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Souveraineté nationale, Europe et paix

Par Denis Collin • Débat • Samedi 16/01/2010 • 8 commentaires  • Lu 4181 fois • Version imprimable


Voilà plus de deux décennies, quand Bérégovoy a mis en place le « grand marché » européen et la déréglementation financière, que j’ai perdu mes dernières illusions dans la possibilité d’utiliser la construction européenne à d’autres fins que ce pour quoi elle était construite. « L’Europe sociale », voire « les états unis socialistes d’Europe », ce n’était que des chimères. Ce qui m’a conduit évidemment à voter contre le traité de Maastricht et, ensuite, à suivre Jean-Pierre Chevènement dans l’aventure du MDC, laquelle s’est terminée lamentablement en 2002, en raison d’erreurs stratégiques dont le principal intéressé n’a jamais tiré de leçons sérieuses, en dépit de ses aptitudes à la réflexion nettement au-dessus de la moyenne d’une classe politique généralement incapable de raisonner autrement qu’en représentants de commerce de leurs marques respectives – on n’a pas assez remarqué que les énarques ont perdu la main et que désormais les commerciaux et les avocats d’affaires tiennent les leviers de commande et forment l’ossature des nouvelles élites.

 

On connaît l’hostilité du peuple, dans sa grande majorité, à la politique qui se mène sous l’étiquette « commission européenne ». D’où le rejet massif du prétendu « traité constitutionnel européen », une coproduction signée Giscard d’Estaing avec dans les rôles-titres les éminences socialistes et cléricales de toute l’Europe. Mais force est de reconnaître que la coalition des « non » de 2005 n’a jamais pu se transformer en force politique. Il est vrai qu’une coalition des « non » ne peut pas être une force positive, puisque ses membres ne s’accordent que sur ce qu’ils refusent, c’est-à-dire sur rien ! À l’intérieur de cette coalition, en effet, on trouve une large fraction de fédéralistes européens (de Fabius à Mélenchon et Besancenot) qui ne refusaient le TCE que parce qu’il n’était pas assez européen et pas assez « social », d’où la concentration du tir sur la troisième partie de ce traité alors même que les deux autres parties imposaient des principes politiques autrement contestables mais que les européistes « nonistes » se sont refusé à analyser (voir « Il n’y a pas de la troisième partie »). Ces européistes « nonistes » étaient surtout composés de socialistes, d’une partie des communistes (Francis Wurz) et des diverses variétés de gauchistes (LCR, LO, alternatifs de tous poils). À côté de ce premier groupe, on trouvait des républicains « de gauche », c’est-à-dire hostile au TCE parce qu’il niait la définition de la république comme démocratique, laïque et sociale: le TCE limitait l’exercice de la souveraineté populaire, imposait la reconnaissance des autorités religieuses et mettait en pièces le droit social des États au nom de la concurrence libre et non faussée. Dans ce camp des républicains démocrates, laïques et sociaux, on trouvait le PT et pour une large partie le MRC de Chevènement ainsi que quelques petits groupes socialistes assez isolés dans leur parti. Le dernier bloc des « nonistes » était formé des « souverainistes » nationalistes, qu’il regrettassent les grandes chimères gaullistes et ses rêves de grandeur nationale (les séguinistes « nonistes » par exemple), ou que leur opposition souverainiste fût motivée par l’idéologie de la France chrétienne et éternelle depuis les Clovis et les Capétiens (Paul-Marie Couteaux, par exemple), le tout mélangé d’une bonne dose de xénophobie (De Villiers, Le Pen).

On voit bien que la transformation de la victoire du « non » de 2005 en alternative politique était parfaitement chimérique. Même une fédération des « non de gauche » (socialistes fabiusiens, « emmanuelliste » ou « mélenchoniens », communistes, LCR, MRC, « antilibéraux » et POI) ne pouvait être qu’un attelage bigarré impossible à constituer. Ce que l’on a bien vu lors de l’élection présidentielle de 2007.

