comprend mal que les hiérarques socialistes s'offusquent des courbettes de Sarkozy devant le "saint Père" alors même qu'ils ont voté le traité de Lisbonne après avoir soutenu le TCE de 2005 qui comportait les mêmes dispositions.
Mais on doit aller à la racine du problème. Une république laïque suppose un certain type de rapports civils entre les citoyens. La laïcité est le complément de la liberté, de l'égalité et de la fraternité et c'est pourquoi la république doit être aussi démocratique et sociale. Or dans un monde où chacun doit se considérer comme le rival et même l'ennemi de son voisin, au nom de la concurrence "libre et non faussée" qui est censée être l'alpha et l'oméga de la société civile, la laïcité n'a plus aucune place. L'Église n'a pas encore voix au chapitre dans l'école publique, mais si Dieu est tenu en lisère, Mammon a fait depuis longtemps une intrusion de plus en plus insistante. On se souviendra peut-être du combat de notre ami Gilbert Molinier contre les "masters de l'économie" que le CIC organisait dans les établissements scolaires. On ne sache pas qu'à ce moment la gauche institutionnelle se soit beaucoup mobilisée pour soutenir ce professeur de philosophie. Et si les "masters" ont disparu, l'offensive du "monde de l'entreprise" contre l'école publique s'est poursuivie sans relâche.
Si on combat les sectateurs du Vatican au nom des sectateurs du saint Fric, c'est un combat sans intéret et même un piège, sans compter le fait que les tenants du goupillon catholique entretiennent des rapports amicaux et apaisés avec les adorateurs du Veau d'Or, qu'ils ne manquent jamais de bénir. Le combat laïque est donc indissociable du combat pour une révolution sociale radicale, ouvrant la voie à une véritable communauté sociale et politique. Laissons donc pour terminer la parole à Karl Marx:
La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple.
Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé a une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole.
La critique a effeuillé les fleurs imaginaires qui couvraient la chaîne, non pas pour que l'homme porte la chaîne prosaïque et désolante, mais pour qu'il secoue la chaîne et cueille la fleur vivante. La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même.
(Karl Marx. Introduction à la Critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843)
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