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Ne pas cautionner la destruction de la démocratie

Réponse de Denis Collin au questionnaire

Par Denis Collin • Droits fondamentaux • Lundi 18/05/2009 • 9 commentaires  • Lu 3770 fois • Version imprimable


(1)    Comment analyser vous la crise ? Crise financière ou crise systémique ? Pour vous, cette crise pose-t-elle la question de la nature même du système économique ou pensez-vous qu’on peut retrouver les moyens de reconstruire un capitalisme régulé et social ?

 

On a beaucoup employé le terme de crise systémique. Mais il s’est du même coup passablement dévalorisé. C’est une crise systémique parce que ce n’est pas une « crise du libéralisme », comme on le répète souvent à gauche (y compris au « parti de gauche »). C’est une crise du mode de production capitaliste lui-même et ce qui est en cause ce sont les rapports de propriété capitalistes, question dont pratiquement personne ne parle. Silence radio.  Le consensus droite-gauche-gauche de gauche est quasi-total sur ce point. L’habitude de l’euphémisme et la confusion générale font que les mêmes formules finissent par dire des choses très différentes.  J’entends ici et là (NPA, PG) qu’il faut la rupture avec le capitalisme. J’ai déjà entendu cela il y a longtemps, avant 1981 et en mai 1981 on nous avait même promis de « rompre avec le capitalisme en cent jours » (sic). On sait où cela nous a menés ! De même quand on parle de transformation sociale, de quoi parle-t-on. En 1981, s’est bien opérée une certaine transformation sociale : la « upper middle class » a pris le pouvoir et a imposé ses propres vues avec corrélativement la liquidation du mouvement ouvrier « à l’ancienne » au nom de la modernité. Bref, ils ont rompu avec le capitalisme de grand-papa, moribond et accéléré le triomphe d’une nouvelle régulation du mode de production capitaliste, d’une nouvelle « gouvernance ». Et dans ce processus, la gauche a été l’avant-garde, ainsi que nous l’avons montré, Jacques Cotta et moi, dans L’illusion plurielle, un livre paru en 2001 (éditions JC Lattès).

La gauche en France a fait ce que Giscard avait échoué à faire, c’est-à-dire prendre acte des nécessaires transformations de la gestion du capitalisme après la crise des années 70 (de la déclaration Nixon du 15 août 1971 à la soi-disant crise pétrolière). La crise actuelle est une « transition de phase » qui devrait imposer après quelques années de tâtonnement une nouvelle régulation avec sans doute plusieurs pôles en concurrence voire franchement hostiles, en raison du déclin économique des États-Unis. Si existait une force apte à ouvrir une autre voie, c’est-à-dire à avancer vers le communisme, alors la période dans laquelle nous sommes serait propice à l’action. Malheureusement, l’état de délabrement extrême des forces qui se disent opposées au système donne toutes les raisons d’être particulièrement pessimiste. Tous les nigauds qui ont centré leur critique depuis vingt ans sur la critique du libéralisme et qui ont défendu en contrepoint un keynésianisme repeint en rose se retrouvent le bec dans l’eau. Le « libéralisme », c’est fini et à tous égards. Les États font du déficit sans retenue (il suffit de voir quand quelle situation se trouvent les finances publiques dans notre pays). Et pourtant nous ne faisons évidemment aucun pas vers une république plus sociale, bien au contraire.

(2)    La récession est terrible. Plusieurs dirigeants de gauche proposent qu’on interdise les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices. Faut-il donc accepter les licenciements dans l’automobile qui est en profonde crise … ou ailleurs ? De même, au nom des déficits, on nous indique que les services publics doivent être réduits. Cela est-il discutable ? Cela vous paraît-il acceptable ?

Bien sûr l’interdiction des licenciements serait aujourd’hui la seule manière de défendre le « droit au travail » qui est inscrit dans la Constitution française. La version « light » de ce mot d’ordre, l’interdiction des licenciements boursiers ou des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices est triste plaisanterie. Le veto suspensif des CE est également un miroir aux alouettes – outre le fait qu’on raisonne comme s’il n’existait que des grosses entreprises avec CE et syndicats représentatifs alors que la grande masse des ouvriers travaille dans des PME souvent sans CE ou avec CE choisi de fait par le patron… Pour ne rien dire de la corruption largement pratiquée permettant d’acheter les dirigeants des CE. Dans mon Revive la République (A.Colin, 2005), j’écrivais ceci :

« Plusieurs groupes, singulièrement à l’extrême gauche, se sont prononcés pour l’interdiction des licenciements, ou l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des profits. Il s’agit de propositions soit inapplicables, soit inefficaces, soit dépourvues de sens. Inapplicables si dominent les rapports capitalistes de production, inefficaces si on se contente de vœux pieux sans moyens de coercition, dépourvues de sens dès lors qu’une transformation sociale décisive aurait été engagée. On peut résumer l’affaire ainsi : soit le mouvement ouvrier n’a pas la force d’imposer l’interdiction des licenciements et alors c’est une pure pétition de principe. Soit il en a la force, et alors cette mesure devient inutile.

