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Avec les paysans contre les "agro-managers"

Par Denis Collin • Actualités • Mardi 14/09/2010 • 11 commentaires  • Lu 3091 fois • Version imprimable


Nous avions relayé dans nos colonnes les protestations de la Confédération Paysanne contre le monopole de la FNSEA dans les organismes interprofessionnels. L’occupation du siège du CNIEL (comité de l’économie laitière) par les militants de la Conf’ alors que la crise du lait est maintenant endémique, n’est pas anecdotique. Il en va de la représentation démocratique au moment où le syndicat corporatiste FNSEA signe un accord pourri sur le prix du lait, accord violemment dénoncé par les producteurs encore le 14 septembre à Rennes, à l’occasion de la venue du ministre de l’agriculture. La FNSEA, représentante de l’agro-business tient à être l’unique interlocuteur des pouvoirs publics et des industriels pour empêcher que les petits paysans puissent s’exprimer et défendre leurs intérêts face aux capitalistes du secteurs agricoles et à ces gros agriculteurs qui ne voient dans la politique agricole que les outils pour étrangler les paysans et arrondir la taille de leurs entreprises.

Aujourd’hui la FNSEA, qui pourtant n’hésite jamais à utiliser la violence gratuite contre les édifices publics, appelle la police pour évacuer les paysans qui manifestent, non seulement contre le gouvernement … mais aussi contre la FNSEA. Car c’est bien là l’événement majeur : les paysans se heurtent directement à leurs prétendus représentants, à cette caste de « syndicalistes » (sic) liés par mille liens aux industriels de l’agro-alimentaire. En cela l’occupation du siège de la CNIEL, comme les affrontements de Rennes, témoigne d’une transformation profonde dans la société française et constitue une manifestation de la crise politique d’ensemble et pas seulement un épiphénomène d’une « crise agricole » qui ne concernerait que les agriculteurs.

Mais au-delà de la conjoncture il est nécessaire de s’interroger sur le fond. Le marxisme orthodoxe considérait le paysan comme une survivance d’un passé, voué à disparaître dans le vaste mouvement du « progrès » incarné par le développement du capital était censé être l’agent objectif. À moins que le paysan ne soit soupçonné d’être un capitaliste en puissance, un « koulak » potentiel à éliminer « en tant que classe ». Dans le registre des innombrables âneries du marxisme traditionnel, celle-ci figure en bonne place … et pourtant on serait bien en peine de trouver chez de quoi l’alimenter en citations choisies. Reste qu’on peut, légitimement, se demander si la défense des paysans est autre chose qu’une sympathique bataille d’arrière-garde qu’on soutient comme par nostalgie d’un monde désormais en voie de disparition. Les paysans seraient nos Indiens à nous.  Sitting Bull a bien fédéré les Sioux et écrasé les troupes de la ganache Custer à Little Big Horn, mais au final ils ont été défaits…

Il serait mal avisé de soutenir les paysans uniquement dans le cadre restreint d’une bataille contre la « malbouffe », même si cette question ne manque pas d’enjeux politiques et de sociétés assez considérables. Mais le « bio » et la « bonne bouffe » peuvent parfaitement être récupérés par le capital dès lors qu’existe un marché solvable suffisant – en dépit des contradictions que cela génère entre les diverses fractions du capital : les industries de la chimie ou multinationales comme Monsanto et Novartis n’aimeraient pas du tout une telle orientation vers le « bio-capitalisme » mais c’est en même temps un domaine qui pourrait attirer des trusts de l’agro-alimentaire.

La défense de l’agriculture paysanne, d’une agriculture plus locale, plus économe d’intrants, plus autonome, existant à travers des réseaux coopératifs, n’est pas du côté du passé, mais plutôt du côté de l’avenir : elle montre qu’il y a une société possible, non fondée sur le salariat, mais sur la coopération des producteurs. Elle maintient en vie et permet de projeter pour l’avenir une certaine conception de la liberté antinomique à la domination capitaliste : être libre, ce n’est pas avoir un bon patron, c’est n’en avoir pas du tout ! Cette liberté fondée sur la propriété individuelle des producteurs ne peut évidemment exister dans le monde moderne qu’en intégrant les acquêts de la coopération sociale (et non en « revenant » à une petite production individuelle qui n’a jamais existé). Certes, tant que le capital domine à l’échelle de toute la société, les « expériences » sont vouées à rester très limitées. Mais leur existence même pose la question de leur extension et de leur généralisation. Et cela concerne tous les salariés qui ne se résignent à limiter leur ambition à la négociation de la longueur de la chaîne qui les retient prisonniers.

Au-delà des paysans, c’est la question d’un « bloc de classes », d’une union des travailleurs dépendants et des travailleurs indépendants qui est posée et qui devrait former le soubassement de toute stratégie politique sérieuse.

