« Dégage ! ». Le slogan est à la mode et marche bien. En quelques semaines, deux potentats, maîtres tout puissants de castes corrompues ont dégagé. Et on se demande qui sera le prochain. Si les processus révolutionnaires en Tunisie ou en Égypte méritent la plus grande attention, si le soutien doit leur être prodigué sans barguigner, les choses se compliquent un peu quand on élargit le spectre des questions politiques.
Clivages politiques
On voit des gens qui clament haut et fort leur joie de voir s’écrouler Ben Ali ou Moubarak mais qui défendent dans le même temps la dictature des « bassidjis » d’Ahmadinejad en Iran, un gouvernement qui, ces temps-ci, et sûrement pour montrer ses sentiments démocratiques, organise des pendaisons à tours de bras. Ceux-là mêmes ou d’autres qui ne peuvent plus prononcer deux phrases de suite sans faire l’éloge de la « révolution tunisienne » prônent le soutien critique à Bouteflika et à sa clique de bureaucrates et militaires qui pillent allégrement une nation riche à milliards en raison de la rente pétrolière et gazière. Il faudrait soutenir « la fraction du gouvernement qui résiste au FMI » affirme sans rire Louisa Hanoune, représentante du « Parti des travailleurs » d’Algérie, un parti plus ou moins trotskiste (appellation non contrôlée…). On se félicite de la chute d’un régime autocratique appuyé sur l’armée et qui ne tolère qu’une opposition croupion, mais on se tait quand Chavez, appuyé par l’armée et par un parti à prétention monopoliste se veut se faire nommer président à vie et en attendant réclame les pleins pouvoirs pour lui. Et on fait silence sur les syndicalistes emprisonnés au Venezuela pour avoir osé défendre les revendications contre le caudillo de Caracas, ami (ce sont ses propres paroles) d’Ahmadinejad, du dictateur syrien El-Assad et du roi Ubu de Tripoli, Kadhafi. Bref, la liste est encore longue de ceux qui devraient dégager si les révolutions tunisienne et égyptienne doivent faire école. Certes l’Arabie Saoudite (un des pires régimes du monde, du point de vue des droits de l’homme) ou cet Abu Dhabi que les gouvernants français aiment tant, mais aussi une bonne partie de ces bouffons « anti-impérialistes » que prise tant l’extrême-gauche (et parfois l’extrême-droite : Alain Soral, animateur d’un groupe pro-FN est un admirateur de Chavez et d’Ahmadinejad).
Et la France ?
Il faut tourner notre regard vers la France. Car, comme disait Vladimir Ilitch, « l’ennemi est dans notre pays ». Applaudir au spectacle un peu exotique de ces damnés de la terre d’outre-Méditerranée est une chose, travailler sérieusement à défendre le peuple et la république dans notre propre pays en est une autre. Alors que la destruction des services publics se poursuit à une cadence d’enfer, alors que l’école est mise en pièces par les suppressions massives de postes et la réforme Chatel des lycées, alors que la privatisation de la Sécu est à l’ordre du jour avec la création d’une branche « dépendance » qui pourrait être entièrement confiée à des assureurs privés, alors que le chômage ne cesse de progresser et que l’on apprend que 25% des salariés gagnent moins de 750 euros par mois, le président, largement désavoué par l’opinion, lâché par des catégories comme les magistrats et les policiers qui ne passent pour des hurluberlus gauchistes, peut continuer son œuvre destructrice sans qu’une alternative sérieuse n’apparaisse. Une partie du PS s’obstine à faire la danse du ventre devant DSK et interroge Anne Sinclair comme si c’était la Pythie de Delphes, délivrant ses oracles. Partout, rue de Solferino, on aiguise les couteaux en vue des primaires – dont tout le monde voit le côté catastrophique : au lieu d’attaquer Sarkozy, ils vont passer leur temps à s’étriper. Pourtant le PS a une plate-forme et même un texte pour l’égalité réelle qui contient plusieurs bonnes idées, il a une première secrétaire légitime qui, à l’heure qu’il est, devrait déjà en train de battre la campagne pour dénoncer Mr Bling-bling (lequel vient de se payer un petit week-end privé à New-York en Falcon officiel) et avancer ses contre-propositions pour défendre la république et les acquis sociaux : on ne lui demande pas de faire dans le socialisme.