Il est préférable de s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire au droit absolu de la propriété des moyens de production. Là encore les nationalisations, avec l’ouverture des livres de compte par les représentants des salariés pourrait être un outil dissuasif efficace, à condition qu’on ait des syndicats véritablement indépendants des patrons et de l’État, préoccupés exclusivement des intérêts matériels et moraux des salariés. Il peut aussi arriver que certaines entreprises produisent des biens obsolètes ou dans des conditions dépassées. Il est bien possible qu’on ne produise plus beaucoup de magnétoscopes ou de téléviseurs à tube cathodique dans les années qui viennent. C’est alors la reconversion qui doit être opérée. Cette reconversion peut être effectuée sans dommage par les entrepreneurs prévoyants et soucieux des intérêts des salariés qui ont fait la richesse de l’entreprise pendant les beaux jours. Dans le cas contraire, hélas le plus courant, l’État intervient et on fait des plans sociaux. Mais cette situation devrait être considérée simplement : une entreprise que ses propriétaires doivent fermer ou qui doit licencier massivement pour cause de pertes financières est une entreprise qui ne vaut virtuellement plus un seul euro. Les propriétaires imprévoyants et les managers incapables doivent en assumer le coût : ils ont mal joué, ils ont perdu et la loi qu’eux-mêmes défendent exige qu’ils soient éliminés ! Leur entreprise doit donc passer aux mains de l’État sans indemnisation car, sur le marché, des entreprises, une entreprise en grandes difficultés vaut un euro. Ensuite les pouvoirs publics en liaison avec les syndicats pourront calmement préparer un plan social, dont on s’apercevrait très souvent qu’il pourrait consister dans la reprise de l’entreprise par les salariés.

Il ne s’agit donc pas de procéder dogmatiquement en faisant des nationalisations un remède miraculeux mais d’avancer pragmatiquement en nationalisant les entreprises stratégiques (armement par exemple), celles qui ont acquis un caractère de monopole (eau, certaines groupes d’édition …), celles qui appartiennent à cette nouvelle race de patrons que Jacques Chirac lui-même a qualifié de « voyous » (voir l’exemple de Metal-europe), celles qui veulent aller planter leurs choux ailleurs que sur le territoire de la mère patrie … Une telle orientation aurait un double effet : la menace de la nationalisation contraindrait un grand nombre de chefs d’entreprises et d’assemblées d’actionnaires à avoir un comportement nettement plus « citoyen », puisqu’on nous a rebattu les oreilles avec « l’entreprise citoyenne ». D’autre part, la nationalisation permettrait de développer un secteur socialiste au sein même d’une société encore très largement capitaliste. Il ne s’agirait pas, en effet, de transférer les entreprises à l’État sans rien changer. Dans les entreprises nationalisées, d’une part, la règle devrait être celle d’une très large participation des travailleurs à la direction des entreprises. D’autre part, les critères de gestion devraient être différents. Si l’équilibre financier est nécessaire, la dictature du ROI (return on investment) pourrait être éliminée. » (pp. 216-218)

Cette position me semble toujours juste.  L’urgence qui dit « pas de licenciements » ne peut être prise en compte que si, en même temps, on montre que la solution consiste dans « l’expropriation des expropriateurs » ! Faute de cette perspective, d’ailleurs, les salariés qui sont réalistes cherchent à négocier au mieux (y compris par la méthode forte) leurs indemnités de licenciements (comme cela vient de se passer chez moi, à Évreux, sur le site du géant mondial de la pharmacie, Glaxo).

(3)  Quelles sont pour vous les trois premières mesures d’urgence les plus importantes, à prendre immédiatement ?

La première mesure est la nationalisation totale du système bancaire.  Pour l’instant, et en intervenant au cas par cas, on ne fait qu’assurer avec les fonds publics la retraite des spéculateurs et les retraites dorées des dirigeants faillis. Seule la nationalisation totale du système bancaire permettrait à l’État d’user de l’instrument financier pour s’engager dans une voie nouvelle qui inclurait le financement de coopératives, l’aide aux artisans, paysans commerçants et aux petites entreprises prises à la gorge par la politique des multinationales françaises autant qu’étrangères.