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Commentaires

par quent1 le Mardi 14/09/2010 à 21:26

La maison du lait occupée en appelle à la force publique et va aussi poursuivre en justice.
Tous les syndicats qu'ils se nomment Conf, Sud, CNT, etc. doivent pouvoir être entendus et aussi être reconnus s'ils le revendiquent, c'est le minimum de la démocratie.
Et à Rennes ce jour 2 paysans présents ont été arrêtés, voir en dehors du média audiovisuel national privé qui consacre quelques secondes à la colère paysanne le site de la Conf qui rapporte ces arrestations et exige la libération des deux arrêtés.


par sinziana le Mercredi 15/09/2010 à 10:42

"C'est à Davos que tout ça se décide. Ce n'est pas Sarkozy ou Bush qui y peuvent quoi que ce soit. Un des drames de cette situation, c'est justement qu'il n'y a plus de pouvoir politique. L'avenir de la planète ne se joue pas au niveau politique, le Grenelle de l'environnement c'est une vaste fumisterie. C’est à Davos que tout est décidé.

J
e ne crois pas qu' il y aura de sursaut. Une civilisation, elle a sa logique de développement. Elle grandit puis elle meurt. Vous n'arrêtez pas la mort d'une civilisation. C'est comme si vous vouliez empêcher quelqu'un de mourir. Il n'y aura pas de plan B, parce que, comme disait Einstein, une civilisation ne peut pas penser autrement que par la méthode de pensée qui l'a créée. Leur disque dur est bloqué sur les idées de croissance, de production... Ils ne peuvent pas concevoir autre chose, donc il faut qu'ils tombent. Mais par contre, je suis sûr qu'une nouvelle civilisation se prépare."

Claude Bourguignon (microbiologiste des sols démissionnaire de l'INRA) in Solutions locales pour un désordre global, Actes Sud, 2010.

 


par Anonyme le Mercredi 15/09/2010 à 10:58

La Via Campesina dénonce l'achat d'actions de Monsanto par la Fondation Bill et Mélinda Gates

(Glendive, Montana- 10 septembre 2010) La Via Campesina (...) dénonce l’acquisition par la Fondation de Bill et Melinda
Gates d'actions de la compagnie Monsanto. La Fondation a été créée en 1994 par le fondateur de Microsoft William H. Gates et exerce aujourd’hui une
grande influence sur les politiques mondiales de développement agricole.

La Fondation concentre des centaines de millions de dollars dans des projets qui poussent paysans et agriculteurs à utiliser les semences et les produits agrochimiques génétiquement modifiés (OGM) de Monsanto. En août, la Fondation de Bill et Melinda Gates qui gère un capital de 33,5 milliards de dollars pour financer les projets philanthropiques de la Fondation (dont Bill et Melinda sont membres du conseil d’administration)
a révélé qu’elle avait acquis 500.000 actions de Monsanto pour la somme de 23 millions de dollars. (1) (...)

http://viacampesina.org/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=531:la-via-campesina-denonce-lachat-dactions-de-monsanto-par-la-fondation-bill-et-melinda-gates&catid=47:non-aux-multinationales&Itemid=72


par quent1 le Mercredi 15/09/2010 à 13:19

donc si j'en crois ceci que mes yeux équipés de longue vue et microscope ont pu lire avec zoom, ce serait Davos qui depuis le sommet du massif Armoricain serait intervenu pour libérer les 2 arrêtés ? trève de plaisanterie... "REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE | 14/9/10 SPACE DE RENNES : les militants de la Confédération paysanne libérés

Les militants de la Confédération paysanne interpellés ce matin ont été libérés en fin de journée. Aucune charge n'a été retenue contre eux. L'objectif de la manifestation d'aujourd'hui au Salon du SPACE à Rennes était d exprimer l'absence totale de démocratie dans les interprofessions agricoles : lieux où ont été signés particulièrement les accords catastrophiques sur le prix du lait des 18 mois passés. Lire la suitesuite


Re: par sinziana le Mercredi 15/09/2010 à 15:28

Ouf! l'agriculture française est donc sauvée. Autant pour moi...


Re: par quent1 le Mercredi 15/09/2010 à 21:28

Quand on veut tuer son chien on l’accuse d’avoir la rage, quand on veut tuer un syndicat on le prive de tout moyen d’expression et on le poursuit en justice pour encaisser des sous sans soucis, quand on veut...et cætera  :
"50 000 euros d’astreinte par jour,
astreinte d’autant plus ahurissante que pendant ce temps les producteurs de lait continuent de payer à l’Interprofession les « Cotisations Volontaires Obligatoires » sur chaque litre de lait vendu, et que l’interprofession ne perd donc pas d’argent par le blocage des lieux. Demain 16 septembre à 10h au Palais de Justice de Paris, la Confédération paysanne est assignée en référé pour occupation de la Maison du Lait, siège de l’interprofession. La revendication de la Confédération paysanne est simple : que la démocratie soit respectée partout en agriculture. Point Presse 12h Place du Palais de Justice, Paris
1er ".
Mais où sont donc passés Les assis qui ne sont pas ceux nommés par le grand Rimbaud, encore que là comme ailleurs... "mais où sont donc passés les 25 conseillers du CESE adhérents de la FNSEA ?" -*-)
http://www.confederationpaysanne.fr/o_sont_passes_27_conseille_cese_adherents_fns_1.php&actualite_id=1704


