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A Quito avec Dolores Padilla, la féministe

Par Jean-Paul Damaggio • Internationale • Vendredi 15/07/2016 • 0 commentaires  • Lu 2672 fois • Version imprimable


Par un merveilleux hasard de la vie nous avons croisé à Quito1, Dolores Padilla. Les amis des amis ne sont pas forcément des amis mais ce jour là, en rencontrant cette femme que nous ne connaissions pas, nous avons découvert que, de France à l’Equateur, des parcours humains peuvent emprunter les mêmes chemins.

Dolores, militante démocrate pour la vie, a été enthousiasmée par les années 2000 en Amérique latine. Elle a cru, comme beaucoup en France en 1981, que cette fois les rêves d’une génération, portés par tant de luttes, allaient entrer dans la vie. Il a suffi d’une décennie, comme en France, pour que tout s’écroule. Je ne vais pas ici rappeler les victoires démocratiques des années 2000 en Argentine, Brésil, Venezuela, Bolivie, Pérou ou Equateur pour seulement retenir le cas équatorien symbolique de l’ensemble, avec les révoltes populaires de 2000 puis 2005 qui firent s’effondrer les partis en place pour ouvrir la voie à une nouvelle classe politique2. Les nouvelles constitutions au Venezuela, en Bolivie ou en Equateur poussèrent à l’engagement politiques concret des personnes comme Dolores plutôt présente dans le mouvement associatif, mais qui a commencé à déchanter quand elle s’est aperçue que le changement se limitait à repeindre la façade.

Pour la féministe, le point de rupture fut la place laissée aux femmes. Elles furent admises à condition de se couler dans le moule ordinaire, celui du patriarcat, pour qu'elles oublient de changer le monde. Les leaders démocrates latinos-américains, par le principe du cacique, ont continué à survaloriser la parole d’un chef construisant sa cour personnelle de gens plus considérés pour leur capacité à lécher les bottes, qu’à penser vraiment. Que des femmes latinos-américains comme Bachelet au Chili, Kirchner en Argentine ou Roussef au Brésil aient accédé aux plus hauts postes n’a fait que conforter ce système3 ! Rafael Correa réalise parfois de bonnes choses mais à vouloir tout régenter combien d’erreurs commises !

Par exemple nous voulions savoir ce que Dolores pensait de Yachay, la ville de la connaissance4, projet phare du président, et sa réponse est symbolique de toutes les autres : une bonne idée mais qui ne pouvait se réaliser aussi vite car combien d’écoles rurales a-t-il fallu fermer pour investir dans ce grand projet ? Nous retrouvons exactement le comportement de notre classe politique française plus soucieuse de l’emballage que du contenu de l’emballage ! Sauf qu’en Amérique latine, parmi les progressistes la dimension machiste de la décision politique a des conséquences encore plus dramatiques. Le cas du Venezuela devient pour Dolores, le plus significatif. Quand la gauche déçoit, elle ne produit jamais une alternative plus à gauche, mais fait le bonheur des idées de la droite ou de l’extrême-droite. La responsabilité de Chavez, Morales, Lula, Humala ou Correa est toujours double et donc immense : changer le monde et y réussir. Tout échec est un coup dur surtout pour le camp de la gauche elle-même.

Après notre rencontre au cours de laquelle nous nous sommes trouvés des «amis» communs comme Guayasamin et Adoum5, j’ai cherché les traces laissées sur internet par Dolores Padilla.

Elle est diplômée en Sociologie et Sciences Politiques. Au cours de sa vie elle a principalement travaillé sur des thèmes en lien avec les droits des enfants et des femmes. Elle a fondé le programme “Muchacho Trabajador”6. Concernant les femmes des secteurs urbains et ruraux d’Equateur elle a tout fait pour la reconnaissance de leurs droits.

Cette activité associative l’a finalement poussée vers la politique aux côtés de León Roldós (recteur à ce moment là de l’université de Guayaquil et député socialiste) dont elle a été le binôme dans un présidentielle (2002) (avec l’appui de José Cordero président du Congrès et membre de Démocratie populaire). La sœur du candidat Mariana Roldós Aguilera, amie de 20 ans de Dolores Padilla a contribué à cette rencontre. Puis elle sera députée, poste qu’elle abandonnera vite. Femme de dialogue elle a mal vécu la violence politique se développant dans son pays.

Elle est alors devenue la responsable générale de la Fondation Esquel. http://www.esquel.org.ec/

On peut la voir sur de document Youtube.

https://www.youtube.com/watch?v=f1sdiQUXW34

 

Formée par le marxisme ambiant en Equateur qui a eu aussi ses grands noms, comme Agustín Cueva, dont l’œuvre la plus importante est Entre la ira y la esperanza (1967), Dolores est devenue une référence dans son pays. Dans son école de sociologie Rafael Quintero et Fernando Velasco avec d’autres fondèrent la Revista de Ciencias Sociales (1976) qui avec des courants marxistes venus du Mexique, du Chili et d’Argentine suscita un grand débat d’idées. Parmi les intervenants citons : Gonzalo Abad, Julio Echeverría, Javier Ponce, Iván Carvajal, Alejandro Moreano, Milton Benítez, Simón Corral, Rafael Quintero, Érika Sylva, et Dolorès Padilla.

Mais cette explosion intellectuelle se produisait aussi du côté de la philosophie à l’Université catholique de Quito, avec le prêtre jésuite, Eduardo Rubianes qui a publié une bombe : Marxismo: Hombre sí, dios no (1968). Des marxistes interviennent toujours dans cette université.

Bien sûr, les polémiques françaises autour de Louis Althusser eurent leurs répercussions à Quito. Manuel Agustín Aguirre en rééditant pour la huitième fois Lecciones de marxismo (première édition en 1951) a accusé Agustín Cueva de succomber au structuralisme d’Althusser (il a étudié la sociologie à Paris) et de sa disciple aux Amériques : Martha Harnecker.

En rencontrant Dolores Padilla j’ai découvert qu’au cours de mon étude sur et Bolivar7, j’avais oublié totalement le marxisme équatorien. Or il aurait conforté mon travail de défense du texte de sur le caudillisme cher à Bolivar. Mais c’est une autre histoire. J-P Damaggio

1 Au cours d'un voyage d'un mois en Equateur.

2 Rafael Correa autour de qui s'est construit le parti Alianza Païs a accepté de ne pas modifier sa constitution pour se représenter après dix ans de pouvoir mais il peut être satisfait car son parti va rester en ordre de marche.

3 Pour Dilma Roussef je renvoie à l'entretien que vient de donner Lula à Libération où l'ex-président rappelle que c'est lui qui a fabriqué sa remplaçante. Pour l'occasion je me suis souvenu de la tribune commune Lula-Sarkozy et d'un de mes articles sur la situation en 2008 au Brésil.

4 Un projet peu évoqué en France alors qu'il est colossal. Correa, marié avec une Belge, qui a indiqué qu'à la fin de son mandat il viendrait vivre en Belgique est pourtant sensible à l'opinion française.

5 Le peintre Oswaldo Guayasamin et le poète Jorge Enrique Adoum, furent communistes toute leur vie.

6 Un des mérites de la politique de Correa a été de diminuer considérablement le travail des enfants.

7 Karl , Sur Bolivar / suivi de : Bolivar-Bonaparte ? J-P Damaggio et Lettres de Bolivar, Flora Tristan, Editions La Brochure, 2013, 15 euros

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