On a beaucoup employé le terme de crise systémique. Mais il s’est du même coup passablement dévalorisé. C’est une crise systémique parce que ce n’est pas une « crise du libéralisme », comme on le répète souvent à gauche (y compris au « parti de gauche »). C’est une crise du mode de production capitaliste lui-même et ce qui est en cause ce sont les rapports de propriété capitalistes, question dont pratiquement personne ne parle. Silence radio. Le consensus droite-gauche-gauche de gauche est quasi-total sur ce point. L’habitude de l’euphémisme et la confusion générale font que les mêmes formules finissent par dire des choses très différentes. J’entends ici et là (NPA, PG) qu’il faut la rupture avec le capitalisme. J’ai déjà entendu cela il y a longtemps, avant 1981 et en mai 1981 on nous avait même promis de « rompre avec le capitalisme en cent jours » (sic). On sait où cela nous a menés ! De même quand on parle de transformation sociale, de quoi parle-t-on. En 1981, s’est bien opérée une certaine transformation sociale : la « upper middle class » a pris le pouvoir et a imposé ses propres vues avec corrélativement la liquidation du mouvement ouvrier « à l’ancienne » au nom de la modernité. Bref, ils ont rompu avec le capitalisme de grand-papa, moribond et accéléré le triomphe d’une nouvelle régulation du mode de production capitaliste, d’une nouvelle « gouvernance ». Et dans ce processus, la gauche a été l’avant-garde, ainsi que nous l’avons montré, Jacques Cotta et moi, dans L’illusion plurielle, un livre paru en 2001 (éditions JC Lattès).
La gauche en France a fait ce que Giscard avait échoué à faire, c’est-à-dire prendre acte des nécessaires transformations de la gestion du capitalisme après la crise des années 70 (de la déclaration Nixon du 15 août 1971 à la soi-disant crise pétrolière). La crise actuelle est une « transition de phase » qui devrait imposer après quelques années de tâtonnement une nouvelle régulation avec sans doute plusieurs pôles en concurrence voire franchement hostiles, en raison du déclin économique des États-Unis. Si existait une force apte à ouvrir une autre voie, c’est-à-dire à avancer vers le communisme, alors la période dans laquelle nous sommes serait propice à l’action. Malheureusement, l’état de délabrement extrême des forces qui se disent opposées au système donne toutes les raisons d’être particulièrement pessimiste. Tous les nigauds qui ont centré leur critique depuis vingt ans sur la critique du libéralisme et qui ont défendu en contrepoint un keynésianisme repeint en rose se retrouvent le bec dans l’eau. Le « libéralisme », c’est fini et à tous égards. Les États font du déficit sans retenue (il suffit de voir quand quelle situation se trouvent les finances publiques dans notre pays). Et pourtant nous ne faisons évidemment aucun pas vers une république plus sociale, bien au contraire.
(2) La récession est terrible. Plusieurs dirigeants de gauche proposent qu’on interdise les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices. Faut-il donc accepter les licenciements dans l’automobile qui est en profonde crise … ou ailleurs ? De même, au nom des déficits, on nous indique que les services publics doivent être réduits. Cela est-il discutable ? Cela vous paraît-il acceptable ?
Bien sûr l’interdiction des licenciements serait aujourd’hui la seule manière de défendre le « droit au travail » qui est inscrit dans la Constitution française. La version « light » de ce mot d’ordre, l’interdiction des licenciements boursiers ou des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices est triste plaisanterie. Le veto suspensif des CE est également un miroir aux alouettes – outre le fait qu’on raisonne comme s’il n’existait que des grosses entreprises avec CE et syndicats représentatifs alors que la grande masse des ouvriers travaille dans des PME souvent sans CE ou avec CE choisi de fait par le patron… Pour ne rien dire de la corruption largement pratiquée permettant d’acheter les dirigeants des CE. Dans mon Revive la République (A.Colin, 2005), j’écrivais ceci :
« Plusieurs groupes, singulièrement à l’extrême gauche, se sont prononcés pour l’interdiction des licenciements, ou l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits. Il s’agit de propositions soit inapplicables, soit inefficaces, soit dépourvues de sens. Inapplicables si dominent les rapports capitalistes de production, inefficaces si on se contente de vœux pieux sans moyens de coercition, dépourvues de sens dès lors qu’une transformation sociale décisive aurait été engagée. On peut résumer l’affaire ainsi : soit le mouvement ouvrier n’a pas la force d’imposer l’interdiction des licenciements et alors c’est une pure pétition de principe. Soit il en a la force, et alors cette mesure devient inutile.
