Rien de plus juste. Mais il faut maintenant passer des paroles aux actes. C’est-à-dire mobiliser contre la mise à mort des départements, notamment dans la perspective des élections cantonales de 2011 qui seront le dernier grand rendez-vous avant la présidentielle de 2012. Des cantonales qui pourraient également faire basculer la majorité sénatoriale.
Les gauchistes de tous poils considèrent tout cela comme des questions secondaires et, après le fort taux d’abstention des régionales, on entend presque comme en écho ce vieux et stupide slogan de soixante-huitards attardés, « élections, piège à cons »... Mais non ! Les élections ne sont pas des « pièges à cons » mais un droit démocratique imprescriptible, un droit non suffisant certes, mais un droit nécessaire pour qu’on puisse parler de gouvernement par le peuple.
Tout ce qui peut gripper la machine à détruire la république est bon à prendre. Les élections de dimanche dernier sont bonnes à prendre. Faire chuter Sarkozy aux prochaines élections, 2011 et 2012, est tout aussi bon. Gagnant, au moins formellement, des régionales, le PS n’en a que plus de responsabilités. Il ne faut pas que les vigoureux discours de Laurent Fabius en restent aux effets de tribune. Il faut passer à l’action, tout de suite.
Abstention vertueuse ?
Michel Sérac dans « Informations ouvrières » (n°90 / 25 mars) fait de l’abstention l’expression d’une conscience de classe claire. Le POI diffuse d’ailleurs un tract qui analyse l’abstention comme l’expression d’un vote « classe contre classe » au motif que l’abstention est la plus massive chez les ouvriers _ « classe contre classe », c’était le slogan de Staline et des PC au début des années 30, dans cette période que Trotsky appelait la « troisième période d’erreur de l’Internationale communiste ». On ne s’attendait pas à voir le gauchisme à l’état pur se manifester du côté du POI qui défend lors des élections présidentielles un bon vieux programme rad-soc (et ce n’est pas pour nous une appréciation péjorative !). On comprend mal. La présidentielle, expression parfaite du « césarisme » de la Cinquième république ne serait pas un « choix électoral truqué » alors que les régionales le seraient … Plus : si on suit Sérac, ceux qui ont voté PS ou Verts ou Front de gauche seraient des suppôts des « régionalistes de tous bords engagés dans le démantèlement des départements et des communes ». Voilà donc les défenseurs de la « république une et indivisible » devenus à demi anarchistes.
Mais Sérac dit à peu près n’importe quoi. Ceux qui ont voté pour le PS, EE ou le FdG n’ont pas voté pour le démantèlement des communes, mais contre Sarkozy. Ils ont aussi demandé aux « régionalistes » du PS, de EE et du FdG de mettre en accord les paroles avec les actes et d’utiliser leur victoire aux régionales comme un bouclier contre la politique gouvernementale. Sérac oppose les bons abstentionnistes aux « crétins » de votants. Mais les « crétins de votants » que stigmatise le gauchiste Sérac sont aussi et très souvent ceux qui s’engagent sur les autres terrains, contre les suppressions de classe, contre la réforme des retraites, etc.
Certes, une partie de l’abstention est une abstention politique. Nous l’avons montré sur ce site : dans les élections cantonales, on ne dépasse que rarement les 70% de votants. Donc l’abstention différentielle est de 20%. Comme une partie de cette abstention différentielle est clairement de droite, reste une partie (10 ou 15%) qu’on peut estimer comme une expression de la protestation des travailleurs et des jeunes. S’il ne faut pas faire de leçons de morale aux abstentionnistes, il reste que l’abstention est plus souvent la manifestation d’un véritable désespoir politique que d’une disposition à l’action révolutionnaire. L’abstention ouvrière massive va de pair avec la désertion des syndicats (à peine un salarié sur 10 est syndiqué et c’est encore bien moins dans le secteur privé) et la désertion des partis politiques ouvriers : pourquoi donc « Informations ouvrières » qui avait plus de 8000 abonnés il y a quelques années n’en affiche plus que 5730 cette semaine ? Les travailleurs abstentionnistes révolutionnaires s’abstiennent aussi d’acheter le journal de classe et de rejoindre les rangs des « anti-capitalistes » aussi bien que ceux des « ouvriers indépendants ».(*)
Le fond de la question
La réforme des collectivités locales pose un problème de fond. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut deux, trois ou quatre étages pour gouverner le pays. On pourrait même penser qu'un découpage fait à l'époque où le chef lieu du département devait pouvoir être gagné à cheval en une journée n'est plus tout à fait pertinent à l'époque des autoroutes ou des TGV. La question est ailleurs: elle est dans l'essence du gouvernement républicain. Le principe fondamental que devrait défendre tout républicain est celui de l'unité de la loi et du “self government”, de l'autogouvernement local. Aujourd'hui, les collectivités territoriales sont de fait soumises à l'autorité de l'exécutif central, via cette invention napoléonienne que sont les préfets.
