On peut écouter l'intégralité de l'émission sur le site de France Culture.
L'entretien entre Florian Delorme et Denis Collin est ici .
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Pour cause de déplacement, je viens seulement aujourd'hui (10 août) d'écouter Denis Collin sur France Culture, dont la synthèse a été très claire et pertinente.En ce qui concerne le républicanisme, dont la visée est effectivement la réalisation du bien commun dans la légitime reconnaissance de la liberté (respectueuse d'autrui) de chacun/e, un mot sur la vieille revendication de "République démocratique et sociale".
A priori elle est satisfaite, puisque l'article premier de notre Constitution le proclame : la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale.
On sait que l'aspiration a mûri sous la Monarchie de Juillet pour se concrétiser sous la Seconde République dans le programme de ceux qui s'appelèrent justement Démocrates Socialistes. On était alors dans le droit fil de la tradition du sans culottisme populaire d'antan : garantir la sécurité de leurs biens, de leur travail et de leurs vieux jours aux petits propriétaires paysans et artisans par l'institution notamment d'un crédit populaire, éduquer leurs enfants dans l'éthique républicaine mise en œuvre par la Constitution de 1793, équilibrer le nécessaire pouvoir central étatique par l'autonomie communale, diminuer le poids de l'impôt par l'élection "à la base" des fonctionnaires (un minimum de fonctionnaires !) et l'abandon des fonctions publiques centralisées, créer enfin une armée citoyenne ayant pour base la garde nationale (miliciens).
Dans une France où la classe ouvrière, au sens moderne du mot, était extrêmement minoritaire, les revendications ouvrières sauvagement refusées en juin 1848 n'étaient prises en compte dans le programme Démoc-Soc que par un vague "droit au travail" qui renvoyait vers l'État la responsabilité de l'assistance aux chômeurs, et par l'encouragement au mutualisme et à l'associationnisme ouvrier.
On sait aussi que ce sera, dans ses grandes lignes, le programme des radicaux sous le Second Empire.
Et qu'il sera aussi celui de la Commune de Paris, née de l'urgence d'une situation exceptionnelle. D'où l'affolement de bien des républicains petits bourgeois, et d'une bonne partie des radicaux (Clémenceau, l'homme du redoutable programme radical de 1869, abandonnant la Commune à son sort, alors qu'elle commençait à appliquer ce programme !), car, bien plus qu'une menace "communiste", c'était concrètement l'entreprise communaliste qui était engagée ( la mise à bas de l'état centralisé), par ces artisans et ces travailleurs parisiens d'Ancien Régime (petites boites, travail très qualifié), autodidactes, blanquistes ou proudhoniens.
Alors que les mesures sociales de la Commune visaient seulement à améliorer concrètement le sort des travailleurs (journée de travail, travail de nuit, travail des enfants, etc) et à libérer les locataires de la menace de saisie, faute de paiement, alors que les quelques atteintes au pouvoir patronal ne touchaient que les entreprises dont le patron avait déserté (un peu comme les fameuses entreprises autogérées de Marseille en 1944-45), toute l'astuce de la Droite fut de présenter la "République sociale" de la Commune comme celle des partageux, des ennemis de la propriété. Ce qui lui aliéna la sympathie des masses rurales.
Il faudra attendre une génération, dans une France où le prolétariat industriel, au sens moderne, était devenu une force, pour que la Commune représente aux yeux de la fraction révolutionnaire de ce prolétariat l'anticipation de ses espérances. La République d'alors, république bourgeoise, est dénoncée par les premiers groupes socialistes pour son indifférence ou son hostilité aux revendications ouvrières. Ce sont eux qui occultent pratiquement le mot de "République" en lançant l'expression "la Sociale". Et ce sont eux aussi que l'hostilité à l'égard de cette République pousse souvent dans les rangs du Boulangisme (où l'on magnifie le souvenir de la Commune !). Alors que, dans la masse du pays, aussi bien dans les couches paysannes gagnées par Gambetta, que dans les milieux ouvriers non "encartés", l'attachement à la République renoue avec les vieilles espérances radicales, désormais bien assagies. "La République démocratique et sociale" est progressivement devenu un des fleurons rhétoriques, bientôt vides de sens, des orateurs radicaux. Mais elle a irrigué la pensée de Jaurès par exemple, bien plus que celle des doctrinaires guesdistes, qui se voulaient marxistes. Jaurès anticipait sur la situation actuelle, dans la mesure où il ne privilégiait pas l'adjectif "social" et où il refusait de dissocier "démocratique" de "social". Le bien commun lui apparaissait être une aspiration éthique dans laquelle se fondaient les justes revendications ouvrières. L'avenir socialiste lui apparaissait être celui d'une société de producteurs soudés par cette éthique, et non la victoire d'une avant garde ouvrière.
On connaît la suite.
Pour l'heure, je ne vois qu'un combat possible, celui qui redonnerait leur sens aux adjectifs de l'article premier de la Constitution, dans leur indissociable union, et qui les mettrait vraiment en pratique dans l'intérêt de tous. Le fameux "mouvement social" dont beaucoup attendent le grand réveil, et le grand sursaut dans une stricte perspective sociale (et ceux qui sont dans la panade l'attendent à juste titre impatiemment) trouverait là une chance historique d'être à la fois le porteur et le bénéficiaire d'une entreprise de salut public. C'est peut-être être plus révolutionnaire d'agir dans ce sens que d'adopter des postures anti-capitalistes qui en définitive ne mangent pas de pain. Mais je me garderai de donner des leçons à qui que ce soit. J'ai eu 74 ans hier, et mon propos d'aujourd'hui n'a plus guère à voir avec ceux que j'ai pu tenir dans les différentes étapes de ma vie, et que je retrouve aujourd'hui chez des militants bien plus jeunes, sincères, entiers et convaincus. Qu'ils ne voient pas dans mon " républicanisme radical-communiste" un effet de l'âge, mais plutôt un effet de l'expérience.
René Merle