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De la France à l'Italie: différences et ressemblances

Après les régionales italiennes

Par Denis Collin • Internationale • Mercredi 31/03/2010 • 0 commentaires  • Lu 4208 fois • Version imprimable


En apparence tout oppose les régionales italiennes qui se sont tenues les 28 et 29 mars dernier et les régionales françaises des 14 et 21 mars. Alors que les élections françaises se soldent par une écrasante victoire de la gauche (23 régions sur 26) et la défaite sans appel du parti au pouvoir, en Italie au contraire, le centre-gauche perd 4 des 11 régions qu’il détenait, dont 2 au profit du parti xénophobe de la Ligue du Nord qui gagne haut la main la Vénétie et moins nettement le Piémont qui ne tombe dans son escarcelle que grâce à la présence de la liste du « Mouvement des 5 étoiles » du comique Beppe Grillo, qui réalise 3,7% des voix dans cette région sur la base de sa campagne anti-TAV (c’est-à-dire anti-TGV). Le parti de Berlusconi (le PDL issu de la fusion de Forza Italia et de l’Alleanza Nazionale de Gianfranco Fini) recule en voix sauf au sud. En résumé : il y a un vainqueur: la Ligue de Bossi et un recul de tous les autres grands partis et une crise persistante à gauche. Je donne ci-dessus les principales conclusions de l’institut Catteneo (publiées dans L’Unita) qui ne se contente pas des pourcentages mais calcule en voix et prend ainsi en compte un abstentionnisme très fort pour l’Italie – en progression de plus de 8% par rapport à 2005.

 

Les chiffres : l’analyse de l’institut Cattaneo

La Ligue du Nord : elle double presque ses soutiens, passant de presque 1 million 380000 voix en 2005 (seulement dans les 13 régions qui viennent de voter les 28 et 29 mars) à 2 millions 750 mille voix aujourd’hui. Il s’agit d’une avancée générale dans toutes les régions du Nord mais dans les régions « rouges ». Une très forte croissance dans les Marches [une de ces régions « rouges »] – avec des voix multipliées par six !) et en Toscane (multipliées par trois), même si dans ces régions la Ligue partait de niveaux relativement bas. Mais aussi dans les régions où la Ligue d avait déjà une présence enracinée, on enregistrée des progressions notables, spécialement là où le candidat à la présidence du centre-droit était un représentant de la Ligue : +134% en Vénétie (+450 mille voix), +83% au Piémont (+144 mille), +61% en Lombardie (+424 mille).

Le Pdl (Popolo della Libertà) : relativement à ses résutas précédents de 2005 (Forza Italia et Alleanza Nazionale), il a perdu 1 million 600 mille votants (soit 15%). Comme cela était prévisible, une part consistante de cette chute s’enregistre dans le Latium (-600 mille voix) en raison de l’exclusion de la liste Pdl dans la province de Rome et donc elle ne peut pas être attribuée à une moindre attractivité du parti dans l’électorat. En 2005, An et Forza Italia avaient recueilli 610 mille voix dans la province de Rome. Mais le Pdl connaît pourtant un recul marqué dans les régions du Nord – Piémont (-178 mille, -27%), Lombardie (-162 mille, -11%), Vénétie (-154 mille, -22%) : et dans les régions « rouges » – Émilie-Romagne (-99 mille voix, -16%), Toscane (-95 mille, -19%). Dans deux régions du Sud, au contraire, le Pdl progresse : +224 mille voix en Campanie (+35%) et +47 mille voix en Calabre (+21%) – régions prises au centre-gauche sans l’apport de la Ligue. Globalement, le Pdl et la Ligue ont gagné 300 mille voix dans les 13 régions où on a voté (près de 900 mille si on exclut du compte la province de Rome. Cette avancée se concentre dans les régions de Lombardie (+262 mille voix), de Vénétie (+ 297 mille voix), de Campanie (+224 mille voix), d’Émilie-Romagne (+80 mille) et de Calabre (+47 mille). On assiste à l’inverse à un recul des soutiens au Piémont (-35 mille) et en Toscane (-19 mille).

