Le samedi 4 septembre devait être une journée de mobilisation – nous avions relayé, à notre modeste échelle, cet appel à descendre dans la rue pour défendre les valeurs de la république face au déferlement de discours xénophobes adressés par quelques ténors du gouvernement, assortissant la démagogie de menaces directes sur le code de la nationalité. La première république fut proclamée le 21 septembre 1792, mais comme la république avait été à nouveau proclamée le 4 septembre 1870 après la chute du second empire. Le samedi 4 septembre nous promettait donc de combiner mobilisation et mémoire. Sans être ridicule, la mobilisation est restée assez limitée. Entre la police qui annonce 77500 manifestants (on admirera la précision !) et les organisateurs qui en revendiquent 100.000 l’écart n’est pas bien grand et tout le monde est donc d’accord sur l’ordre de grandeur. Du coup, « le gouvernement plastronne » comme le titre Le Monde. Il tire de cette faible mobilisation l’idée que sa situation réelle dans le pays n’est pas aussi mauvaise que le pensent les médias. Il a sans doute tort, mais il joue de la situation. Il aurait tort de s’en priver.
La réalité est, en effet, que les manifestants étaient essentiellement ceux des organisations politiques, syndicales, et de défense des droits de l’homme, qui d’ailleurs n’ont pas fait le plein de leurs troupes, auxquels se sont ajoutés les citoyens engagés aux côtés des immigrés et des sans-papiers. Alors qu’il aurait fallu dresser un vaste rassemblement républicain, on n’a pas pu ou pas voulu réunir autre chose que la couche « politisée » de la gauche et de la sensibilité « démocrates » des classes moyennes. On remarquera et c’est évidemment une leçon capitale que ni la jeunesse ni les ouvriers ne se sont mobilisés. L’antiracisme des années 80, avec tous ses défauts dont nous avons eu l’occasion de parler, avait au moins l’avantage de mobiliser de larges franges de la jeunesse, celles-là qu’on retrouvait ensuite dans les mouvements étudiants qui ont fait reculer le pouvoir à plusieurs reprises. En particulier, les jeunes issus de l’immigration n’ont pas accordé le moindre intérêt aux appels à manifester de la gauche. Enfin, et là c’est encore plus criant, si possible, les ouvriers n’ont absolument rien à faire des mobilisations démocratiques en faveur des immigrés. On peut se raconter de belles histoires, se consoler avec des slogans, il vaut mieux regarder la vérité en face, quelque amère qu’elle soit.
Pourquoi les couches et classes sociales qui sont les premières victimes de la crise se désintéressent-elles de ce qui a si longtemps fait le dernier lien de toute la gauche ? On peut critiquer l’égoïsme des classes populaires, l’individualisme effréné d’une jeunesse intoxiquée par la société de consommation et se répéter que « de notre temps » ce n’était pas pareil ! Il est peut-être plus utile de se constater que les luttes en faveurs des immigrés et des sans-papiers apparaissent, à tort ou à raison, comme des dérivatifs à la « question sociale ». S’occuper des Roms, c’est très bien. Mais où sont les manifestations contre les coupes sombres dans les allocations handicapés ? Où sont les déclarations indignées des intellectuels contre les fermetures d’usine, les délocalisations ? Quelles associations se mobilisent pour le droit des jeunes à trouver un emploi convenablement payé et non à courir de stages en emplois précaires avec des salaires de misère ? « Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins » remarquait Jean-Jacques Rousseau. Il est bien possible que cette forte pensée explique la coupure qui existe entre la gauche militante et les classes populaires et la jeunesse.
Quelle que soit l’ampleur des grèves et manifestations annoncées pour mardi 7 septembre, il serait bon de se rappeler l’existence de ces profondes fractures qui ne concernent pas que la question de l’immigration. Si l’immense majorité de la population active est salariée (près de 90%), on ne devrait pas oublier que les 2/3 travaillent dans des PME qui ne font pratiquement jamais grève. On compte également près de 10% de CDD. Le gouvernement, qui connaît les réalités sociales mieux que bien des politiciens de la gauche, même radicale, sait bien qu’une grosse mobilisation des fonctionnaires n’a absolument aucune importance si elle n’est pas reliée aux sentiments des plus larges masses.On ne peut s’empêcher de penser que le devant de la scène est encore occupé par une « vieille gauche » et un « vieux mouvement ouvrier » qui sont d’abord des survivances du passé, d’un passé qui s’évanouit un peu plus chaque jour. Quelles sont les forces qui pourraient demain être les gardiennes de la liberté, les porteuses des luttes pour l’émancipation ? Personne ne semble aujourd’hui en mesure de répondre à cette question. Mais on commence à savoir où se trouvent les impasses. Il faut laisser les morts enterrer leurs morts, disait Marx, citant l’Évangile.
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Les révolutionnaires sont à la plage. On leur a donné des congés payés et des écrans plats, c'est bon. Et c'est humain: la "lutte", ça va cinq minutes, mais la vraie vie est ailleurs. Les gens redescendront dans la rue quand ils auront faim.