Il est préférable de s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire au droit absolu de la propriété des moyens de production. Là encore les nationalisations, avec l’ouverture des livres de compte par les représentants des salariés pourrait être un outil dissuasif efficace, à condition qu’on ait des syndicats véritablement indépendants des patrons et de l’État, préoccupés exclusivement des intérêts matériels et moraux des salariés. Il peut aussi arriver que certaines entreprises produisent des biens obsolètes ou dans des conditions dépassées. Il est bien possible qu’on ne produise plus beaucoup de magnétoscopes ou de téléviseurs à tube cathodique dans les années qui viennent. C’est alors la reconversion qui doit être opérée. Cette reconversion peut être effectuée sans dommage par les entrepreneurs prévoyants et soucieux des intérêts des salariés qui ont fait la richesse de l’entreprise pendant les beaux jours. Dans le cas contraire, hélas le plus courant, l’État intervient et on fait des plans sociaux. Mais cette situation devrait être considérée simplement : une entreprise que ses propriétaires doivent fermer ou qui doit licencier massivement pour cause de pertes financières est une entreprise qui ne vaut virtuellement plus un seul euro. Les propriétaires imprévoyants et les managers incapables doivent en assumer le coût : ils ont mal joué, ils ont perdu et la loi qu’eux-mêmes défendent exige qu’ils soient éliminés ! Leur entreprise doit donc passer aux mains de l’État sans indemnisation car, sur le marché, des entreprises, une entreprise en grandes difficultés vaut un euro. Ensuite les pouvoirs publics en liaison avec les syndicats pourront calmement préparer un plan social, dont on s’apercevrait très souvent qu’il pourrait consister dans la reprise de l’entreprise par les salariés.
Il ne s’agit donc pas de procéder dogmatiquement en faisant des nationalisations un remède miraculeux mais d’avancer pragmatiquement en nationalisant les entreprises stratégiques (armement par exemple), celles qui ont acquis un caractère de monopole (eau, certaines groupes d’édition …), celles qui appartiennent à cette nouvelle race de patrons que Jacques Chirac lui-même a qualifié de « voyous » (voir l’exemple de Metal-europe), celles qui veulent aller planter leurs choux ailleurs que sur le territoire de la mère patrie … Une telle orientation aurait un double effet : la menace de la nationalisation contraindrait un grand nombre de chefs d’entreprises et d’assemblées d’actionnaires à avoir un comportement nettement plus « citoyen », puisqu’on nous a rebattu les oreilles avec « l’entreprise citoyenne ». D’autre part, la nationalisation permettrait de développer un secteur socialiste au sein même d’une société encore très largement capitaliste. Il ne s’agirait pas, en effet, de transférer les entreprises à l’État sans rien changer. Dans les entreprises nationalisées, d’une part, la règle devrait être celle d’une très large participation des travailleurs à la direction des entreprises. D’autre part, les critères de gestion devraient être différents. Si l’équilibre financier est nécessaire, la dictature du ROI (return on investment) pourrait être éliminée. » (pp. 216-218)
Cette position me semble toujours juste. L’urgence qui dit « pas de licenciements » ne peut être prise en compte que si, en même temps, on montre que la solution consiste dans « l’expropriation des expropriateurs » ! Faute de cette perspective, d’ailleurs, les salariés qui sont réalistes cherchent à négocier au mieux (y compris par la méthode forte) leurs indemnités de licenciements (comme cela vient de se passer chez moi, à Évreux, sur le site du géant mondial de la pharmacie, Glaxo).
(3) Quelles sont pour vous les trois premières mesures d’urgence les plus importantes, à prendre immédiatement ?