L’avance du centre-droit a été accompagnée d’une notable rééquilibrage du centre-droit dans les rapports de force internes au centre-droit : si en 2005 les votes pour Forza Italia et l’Alleanza Nazionale étaient 5,1 fois plus nombreux que pour la Ligue, en 2010 le rapport est descendu à à peine 2,2. Autrement dit, si en 2005 la Ligue du Nord pesait pour 16% dans les soutiens de l’alliance de centre-droit (dans son acception la plus restreinte), elle pèse maintenant pour 31%, c’est-à-dire qu’elle a pratiquement doublé son poids à l’intérieur de la coalition.

Le Parti Démocratique (Pd) perd 2 millions de voix par comparaison avec la coalition des Démocrates de gauche (DS) et de la Marguerite en 2005, soit environ le quart (-26%) des électeurs de ses prédécesseurs. Il s’agit d’une retraite généralisée, avec des accents différents : très marquée en Calabre (-52%), prononcée en Campanie (-36%), Basilicate (-35%) et Piémont (-30%). Inversement les pertes ont été contenues dans le Latium (-14%), en Lombardie (-18%) et en Vénétie (-19%).

L'Italia dei valori (Idv, le parti de l’ex-juge Di Pietro) manifeste une forte croissance, quadruplant pratiquement ses soutiens de 2005: + 1 million 227 mille voix. Il s’agit d’une croissance qui s’observe dans toutes les régions, mais moins au sud qu’ailleurs. Particulièrement remarquée: la réussite en Toscane (+127 mille, huit fois le score de 2005) et dans le Latium (+18 mille voix, multiplication par six des résultats de 2005). Au sein du centre-gauche aussi, il y a donc un fort rééquilibrage des rapports de force: si en 2005 les soutiens des DS et de la Marguerite étaient 23,4 fois plus nombreux que ceux d’Idv, en 2010 ce rapport est tombé à 3,7. Autrement dit, si en 2005 Idv pesait pour 4% dans le total des soutiens du centre-gauche (dans l’acception restreinte de la coalition), aujourd’hui elle pèse pour 21% et a multiplié par 5 son poids dans la coalition.

L'Udc de Pier Ferdinando Casini [issu de la vieille démocratie chrétienne] a perdu des voix relativement à 2005: -227 mille voix, soit -15%. Le recul paraît être indépendant des alliances nouées dans les différentes régions, que ce soit en Ligurie (ou l’Udc appuyait le candidat de centre-gauche), en Toscane (où elle courait seule) et en Campanie (où elle appuyait le candidat de centre-droit).

La gauche radicale sort défaite par rapport à 2005. En tout, les partis de la gauche radicale ont perdu 1 million 274 mille voix, c’est-à-dire presque la moitié de leur électorat d’il y a cinq ans. Il s’agit d’un phénomène diffusé uniformément, avec l’exception des Pouilles où les partis de gauche gagnent 72 milloe voix (+38%).

Enfin le résultat du Movimento 5 stelle-Beppe Grillo, qui a recueilli 390 mille électeurs dans les cinq régions où il se présentait. Il est possible que le rôle le plus marquant ait été celui du Movimento 5 stelle au Piémont, où il a rassemblé 3,7% des suffrages et où le candidat de centre-gauche a perdu avec une marge d’à peine 0,42%.

