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Hypothèses sur l'avenir de nos démocraties

Par Denis Collin • Débat • Vendredi 06/10/2006 • 0 commentaires  • Lu 2510 fois • Version imprimable


§ I. Dans le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx rappelle que l’histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. Les groupes néofascistes qui ont rencontré un certain succès en Europe ces dernières années sont la répétition en tant que farce du fascisme des années 30. Bossi est un Mussolini bouffon et Le Pen qui se prend tantôt pour Maurras, tantôt pour La Rocque tantôt pour Doriot est un histrion dont la place est parfaitement déterminée dans le grand spectacle anti-politique monté par une partie des médias et les classes dominantes. Le « danger lepéniste » agité fort opportunément a servi tous les pouvoirs, jusqu’à cette pantalonnade que fut l’élection de Chirac en 2002 avec 82% des suffrages. L’extrême gauche radicale et notamment sa composante LCR - qu’on n’ose plus baptiser trotskyste puisque son porte-parole, Besancenot, réfute le qualificatif - habituée à vivre le présent dans les tenues du passé, dans le manteau du Trotsky chef de l’Armée ou la tenue de baroudeur du guérillero Guevara, ont fait de la lutte contre le lépénisme une de leurs causes préférées.

 

Ce théâtre d’ombres, sur lequel presque tous les acteurs sont venus jouer leur partition, a pour fonction ou pour résultat de masquer la scène réelle. Par exemple, l’incapacité de procéder à une critique radicale de la politique de Sarkozy sans ramener Sarkozy à Le Pen témoigne de cet aveuglement face aux processus politiques en cours et de cette substitution d’une histoire fantasmée à l’histoire que les hommes font eux-mêmes, bien que sans savoir, le plus souvent quelle histoire ils font. Mais comme le dit encore Marx, il faut « laisser les morts enterrer leurs morts ». Non pas mépriser les leçons de l’histoire mais regarder en face la réalité sans la camoufler par des analogies avec le passé qui en obscurcissent la compréhension. Risquons une hypothèse : nous sommes en train d’assister à la lente agonie des démocraties, si imparfaites soient-elles dans lesquelles nous, c’est-à-dire nous les citoyens des pays riches, avions pris l’habitude de vivre. Nous sommes peut-être en train d’assister à l’émergence d’une forme inédite de tyrannie exercée au compte d’un capital financier de plus en plus délocalisé, de plus en plus « hors sol ».

§ II. Habitués à tout mesurer à l’aune du passé, nous avons longtemps cru que le renversement de la démocratie serait un renversement violent, sur le mode de la prise du pouvoir par Mussolini ou Hitler ou encore du coup d’État de Pinochet au Chili. Mais il se passe tout autre chose qu’il faut analyser et expliquer et nous ne pouvons, pour comprendre, nous en tenir à la France. Prenons quelques exemples qui dessinent une évolution générale des régimes politiques dans leur rapport à la phase présente de la domination du capital financier.

En Italie, le phénomène fondamental de la dernière décennie n’est pas le rôle joué par les néofascistes - le parti de Droite de Fini, l’Alleanza Nazionale est un parti de la droite conservatrice on ne peut plus classique - ni même les pitreries d’Umberto Bossi et de sa Lega favorable à l’indépendance de la soi-disant Padanie. Non, le vrai phénomène intéressant ... et inquiétant est Forza Italia, la formation de Berlusconi. Nous avons un chef richissime - bien que l’origine de sa fortune sente toujours aussi mauvais ! - qui contrôle une part considérable des médias audiovisuels, de l’édition, des magazines et, dans une moindre mesure, de la presse quotidienne. Habile organisateur de spectacles, démagogue en diable, ne reculant devant aucune grossièreté, il a construit un parti de masse, implanté dans toute l’Italie sur un modèle proche de celui de feu-le PCI et recrutant, au service des plus riches, dans toutes les couches et toutes les classes de la société. Un parti qui a su s’acheter la complicité d’un nombre non négligeable d’intellectuels et se rallier une petite minorité de cadres venant du PCI. Introducteur du porno à la télévision italienne, Berlusconi n’a cessé de flatter dans le sens du poil les milieux catholiques les plus réactionnaires et de s’opposer à laïcité de l’État, qui pour être partielle, n’en avait pas moins progressé réellement depuis la seconde guerre mondiale. Parvenu au pouvoir, Berlusconi, à la tête de Forza Italia, soutenu par une coalition de vieux DC, de Fini et de Bossi, a tenté de détruire légalement toutes les bases de la république italienne. Privatisations à marche forcée, liquidation des acquis sociaux, mais aussi tentative de mise en coupe réglée de la magistrature, victime de ses attaques incessantes et modification de la constitution en vue de l’établissement d’un régime autoritaire à l’abri de toute contestation démocratique. Le référendum mis en échec après la défaite de la coalition aux dernières élections générales italiennes aurait consacré un changement qualitatif dans la transformation du régime encore parlementaire en quelque chose d’autre. Pour toute une série de raisons et notamment grâce aux mobilisations massives du peuple italien et au réveil de la classe ouvrière, la tentative de Berlusconi a été provisoirement bloquée avec la victoire à l’arraché du « centrosinistra ». Mais, nous le savons, en raison de la politique même suivie par Prodi, cette fragile victoire pourrait se solder, plus rapidement qu’on ne le pense par une nouvelle crise. Et de nouveaux dangers.