En dehors du PS, c’est encore pire. Les Verts fusionnés avec Europe-Écologie ont d’abord choisi la pire candidate possible en la personne de Mme Joly et comme si ce n’était pas assez à droite, les voilà qui courtisent un animateur de TF1 pour en faire un candidat durable. Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. Seul Cohn-Bendit avait eu l’idée intelligente de proposer un accord Verts-PS dès le premier tour, les écolos soutenant le candidat socialiste en échange de sièges de députés dont ils sont injustement privés en raison du monde de scrutin. Mais Cohn-Bendit n’a plus la main et dans cette cour de récréation pour enfants gâtés qu’est devenu le parti écologiste, il fait presque figure de type de gauche présentable. Ce qui est un comble.
Dans la « gauche de gauche », les choses ne vont pas mieux. Mélenchon qui se voulait fédérateur est en train de devenir le plus grand commun diviseur. Recalé par un NPA ancré sur les fondamentaux défendus par Krivine depuis près de 50 ans, Mélenchon est soutenu par la direction du PCF mais rejeté massivement par les communistes et sa candidature pourrait bien porter le coup de grâce à un parti qui vient de fêter tristement ses 90 ans. Bref, de ce côté-là on est parti pour un candidat « front de gauche » (Mélenchon), un candidat LO, un candidat NPA, et peut-être un candidat PCF « canal historique », et un ou deux autres marginaux encore, tout cela pour se partager un électorat « radical » estimé à 15% dans le meilleur des cas, et à condition que le « vote utile » ne le lamine pas encore plus.
En vérité, tous ces gens qui se proclament « citoyens », « républicains », « socialistes » même, voire « révolutionnaires » se préoccupent d’abord de leur boutique et sont plus acharnés à garder les parts de marché de leur PME qu’à défendre les besoins et aspirations du peuple.
Une politique pour changer le cours des choses
Si on se place, non du point de vue des mauvais cuisiniers de la gauche et même de la gauche de gauche, mais du point de vue du corps politique de la nation dans son ensemble, il est urgent que l’actuel président et sa majorité dégagent. Comme une manifestation en tenant nos babouches en mains ne serait pas très efficace, on fera mieux en préparant sérieusement 2012, c’est-à-dire en luttant pour assurer la défaite de l’UMP et de ses alliés à la présidentielle et aux législatives suivantes. Car il y a urgence.
Si l’actuel président est réélu, alors tout ce qui reste du système social français issu de la résistance disparaîtra. C’était son programme en 2007, c’est encore son programme pour 2012. Et il faut lui reconnaître cela : sur le fond, il tient parole. Mais c’est aussi la démocratie qui est menacée par une caste qui bafoue les droits individuels, méprise la séparation des pouvoirs et organise la mainmise des grandes puissances financières sur l’État tout entier. Enfin, c’est la nation elle-même qui est menacée : l’actuel président suit docilement l’Allemagne et les États-Unis, a perdu toute velléité d’indépendance dans quelque domaine que soit et agit comme un syndic de faillite chargé de fermer la maison France.
De quelque point de vue que l’on se place, lutter inconditionnellement pour la défaite du candidat de l’UMP devrait être la tâche de tous. Et le meilleur moyen d’assurer cette défaite, c’est qu’il y ait un CANDIDAT UNIQUE DE TOUTE LA GAUCHE DÈS LE PREMIER TOUR. Les candidatures de témoignage, les candidatures pour mener la « bataille idéologique » (comme on dit au PG sans même se douter une minute de ce que veulent dire les mots), les candidatures « pour les luttes » (Besancenot) sont au mieux des plaisanteries éculées, au pire des candidatures propulsées par le pouvoir pour assurer son maintien : pour la droite, une gauche divisée permettrait d’espérer la réédition d’une configuration du type avril 2002 : une gauche si divisée qu’elle se retrouverait derrière Marine Le Pen. Cette Marine Le Pen qui reçoit le soutien inattendu de Mélenchon, puisque le chef du PG s’est démené pour avoir son débat avec la nouvelle cheffe du FN. Là aussi l’histoire bégaie : on avait eu deux Tapie / Le Pen en 1989 et, plus connu, en 1994 (le fameux duel avec les gants de boxe).