La deuxième mesure serait l’arrêt immédiat du démantèlement des services publics et la renationalisation d’EDF/GDF, des Télécoms, de la Poste, des autoroutes. Avec corrélativement le lancement d’un programme de grands travaux d’infrastructure (notamment dans les transports en commun et le logement social). Il faut également donner un coup d’arrêt aux suppressions de postes dans la fonction publique.

La troisième mesure serait la confiscation des entreprises qui délocalisent ou qui ferment au motif qu’elles ne seraient plus assez rentables et le redémarrage de ces entreprises partout où cela est possible sous le contrôle de leurs employés, un peu comme les mesures d’urgence prises par les travailleurs argentins lors du grand effondrement des années 2000. Une telle mesure indiquerait clairement dans quelle voie il faut s’engager si on veut sauver la société de la voracité des prédateurs capitalistes.

(4)  Pensez-vous que s’impose une nationalisation complète du système bancaire pour réorganiser l’économie ?

Voir ma réponse à la question précédente !

(5)    Le système de Maastricht est moribond. Tous les critères sont oubliés. Dans ces conditions quel sens donnez-vous aux prochaines européennes ? Y a-t-il un sens à participer à des élections pour un pseudo parlement quand l’UE a montré qu’elle méprisait le suffrage des peuples ?

Je comprends ceux qui disent qu’il faut aller voter pour ne pas laisser le champ libre à Sarkozy. Le problème, c’est qu’aucune liste ne pose sérieusement et dans toute son ampleur la question de l’Europe. Toutes ou presque, font miroiter l’espoir fallacieux d’une impossible « Europe sociale » ou d’une « autre Europe ». Si l’UE était une construction étatique ayant un minimum de pouvoirs, il faudrait sans doute chercher à en infiltrer les mécanismes pour y défendre les intérêts des peuples.  Mais l’UE est un « machin » inédit qui permet aux classes dominantes de s’allier contre leurs peuples respectifs en soustrayant leurs décisions à tout contrôle démocratique. Au fond l’UE n’est que cela : une machine à détruire la démocratie. Et une machine qui a relativement bien accompli sa tâche. Je pense donc que le mieux est encore, tout bien pesé, de ne pas donner sa caution à cette supercherie et donc de ne pas voter. Du reste, quand on vote sur les affaires européennes, les puissants montrent clairement le mépris dans lequel ils tiennent les suffrages populaires. Le « non » au TCE a été annulé par le vote parlementaire du traité de Lisbonne (merci les socialistes, toujours là quand la droite a vraiment besoin d’eux !). Le « non irlandais » au traité de Lisbonne est tout simplement ignoré et les hiérarques de l’UE sont en train d’aider le gouvernement irlandais à concocter une réforme constitutionnelle qui supprimerait l’obligation de référendum. Bref il y a un moment où ça suffit comme ça. Si un parti présentait réellement un programme « révolutionnaire » en matière européenne, c’est-à-dire d’abord un programme qui rompe avec la chimérique « Europe fédérale » (quelles qu’en soient les formes) et développe une nouvelle perspective d’association libre des nations européennes, alors il aurait sans doute fallu aller voter pour ce parti. Mais il n’y a rien de tel (celui qui en est le moins éloigné est sans doute Dupont-Aignan, avec son mouvement « Debout la République » !) et significativement les négociations entre le « front de gauche » et le MRC de Chevènement ont capoté parce que Mélenchon n’a rien voulu céder sur son « fédéralisme » européen.

Cela ne veut pas dire qu’il faut se désintéresser des questions européennes. Au contraire. Dans mon Revive la République, j’avais esquissé un programme de réformes pour aller vers une Europe garantissant la liberté des peuples et la paix. Nous avons récemment publié sur un papier de Tony Andréani qui propose lui aussi une ligne pour faire sauter les verrous européens. Nous allons poursuivre cette œuvre d’élaboration indispensable, sachant que les appareils et appareillons qui cadenassent la vie politique française sont incapables d’être le cadre d’un tel travail.