Toute ressemblance entre Berlusconi et Sarkozy ne serait pas le fait du hasard mais l’indicateur d’une tendance beaucoup plus générale.

§ III. Depuis le 11 septembre 2001 - sur lequel on attend toujours que la lumière faite ... - les États-unis connaissent une transformation à marche forcée. Le 11 septembre a sonné comme le nouveau Pearl Harbour que Jeb Bush, Rumsfeld, Wolfowitz, Pearl et quelques autres appelaient de leurs vœux dès 1998 dans un document pour « un nouveau siècle américain ». On a assisté à la remilitarisation accélérée du pays, à deux invasions (Afghanistan et Irak) et à la mise en œuvre d’une stratégie du chaos tous azimuts. Sur le plan intérieur, la mise en place d’un régime autoritaire, violant délibérément les libertés individuelles et publiques, se poursuit inexorablement. Depuis le vote du Patriot Act - une formidable négation de tous les principes de base du libéralisme anglo-saxon officiel - jusqu’à la légalisation de la torture votée il y a quelques jours par le congrès, en passant par les écoutes illégales, Guantanamo, les prisons délocalisées en Europe de l’Est, c’est un nouveau régime politique qui se dessine qui a maintenant beaucoup de traits communs avec les dictatures les plus classiques. Si on y ajoute le rôle d’une propagande médiatique éhontée (notamment par les médias appartenant au groupe Murdoch), les pressions sur les journalistes, l’influence des groupes chrétiens réactionnaires les plus obscurantistes et l’utilisation systématique du mensonge comme moyen de gouvernement, la nouvelle Amérique qui se dessine présente un visage très inquiétant. La traditionnelle liberté d’expression y existe encore, mais son champ se restreint insensiblement entre les poursuites judiciaires et l’autocensure.

Le dernier livre de Philip Roth imaginait une victoire de l’aviateur Lindbergh (sympathisant nazi avoué) à l’élection de 1932 et l’établissement d’un régime fasciste aux USA. Mais c’était évidemment d’aujourd’hui que parle celui qu’on peut tenir pour le plus grand écrivain américain vivant.

« J’aime l’Amérique » est allé s’écrier à New York M. Nicolas Paul Sarközy de Nagy-Bocsa. Il ne doit aimer ni l’Amérique des Wooblies, ni celle de Eugen Debbs ; il n’a aucun atome crochu avec l’Amérique de Martin Luther King et ni Susan Sarandon, ni George Clooney, et encore moins Sean Penn ne viendront prendre place dans son comité de soutien aux côtés de M. Smet et d’un certain « Doc Gyneco »... L’Amérique qu’il aime, c’est celle de Bush, des magnats du pétrole et des patrons à la Wall Mart. L’Amérique qui fait planer l’ombre de son aigle impérial sur tous les pays qui, d’aventure,, n’aimeraient pas le « nouveau siècle américain.

§ IV. Les mêmes tendances sont à l’œuvre dans de nombreux autres pays. La « menace terroriste » semble autoriser tous les gouvernements à jeter par-dessus bord les grands principes. En Grande-Bretagne, le pays de la « magna carta » et de l’habeas corpus, la police organise des rafles spectaculaires aux suites incertaines.

Mais c’est peut-être, en Europe, la situation française qui est la plus préoccupante. Nous voyons devant nous se monter une opération d’envergure dont les divers éléments apparaissent maintenant au grand jour.

