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Le mensonge comme idéologie politique

Quelques réflexions sur l'histoire du PS

Par Denis COLLIN • Actualités • Mercredi 22/04/2015 • 5 commentaires  • Lu 3519 fois • Version imprimable


On le sait, la politique et la vérité ne font pas bon ménage. Le mensonge semble un ingrédient nécessaire à la politique comme le sel et les épices dans la cuisine. Le siècle passé a donné naissance à des régimes qui ont élevé le mensonge de masse au rang de système de gouvernement. Mais il semblait que dans les démocraties le mensonge devait rester confiné. Ce qui est frappant, cependant, c’est la montée en puissance du mensonge effronté et du cynisme dans le discours politique ainsi que le recours systématique aux procédés de la novlangue : les mots-clés du discours signifient exactement le contraire de ce qu’on pense ordinairement qu’ils signifient... Sarkozy avait été un exemple très frappant de cette nouvelle forme du discours politique. Un exemple que j’avais relevé à propos de l’entrée de la Turquie dans l’UE : « une fois de plus, l’UMP et son « lider maximo » pratiquent avec un culot extraordinaire l’art du double langage si bien épinglé par Orwell. Nous avons eu l’occasion de rappeler la formule d’Anton Ciliga à propos de l’URSS, « le pays du mensonge déconcertant ». C’est ce qu’est devenue la France depuis quelques années. » (, 4/6/2009). L’expression de Ciliga m’est revenue à l’esprit plus récemment à propos de la question scolaire (http://la-sociale.viabloga.com/news/les-socialistes-et-l-ecole). En écoutant Mme la ministre de l’éducation nationale (?) affirmer que non seulement sa réforme du collège ne menaçait par les langues anciennes mais au contraire les renforçait, je me suis dit que désormais tout était possible ! On supprime les cours de latin et de grec et cela les renforce... Il est vrai que les socialistes qui s’apprêtent à voter la loi Macron signent, Hollande et Valls en tête, une motion quii affirme s’opposer à toute extension du travail du dimanche...

Il y a ici une différence importante entre « droite » et « gauche ». Le mensonge politique de droite est un mensonge politique « ordinaire ». Mais fondamentalement la droite se présente pour ce qu’elle est : un groupement politique défendant la propriété capitaliste, hostile aux « conquêtes sociales » ouvrières, défenseur de « la loi et l’ordre ». Il n’en va pas de même avec la gauche qui se présente comme, avant les élections, au moins, comme le groupement politique défendant les classes populaires et la démocratie. Ainsi le PS doit-il maquiller sa politique en permanence, rebaptiser son orientation pro-MEDEF en « socialisme de l’offre ». Le résultat en est que nous avons affaire à une imposture complète. À la différence des hiérarques du PS, spécialistes en « motions », Hollande et Macron ont l’avantage finalement d’exposer cette imposture au grand jour, désespérant même leurs partisans qui préféreraient que cette imposture demeurât bien cachée derrière les ronflantes et creuses formules des congrès.

La tendance est grande d’opposer le « PS d’Épinay », celui qui se voulait un « parti révolutionnaire » (sic) et le PS actuel. Il y a quelque chose de vrai dans cette opposition. Mais on devrait mieux souligner les éléments de continuité, ce qui nécessiterait qu’on revienne sur cette imposture première que fut le mitterrandisme. Le vrai problème de Mélenchon est là : il n’a jamais voulu, parce qu’il en est incapable, procéder à un examen critiquer de son mitterrandisme.

Le double langage est en effet consubstantiel à l’opération mitterrandiste que fut le congrès d’Épinay : Mitterrand y prend le contrôle du nouveau parti né de la fusion de la vieille SFIO, des clubs de la CIR et de quelques autres groupes par une alliance entre l’aile gauche (le CERES de Jean-Pierre Chevènement) et l’aile droite de Mauroy et Deferre qui contrôlent les grosses fédérations du Nord et des Bouches-du-Rhône. Deferre est engagé dans une politique d’alliance avec les « centristes » et cherche depuis longtemps à se débarrasser du carcan que représente la référence à la tradition socialiste. Mauroy est, au-delà de ses discours ronflants, sur la même ligne et c’est lui pèsera de tout son poids pour maintenir coûte-que-coûte l’orientation européiste et atlantiste du PS, contre le CERES et contre certains éléments issus de la Convention comme Pierre Joxe. Quelques années après Épinay, Mitterrand, pour s’affranchir du poids de son aile gauche fera entrer dans le PS l’appareil de la CFDT et les rocardiens, représentants de cette « deuxième gauche » dont la figure de proue sera Jacques Delors. En 1979, au congrès de Metz, nouveau changement d’alliance : Mitterrand confie à Chevènement la rédaction du projet socialiste et marginalise en apparence la « deuxième gauche ». Après la victoire de 1981, le jeu de bascule continuera un temps, bien que, dès l’automne 81, Delors ait annoncé la couleur en prônant l’austérité seul moyen de rester dans les clous de la « construction européenne ». À partir de 1983, les jeux sont faits et c’est résolument à droite que s’installe le centre de gravité du mitterrandisme, devenu le parti de « la France qui gagne » (du fric) et « sale boulot » nécessaire (l’expression est de Fabius organisant la liquidation de la sidérurgie lorraine. Le double langage reste cependant largement de mise et il faudra attendre 1991 pour le congrès du PS (congrès de La Défense) affirme que « le capitalisme borne notre horizon historique ».