(6)    Vous avez signé un appel qui se prononce pour l’unité pour une grande marche sur l’assemblée nationale pour poser les exigences populaires dont l’interdiction des licenciements, l’abrogation des lois réactionnaires telles la loi Bachelot, la sauvegarde des services publics… Comment comptez-vous œuvrer pour qu’une telle marche ait lieu ? Pensez-vous par exemple que des délégations aux groupes parlementaires pour poser nos exigences, recueillir leur position, et la publier serait une bonne initiative ? De même auprès des organisations syndicales, politiques ou associatives pour recueillir leur point de vue sur l’unité pour une grande marche vers l’assemblée nationale ?

Je ne suis pas très optimiste là non plus. Les appareils politiques ont clairement signifié que leur seule préoccupation était l’élection au « parlement » européen. Les confédérations syndicales ont occupé le terrain et baladé les travailleurs en attendant les vacances. En signant cet appel, nous avons dit ce qu’il faudrait faire. Au-delà, je ne sens pas comptable des actions à mener. J’essaie de faire aussi bien la seule tâche qui me semble urgente et que je suis en mesure de réaliser : contribuer à la formulation d’un nouveau corpus théorique et politique indispensable si on veut espérer un monde meilleur. 

 

 

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Commentaires

Elections du 7 juin, vues par "République Sociale" par c_berthier le Mardi 19/05/2009 à 11:42

Extrait du discours de Eric Tollenaere, Président du club "République Sociale", le 1er mai 2009 à la Bourse du Travail de Nancy:
   "L'abstention massive aux élections européennes qui s'annonce - sans compter les bulletins blancs et nuls - sera un désaveu du peuple français (et des autres peuples européens) à l'élection proposée et une forme de refus renouvelé aux institutions de l'Union Européenne.

    Les partis qui déposent des listes...et qui pour cela recevront de l'UE quelques euros par électeur, cautionnent cette élection et les institutions de l'UE.

C'est le prix moral à payer pour se faire davantage entendre. A chacun de fixer son prix politique.

   Pour République Sociale, nous ferons la même campagne "noniste" qu'en 2005 de dénonciation du TCE et donc du traité de Lisbonne encore non applicables grâce aux NON hollandais, français et irlandais et des conséquences antisociales de la concurrence dite « libre et non faussée ».

   Ceux qui justifient leur liste, aussi à gauche soit-elle, par une campagne contre Sarkozy et son gouvernement, se trompent d'élection. Si leur opposition est sincère, ce sont des élections législatives anticipées qu'il leur faut exiger pour que chaque parti présente ses solutions de défense du peuple français contre les conséquences de la crise, les licenciements, le blocage du crédit, les expulsions…

   Ceux qui justifient leur liste comme un "soutien aux luttes" désignent aux travailleurs un parlement européen sans pouvoir de les protéger et des institutions toutes entières conçues pour accroître la concurrence entre les travailleurs, les artisans, les pécheurs, les paysans, les collectivités locales et privatiser les services publics. Ils masquent la question républicaine du gouvernement et les responsabilités des élus, des partis, des assemblées politiques élues par le peuple pour le protéger et régler les problèmes du peuple, c'est-à-dire des citoyens et de leur famille.

   Le NPA, le Front de Gauche (PCF et PG) font actuellement campagne européenne sur des listes séparées et ne représentent pas la totalité des forces anti libérales qui s’étaient exprimées dans le NON au TCE du 29 mai 2005. Si on ne peut leur reprocher de ne pas avoir réuni ceux qui suivent Cohn Bendit, il reste qu’ils ont une lourde responsabilité dans la désunion actuelle des forces issues du NON de 2005. L’objectif de passer en tête de la liste PSE (le Parti Socialiste) et de combattre l’abstention populaire est vidé de toute crédibilité, comme le sont les raisons de ce refus d’unité, voire même d’intégrer des organisations notoirement nonistes.

 

La première chose que nous devons faire, plus que jamais, est de continuer notre campagne noniste contre le traité de Lisbonne. Nous sommes tous d'accord, n'est-ce pas ?

Qu'ensuite chacun choisisse de faire campagne et voter pour une liste noniste de gauche de son choix, ou de

s'abstenir qui oserait le critiquer ? Est-il responsable de la division électoraliste de la gauche du NON ?

 


par regis le Jeudi 21/05/2009 à 01:42

Le paradoxe d’actualité, comme vous le soulignez : jamais, depuis des décennies, le capital n’a été en aussi mauvaise posture mais pour autant, loin semble le jour où nous pourrons l’éliminer ! Question : comment avancer ?

Oui à la remise en cause du « droit absolu de la propriété des moyens de production », discours nécessaire que nous sommes trop peu à relayer. Oui, la bataille idéologique sur ce point est impérative mais aboutirons nous à partir de cette seule prémisse ?

