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Le leader du parti de gauche est parvenu à s’inscrire dans le paysage audiovisuel comme le pourfendeur des journalistes. Verbe haut, ton cinglant, le voilà qualifié de « bon client » dans le monde médiatique par les animateurs d’émissions « politico-people » en recherche perpétuelle d’audimat. Jean Luc Mélenchon revendique d’ailleurs sa place. Sur le divan de Michel Drucker, n’indiquait-il pas satisfait, dans une confusion des genres troublante, à Laurent Ruquier, évoquant sa dernière prestation sur son plateau, « Ce soir là, on a cartonné » ! En même temps qu’il passe donc chez Drucker, Ruquier, Ardisson et d’autres, ses adversaires politiques le condamnent au prétexte qu’il ferait preuve de populisme. Mais de quoi s’agit-il exactement ?
Le populisme, si seulement…
Populisme ! Voila donc la dernière insulte à la mode. Rien ne serait donc pire que d’être un populiste. Le qualificatif asséné de la sorte indique de la part de « l’intelligentsia » qui en use une ignorance assez crasse. Qu’y aurait-il en effet de si honteux dans le « populisme » que le dictionnaire définit comme « un discours politique favorable aux classes défavorisées et souvent hostile aux élites », comme « une attitude politique cherchant à attirer la sympathie du peuple par des mesures sociales populaires », ou encore sur le plan littéraire comme « un courant s’attachant à dépeindre avec réalisme la vie dans les milieux populaires » ?
La condamnation du « populisme » par « l’intelligentsia » de tous bords n’a d’autre but que d’interdire toute attention particulière portée aux classes et couches sociales qui subissent la dictature du capital au point de ne pouvoir assurer leurs fins de mois. Il s’agit donc de rendre incongrue toute discussion sérieuse sur le sujet de l’exploitation et des mesures qu’il serait bon de prendre pour l’intérêt des salariés, des travailleurs, des jeunes, des retraités contre celui des directions générales et des actionnaires.
Etonnant donc de voir affubler JLM de ce qualificatif, à partir d’une posture qu’il a décidé d’adopter en faisant des journalistes une de ses cibles privilégiées. Etonnant de voir le débat s’engager sur ce plan entre les deux formations principales qui composent le front de gauche, le parti de gauche et le parti communiste, pour justifier quelques rivalités électorales sur fond d’investitures aux prochaines élections présidentielles.
Pour qu’il y ait « populisme » dans le débat incriminé concernant les médias -ce qui serait une très bonne chose- il faudrait que soient exposées des « mesures sociales » qui dépassent la condamnation de quelques individus, qui permettent de s’attirer « la sympathie du peuple » et qui donnent les moyens d’un véritable affrontement politique « contre les élites ».
Télévision, presse et Journalistes
Il ne s’agit pas ici d’affirmer une solidarité quelconque avec des présentateurs qui au quotidien donnent un point de vue qui est plus le leur, et celui de leurs employeurs, que celui de journalistes libres et indépendants ayant enquêté et livré le résultat de leur travail.
Les médias –souvent identifiés dans le domaine audiovisuel à leurs présentateurs- incarnent un aspect de la démocratie qu’il s’agit de traiter en tant que tel. En prenant pour cible x, y ou z, la question de fond qui concerne les entreprises de presse, leur indépendance, leur fonction, leurs relations à l’argent, leur place dans les empires économiques auxquels ils participent, sont reléguées au second plan. Ce qui domine est la réflexion ou l’attitude du présentateur du jour. Mais où se situe le débat ? Quelle que soit l’attitude, le ton, la question d’un journaliste du groupe Lagardère, Hersant, ou Bouygues, ou du service public par exemple, ce qui compte c’est l’imbrication qui mêle intérêts économiques, intérêts politiques, dépendance vis-à-vis du pouvoir. La personnalisation nuit à la véritable question que posait déjà le conseil national de la résistance, lorsque était affirmé dans le programme du CNR « la pleine liberté de pensée, de conscience et d’expression; la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’argent et des influences étrangères ».
A titre d’exemple, lorsque nous avons été une petite dizaine à prendre l’initiative en 2005, en pleine bataille sur la constitution européenne, de l’appel « le non censuré dans les médias, ça suffit ! », c’est de ces questions de fond que nous sommes partis et c’est ainsi que nous avons en quelques jours recueillis des dizaines de milliers de signatures, mais surtout des centaines dans les entreprises de presse, notamment et surtout à la télévision. Les occasions n’auraient pas manqué alors de brocarder quelques présentateurs en vue pour le traitement partial et unilatéral qu’ils pouvaient faire quotidiennement de la question référendaire. Mais ce qui a fait mouche, ce n’est pas le rappel à l’ordre. C’est la question de principe, la question de la démocratie posée en tant que telle, non dans la pratique d’un journaliste en particulier, mais dans les entreprises de presse dans lesquels les journalistes exercent leur profession.
