Situation presque désespérante. Car personne ne voit sérieusement comment on en pourrait sortir, pour la simple raison que personne ou presque n’identifie clairement la nature de ce qui est en cause. La crise que nous traversons, en effet, n’est pas simplement une de ces crises conjoncturelles qui scandent l’histoire du capitalisme depuis qu’il domine l’Europe puis le monde. Croissance, surproduction, crise, liquidation massive de capitaux, baisse des salaires puis redémarrage sur des cycles de durées variables. Bien que ces crises soient inhérentes au fonctionnement « normal » du mode de production capitaliste, elles en sont, selon Marx, le memento mori (souviens-toi que tu dois mourir). La crise que nous traversons aujourd’hui ne concerne pas seulement l’UE. Les États-Unis ne sortent pas du marasme et Obama doit affronter l’échéance électorale de novembre avec une situation économique difficile et un déficit des comptes publics supérieur à 1000 milliards de dollars. On a cru que le salut pourrait venir des pays émergents (notamment les BRIC) mais ceux-ci marquent le pas à leur tour, le croissance reposant massivement sur l’exportation vers les pays les plus riches, ils souffrent forcément du marasme européen et américain. Le spectre d’une nouvelle crise de 1929 hante le monde.
L’attention est focalisée sur la dette publique, notamment la dette des pays du sud de l’Europe. Mais les États-Unis, le Japon et certains pays vertueux comme les Pays-Bas ne sont pas en reste, pour ne rien dire des donneurs de leçons d’outre-Rhin (France : 1800 milliards d’euros, Allemagne : 2100 milliards, Italie 2000 milliards, Pays-Bas : 400 milliards, USA : plus de 15000 milliards de dollars, Japon : plus de 12000 milliards de dollars, 239% du PIB). Les situations sont d’ailleurs différenciées : la dette japonaise est détenue essentiellement par les citoyens japonais alors que la France s’endette sur les marchés mondiaux. Mais à cette dette publique, il faut ajouter l’immense masse de l’endettement privé, ces titres qui valent sur du capital futur, ces encaissements de profits que personne n’a encore jamais faits, bref tout ce « capital fictif » qui fait carburer la machine capitaliste. Même la relative bonne santé de l’Allemagne qui continue d’exporter massivement ne saurait faire illusion : elle dépend entièrement des évolutions des autres pays d’Europe d’abord (ses clients principaux) et des pays émergents. L’industrie automobile allemande se porte bien en dépit de la chute des ventes d’automobiles en Europe parce qu’elle exporte massivement ses Mercedes, BMW, Audi et autres Porsche à destination des nouveaux riches.
Nous ne sommes pas devant « la crise finale » – il n’y aura jamais de « crise finale » tant que le capitalisme n’aura pas été renversé et remplacé par un autre mode de production. Mais il ne faut pas s’attendre à une « reprise » durable, à une nouvelle période de prospérité capitaliste. Les trois décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale ont connu une longue prospérité (pour les pays riches) en raison des politiques économiques « keynésiennes » et de la course aux armements consécutives à la guerre froide. Elles se terminent en 1971 avec la crise du système monétaire international. L’effondrement de l’URSS et de l’Europe de l’Est, la conversion de la Chine au capitalisme vont ouvrir un nouveau champ d’accumulation du capital et une nouvelle transformation de la division mondiale du travail. Mais nous commençons à voir le bout de cette période. Certains pays peuvent continuer à croître rapidement, mais ce ne sera qu’au détriment des autres. Un rythme chaotique de l’économie mondiale, des disparités et des distorsions croissantes entre les différents secteurs, des crises locales ravageuses et des tensions politiques inquiétantes : voilà le tableau d’ensemble et nous sommes très loin du développement idyllique d’un capitalisme annoncé comme fin de l’histoire dans les années 90.
Pour retrouver une phase de développement durable, le capitalisme devrait commencer par une vaste opération de nettoyage des capitaux dévalorisés de fait. Il aurait fallu laisser faire faillite toutes les institutions qui ont trop prêté et procéder à une euthanasie massive des rentiers… Mais comme ce sont les rentiers qui détiennent toutes les rênes du pouvoir, ils n’ont nulle envie de s’euthanasier et s’arrangent pour faire retomber le fardeau sur les salariés et les jeunes dans leur ensemble. Il y a une autre solution, classique : la guerre. Mais pour l’heure une guerre entre les grandes puissances ne semble pas envisageable : aucune des opinions publiques ne suivrait et pour faire la guerre, il faut des jeunes… Or les grandes puissances sont des pays de vieux.
Face à cette situation, les remèdes envisagés par toutes les forces politiques ne valent – au mieux – que des cautères sur une jambe de bois. Les socialistes (sic), on l’a vu, se sont engagés résolument dans la voie de Sarkozy et Merkel de soutien à l’euro, de soutien capital financier (capital porteur d’intérêts). Mais les prétendues solutions alternatives ne valent pas mieux. De Mélenchon à Dupont-Aignan, on rêve d’une manière ou d’une autre à un retour à la régulation étatique et au keynésianisme des « trente glorieuses ». Mais c’est une chimère. Les trente glorieuses reposaient 1) sur les gigantesques destructions de la guerre ; 2) sur la guerre froide ; 3) sur la course aux armements. Pendant ces trente glorieuses, on a la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam, des millions et des millions de morts. Le modèle « keynésien » et même keynésien de gauche ne peut être abstrait de ses conditions effectives de réalisation. Inutile de réclamer de la croissance pour relancer l’emploi : du point de vue capitaliste, le point de vue que presque toutes les forces politiques adoptent, le meilleur moyen de retrouver de la croissance et de relancer l’emploi est de détruire tout le surplus de capital. Donc de passer par une crise qui fera de très nombreuses victimes.
Reste donc à savoir si on doit rester dans le cadre imposé par le capital … ou s’il ne faut pas dès maintenant penser une alternative radicale. On y reviendra.
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On ne peut pas réduire les trente glorieuses à la guerre froide et aux guerres chaudes comme moteurs du développement économique.
1) Le plan Marshall - même s'il était l'expression d'un projet américain de main-mise sur l'Eurpe - était un plan intelligent car il misait sur l'industrialisation et la création d'une économiqe à rendement croissant dans des pays détruits.
2) Il a marché du fait de l'existence d'un consensus social et politique basé sur les principes du CNR, avec des syndicats puissants, une confrontation régulée et constructive entre salariés et patrons qui définissaient des principes de répartition de fruits de la croissance, et par l'existence d'un Etat qui vait une vision du long terme du développement du pays.
3) Tout cela a été détruit sous l'effet de deux forces: une force est le développement cyclique des technologies qui a rendu le modèle de production de masse et de régulation sociale qui l'accompaganait, obsolètes, et l'autre la volonté explicite de détruire ce modèle pour une reprise en main par le monde de l'argent qui avait été frustré pendant des décennies.
4) Je ne vois pas que le "Front de gauche" soit la force appropriée: il est d'un sectarisme qui confirme au racisme avec ce concept odieux de "peuple de gauche", il gesticule mais soutient le gouvernement qu'il a mis au pouvoir, il ne veut pas sortir de l'euro au nom de l'internationalisme, a une analyse totalement erronée de l'immigration qui l'amène à s'aligner sur ce point sur le MEDEF.
L'heure est certainement plus à un nouveau programme du CNR.