En toute honnêteté, je me suis engagé dans la lutte pour l’interdiction des licenciements où je rencontre des difficultés nombreuses : entrave de partis et syndicats (qui nous cherchent à nous dénigrer et nous exclure). Des salariés qui signent hors leur présence mais qui s’en cachent et ne se manifestent pas souvent au-delà. Une forme « d’indifférence » ou de fatalisme de la part des autres salariés.

Il me semble aussi qu’il y a un tel fossé entre salariés « conscients »  et la majorité de ceux-ci. La gauche a fait là aussi un bien sale boulot ! Comment comprendre, sans polémique, ceux qui continuent de s’en réclamer ? Je peux témoigner, à ce titre que pour de nombreux ouvriers, la droite-la gauche bof ! Je ne prétends pas plus être crédible en mettant en avant le droit de propriété. Où est le « levier » ? Peut-on rester spectateur ou commentateur ?    


Re: par la-sociale le Jeudi 21/05/2009 à 07:39

Effectivement, il semble qu'il y ait chez les travailleurs dans leur grande masse une sorte de fatalisme qui pousse à faire le dos rond en attendant les jours meilleurs. Cela ne va sans doute pas sans une colère rentrée qui explose de temps à autres - comme on l'a vu avec les séquestrations de patrons et de cadres dans certaines entreprises. Un lien déjà cité nous donne l'analyse de gens spécialistes du conseil en matière de relations entre entreprise et l'analyse qu'il font de la situation présente nous montre clairement une réalité bien différente de l'apparente résignation. Peut-être les prémices d'un changement de phase dans le mouvement de la lutte des classes.

L'expérience enseigne aussi que des luttes de classes dures ne sont pas nécessairement le gage d'un vrai mouvement de transformation sociale. On l'a vu dans le début des années 20 en Italie ou un peu plus tard en Allemagne. Le vrai problème est de savoir s'il existe une alternative, c'est-à-dire de savoir si on peut reconstruire la société sur de nouvelles bases ou si nous devons nous accommoder du capitalisme quitte à mettre un peu d'huile dans les rouages. Ce qui pèse très lourd, c'est d'une part le double échec du socialisme, socialisme stalinien en URSS et dans les autres pays socialistes, échec du socialisme réformiste issu de la IIe Internationale, et d'autre part la profonde transformation des conditions de la lutte des classes et des mentalités qui s'y expriment.

Le premier point exige qu'une discussion et un bilan sérieux aient lieu et qu'on se débarrasse une bonne fois pour toutes des explications bidons (genre "la trahison des dirigeants") pour comprendre la nature de ce socialisme déconfit. Le deuxième point suppose qu'on redéfinisse clairement le but de la fameuse "lutte finale" qu'il nous arrive encore de chanter. C'est une tâche à laquelle je me suis attelé depuis une quinzaine d'année, à travers mes livres et en hésitant souvent sur la voie à emprunter. Mais force est de reconnaître que les partis et organisations qui se réclament de la tradition marxiste n'ont plus depuis longtemps aucun goût pour la discussion et a fortiori pour les débats théoriques sérieux. Le NPA, c'est le degré zéro de la pensée politique et le parti de gauche ne nous sert qu'une bouillie social-démocrate insipide et peu différente finalement de celle de la cantine de la rue de Solferino. Recevant une délégation du POI qui lui demande ce qu'il pense du mot d'ordre d'interdiction des licenciements, le représentant du PG (Coquerel, je crois), répond:« Nous ne pouvons pas prendre en charge une tel mot d’ordre car si on le prend au sérieux , et nous prenons très au sérieux votre démarche, c’est la socialisation des moyens de production et nous, nous sommes un parti de gouvernement. » La messe est dite: en termes diplomatiques, le PG ne veut pas de l'interdiction des licenciements parce qu'il voit très bien que cela suppose d'engager une lutte sérieuse contre la propriété capitaliste et comme il est un "parti de gouvernement", il n'en est pas question. Il va de soi que tout parti sérieux est un parti de gouvernement, mais évidemment dans le contexte il s'agit d'un parti de gouvernement dans le système actuel, autrement dit le PG a annoncé sa prochaine alliance avec le PS - on en verra certainement les prodromes lors des prochaines régionales de 2010. Cela montre aussi le cynisme achevé de ces dirigeants prompts aux grands effets de tribune alors qu'ils ont en tête et de longtemps leur prochaine magouille.