Laissons les rêveurs d’une « Europe sociale » à leurs rêveries et les fédéralistes européens à leur impossible fédération. Essayons de comprendre pourquoi les républicanistes défenseurs de la souveraineté de la nation ne dépassent pas le stade de petites minorités, régulièrement éjectée de la scène lors des consultations majeures. J’y vois plusieurs raisons :

  1. Notre position (parce que je me situe bien évidemment de ce côté-là) apparaît comme purement réactionnelle. Aussi légitime qu’elle puisse être, elle semble consister seulement à dire « non », à faire demi-tour et revenir à une souveraineté nationale qui n’a jamais existé ou qui avait pour corollaire (un peu oublié…) l’existence de la France comme puissance impérialiste et coloniale. Je sais bien que ni les camarades du POI, ni ceux de , ni les « républicains citoyens » n’ont de nostalgie pour cette France-là. Mais pour ceux qui nous lisent et nous écoutent, les choses sont certainement moins claires.

  2. La sortie pure et simple de l’UE (que je n’ai jamais défendue, en ce qui me concerne) paraît aussi impossible que dangereuse. On peut la proclamer quand on se réunit en petit cercle où les discours n’ont que peu de portée. Mais imaginer la sortie de l’euro, le rétablissement des frontières, notamment douanières, la dévaluation massive du franc rétabli, c’est se préparer à des difficultés importantes pour une industrie française largement intégrée au niveau européen et mondial et, qu’on le veuille ou non, une baisse sévère du pouvoir d’achat dans un pays où l’industrie nationale ne pourrait pas du jour au lendemain prendre la relève des industries étrangères ou basées à l’étranger. Ce n’est pas un scénario-catastrophe, mais le minimum que doivent envisager les partisans de la sortie de l’UE. Il faut être prêt à ne promettre au pays que « du sang et des larmes », car n’en doutons pas la facture serait d’abord payée par les couches populaires. Et évidemment un gouvernement se prétendant représentant du peuple serait vite confronté à une crise sociale sérieuse.

  3. Les jeunes générations, bien qu’elles soient autant sinon plus méfiantes vis-à-vis de la construction européenne que les plus anciens, ne perçoivent pas du tout les questions selon les mêmes termes que le républicanisme traditionnel. La seconde guerre est maintenant lointaine et avec elle le souvenir de la résistance. Comme se sont éloignés les combats anticolonialistes et pour l’indépendance nationale des pays colonisés (Algérie, Vietnam). L’anti-européisme dans la jeunesse n’est qu’une partie de l’hostilité générale aux politiciens et à la classe politique. Mais en même temps, les plus jeunes voyagent beaucoup plus – et pas seulement dans les classes aisées – et ressentent souvent beaucoup moins nettement l’attachement national. Il suffit de fréquenter un peu les jeunes gens entre la terminale et la fac pour comprendre que leurs références sur ce plan sont à mille lieues des nôtres. Et cependant ils ne sont souvent pas plus satisfaits de l’ordre existant que nous...

Il est nécessaire, pour bien comprendre tout cela d’aller au fond des choses, à leur racine. Et la racine, c’est que le concept de souveraineté est problématique. Il en existe au moins deux versions qui sont pratiquement antinomiques. La version hobbesienne, largement reprise par Hegel (même s’il y a chez Hegel une inconséquence notoire relativement à sa philosophie de l’histoire vue globalement) et ensuite par les théoriciens italiens du fascisme comme Gentile, pose comme corollaire de la souveraineté nationale l’état de guerre entre les nations – aucune nation ne peut véritablement être tenue par un traité. La souveraineté nationale s’identifie à la politique de puissance. L’autre version, celle que l'on trouve chez Rousseau et Kant et que je reprends à mon compte (voir Revive la république, Armand Colin, 2005) ne pose la question de la souveraineté que comme celle du peuple législateur mais elle s’inscrit nécessairement dans le cadre de la recherche de la « paix perpétuelle » pour reprendre une formule sur laquelle Rousseau et Kant ont réfléchi sérieusement. Cette conception de la souveraineté suppose le respect de la souveraineté des autres peuples, le refus de toute politique coloniale et la recherche d’accord de paix et de coopération stable en vue de former une « société des nations » (Kant) dans laquelle chaque nation sera à l’échelle de cet ordre cosmopolitique comme comptant pour un citoyen. Mais une telle « société des nations » ne peut être un « super-État » et par conséquent les décisions communes supposent un consensus et doivent donc se limiter à ce qui peut être l’objet d’un consensus entre nations ayant des traditions, des organisations politiques, des systèmes économiques différents.