La première mesure est la nationalisation totale du système bancaire. Pour l’instant, et en intervenant au cas par cas, on ne fait qu’assurer avec les fonds publics la retraite des spéculateurs et les retraites dorées des dirigeants faillis. Seule la nationalisation totale du système bancaire permettrait à l’État d’user de l’instrument financier pour s’engager dans une voie nouvelle qui inclurait le financement de coopératives, l’aide aux artisans, paysans commerçants et aux petites entreprises prises à la gorge par la politique des multinationales françaises autant qu’étrangères.
La deuxième mesure serait l’arrêt immédiat du démantèlement des services publics et la renationalisation d’EDF/GDF, des Télécoms, de la Poste, des autoroutes. Avec corrélativement le lancement d’un programme de grands travaux d’infrastructure (notamment dans les transports en commun et le logement social). Il faut également donner un coup d’arrêt aux suppressions de postes dans la fonction publique.
La troisième mesure serait la confiscation des entreprises qui délocalisent ou qui ferment au motif qu’elles ne seraient plus assez rentables et le redémarrage de ces entreprises partout où cela est possible sous le contrôle de leurs employés, un peu comme les mesures d’urgence prises par les travailleurs argentins lors du grand effondrement des années 2000. Une telle mesure indiquerait clairement dans quelle voie il faut s’engager si on veut sauver la société de la voracité des prédateurs capitalistes.
(4) Pensez-vous que s’impose une nationalisation complète du système bancaire pour réorganiser l’économie ?
Voir ma réponse à la question précédente !
(5) Le système de Maastricht est moribond. Tous les critères sont oubliés. Dans ces conditions quel sens donnez-vous aux prochaines européennes ? Y a-t-il un sens à participer à des élections pour un pseudo parlement quand l’UE a montré qu’elle méprisait le suffrage des peuples ?
Je comprends ceux qui disent qu’il faut aller voter pour ne pas laisser le champ libre à Sarkozy. Le problème, c’est qu’aucune liste ne pose sérieusement et dans toute son ampleur la question de l’Europe. Toutes ou presque, font miroiter l’espoir fallacieux d’une impossible « Europe sociale » ou d’une « autre Europe ». Si l’UE était une construction étatique ayant un minimum de pouvoirs, il faudrait sans doute chercher à en infiltrer les mécanismes pour y défendre les intérêts des peuples. Mais l’UE est un « machin » inédit qui permet aux classes dominantes de s’allier contre leurs peuples respectifs en soustrayant leurs décisions à tout contrôle démocratique. Au fond l’UE n’est que cela : une machine à détruire la démocratie. Et une machine qui a relativement bien accompli sa tâche. Je pense donc que le mieux est encore, tout bien pesé, de ne pas donner sa caution à cette supercherie et donc de ne pas voter. Du reste, quand on vote sur les affaires européennes, les puissants montrent clairement le mépris dans lequel ils tiennent les suffrages populaires. Le « non » au TCE a été annulé par le vote parlementaire du traité de Lisbonne (merci les socialistes, toujours là quand la droite a vraiment besoin d’eux !). Le « non irlandais » au traité de Lisbonne est tout simplement ignoré et les hiérarques de l’UE sont en train d’aider le gouvernement irlandais à concocter une réforme constitutionnelle qui supprimerait l’obligation de référendum. Bref il y a un moment où ça suffit comme ça. Si un parti présentait réellement un programme « révolutionnaire » en matière européenne, c’est-à-dire d’abord un programme qui rompe avec la chimérique « Europe fédérale » (quelles qu’en soient les formes) et développe une nouvelle perspective d’association libre des nations européennes, alors il aurait sans doute fallu aller voter pour ce parti. Mais il n’y a rien de tel (celui qui en est le moins éloigné est sans doute Dupont-Aignan, avec son mouvement « Debout la République » !) et significativement les négociations entre le « front de gauche » et le MRC de Chevènement ont capoté parce que Mélenchon n’a rien voulu céder sur son « fédéralisme » européen.