Denis Collin



Re: par regis le Vendredi 22/05/2009 à 01:59

Sur le PG, la messe est déjà dite : « changer d’Europe » (dans ma boîte à lettres, tracts de Villiers et PS : « changer l’Europe » ; à un article près).

JL Mélenchon a annoncé le désistement « républicain »  à venir au nom de battre la droite puisque le clivage n’est pas entre partageux et possédants. Donc le rattachement, via « la gauche » au PS ; le PCF y trouvant son avantage pour ses élus. C’est pourquoi, le Front de Gauche n’est pas voué à l’éclatement.

« La trahison des dirigeants » : ce n’est ni faux, ni vrai mais insuffisant pour expliquer ce qu’il est advenu. D’un côté les dirigeants, les masses de l’autre ?? Le PS qui de tous temps a été européiste trahit-il ?? Le vote des militants de ce même parti en faveur de Lisbonne ?

Comme le PG, il annonce la couleur : l’Europe passage obligé.

Par ailleurs « la trahison des dirigeants » pêche du point de vue de l’argumentation matérialiste…

Un point commun, toutefois, la social-démocratie et le stalinisme ont créé de grands appareils bureaucratiques qu’ils ont étendus, chacun à sa manière, à la société lorsqu’ils ont eu le pouvoir.

La démocratie, la République jusqu’au bout, il me semble que le nœud du problème est là pour convaincre nos concitoyens d’aller vers le « collectivisme ».     


Bilan par Michel Gandilhon le Vendredi 22/05/2009 à 10:38

Le mot d'ordre "Interdire les les licenciements" avancé notamment par le POI est absolument démagogique car il n'existe aucun rapport de forces concret pour l'imposer. Il ne vise qu'à souder l'appareil post lambertiste autour d'une campagne d'agitation qui se concluera par une marche ou un meeting rituels. Il y a trente ans qu'ils font la même chose. Je partage le constat de Collin sur la situation actuelle. S'il existe une grande colère dans la population victime des vagues de licenciements, l'absence totale de perspective de transformation radicale de la société la rend quasiment impuissante face à la gestion capitaliste de la crise en cours. Ne reste alors qu'à vendre sa peau le plus chèrement possible en négociant usine par usine les plans de licenciements et l'obtention de primes de départ le plus élevées possible. Les séquestrations de cadres et de patrons dans ce contexte ne sont qu'un exutoire à une rage légitime, qui permet de faire baisser la pression. Les syndicats l'ont compris et ne font qu'encadrer le mouvement afin d'éviter tout débordement. D'ailleurs, ils n'ont pas beaucoup d'efforts à faire tant le fatalisme règne. Lors du 1er mai à Paris, le gros des troupes était composé de fonctionnaires syndiqués. Les délégations d'usines étaient maigres alors que l'Ile-de-France est la première région industrielle de France et compte encore de grosses usines notamment dans l'automobile.
Aujourd'hui comme hier les partis de gauche et les syndicats ne sont que des cogestionnaires du système. Le drame est  qu'il n'existe pas, et ce depuis des décennies, de forces au sein des classes laborieuses susceptibles par des pratiques radicales d'engendrer de nouvelles praxis en rupture avec les incantations de gauche habituelles. Et c'est peut-être là qu'un travail théorique sérieux doit être entrepris. Un travail de bilan de l'histoire du mouvement ouvrier afin de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé à ce désastre. 
Je relisais récemment des textes de Castoriadis écrits à la fin des années 50 et au début des années 60. Il avait bien vu venir cet empire de la passivité, ce cours à la destruction du mouvement ouvrier à la fois par les processus de bureaucratisation (intégration à l'Etat national puis à l'"Etat" européen) et de domestication par la consommation de masse (fétichisme généralisée de la marchandise). On s'est gaussé de Castoriadis parce que ces constats ont été faits quelques années seulement avant l'explosion de 68, laquelle semblait complètement démentir l'inspirateur de SoB. Je persiste à penser que Castoriadis avait raison. En 68, il y a eu une gigantesque grève ouvrière qui est restée globalement sous le contrôle du PC et un mouvement étudiant travaillé par des minorités révolutionnaires qui croyaient revivre Octobre ou la "Grande marche". L'habileté de Mitterrand a été de comprendre qu'il fallait donner un débouché politique à 68. Ce fut le programme commun. Viennent ensuite les grandes restructurations consécutives à la réorganisation productive du capital à la fin des années 70 qui marquent l'affaiblissement des couches les plus militantes de la classe ouvrière traditionnelle (mines, chantiers navals, sidérurgie, autombile), la longue agonie du PC sur fond de montée du FN, la conversion du PS à la politique du franc fort afin d'intégrer pleinement le libre échangisme euro atlantique, le chômage de masse, etc. Trente ans de défaites, entrecoupées d'éclairs comme 95, qui ont conduit à une situation où l'alternative socialiste, même à la sauce réformiste du Programme commun (capitalisme d'Etat) a disparu.  Quelles sont les conditions d'une renaissance ? C'est justement de quoi il est nécessaire de débattre mais en ayant poser au préalable des constats pertinents refusant les illusions et dissipant l'opium prolétarien qui voudrait, comme l'a dit justement Collin, que l'histoire se résume à l'affrontement d'une classe ouvrière immaculée et pure face à une bourgeoisie secondée par des méchants réformistes traitres.