Re: par quent1 le Jeudi 16/09/2010 à 14:49

MAJ = Mise à jour et heure 

Source Agrisalon 16/09/2010 13h29 « Maison du Lait - Le juge vient d'ordonner une médiation entre le Cniel et la Confédération paysanne. Alors qu'elle occupe la Maison du Lait depuis 9 jours, pour revendiquer sa place au sein du collège des producteurs de l'interprofession, la Confédération paysanne était assignée à comparaître ce matin par le Cniel, au palais de justice de Paris. Le juge vient d'ordonner une médiation entre le Cniel et la Confédération paysanne, indique le syndicat dans un communiqué. La Maison du lait n'a pas été suivie dans sa volonté d'une astreinte financière ni de demande de recours à la force publique. "L'occupation de la Maison du lait se poursuit, s'amplifie " déclare la Confédération paysanne »


par Pierre Montoya le Jeudi 16/09/2010 à 17:06

La FNSEA a été le principal instigateur des politiques agricoles suivies depuis la libération. Organisation en situation de monopole et de syndicat unique pendant longtemps, elle truste les représentations et les directions d 'organismes agricoles. Elle a produit une bureaucratie liée aux pouvoirs de droite qui s'érige en caste et introduit une forme de cacicisme.  Rien d'étonnant au regard de ses origines. En fait elle s'inscrit dans un processus de concentration des terres et participe indirectement à la désertification des campagnes. Pas un mot sur les DPU qui sont pourtant un véritable racket sur les terres des petits loueurs retraités essentiellement les plus agés. Le droit aux primes devient une propriété des plus gros généralement, avec une valeur marchande qui parfois peut dépasser celle du sol.
                                Mon cher Denis Colin, Gabriel Deville disait "lorsque on a compris que le gros mange le petit, on a compris le Capital". La FNSEA, a mis le couvert.


Re: par quent1 le Jeudi 16/09/2010 à 21:53

T.G.I. Paris ordonnance de référé rendu le 16 septembre 2010 :
http://www.confederationpaysanne.fr/images/imagesFCK/file/2010/divers/20100916_ordonnance_refere.pdf


réponse de Denis Collin par la-sociale le Samedi 18/09/2010 à 07:36

Entièrement d'accord sur la FNSEA. Au nom de l'unité du monde agricole, elle a organisé la liquidation des paysans français pour mettre à leur place des "agro-managers". On sait combien certains dirigeants de la FNSEA sont liés à l'industrie agro-alimentaire et oeuvrent d'abord au profit de celle-ci, pour ne rien dire de ceux qui avaient d'autres intérêts très variés, comme feu Alexis Gouvernec passé du cochon à Britanny Ferries. La FNSEA, c'est aussi une pompe à finances bien huilée et des réseaux importants parmi les élus ruraux, qui contrôlent du même coup les élections aux conseils généraux et au Sénat. Ceci explique son influence sans rapport avec le poids démographique des agriculteurs. Au début des années 80, certaines FDSEA ont quitté la FNSEA pour participer à la FNSP qui allait fusionner avec les Paysans-Travailleurs pour donner la Confédération Paysanne. Ces FDSEA, comme celle de la Loire-Atlantique étaient souvent dirigées par des paysans proches du PS. Mais le PS a gardé une attitude très ambiguë et garde dans maints départements des relations privilégiées avec la FNSEA. Là aussi le double langage est de mise - les plus anciens se rappellent que certains ministres socialistes de l'agriculture se sont quelque peu fait tirer l'oreille pour reconnaître le pluralisme syndical...

Je remarque aussi l'extrême discrétion de l'Humanité sur l'affaire en cours. Est-ce parce que le MODEF - qui a subi le même rétrécissement au lavage que le PCF - n'est pas dans le coup? Mais enfin le PCF salue l'action de la confédération paysanne. Donc pas de polémique inutile! Il me semble, cependant, que l'on ferait bien de se poser des questions à plus long terme, comme celles que j'ai soulevées dans mon papier. Et que faute de répondre à ces questions programmatiques, on est réduit à des guérillas dans lesquelles chaque acquis est immédiatement remis en cause.

Dernier point, sans rapport avec ce qui précède, tu me permettras de penser que Gabriel Deville n'a, hélas, pas compris grand-chose au Capital de Marx. Mais ceci est une autre histoire.

Denis COLLIN, frère, fils, petit-fils, arrière petit-fils, etc., de paysans.


par quent1 le Jeudi 23/09/2010 à 14:33

Mercredi matin 15ème jour d’occupation, des visites fraternelles dont celle d’André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme venu soutenir et discuter et encore plus important : les Conti toujours en lutte et les "retrouvailles pour tous et entre tous, eux qui étaient venus soutenir les faucheurs en procès à Versailles et nous qui les avions soutenus lors de leurs procès, à Amiens et à Compiègne".
Conti qui cependant n’oublient pas la nécessaire alliance ouvriers-paysans qui peut-être un jour renaîtra et/ou reviendra ? si intérêt à lire ces courtes brèves se rendre sur le site de la Conf, rubrique "Actualités Occupation du CNIEL : Jeudi 23 septembre : 16ème jour d'occupation"



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