À une Union Européenne technobureaucratique et entièrement au service des objectifs de formatage des nations selon les critères de la gestion capitaliste, nous devons opposer une confédération des nations d’Europe unies sur quelques principes simples :

  1. Une politique étrangère convergente, plutôt qu’unique, basée sur la recherche la paix, la sortie de l’OTAN, la coopération avec les pays pauvres et l’engagement pour une paix perpétuelle en Europe.

  2. Une coopération économique fondée sur une union douanière, c’est-à-dire la liberté de circulation des marchandises à l’intérieur de la confédération et des barrières douanières négociables avec les divers pays du monde aux frontières de la confédération.

  3. La reconnaissance de droits « cosmopolitiques » pour tous les citoyens de la confédération : liberté de circulation et d’établissement et l’existence d’un cours supranationale compétente pour juger de la protection des libertés individuelles et politiques.

Tout cela pourrait être détaillé et peut-être même faire d’objet d’un projet complet. Mais sans une telle perspective qui combine les justes revendications à la souveraineté nationale et les bonnes raisons d’être « européen », les défenseurs républicains de la souveraineté de la nation resteront confinés au rôle de Cassandre de l’Europe, impuissants à agir sur la situation politique.


 

Denis Collin – le 15 janvier 2010.

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Commentaires

par gilles le Lundi 18/01/2010 à 10:26

Je reconnais la pertinence de vos arguments, cela va être dur de sortir de l'UE, mais y rester sera de plus en plus néfaste pour nos libertés et pour les rares conquêtes sociales qui nous restent.  Si il faut expliquer que nous devons passer par une période difficile, une « période spéciale », comme a été dit à Cuba, pour reconquérir notre liberté, nous devons le faire. La situation n'est bien sûr pas tout à fait la même, mais regardez, on promettait la ruine de l'Inde à Ghandi si il sortait de l'Empire britannique. Il y a eu des moments très difficiles, mais aujourd'hui regardez le résultat.


par gilles le Lundi 18/01/2010 à 15:55

Une entretien passionnant de Jacques Sapir sur l'économie, la crise économique actuelle, la politique de l'UE, l'euro, la BCE, le protectionnisme, les délocalisations …

http://jaidulouperunepisode.org/SON/023_Jacques_Sapir_crise_et_ch%F4mage_1sur3.mp3


par gilles le Lundi 18/01/2010 à 22:02

Certaines forces politiques nous disaient : « Une autre Europe est possible ! », dans l'absolu, oui, mais avec les traités qui fixent simultanément la nature institutionnelle de cette construction et aussi beaucoup d'aspects qui devraient faire l'objet d'un choix comme la politique de défense qui est obligatoirement liée à celle des USA par le biais de l'OTAN, comme celle du commerce, celle de l'équilibre des rapports entre salariés et dirigeants d'entreprise et actionnaires, et tant d'autres dans le détail, dans les faits cette « Autre Europe possible » n'est pas possible. J'espère que peu à peu ils prennent conscience de cette impossibilité pratique. Sans compter que ce slogan ne venait faire un tour sous nos yeux en tant qu'affiche électorale qu'aux moments des élections au parlement du machin européen et qu'aucune force politique ne mobilisait à temps complet sur cette « Autre Europe possible » parce qu'en fait toutes les forces politiques savaient bien que cela n'était pas possible.


Quel est le but recherché qui me semble pertinent ?