Re: Bilan par Pierre Delvaux le Vendredi 22/05/2009 à 14:14

Attention, chers amis, à un excès de lucidité prétexte à l'inaction. Si l'activisme systématique et, surtout, sans contenu politique sérieux est effectivement stérile (à l'instar du NPA), on ne saurait demeurer inactif au prétexte que tout n'est que recettes éculées. Ceux qui n'agissent pas sont, de toute façon, condamnés à être rattrapés par l'Histoire. Et vous conviendrez tout de même que la théorie n'est rien sans l'action... Alors, je partage tout à fait la nécessité d'une refondation idéologique mais ne nous impuissantons pas en en faisant un préalable absolu à toute forme d'action. Il me semble excessif de faire table rase de la lutte des classes. Je ne vois pas en quoi la capacité de résistance et de renouvellement du capitalisme remet en cause la réalité de la division de la société en deux classes aux intérêts contradictoires. De là, l'interdiction des licenciements ne me paraît en rien démagogique. Il s'agit d'un levier revendicatif qui pourrait se révéler des plus efficaces si ceux qui prétendent représenter le monde du travail remplissaient réellement leur mandat. Là aussi, la trahison des dirigeants ce n'est pas de la démagogie mais une réalité qui s'étale tous les jours dans les media ! Sans en faire une icone idéalisée, le LKP n'a t il pas prouvé qu'un mot d'ordre clair (les 200 euros) permettait de fédérer efficacement les travailleurs ? Je partage ce que vous dites de l'expérience socialiste mais il me paraît excessif et désarmant d'en jeter tous les épiphénomènes. Pour faire du neuf dans l'Histoire il faut avoir l'humilité de partir de ce qui est usé. Nous n'avons pas le choix chers amis !

Pierre Delvaux


par FABRE Gilles le Dimanche 24/05/2009 à 19:54

Les médias poussent les électeurs que nous sommes à s’abstenir le 07 juin. Les UMP, PS, Modem et Europe écologie y poussent égalemen sans faire réellement campagne. Leur But à tous c’est déconsidérer tout vote, tout suffrage universel exprimé, tout acte citoyen et toute souveraineté du peuple.

Le but rechercher est de construire le grand marché transatlantique où la concurence sera libre et non faussée, d’imposer le traité de Lisbonne et construire une Europe de simples régions et communautés le tout de manière administrative, bureaucratique et a-démocratique.

Après les non Français, Hollandais et Irlandais, les oligarches de Bruxelles et les Chefs d’Etats ont continué leur projet de construction de l’Europe libérale et de grand marché libre et non faussé. Ils baffouent le suffrage universel, le vote des citoyens. Donc on déconsidère tout vote, tout citoyen. C’est la première étape.

La seconde étape c’est faire constater que les électeurs, donc les citoyens, les peuples souverains s’en foutent de l’Europe- vu qu’ils s’abstiennent massivement et donc la Commission de Bruxelles et les chefs d’Etats, le conseil des ministres, arbitrairement réaliseront leurs funestes projets ultra libéraux et antirépublicains sans en passer par la voie électorale (Elections, vote, référendum…) et réduiront le parlement de Strasbourg a une seule chambre d’enregistrement des forfaits antidémocratiques et antisociaux réalisés !

Je ne comprends pas votre choix d'abstention. Je le respecte mais je crois que vous vous trompez.

Les médias dominants, Sarkozy, l'UMP et le PS, comme le modem et les verts en France mais aussi les forces libérales ou conservatrices  de droite et les sociaux démocrates dans de nombreux pays de l'Union Européenne souhaitent une abstention massive pour dénaturer tout vote, tout intérêt, toute citoyenneté, toute souveraineté concernant les choix et politiques européennes. C'est grave la république comme dit mon camarade Christophe Miqueu est en danger et demain les citoyens qui ne votent plus et qui s'abstient seront la cerise sur le gâteau du projet néfaste que préparent Dirigeants européens et Américains !