Depuis plusieurs années, l’actuel ministre de l’intérieur, M. Sarkozy fait la une des journaux, a table ouverte dans tous les grands médias, convie la presse à des rafles policières montées comme un scénario de thriller. Ses liens dans le groupe Bouygues (avec son ami Martin Bouygues) lui procurent le soutien indéfectible de TF1. Dans les télévisions publiques, l’habitude de la déférence à l’égard des puissants du moment ne s’est pas perdue et pas une personnalité n’est aussi souvent invitée que le ministre de l’Intérieur. La presse des marchands de canons lui est dévouée et « l’honorable journal du soir », le Monde de Colombani lui fait des courbettes - mais c’est assez logique, le même quotidien avait déjà fait, on s’en souvient, une propagande éhontée en faveur de l’ancien mentor de M. Sarkozy, Édouard Balladur. Une toute puissance médiatique donc qui n’est pas loin, dans ses effets, d’égaler celle du milliardaire Berlusconi, un ami du ministre de l’Intérieur qui, d’ailleurs, s’est empressé de lui rendre visite pour le réconforter après sa défaite aux législatives italiennes.

Second volet : l’alliance avec le clan bushiste. Comme le néo-franquiste Aznar, comme Berlusconi, comme Tony Blair, le protégé du groupe de presse conservateur Murdoch, M. Sarkozy est un fervent partisan de « l’alliance américaine », aimable pseudonyme pour désigner la soumission à la politique impériale guerrière des actuels maîtres de la Maison Blanche. Son récent voyage aux États-Unis en est une éclatante illustration. M. Sarkozy n’avait d’ailleurs pas caché sa désapprobation à l’égard des velléités d’indépendance de MM. Chirac et Villepin au moment de l’invasion de l’Irak par une coalition des USA et de leurs troupes supplétives. Complément de cette politique, un soutien indéfectible à la politique d’expansion israélienne et un mépris à peine déguisé pour les revendications du peuple palestinien.

Partisan de la « rupture » avec le « modèle 1945 » de l’État, M. Sarkozy est favorable à l’application des recettes néolibérales. Soutenu par le MEDEF dont il est la coqueluche, son programme social peut se résumer par « travailler plus pour gagner moins » et sous le nom de « responsabilité » il se prépare à démanteler les systèmes de protection solidaires qui remontent à 1936 et 1945. Il a récemment déclaré (devant le MEDEF) que la « justice sociale » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Il a dû oublier que la Constitution définit la république française comme une « république sociale ». Ce n’est pas le seul aspect. M. Sarkozy est favorable à la remise en cause de la loi de 1905 et au financement étatique des activités religieuses. Il est même l’agent d’un retour en force de la religion de l’État, puisque c’est lui qui s’est chargé d’organiser « l’Islam de France », donnant à cette occasion des moyens d’action considérables à la principale organisation de l’islamisme intégriste, l’UOIF, dont les liens avec les « frères musulmans » ne sont un secret pour personne. Au Maroc, le roi est « commandeur des croyants ». En France M. Sarkozy s’est en quelque sorte arrogé ce titre.

Enfin sur le plan de la politique intérieure, il a été le maître d’une aggravation sans précédent des sanctions pénales. Dans tous les domaines, les lois Sarkozy (il y en a presque une série par an !) bafouent les principes de base de la politique pénale républicaine. Alors que, théoriquement, les peines doivent être « évidemment nécessaires » et justement proportionnées, il a introduit toutes sortes de délits extravagants punis par des peines invraisemblables : faire de l’obstruction dans un hall d’immeuble peut vous valoir 6 mois de prison et 3750 € d’amende ! Au motif de la lutte contre le terrorisme, la police peut désormais surveiller les courriers électroniques, ficher les individus, perquisitionner comme elle l’entend. Le fichage par empreintes ADN qui devait se cantonner aux délinquants sexuels est désormais étendu à toute la population. Des syndicalistes arrêtés dans une manifestation y sont soumis. Des jeunes emmenés en garde-à-vue et relâchés faute de tout motif même minime de les retenir ou de les déférer sont soumis eux aussi à ce fichage.

Au mépris du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, M. Sarkozy, imitant son ami Berlusconi, s’en prend systématiquement aux juges accusés de laxisme et se fixe comme objectif l’augmentation du nombre d’individus placés derrière les barreaux. Comme le fait remarquer un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi, il y a, aux USA, 700 prisonniers pour 100.000 habitants comme 92 en France. M. Sarkozy estime donc avoir encore un large marge de progression !