Cela ne veut pas dire qu’il faut se désintéresser des questions européennes. Au contraire. Dans mon Revive la République, j’avais esquissé un programme de réformes pour aller vers une Europe garantissant la liberté des peuples et la paix. Nous avons récemment publié sur La Sociale un papier de Tony Andréani qui propose lui aussi une ligne pour faire sauter les verrous européens. Nous allons poursuivre cette œuvre d’élaboration indispensable, sachant que les appareils et appareillons qui cadenassent la vie politique française sont incapables d’être le cadre d’un tel travail.
(6) Vous avez signé un appel qui se prononce pour l’unité pour une grande marche sur l’assemblée nationale pour poser les exigences populaires dont l’interdiction des licenciements, l’abrogation des lois réactionnaires telles la loi Bachelot, la sauvegarde des services publics… Comment comptez-vous œuvrer pour qu’une telle marche ait lieu ? Pensez-vous par exemple que des délégations aux groupes parlementaires pour poser nos exigences, recueillir leur position, et la publier serait une bonne initiative ? De même auprès des organisations syndicales, politiques ou associatives pour recueillir leur point de vue sur l’unité pour une grande marche vers l’assemblée nationale ?
Je ne suis pas très optimiste là non plus. Les appareils politiques ont clairement signifié que leur seule préoccupation était l’élection au « parlement » européen. Les confédérations syndicales ont occupé le terrain et baladé les travailleurs en attendant les vacances. En signant cet appel, nous avons dit ce qu’il faudrait faire. Au-delà, je ne sens pas comptable des actions à mener. J’essaie de faire aussi bien la seule tâche qui me semble urgente et que je suis en mesure de réaliser : contribuer à la formulation d’un nouveau corpus théorique et politique indispensable si on veut espérer un monde meilleur.
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Extrait du discours de Eric Tollenaere, Président du club "République Sociale", le 1er mai 2009 à la Bourse du Travail de Nancy:
"L'abstention massive aux élections européennes qui s'annonce - sans compter les bulletins blancs et nuls - sera un désaveu du peuple français (et des autres peuples européens) à l'élection proposée et une forme de refus renouvelé aux institutions de l'Union Européenne.
Les partis qui déposent des listes...et qui pour cela recevront de l'UE quelques euros par électeur, cautionnent cette élection et les institutions de l'UE.
C'est le prix moral à payer pour se faire davantage entendre. A chacun de fixer son prix politique.
Pour République Sociale, nous ferons la même campagne "noniste" qu'en 2005 de dénonciation du TCE et donc du traité de Lisbonne encore non applicables grâce aux NON hollandais, français et irlandais et des conséquences antisociales de la concurrence dite « libre et non faussée ».
Ceux qui justifient leur liste comme un "soutien aux luttes" désignent aux travailleurs un parlement européen sans pouvoir de les protéger et des institutions toutes entières conçues pour accroître la concurrence entre les travailleurs, les artisans, les pécheurs, les paysans, les collectivités locales et privatiser les services publics. Ils masquent la question républicaine du gouvernement et les responsabilités des élus, des partis, des assemblées politiques élues par le peuple pour le protéger et régler les problèmes du peuple, c'est-à-dire des citoyens et de leur famille.
Le NPA, le Front de Gauche (PCF et PG) font actuellement campagne européenne sur des listes séparées et ne représentent pas la totalité des forces anti libérales qui s’étaient exprimées dans le NON au TCE du 29 mai 2005. Si on ne peut leur reprocher de ne pas avoir réuni ceux qui suivent Cohn Bendit, il reste qu’ils ont une lourde responsabilité dans la désunion actuelle des forces issues du NON de 2005. L’objectif de passer en tête de la liste PSE (le Parti Socialiste) et de combattre l’abstention populaire est vidé de toute crédibilité, comme le sont les raisons de ce refus d’unité, voire même d’intégrer des organisations notoirement nonistes.
La première chose que nous devons faire, plus que jamais, est de continuer notre campagne noniste contre le traité de Lisbonne. Nous sommes tous d'accord, n'est-ce pas ?
Qu'ensuite chacun choisisse de faire campagne et voter pour une liste noniste de gauche de son choix, ou de
s'abstenir qui oserait le critiquer ? Est-il responsable de la division électoraliste de la gauche du NON ?