On nous dira : mais comment la gauche pourrait-elle s’unir derrière DSK, parangon du social-libéralisme nommé par Sarkozy au FMI ? Manœuvre de diversion typique. En premier lieu, il ne semble pas que DSK ait envie d’être candidat unique de la gauche (d’ailleurs on ne sait même pas s’il a envie d’être candidat), car une telle candidature contredirait le positionnement politique sur lequel il s’est placé depuis de nombreuses années. Si d’aventure DSK décidait néanmoins de se battre pour rassembler toute la gauche (on peut rêver), cela voudrait tout simplement dire que la pression populaire est vraiment très forte ou que DSK s’est rendu compte de ses erreurs et décide de changer de politique et ce serait évidemment une bonne nouvelle : pour gagner contre la droite, tous les soutiens sont les bienvenus et si DSK renonce au blairisme ou au « nouveau centre » à la sauce Schröder, il fera un représentant de la gauche aussi bon (ou aussi mauvais…)qu’un autre. Que l’on tourne le problème dans tous les sens, la question DSK est un faux problème. Elle sert de prétexte pour dire avant les élections « pas d’alliance avec le PS » alors que le Front de Gauche et singulièrement le PG est déjà en train négocier avec le PS pour les législatives de 2012… Le social-libéralisme et l’antilibéralisme bavard sont les deux mâchoires du même piège.
On nous dira : l’unité, d’accord, mais sur quel programme ? On peut se chamailler sur les programmes, jouer à « plus à gauche que moi tu meurs », on n’empêchera pas que cette vérité s’impose : si le candidat de l’UMP est réélu, ni le programme modéré du PS ni le programme de la prétendue « révolution citoyenne » ne s’appliqueront, ce sera le programme de Sarkozy. En outre, les électeurs les plus anciens se souviennent qu’en 1981 on avait un excellent programme et on devait même rompre « en cent jours » avec le capitalisme… on sait ce qu’il en est advenu. En 1997, la gauche distribuait pendant la campagne des législatives, des tracts contre la privatisation de France-Télécom … qui allait être privatisée par le gouvernement Jospin avec le soutien des actuels dirigeants du Front de Gauche, Mélenchon en tête. Donc un programme minimal, même très modéré fera très bien l’affaire : celui-là, il a une chance d’être tenu et de ne pas désespérer une nouvelle fois les électeurs. Comme disait Vladimir Ilitch, « mieux vaut moins, mais mieux » et, comme disait Marx, « un pas réel en avant vaut mieux qu’une douzaine de programmes ». Battre le « Fouquet’s Party », donner un coup d’arrêt à la destruction des acquis sociaux et permettre à notre pays de reconstituer ses forces, aux travailleurs dépendants et indépendants, aux jeunes, de reprendre espoir. Après, il suffira de se souvenir qu’il « n’est pas de sauveur suprême » et que le mot d’ordre reste « producteurs, sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun. »
- Parce que le pire serait la reconduite de l’actuel président et de sa majorité,
- Parce qu’il faut donner un coup d’arrêt à la destruction des acquis sociaux, de la démocratie et de la nation,
- Il faut l’unité, complète, de la gauche et, au-delà, de tous les républicains, dès le premier tour, seule à même d’assurer la défaite de l’UMP et de son chef !
Chacun peut et doit développer ses propres analyses, ses propres propositions, chacun doit contribuer à faire vivre la discussion politique dans notre peuple, mais personne ne peut se soustraire à ce qu’exige le salut commun.
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Cet article est un bel exemple de "TSS", Tout Sauf Sarkozy.
Mais, est-ce bien suffisant ?
C’est la phrase à la mode, en ce moment, dans les milieux de « gôche » : « N’oubliez pas que le principal objectif est de battre Sarkozy en 2012 ». Sous-entendu, ne faites rien qui pourrait diviser la « gôche » et la faire battre. Le syndrome 2002, quoi. Qui voudrait que ce soit la multiplication des listes de gauche qui aurait fait perdre Jospin en 2002. Que c’est la division qui aurait fait qu’il ne s’est même pas qualifié pour le second tour. Mais surtout pas le fait qu’il ait déclaré « Mon programme n’est pas socialiste » .
