Aujourd’hui la FNSEA, qui pourtant n’hésite jamais à utiliser la violence gratuite contre les édifices publics, appelle la police pour évacuer les paysans qui manifestent, non seulement contre le gouvernement … mais aussi contre la FNSEA. Car c’est bien là l’événement majeur : les paysans se heurtent directement à leurs prétendus représentants, à cette caste de « syndicalistes » (sic) liés par mille liens aux industriels de l’agro-alimentaire. En cela l’occupation du siège de la CNIEL, comme les affrontements de Rennes, témoigne d’une transformation profonde dans la société française et constitue une manifestation de la crise politique d’ensemble et pas seulement un épiphénomène d’une « crise agricole » qui ne concernerait que les agriculteurs.
Mais au-delà de la conjoncture il est nécessaire de s’interroger sur le fond. Le marxisme orthodoxe considérait le paysan comme une survivance d’un passé, voué à disparaître dans le vaste mouvement du « progrès » incarné par le développement du capital était censé être l’agent objectif. À moins que le paysan ne soit soupçonné d’être un capitaliste en puissance, un « koulak » potentiel à éliminer « en tant que classe ». Dans le registre des innombrables âneries du marxisme traditionnel, celle-ci figure en bonne place … et pourtant on serait bien en peine de trouver chez Marx de quoi l’alimenter en citations choisies. Reste qu’on peut, légitimement, se demander si la défense des paysans est autre chose qu’une sympathique bataille d’arrière-garde qu’on soutient comme par nostalgie d’un monde désormais en voie de disparition. Les paysans seraient nos Indiens à nous. Sitting Bull a bien fédéré les Sioux et écrasé les troupes de la ganache Custer à Little Big Horn, mais au final ils ont été défaits…
Il serait mal avisé de soutenir les paysans uniquement dans le cadre restreint d’une bataille contre la « malbouffe », même si cette question ne manque pas d’enjeux politiques et de sociétés assez considérables. Mais le « bio » et la « bonne bouffe » peuvent parfaitement être récupérés par le capital dès lors qu’existe un marché solvable suffisant – en dépit des contradictions que cela génère entre les diverses fractions du capital : les industries de la chimie ou multinationales comme Monsanto et Novartis n’aimeraient pas du tout une telle orientation vers le « bio-capitalisme » mais c’est en même temps un domaine qui pourrait attirer des trusts de l’agro-alimentaire.
La défense de l’agriculture paysanne, d’une agriculture plus locale, plus économe d’intrants, plus autonome, existant à travers des réseaux coopératifs, n’est pas du côté du passé, mais plutôt du côté de l’avenir : elle montre qu’il y a une société possible, non fondée sur le salariat, mais sur la coopération des producteurs. Elle maintient en vie et permet de projeter pour l’avenir une certaine conception de la liberté antinomique à la domination capitaliste : être libre, ce n’est pas avoir un bon patron, c’est n’en avoir pas du tout ! Cette liberté fondée sur la propriété individuelle des producteurs ne peut évidemment exister dans le monde moderne qu’en intégrant les acquêts de la coopération sociale (et non en « revenant » à une petite production individuelle qui n’a jamais existé). Certes, tant que le capital domine à l’échelle de toute la société, les « expériences » sont vouées à rester très limitées. Mais leur existence même pose la question de leur extension et de leur généralisation. Et cela concerne tous les salariés qui ne se résignent à limiter leur ambition à la négociation de la longueur de la chaîne qui les retient prisonniers.
Au-delà des paysans, c’est la question d’un « bloc de classes », d’une union des travailleurs dépendants et des travailleurs indépendants qui est posée et qui devrait former le soubassement de toute stratégie politique sérieuse.
Articles portant sur des thèmes similaires :
- Le retour de Ludd, ou comment se défaire de l’homme-machine - 11/09/24
- Extinction des Lumières - 30/09/19
- La grande transformation - 24/09/19
- Climat et lutte des classes - 22/09/19
- Après la gauche - 19/08/19
- Les « écologistes » contre l’écologie - 11/06/19
- L’Union européenne et la double catastrophe qui s’annonce - 29/04/19
- L’extrême gauche du capital - 05/11/18
- Démission de Collomb, symptôme et accélérateur de la crise - 04/10/18
- La classe ouvrière révolutionnaire? - 05/03/18
La maison du lait occupée en appelle à la force publique et va aussi poursuivre en justice.
Tous les syndicats qu'ils se nomment Conf, Sud, CNT, etc. doivent pouvoir être entendus et aussi être reconnus s'ils le revendiquent, c'est le minimum de la démocratie.
Et à Rennes ce jour 2 paysans présents ont été arrêtés, voir en dehors du média audiovisuel national privé qui consacre quelques secondes à la colère paysanne le site de la Conf qui rapporte ces arrestations et exige la libération des deux arrêtés.