Quelles qu’aient les intentions des acteurs – il ne nous appartient pas sonder les reins et les cœurs – toute l’histoire du PS depuis 1971 apparaît comme une opération visant à capter toutes les forces sociales et politiques les plus diverses qui s’étaient manifesté au grand jour en 1968 pour les subordonner à la bonne marche du capitalisme « modernisé ». C’est en effet le gouvernement « socialiste » qui, au cours des années 80, va faire entrer la France dans la grande ronde du néolibéralisme initié par Thatcher et Reagan (pour prendre ici des noms symboliques, car le thatchérisme avait commencé avant Thatcher et Carter avait déjà engagé ce qui allait devenir les « reaganomics ».

Rappelons également, pour rafraîchir les mémoires, qu’entre conseiller à l’Élysée un jeune énarque nommé François Hollande qui sera le principal auteur du livre signé Max Gallo, La Troisième Alliance (Fayard, 1984) dont les thèmes principaux préfigurent non seulement la politique qui sera suivie jusqu’en 1993 et reprise entre 1997 et 2002, mais aussi l’orientation « sociale-libérale » de François Hollande.

Voici que nous écrivions en 2001 :

« Avec la victoire de Lionel Jospin et du PS aux élections de 1997, le PS donne le “ la ” dans la partition que joue la gauche plurielle au gouvernement. Rouge-Rose-Verte dans la forme, la majorité a trouvé sa cohérence dans le reniement d’engagements limités et ciblés lors des élections législatives. Les différences d’appréciation, exprimées ici ou là, ne parviennent même plus à sauver les apparences.

  • la gauche devait stopper les privatisations : jamais un gouvernement n’a autant privatisé !

  • la gauche voulait taxer le capital financier : les flux de capitaux, notamment les fonds de pension anglo-saxons, n’ont jamais eu autant de liberté.

  • la gauche s’était engagée à abroger les lois Pasqua-Debré : elle les maintient en l’état et y rajoute la note personnelle des lois Chevènement.

  • la gauche disait refuser le traité d’Amsterdam “ en l’état ” : elle le ratifie sans condition et ni discussion.

La liste n’est pas exhaustive. Plus que tous les discours alambiqués, distillés par les spécialistes de la langue de bois, elle dit en quoi consiste le cours nouveau pris par la gauche dans son ensemble sous la direction éclairée du Parti Socialiste. En deux décennies, c’est une transformation radicale du socialisme qui s’est produite. Les historiens s’interrogeront sur les raisons et les moments cruciaux de cette transformation. Les spécialistes de science politique se demanderont si cette transformation n’était pas déjà inscrite dans le “ code génétique ” du socialisme. Mais quoi qu’il en soit, on ne peut s’empêcher de penser que Lionel Jospin et ses compères européens viennent de signer l’acte de décès du socialisme tel qu’il avait été conçu dès les premières décennies du XIXe siècle. » (Denis Collin et Jacques Cotta, L’illusion plurielle, JC Lattès)

L’appréciation que nous portons sur le PS et la gauche ne date donc pas d’hier matin. On a du mal à comprendre que l’expérience n’ait rien appris à des gens comme Gérard Filoche dont on ne peut soupçonner la sincérité et l’honnêteté. D’autant que tout ce que nous analysions en 2001 n’a fait de prendre des dimensions qui normalement devraient être visibles de tous ceux qui ont des yeux pour voir et des oreilles pour entendre. Le mensonge est bien déconcertant : il ne porte pas sur ce qui est caché mais sur ce que tout le monde sait. Il est non seulement le fait de la caste dirigeante qui ment pour garder le pouvoir et ses menus avantages, mais aussi des élus qui espèrent encore être élus sous cette étiquette mensongère et enfin des quelques rares militants honnêtes qui l’acceptent parce qu’il évite les remises les plus radicales qui pourtant s’imposent.