On les comprend les Socialistes, remarquez. Incapables qu’ils sont de gagner une élection présidentielle à la loyale - sur les idées, quoi – ils sentent bien que le contexte politique leur est ce coup-là favorable. Par trois fois ils se sont fait battre parce qu’ils proposaient une politique de droite. Croyez-vous qu’ils auraient enfin compris ? Non. Encore une fois, leur programme n’est pas socialiste. Seulement, ils espèrent que cette fois-ci ça pourrait passer, la population en ayant tellement marre de Sarkozy qu’elle serait prête à voter pour n’importe qui. Même Socialiste, c’est dire !
On pourrait leur faire remarquer qu’en 2002 aussi, la population en avait déjà marre, et qu’elle a voté pour n’importe qui. Du coup, Le Pen fut qualifié pour le second tour. Et les électeurs de gauche furent contraints de voter à droite. Traumatisé par ce cataclysme politique, et plutôt que de proposer aux électeurs un programme vraiment socialiste, le PS n’a de cesse que d’appeler au vote utile au premier tour. Partant de cette logique, pourquoi voter à « gôche » au premier tour, si c’est pour devoir voter à droite au second ? Autant voter à droite tout de suite. C’est pour ça, d’ailleurs, qu’ils souhaitent le patron du FMI comme candidat. Car avec Strauss-Kahn, on peut voter Socialiste tout en votant à droite dès le premier tour. Astucieux, non ? Avec un peu de chance, on aurait Pascal Lamy comme premier ministre !
Sauf qu’il y encore quelques détails à régler. Tout d’abord, DSK n’est pas candidat pour le moment. Il faudrait qu’il démissionne du FMI. Pas sûr qu’il soit assez maso pour quitter le prestige de la fonction et plonger dans la gadoue d’une campagne présidentielle. D’autre part, ça bouge à gauche de la « gôche ». Mélenchon, grâce à la couverture médiatique qu’il a su obtenir, met en lumière la position très libérale du PS. Ça dérange au point que la « gôche » le qualifie de « pire que Le Pen ». Au moins c’est clair : perdre à cause de Le Pen, passe encore, mais perdre à cause de Mélenchon, c’est inacceptable ! Même dans la gauche de la « gôche », ça bouge. Des voix s’élèvent au PS pour dénoncer cette dérive droitière. Un socialiste a récemment déclaré, à propos du projet socialiste sur la réforme des retraites, qu’il est « inacceptable » et qu’ il est « incompréhensible, qu’à moins de vouloir imiter Sarkozy ». On ne peut être plus clair. Et c’est pas n’importe quel socialiste qui le dit, c’est un membre du Bureau National du PS, Jean-Jacques Chavigné.
Alors, la « gôche » fait tonner le canon ! Gérard Filoche, la caution sociale du PS, Gérard Filoche lui-même en appelle à la raison. Dans un billet récent, il prévient : « Organiser un combat préalable dans le bruit et la fureur entre les "deux gauches" est-ce la priorité ? ». De toutes manières, « Qui croit sérieusement que le PS ne sera pas en tête de la gauche lors des prochaines élections ? C’est une certitude. ». Autrement dit, pourquoi générer une « concurrence libre et non faussée (sic) » à gauche, alors qu’on sait que seul le PS passera le premier tour ? C’est vrai, ça, c’est ennuyeux les idées de gauche ! Pourquoi perdre son temps à les défendre, alors qu’il suffit de voter PS pour avoir une politique de gauche à droite ?
Tout ça est bien désespérant et montre bien à quel point le PS n’est même pas sûr de l’emporter cette fois-là encore, malgré un contexte très favorable. Ça ne serait que la quatrième. Sa proximité avec les forces de l’argent l’a rendu incapable de comprendre les aspirations des ses électeurs. Désespérant aussi parce que ces mêmes électeurs - de gauche, eux - qui ne s’intéressent pas à toutes ces salades - et ils ont bien raison - risquent bien de se faire avoir encore en 2012. Qui est à gauche, qui est à droite, comment s’y retrouver ? Avant de voter par dépit Europe Écologie, le parti « ni de gauche ni de gauche », un tuyau pour s’y retrouver facilement. Il suffit de se demander si le candidat ou le parti pour lequel vous allez voter a appelé à voter « oui » au referendum de 2005. Si c’est le cas, il est à droite. C’est simple, non ? En fait, c’est un peu plus compliqué, bien sûr, mais ça permet déjà d’y voir plus clair.