C'est une très vieille affaire. Elle s'est posée, par exemple, dans les années 1880, lorsque Marx (qui a rencontré Clemenceau en 1880 à Londres) et Engels se posent la question de l'attitude à adopter vis-à-vis du programme de Clemenceau de 1882 est tout aussi révélatrice. Engels étudie avec attention l’évolution de celui qui est alors le représentant de la fraction la plus à gauche du radicalisme. Engels envisage à différentes reprises une évolution politique possible de Clemenceau en direction du socialisme, tout en défendant constamment le principe essentiel de l’indépendance politique du parti ouvrier à l’égard du parti le plus à gauche de la bourgeoisie. Dans la lettre du 22 septembre 1882 adressée à Bernstein, il affirme :
Guesde, lui, s’est mis une fois pour toutes dans la tête que la République athénienne de Gambetta est bien moins dangereuse pour les socialistes que la République spartiate de Clemenceau et veut donc rendre impossible cette dernière, comme si nous, ou quelque parti dans le monde, pouvions empêcher qu’un pays passe par les stades d’évolution historiquement nécessaires et sans prendre en considération qu’en France, nous passerons difficilement d’une République à la Gambetta au socialisme sans passer par une République à la Clemenceau.
Qu’est-ce donc que la « république à la Clemenceau » ? Le programme de Clemenceau vise à réformer les institutions de l’État de façon à accorder une large autonomie aux communes et aux départements. Il s’agit donc d’un programme qui a l’ambition de supprimer la bureaucratie. On voit bien la continuité avec les leçons de la Commune. Mais un tel programme s’il était appliqué serait en lui-même le début d’une révolution :
C’est s’illusionner soi-même que de croire que l’on peut introduire en France un auto-gouvernement communal à l’anglo-saxonne, encore plus à l’américaine sans pour cela foutre en l’air tout le régime bourgeois.
On remarque ici l’appréciation laudative portée sur le « self-government » anglo-saxon qui est une des raisons pour lesquelles c’est dans ces pays que Marx envisageait à titre d’hypothèse un passage pacifique au socialisme. Engels écrit encore à Bebel que l’application du programme Clemenceau serait la plus grande révolution depuis 1800, c’est-à-dire depuis la formation de l’État napoléonien. Donc, tous nos bons révolutionnaires, au lieu de faire des spéculations gratuites sur les nouvelles avant-gardes abstentionnistes feraient mieux de se reposer ces questions et de les poser aux "démocrates" et "républicains" autoproclamés. Une véritable régionalisation ne serait pas incompatible avec la république, bien au contraire, à condition qu'il ne s'agisse pas d'une région courroie de transmission des ordres du capitalisme mais bien d'un organe de décision politique. D'un point de vue républicain - c'est-à-dire du point de vue de la “liberté comme non domination”, la dispersion du pouvoir est une meilleure protection contre la domination et permet également la mutiplication des lieux dans lesquels les citoyens peuvent directement participer à l'exercice du pouvoir politique.