Dire la vérité, quelque amère qu’elle soit. Voilà la première et la plus urgente des tâches, la plus subversive qui soit aussi, parce qu’il s’agit de démasquer impitoyablement les fripons qui ont exploité sans vergogne les espoirs et la fidélité du peuple. C’est seulement ainsi que l’on pourra reprendre les choses à la racines et espérer sortir de ce marais fétide qu’est devenue la vie politique dans notre république.

 

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Commentaires

longue durée et lucidité par Laurent Loty le Mercredi 22/04/2015 à 16:28

 Cher Denis Collin, merci pour cette analyse et ces rappels historiques. Ceux qui sont supris aujourd'hui du cynisme du PS doivent effectivement passer à une interprétation rétrospective. Le PS de Mitterand mentait déjà beaucoup. Espérons que Filoche et d'autres sauront au plus vite abandonner leur foi aveugle, lucidité qui est la condition de l'action.

 


Comment s'en sortir ? par regis le Jeudi 23/04/2015 à 01:36

« Dire la vérité, quelque amère qu’elle soit. ». Bien évidement mais « Le mensonge est bien déconcertant : il ne porte pas sur ce qui est caché mais sur ce que tout le monde sait. » et c’est aussi vrai.
La quadrature du cercle ?


Appareil PS par Jean-François Michel Dumont le Jeudi 23/04/2015 à 22:07

 

Il faudrait compléter et Denis Collin, ex-porte plume de Pierre Lambert, le sait fort bien. Alors pourquoi consentir à ne pas dire que l'appareil central du PS d'Épinay se construit, pas à pas, autour de Lionel Jospin-Michel, obligeamment prêté (jusqu'en 1987 !) par Lambert à Mitterrand via Blondel ?

Pourquoi le lambertiste Jospin ? Parce que c'est le seul qui ne plonge pas sous la table quand Georges Marchais tape du poing dessus (dixit Mitterrand), mais rappelle calmement que lui, Jospin, premier secrétaire du PS, sort de son travail de professeur d'Université, et demande tranquillement : "Et vous Monsieur Marchais, d'où sortez-vous ?"

Cet appareil mitterrandien, à la première difficulté avec les rocardiens ou le CERES, appelle le 87 rue du Faubourg Saint-Denis (siège central lambertiste), pour demander que l'on envoie force militants lambertistes déguisés en militants socialistes pour renforcer telle ou telle section en perdition pour la majorité mitterrandiste.

Et les "bonnes habitudes" durent longtemps. Quand je débarque à Paris en 1989, militant d'ex-Convergence(s) Socialiste(s), scission majoritaire de la Fédérale étudiante lambertiste, Jean-Marie Le Guen, premier fédéral PS Paris, me reçoit immédiatement et m'envoie torpiller la majorité CERES de Max Gallo dans la section PS Paris XIVe Pernety.

Mission réussie en 1991 lorsque la section éclate, puisque les Cérésiens quittent le PS, opposés à la Guerre du Golfe.

Je fais de même, mais pas dans leur MDC.


JFMD






Re: Appareil PS par la-sociale le Vendredi 24/04/2015 à 08:45

En effet, l'appareil (le micro-appareil) lambertiste joue sa partie dans cette affaire. JFMD oublie que l'OCI s'était violemment opposée à la main-mise de Mitterrand sur le PS. Les lambertistes en 1971/1972 soutenaient Poperen et les tenants de la vieille SFIO. Lors d'un meeting de commémoration de la Commune en 1971, Mitterrand fut accueilli aux cris de "Mitterrand Versaillais!" par les lambertistes qui remplissaient la salle. Le tournant a lieu en 1973-1974 avant la campagne de 1974 pour le vote Mitterrand dès le premier tour. Quand le PCF organise la rupture de l'Union de la Gauche, l'OCI va maneouvrer pour soutenir des listes PS contre les listes PCF aux muncipales. Toute cette histoire peut être racontée et je sais parfaitement comment et dans quelles conditions certaines fédérations du PS échappent aux rocardiens avant le congrès de Metz (je pense, à tout hasard, à la fédération de l'Essonne où un certain Mélenchon, honorable correspondant de l'OCI, joue une rôle important). On pourrait aussi évoquer le rôle des lambertistes aux côtés de Soares au Portugal entre 1974 et 1976.
Mais fondamentalement dans cette affaire les lambertistes n'ont été que des supplétifs: alors même que Lambert pensait tirer les ficelles, c'était lui la marionnette. Voilà pourquoi je n'ai pas parlé de tout cela dans le cadre assez bref de mon article.
Denis Collin


Lien croisé par Anonyme le Dimanche 25/09/2016 à 21:29

Le journal de BORIS VICTOR : "Le mensonge comme idéologie politique - 22/04/15"



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