Le vainqueur et les vaincus

Le vainqueur incontestable de l’élection est donc la Ligue du Nord. L’Espresso titre « Re Umberto » (le roi Umbert Ier était le fils de Victor-Emmanuel, le premier roi de l’Italie unifiée avec le Risorgimento). Bossi se félicite : la gauche a voté pour la Ligue ! Le succès de son parti dans les régions les plus ouvrières de l’Italie, Piémont (Turin, c’est ou c’était la FIAT), la Lombardie ou Vénétie confirme les déclarations du chef de la Ligue du Nord. À la grande époque (fin des années 60, début des années 70) rien qu’à la FIAT, le PCI avait des milliers d’adhérents. Il n’en reste rien, pas seulement parce qu’il n’y a plus de PCI mais aussi parce que la « fédération de la gauche  » - un « front de gauche » à l’italienne qui regroupe les deux fractions du PCI « canal historique », le PRC et le PDCI – fait des scores groupusculaires dans cette région. Pourquoi la Ligue – qui progresse aussi dans ce bastion « rouge » qu’est l’Émilie-Romagne – peut-elle capter le vote ouvrier, alors que le « parti communiste maintenu » y échoue complètement ?

Toujours dans L’Espresso, Massimo Cacciari, philosophe et ancien maire DS (ex-PCI) de Venise, analyse la « formidable machine de guerre » qu’est la Ligue du Nord, dont le fonctionnement est « stalinien » et a permis de constituer une « nouvelle classe dirigeante ». La Ligue est en train de « devenir un parti national ». Il peut recueillir les soutiens des patrons du Nord qui emploient massivement des immigrés mais qui, comme le dit Cacciari, veulent « des esclaves et non des employés », et d’autre part des ouvriers, dont l’organisation collective a été méthodiquement détruite à partir de la « contre-révolution » de la fin des années 70 qui a vu la destruction des bastions comme la FIAT, et qui cherchent à se protéger contre la mondialisation en se protégeant contre la concurrence de la main-d’oeuvre immigrée.

En tout cas, la victoire de Bossi déplace nettement vers la droite le centre de gravité de la coalition au pouvoir. En dépit des déclarations du Premier ministre, c’est bien le chef de la Ligue du Nord qui peut maintenant dicter l’ordre du jour. Mais, et la contradiction est énorme, le parti qui prétend diriger l’Italie est un parti anti-italien, un parti antinational qui se veut surtout le parti des riches régions du Nord et considère les Italiens du Sud presque aussi mal qu’il considère les immigrés. Un parti qui prendrait au sérieux la question sociale et la lierait avec la question nationale, c’est-à-dire un parti qui assumerait fièrement l’héritage de l’unité italienne, de Garibaldi et du risorgimento, un parti qui s’en prendrait sérieusement à l’arrogance des dirigeants européens à l’encontre des « PIGS », un tel parti donc, national et populaire au sens gramscien, pourrait sérieusement faire reculer la Ligue. Mais évidemment, ce n’est pas dans le centre-gauche ni dans la « fédération de la gauche » perclue de gauchisme sociétal qu’on pourra trouver un tel parti.

Le Pdl va voir se décupler les tensions internes d’autant que la succession de Berlusconi va bientôt s’ouvrir, son mandat se terminant en 2013 et le « Cavaliere » risquant fort d’être à ce moment politiquement affaibli et atteint par la limite d’âge. Une partie du Pdl, son aile la plus droitière pourrait être tentée de rejoindre Bossi alors que l’aile libérale sera conduite à résister aux ambitions du chef de la soi-disant « Padanie ». Contrairement à ce que croit la presse française, le Pdl n’est simplement un rassemblement de sicaires payés par Berlusconi. C’est un véritable parti, parfois un parti de masse, très varié et aussi capable de gérer l’État et les régions que le centre-gauche – qui, par exemple, a perdu la Campanie parce que nombre de ses chefs étaient en prison pour collusion avec la Camorra... Le ministre de l’économie Tramonti n’est pas un idiot, et, si on compare Tramonti, disons à DSK, le plus à gauche des deux n’est peut-être pas celui que l’on pense... Dans le Latium, c’est une syndicaliste, Renata Polverini, ancienne dirigeante de l’UGL (Union générale des travailleurs), qui avait le soutien de Berlusconi et qui a battu Emma Bonino, soutenue par le centre-gauche. Bonino, ancienne ministre de Prodi et ancienne dirigeante du parti radical-libertarien de Pannella est une libérale sur le plan économique alors que Polverini a fait campagne en promettant de réformer le système de santé sans fermer un seul lit d'hôpital...