La réforme des retraites
Sarkozy, la mine déconfite, a annoncé qu’il maintenait le cap et, pour lui, le cap, c’est la réforme des retraites. C'est-à-dire l’alignement du régime français sur la « norme européenne » qui est de 67 ans. Évidemment, il ne s’agit pas de faire travailler les salariés jusqu’à 67 ans, en cette période de chômage de masse et de plans dits « sociaux ». Il s’agit tout simplement de rogner massivement sur les retraites par le système des décotes qui font que bientôt plus aucun salarié ne pourra partir avec une retraite pleine. Avec le régime actuel, comme ce sera le cas dès 2012, 164 trimestres de cotisations, un fonctionnaire qui a réussi ses concours à l’âge de 24 ou 25 ans, compte tenu de la décote, partira en retraite à 60 ans avec une retraite avec moins de 60 à 70% des 75% de son dernier indice... c’est-à-dire moins de la moitié de son dernier salaire. S’il faut non plus 164 mais 180 semestres de cotisation, on voit le sort qui attend les futurs retraités.
D’ores et déjà, le gouvernement peut compter sur la bonne volonté de la CFDT mais aussi de la CGT. À la veille de la journée d’action du mardi 23 mars, Chérèque et Thibault, invités sur les médias ont réussi le tour de force de ne pas prononcer le mot « retraite à 60 ans », indiquant clairement par là qu’ils étaient déjà prêts à toutes les concessions nécessaires pour aider Sarkozy à faire passer sa dernière grande réforme. Quant à FO, tout en critiquant la journée fourre-tout du 23 mars, qui noyait les revendications sur les retraites sous un amoncellement de revendications catégorielles, sa direction apportait sa caution à la politique de la CGT et de la CFDT. Comme cela a déjà expliqué dans nos colonnes, il y a belle lurette que, sous la direction éclairée de Mailly, FO s’est de facto ralliée au « syndicalisme d’accompagnement » des deux autres compères. Ils rejoignent d’ailleurs sur ce point la gauche officielle qui, par les voix autorisées de Martine Aubry, François Hollande et quelques notables de moindre calibre, a déjà annoncé son accord sur le principe d’une nouvelle « réforme » des retraites.
La question est posée d’un front uni, englobant toutes les bonnes volontés, politiques et syndicales, pour défendre les retraites et faire capituler Sarkozy en rase campagne. Non pas le carnaval des journées d’action où chacun reste dans son coin et manifeste de son côté, mais le rassemblement de plusieurs millions de travailleurs à Paris pour défendre nos droits : y a-t-il une autre voie et un autre moyen de préparer, si nécessaire la grève générale illimitée ?
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Notes:
(*) Dans le même numéro d'Informations ouvrières, on trouve côte-à-côte l'éditorial de Daniel Gluckstein, intitulé "Classe contre classe" et qui définit l'abstention comme un "vote de classe" (sic) et une analyse des résultats, beaucoup plus sérieuse, par Daniel Shapira qui remarque: «Si elle [l'abstention] touche toutes les catégories de la population, et particulièrement les banlieues ouvrières, elle a été plus marquée lors de ces élections régionales à droite», ce qui est le bon sens même. Comment concilier cette analyse avec la théorie de «l'abstention vote de classe»? Mystère. Shapira fait également remarquer le phénomène de «vases communicants» entre l'électorat UMP et l'électorat FN. Il oublie cependant de s'intéresser la géographie de l'électorat FN, particulièrement fort dans les vieilles régions ouvrières, mais aussi dans les bureaux populaires des cités de la périphérie des grandes villes, là on ne trouve pas un seul bourgeois et bien peu de "classes moyennes".
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Mots-clés : élections régionales, démocratie, république, gauchisme, retraites
Tu écris: le fort "tort" d'abstention... Joli lapsus... Puis comme à ton habitude tu fustiges la "vraie gauche" en la repeignant en gauchistes attardés... En reprenant en préambule de ton lapsus, cette phrase "Les gauchistes de tous poils considèrent tout cela comme des questions secondaires".
De qui parles tu? Par exemple le Parti de Gauche mais aussi toutes les composantes du Front de Gauche, qui ont animé et été les éléments les plus dynamiques et démocratiques de ces élections, ne prônent qu'une et une seule chose: "la révolution par les urnes", à l'instar de ce qui se passe en Amérique du Sud. On est loin de ce qui suit dans ton article, et la moquerie habituelle et devenue tellement conventionnel des soixante huitards... Non le monde change, le monde a changé, la gauche a changé et justement, les pseudos révolutionnaires ne l'ont encore pas compris. Dommage mais il est toujours temps...
Amitiés Denis.
Jean Marc