La politique à l’égard de l’immigration est calée sur les mêmes principes. M. Sarkozy n’a aucune intention de bloquer l’immigration que ses amis patrons estiment nécessaires. Il s’agit pour lui, en fragilisant systématiquement des immigrés, en durcissant les conditions d’intégration dans le pays, d’avoir une main-d’œuvre expulsable à tout moment, incapable de faire respecter ses droits, taillable et corvéable à merci. Bref, une population d’ilotes, coupés de leurs familles et sans espoir de voir leur sort s’améliorer durablement. Pour faire passer cette politique inique, le ministre de l’Intérieur encourage en contrepartie le développement du communautarisme chez les immigrés installés en France. Il recherche en particulier l’appui d’une petite et moyenne bourgeoisie d’origine arabo-musulmane qui aurait pour vocation d’encadrer et représenter « la communauté », selon les bons vieux principes de la gestion coloniale, transposés sur le territoire métropolitain. Il peut du reste se targuer de quelques succès dans cette entreprise. Progressivement, toutes les institutions et toutes les autorités politiques sont sommées de se mettre au service de la police. Les maires, les professeurs et les directeurs d’établissements, tout le monde doit collaborer au fichage, au repérage, à la dénonciation, notamment des étrangers sans papiers.

Les méthodes de M. Sarkozy correspondent parfaitement à ses objectifs. Une démagogie sans frein, un sens inné du discours creux, la flatterie et la soumission à ce qu’il pense être les sentiments les plus bas de la foule, un registre de langage grossier, un « parler popu » affecté, et un spectacle par jour...

La constitution en son article I réaffirme que la France est une république laïque, démocratique et sociale. Si M. Sarkozy mène à bien ses projets, elle ne sera plus ni laïque, ni sociale et de moins en moins démocratique, d’autant qu’il entend bien renforcer les pouvoirs déjà exorbitants de l’exécutif. La république, déjà mal en point, aura disparu.

§ V. Les tendances de fond dont nous venons d’esquisser l’analyse peuvent se résumer d’un terme classique : bonapartisme. Dans un ouvrage déjà ancien (Démocratie ou bonapartisme, voir http://denis-collin.viabloga.com/news/48.shtml), le philosophe italien Domenico Losurdo montrait que le « bonapartisme » au sens où Marx le définit dans le 18 Brumaire est le mode le plus commun de domination de la bourgeoisie qui tend en permanence à subvertir les formes de démocratie imposée sous la pression populaire. Le bonapartisme ne peut être confondu avec le fascisme et encore moins le nazisme. S’il n’hésite pas à avoir recours aux bons services d’une « société du 10 décembre » qu’il entretient aux frais de l’argent public en distribuant des prébendes sous toutes les formes, le bonapartisme s’appuie d’abord sur l’appareil d’État, la police et l’armée en tentant de préserver la façade de « l’État de droit ». Le coup d’État est souvent le moyen de prise du pouvoir par le bonapartisme, mais ce coup d’État peut prendre des formes plus ou moins larvées. C’est le régime du « coup d’État permanent », pour reprendre l’heureuse expression de François Mitterrand. La Ve république, régime bâtard, semi-bonapartiste, semi-parlementaire résulte d’un coup d’État déguisé en changement parlementaire du régime. Aux États-Unis, pour des raisons historiques, les formes bonapartistes se sont introduites lentement à travers la Constitution officielle démocratique, monument intouchable de la vie publique américaine. L’importance des transformations subies depuis six ans aux États-Unis pourrait nous amener à caractériser la double présidence Bush comme une tentative de coup d’État lent et partiellement masqué. Les points communs de tous les régimes bonapartistes sont assez connus :
-  hypertrophie de l’exécutif qui s’émancipe de tous les contrôles et notamment des entraves que pourrait mettre le Parlement ou une justice plus ou moins indépendante.
-  instauration d’un État policier et d’une société policière et réduction drastique de l’indépendance de la justice.
-  Appel au « peuple » par-dessus les partis et toutes les organisations et institutions intermédiaires
-  Fusion ou quasi fusion entre les sommets des milieux d’affaire et les sommets de l’appareil d’État. Le thème cher aux diverses variétés de gauchisme de la « fascisation » est parfaitement inopérant. Il manque au bonapartisme la dimension « révolutionnaire » du fascisme et du nazisme qui ont brisé le vieil appareil d’État et l’ont transformé en un vague paravent du véritable pouvoir, celui du parti unique régnant par l’arbitraire et la terreur. Le fascisme ou le nazisme sont des formations de guerre civile permanente, ce qui n’est pas le cas du bonapartisme. Le bonapartiste flatte la masse des petits bourgeois apeurés, s’adresse aux fractions déclassées de toutes les classes, mais il ne les mobilise pas : elles sont conviées à voter pour plébisciter le sauveur suprême mais doivent retourner tranquillement à leurs occupations.