Mais le caractère de coalition du Pdl et son hétérogénéité politique le menacent à plus ou moins brève échéance. D’ores et déjà l’UDC de Casini a pris ses distances avec la coalition et soutenu le « centrasinistra » dans quelques régions. Fini laisse entendre qu’il fonderait bien un nouveau mouvement, déçu qu’il est de la fusion de l’AN avec Forza Italia. Ruse de l’histoire: c’est le leader de l’ex-MSI héritier de Mussolini qui se présente comme le véritable libéral contre le fascisant Bossi. Dans un numéro spécial de la revue MicroMega (une revue de gauche laïque qui appartient au groupe de la Repubblica), on trouve ainsi un intéressant entretien entre Fabio Granata, un ex-AN ami de Fini et Andrea Camilleri, écrivain de gauche et auteur à succès avec ses romans policiers dont le héros récurrent est le sympathique commissaire Montalbano, gastronome sicilien et esprit tourmenté.

En fait, l’idée dominante aujourd’hui est le remplacement de l’axe Bossi-Berlusconi par un axe Casini-Fini-Bersani, c’est-à-dire une coalition de l’UDC, d’une partie du PDL et du PD. Une perspective qui ne devrait guère mobiliser les travailleurs confrontés à la récession, aux fermetures d’entreprises et à l’aggravation des conditions de vie.

Le grand vaincu est évidemment le PD. Depuis la liquidation des « démocrates de gauche » héritiers du PCI et la fusion avec le ex-DC de la Marguerite, la situation de ce parti n’a fait que se dégrader. La valse des dirigeants exprime parfaitement l’état de crise permanente de cet attelage extravagant d’anciens apparatchiks communistes et de démocrates-chrétiens. Européiste jusqu’au bout des ongles, pro-américains jusqu’à l’impudeur, les enfants gâtés du communisme italien, c’est-à-dire du stalinisme à l’italienne ont gaspillé joyeusement l’héritage du parti que leurs parents avaient construit. Ce parti vit sur les beaux restes des « régions rouges », c’est-à-dire les régions du centre de l’Italie où le vote communiste était une affaire de famille, depuis les temps dont parlait le beau film de Bertolucci, « Novecento ». Mais l’évolution en Émilie-Romagne montre que les bastions eux-mêmes pourraient être touchés. Venue de la démocratie-chrétienne, l’actuelle président du PD, Rosy Bindi résume le problème du PD: il n’a su proposer d’alternative sociale.

Le seul succès du centre-gauche est la victoire dans les Pouilles où la coalition était conduite par Nichi Vendola (son prénom est l’abréviation de Nikita, prénom que lui avaient donné ses parents en l’honneur de Krouchtchev), président sortant, issu du PRC qu’il a quitté en 2009 pour fonder une coalition de gauche, la SEL. Mais le succès de Vendola est un succès personnel dans sa région, car le SEL n’a pas réussi à percer ailleurs dans le pays.

Enfin la fédération de la gauche (union du PRC, du PDCI et du petit groupe Socialismo 2000) ressort éreintée de la consultation. Dans une région comme la Toscane où les communistes « canal historique » atteignaient encore 15% des voix en 2005, le « front de gauche » à l’italienne n’atteint pas 6%. Le virage à gauche pris lors de l’assemblée Chianciano Terme en 2009 et qui a vu l’élection de Ferrero et le départ de gens comme Vendola n’a visiblement pas permis de redresser la barre d’un parti en perdition, tiraillé entre l’opportunisme électoraliste de son ancien président Bertinotti et le repli gauchiste, mais incapable de lire, comprendre et appliquer les leçons de Gramsci à la période présente.

Au lendemain de ces élections, donc, une situation incertaine, pleine de dangers, mais aussi pleine de possibilités si on regarde non plus du côté des appareils mais du côté de ce qui bouillonne dans une société civile italienne qui est loin d’être chloroformée par les émissions people de la RAI ou de Mediaset. Nous y reviendrons.

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