Jean-Luc Mélenchon, le PG et le Front de Gauche ont raison de mener campagne, de faire estrade et de mobiliser les citoyens. Même si c’est dur, de convaincre nos concitoyens d’aller voter pour le Front de Gauche, je sens les gens beaucoup plus réceptifs, attentifs (et motivés) à nos propositions aujourd’hui qu’il y a deux mois. Peut-être une première victoire qui j’espère se concrétisera dans les urnes le 07 juin prochain. 

Pour ce qui est des questions en débat, je prépare mes réflexions que je vous adresserais dès que je les aurais finalisées. Mille excuses pour tout retard.

Pour la construction d'un corpus théorique et programmatique, je trouverais utile et fécond que vous participiez au PG. Bien à vous.
 


par Serge_Gomond le Lundi 25/05/2009 à 14:35

Les médias poussent... Dans ce cas précis ils ne poussent rien, le mieux si ce point de vue est exact, serait pour eux de ne pas (ré)agir et de laisser faire.

 

Les seuls à réagir plus ou moins vigoureusement, se sont les partis politiques. 

 
Les médias ont un mode de fonctionnement très codifié, des règles (autres que celles de la tarte à la crème déontologique), des priorités et des choix rédactionnelles.

 

Pour beaucoup, Ils sont aux ordres et obéissent à des règles économico-politiques.

 
L'Europe (1) quant à elle, obéit à des intérêts géostratégiques et politiques. Le fond de commerce de cette Europe est la sauvegarde du modèle capitaliste (bien mal en point il est vrai), et toute la question est de savoir si oui ou non nous devons combattre ou pas cette Europe.

Quels sont les moyens les mieux adaptés et à même de répondre à l’objectif : « efficacité politique » ?

 

La désobéissance civile en est au moins un, efficace et éprouvé de longue date, pourquoi s’en priver ?

 

Le complot internationaliste ?

 

Vous pouvez (re)lire l’article concernant les rouages du mode de fonctionnement des maîtres du monde (2), paru sur ce site et intitulé : « Axiome de base. "Le centre directeur est devenu maintenant occulte : on n'y place jamais plus un chef connu, ni une idéologie claire", axiome extrait de "Commentaires sur la société du spectacle" », où il est démontré que le complot international n’a aucun fondements réels ou supposés, politiques,  économiques et autres. C’est une pure fiction.

 

Une convergence à la rigueur, peut-être, mais qui a beaucoup de mal à se concrétiser dans le réel (voir à ce sujet les théories fumeuses d’une soit-disant "fin de l’Histoire" (3), l’uniformité parfaite en quelque sorte…), en fait les Etats-Unis n’ont pas réalisé d’autre alliance objective qu’avec les Européens, ce qui ne veut pas dire qu’ils auraient abandonné la tactique du Boa constricteur (l’hégémonie) et leur cheval de Troie stratégique. 
 

 

(1)   La collusion entre (cette) l’Europe et les Etats-Unis est une évidence, grosso-modo nous sommes dans le camp des occidentaux, et tant que nous n'aurons pas réglé ce problème de fond, les Etats-Unis pourront agir à leur guise en jouant de cette fausse référence culturelle et de soi-disant intérêts communs.

 

(2)   Contrairement à ce qui a été écrit sur le sujet, dans le côté visible de l’édifice du commandement réel celui-ci il apparaît vertical, alors qu’en réalité il est diffus.

 

(3)    Il fut ajouté «… de l’Humanité ! », car en projetant cette théorie (et évidemment dans un contexte économique identique à celui qui vient de s’effondrer) dans le futur proche, la terre ne pouvant plus se remettre du pillage systématique de ses ressources naturelles, une catastrophe majeure se serait rapidement profilée ; plus de ressources, plus de vie !  On pourrait ajouter à cela la récente entrée de la France dans le girond de l'OTAN, mais c'est une autre histoire...  

 

 


Re: par Anonyme le Lundi 25/05/2009 à 21:20

Errata :

  1. Cinquième ligne, il faut lire : des priorités et des choix rédactionnels. Et non rédactionnelles.
  2. Vingtième et vingt et unième lignes, il faut lire :  il est démontré que le complot international n’a aucun fondement réel ou supposé, politique, économique et autres. C’est une pure fiction. Et non : fondements réels ou supposés, politiques, économiques…



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