Evidemment, les représentants de la gauche de la gauche parlent aussi de l’oligarchie qu’ils condamnent. Ce serait leur faire injure que de prétendre le contraire. Mais la question n’est pas là. Elle est de savoir comment parler de la presse. Car des discours sur l’oligarchie nul n’a le monopole. François Bayrou peut être intarissable sur le sujet. Comme l’est d’ailleurs à l’occasion de son dernier livre Dominique de Villepin, sur les plateaux de télévision où il succède à Jean-Luc Mélenchon.
La personnalisation tue le débat !
La personnalisation dans le domaine politique a la fâcheuse tendance, renforcée par le cadre même de la cinquième république, de tuer tout débat un tant soit peu sérieux. Des chefs, des écuries, voila qui résumerait le système. Avec l’ambition évidemment partagée d’être le chef suprême.
Dans le domaine médiatique, la question se pose de façon assez semblable. Aussi les mises en cause de journalistes en lieu et place des entreprises de presse, de leur organisation, du pouvoir, comme mode de critique, amène à poser quelques questions : pourquoi tout centrer sur les valets et non sur les maitres ? Avec ce raccourci qui veut considérer les journalistes comme une généralité. Que penser si la critique des philosophes se limitait aux philosophes justement, pris comme un tout, sans discernement, sans distinction ? Evoquer les journalistes, les philosophes, les traders, les patrons, les ouvriers ou les bourgeois, comme d’ailleurs les jeunes ou les vieux pour énoncer une conclusion définitive a à la fois quelque chose de grotesque, de dangereux et de terriblement répugnant.
Evidemment, lorsque l’attaque est ciblée, lorsque la généralisation est évitée, la personnalisation permet de mettre en avant non les idées mais les personnes qui sont censées les incarner. On verra tel ou tel présentateur comme l’incarnation du mal, ce qui présente pour l’interviewé l’avantage de se présenter en opposition comme l’expression du bien. Mais le calcul est à courte vue. De la sorte, le fond est absent. Seul le spectacle demeure. Rappelons-nous, sans faire aucun parallèle, seulement pour l’exactitude des faits, que lorsque Georges Marchais a été à son apogée médiatique –« Taisez-vous Elkabbach » ou encore « au dessus de 30 000 je prends tout »- il ne parvenait pas à ralentir le déclin du Parti Communiste Français qu’il présidait et auquel il a largement contribué.
Quelques inconvénients majeurs de la personnalisation
La personnalisation ne présente-elle pas quelques inconvénients qui touchent au fond pour qui se pose le problème de la construction d’une force politique attachée aux valeurs républicaines et socialistes ?
· Si l’attaque directe et la mise en cause de journalistes peut sur certains cas rencontrer
une approbation populaire indiscutable, elle est contre productive dans les médias. Difficile en effet de penser rassembler et construire une force de la sorte. Une fois encore, l’exemple de l’appel « Le non censuré dans les médias, ça suffit ! » est intéressant. L’écho que nous avons alors rencontré était dû au point de départ de l’appel, les principes de démocratie, l’aspiration à un exercice conforme de la profession, le respect de l’impartialité qui se trouvait bafouée. Qu’aurait donné un appel du genre « PPD vendu, Ockrent complice ! »… A moins de prendre le peuple, et les professions qui exercent dans les médias, pour une bande irréfléchie susceptible de s’engager durablement sur quelques mises en cause qui constituent la superficie des choses, la réponse n’est-elle pas évidente ?
· Cela est contre productif dans la population : disons que mis à part les quelques
avertis qui voient d’un œil complice et sympathique l’attaque contre les parleurs du 20 heures, tout cela évacue le fond pour les ouvriers qui peuvent écouter. « L’épisode Pujadas » est à ce titre intéressant. Ce qui ressort, ce n’est pas le contenu de l’interview réalisée par le présentateur du 20 heures de France 2 du délégué de Continental, ce n’est pas plus la situation des « conti » eux-mêmes, c’est l’affrontement que crée le politique qui occupe le devant de la scène. Mais en l’occurrence, si on croit aux intentions de départ, c’est un échec. Car peu importe l’homme politique. Ce qui compte là, c’est la situation de l’ouvrier et le système médiatique qui s’y oppose. L’expression alors mise en scène par Pierre Carles de Jean Luc Mélenchon prend le pas sur une question simple, qui exprimée simplement et calmement peut faire mouche : les licenciements, les nationalisations comme réponse, l’attaque contre la propriété privé et donc ses garde chiourmes…. Développer et expliquer ce qui dépasse quelque peu le verbiage sur les riches, les nantis et les pauvres, les journalistes vendus, genre discours PCF interchangeables.