On remarquera également que la composante raciste, essentielle au nazisme, ne joue pratiquement aucun rôle dans les formes bonapartistes actuelles. George W. Bush n’a jamais proposé le retour à la ségrégation et il a affiché Colin Powell ou Condoleeza Rice comme les preuves que son gouvernement était aussi favorable aux Noirs que les gouvernements démocrates. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire (voir « Sarkozy n’est pas Le Pen : http://www..net/article.php3 ?id_article=139 ), la composante raciste est totalement absente de la politique de M. Sarkozy. Les étrangers expulsés sont aussi souvent des Russes que des Africains ... Pas discrimination dans la répression. En Italie, le raciste Bossi n’était qu’un auxiliaire de Berlusconi et n’a pas imposé ses thèses racistes au gouvernement du « Cavaliere » qui s’est même payé le luxe de régulariser 700.000 immigrés sans papiers !

Nouveauté du bonapartisme, cas américain mis à part : l’absence de la dimension nationaliste chauvine et de l’exaltation de la politique de puissance. Les nouveaux bonapartistes européens ne se préparent à aucune conquête ni à aucune guerre. Ils sont les serviteurs zélés du pouvoir de l’impérialisme dominant et ne participent à la guerre que comme troupes supplétives.

Le bonapartisme peut tolérer une opposition et des dissidents - c’est une grosse différence là encore avec les divers fascismes ou encore le système totalitaire stalinien - mais ceci n’est pas une témoignage de sa faiblesse mais au contraire de sa force : il est inutile d’écraser une opposition de toute façon réduite à l’impuissance politique, souvent inaudible puisque les médias sont au service du pouvoir, une opposition divisée et déboussolée dont la seule fonction est d’amuser la galerie et de maintenir un tant soit peu de crédibilité à la façade démocratique et libérale d’un pouvoir de moins en moins démocratique, disposant de moyens de contrôle de la population dont les régimes fascistes ne pouvaient pas même rêver.

§ VI. Il est clair que ces quelques lignes ne forment que l’esquisse d’un travail d’analyse à poursuivre. D’urgence, parce que nous ne pourrons pas résister si nous combattons les fantômes du passé et sommes incapables de voir ces ennemis bien réels que nous avons sous le nez. Urgent aussi parce que pour être moins violent et moins brutal que le fascisme et le nazisme, le bonapartisme moderne n’en est pas moins dangereux. Les transformations sociales et politiques engagées aux USA, comme la France de demain que nous promet Sarkozy conduisent à une type de société radicalement différent de celle qui est née avec les révolutions américaine et française et qui pourrait être plus stable. Appuyé sur les classes moyennes supérieures, sur les gagnants de la déréglementation, sur les parvenus chez qui le consentement à l’inégalité est devenu naturel, combinant le libéralisme économique et une façade plus ou moins démocratique avec un contrôle policier étroit et l’encadrement strict de tout ce qui pourrait mettre en cause la politique de la classe dirigeante, ce nouveau bonapartisme disposerait d’une assise relativement solide.

Les oppositions officielles sont d’ores et déjà intégrées. Si la conversion du PS français au « royalisme » se confirme, le candidat de l’opposition se présentera sur un programme substantiellement identique à celui de M. Sarkozy. Aux États-Unis, les démocrates suivent le clan Bush en ronchonnant, mais le suivent et Mme Clinton, prétendante démocrate à la Maison Blanche n’est la moins belliqueuse. En Allemagne, le coalition CDU/SPD dirigée par Mme Merkel est un signal sans équivoque envoyé au peuple : rien ne doit changer, rien ne peut changer, la seule politique possible est la politique de droite - que, du reste, le précédent gouvernement Schröder avait déjà bien engagée (qu’on pense aux retraites ou à l’indemnisation du chômage). Le « nouveau Labour » de Tony Blair n’est pas plus « à gauche » que les bons vieux « tories ». Nous avons partout fait de grands pas vers le parti unique. Ceux qui, en France, brocardent « l’UMPS » pointent une réalité qui va bien au-delà du classique opportunisme de la social-démocratie.

Rien ne dit que ce processus ira jusqu’au bout. Le pire n’est pas toujours certain. Mais il est grand temps pour la gauche de se réveiller, de mesurer ce qui est en jeu et de tout mettre en œuvre pour enrayer ce mouvement qui vide progressivement l’idée de liberté de tout contenu politique réel.

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