Evidemment la forme et le fond sont indissociables. Comme il est peu habituel de voir un homme politique avec accent de sincérité utiliser des termes tels « salopard » ou quelque chose de ce genre pour qualifier l’attitude du présentateur, ce qui reste, n’est-ce pas le terme, le ton, au détriment du contenu, de l’objet du débat ? Si le but est alors de centrer l’échange sur l’affrontement capital-travail, l’opération est un échec. Si par contre il s’agit de personnaliser une opposition, lui donner un visage, participer du jeu médiatique dont l’histoire nous indique que la portée politique sur le fond est limitée, alors il s’agit sans doute d’une réussite…
· Enfin, cela est contre productif sur l’exactitude des faits : l’argument selon lequel il y
a d’un côté ceux qui touchent beaucoup, ils sont dans un camp et de l’autre les soutiers, qui sont dans l’autre camp, n’est pas toujours conforté par la réalité. Les journalistes et les personnels qui travaillent en général dans les organes de presse sont des citoyens comme les autres. Comme dans la vie en général les choses sont plus compliquées. Si la feuille de paie déterminait la conscience simplement, les questions seraient réglées. Les bas salaires sont en effet légions, et pourtant… L’expression « qu’ils s’en aillent tous » a d’ailleurs un aspect dangereux. Hors de propositions offertes au débat, rien n’indique qu’il suffise d’avoir le sens de la formule et quelques talents oratoires pour ne pas être placé dans le « ils » dont on ignore en définitive les contours.
Quelle presse, quel journalisme ?
Sans qu’il ne s’en rende peut-être bien compte, Jean Luc Mélenchon a utilisé une formule à plusieurs reprises qui justifie précisément ce qu’il condamne : une certaine complaisance avec les puissants au détriment des sans voix.
Sur le divan de Michel Drucker il a ainsi exprimé sa satisfaction : « ici j’ai été bien traité » a-t-il dit à son hôte en guise de félicitation. Mais quel est le sens des mots ?
Le rôle d’un journaliste –puisque Drucker endosse ce costume et est considéré comme tel- est-il de bien traiter son interlocuteur ? Ou de poser ses questions sans complaisance, quitte à gêner l’interviewé, le fâcher, et sur le fond le maltraiter ?
Cette question de traitement nous ramène aux pires heures de la télévision française qui dans la période pourraient bien revenir au galop. A l’époque de De Gaulle, Peyrefitte, ministre de l’information, avait son bureau dans les locaux. Sa mission était simple : faire en sorte qu’en toute chose le général soit traité « correctement ». Les moyens étaient à la hauteur. Ligne directe avec les conférences de rédaction, responsables aux ordres, présentateurs asservis et donc disciplinés, etc…
Evidemment aucun homme politique n’est aujourd’hui comparable au général. Mais la tendance à rabrouer tout journaliste pour une question qui sans être très pertinente n’en n’est pas moins intéressante, donne un contenu au « traitement attendu » qui ne colle ni avec l’exercice indépendant du journalisme, ni avec l’impertinence souvent nécessaire pour obtenir les réponses souvent évacuées.
Trêve de plaisanterie, imaginez n’importe quel homme au pouvoir disant la même chose. Nicolas Sarkozy qui aurait pu se féliciter en direct de ce que tous les français qui se trouvaient devant leur poste le soir de sa conférence de presse ont pu constater. « Claire, David, Michel, je vous remercie. Je dois avouer ici que j’ai été bien traité ».
La gauche de la gauche ne serait-elle pas la première à s’inquiéter ?
Jacques Cotta
Lundi 22 novembre 2010
Fournir du spectacle tel un bateleur de foire ou mettre en avant des propositions claires pour rendre libre l’information ? Le « je » ou le « nous » ? Stipendier les individus
et ne pas parler du système ? La propriété privée, dans ce cas, des moyens d’information ne serait pas en cause ?
Le PG a-t-il des propositions dans ce domaine ? On peut en douter à écouter son leader.