Le but recherché avec la sortie de la France ( et d'autres pays, il n'y a pas de raisons d'être égoïste ) de l'Union Européenne par le biais des négociations prévues par l'article 49 A, n'est pas très compliqué, il s'agit de retrouver des marges de manœuvres pour appliquer les politiques qui conviendrait mieux. Il ne s'agit pas de revenir de manière brusque et non-concertée à une politique protectionniste ou d'isolement. Les dirigeants français et ceux des autres pays, Espagne, Allemagne, Italie, Grande Bretagne, Irlande, Tchéquie, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Finlande, Slovénie, Slovaquie, Autriche, Suède, Roumanie, Pologne, Grèce, Danemark, Bulgarie, Hongrie, Portugal,Lituanie, Lettonie, Malte, Chypre, Estonie, qui quitteraient l'UE garderaient les espaces de concertation entre dirigeants comme le Conseil de l'Europe, l'OCDE, l'ONU, l'espace de Schengen et tous les nombreux autres que je ne cite pas ici qui resteront pertinents. Cette sortie sera négociée, je le répète et des coopérations entre pays européens, sans centre de décision unique, sur des sujets divers me semblent très souhaitables.


Pourquoi me semble-t-il pertinent qu'il faille sortir de l'UE pour retrouver des marges de manœuvre ?

Parce que premièrement les traités définissent de manière trop détaillée, centralisée et de manière rigide les politiques à suivre, deuxièmement, depuis le début, la construction européenne est pilotée en sous-main par les États-Unis et n'est pas capable de la moindre autonomie, troisièmement, cet espace est trop grand pour mener une politique économique et budgétaire optimale pour tous les pays, par exemple, il y a des pays où la politique appropriée serait de dévaluer la monnaie, dans d'autres il faudrait lutter en priorité contre l'inflation et dans d'autres relancer l'activité, avec une zone unique, une seule politique est imposée qui ne convient bien à personne, quatrièmement, les souhaits des populations sont ignorés et méprisés par ce système, nous l'avons lors des référendums et des ratifications abusives de traités.


Pourquoi à mon avis se concentrer sur sortir de l'UE ou concourir à son abolition est prioritaire à se concentrer sur changer la politique en France ( ou celle d'un autre pays de l'UE ) ?

Parce que La France ou les pays suivants : Espagne, Allemagne, Italie, Grande Bretagne, Irlande, Tchéquie, Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Finlande, Slovénie, Slovaquie, Autriche, Suède, Roumanie, Pologne, Grèce, Danemark, Bulgarie, Hongrie, Portugal,Lituanie, Lettonie, Malte, Chypre, Estonie, ont de moins en moins de libertés et de substance propre par le fait des transpositions de directives dans leurs législations nationales à l'initiative d'un organe non-élu, la Commission européenne. Changer la politique en France ou dans les pays pré-cités avec le carcan UE est de moins en moins possible. Sortons d'abord du carcan et ensuite seulement nous pourrons de manière efficace changer la politique sans être enserré dans des règles qui ne conviennent ni à nos partenaires, ni à nous-mêmes.
 


Re: par la-sociale le Samedi 27/02/2010 à 22:50

Je ne crois pas raisonnable de proposer comme objectif politique la sortie de l'UE. A supposer, en effet; que cette sortie soit adoptée par la France, elle pourrait coûter assez cher et le pays qui se serait présenté comme l'organisateur du chaos ne serait pas dans la meilleure position pour exiger de nouveaux accords avec ses anciens partenaires. Pour être compris, je crois que la bonne méthode consiste à proposer une réforme institutionnelle, une réforme qui préserverait le principe d'une union et qui ne toucherait sans doute pas tous les aspects du fonctionnement. Tony Andréani avait exposé le programme un peu détaillé d'une telle réforme. Supposons qu'une telle politique réformiste devienne majoritaire dans notre pays. Le gouvernement français serait alors fondé à demander la renégociation d'une partie des traités. Dans l'impossibilité d'une telle rénégociation, alors le gouvernement serait fondé à prendre des mesures de protection nationale, y compris avec des retraits partiels de l'UE.


par Anonyme le Jeudi 21/01/2010 à 21:39

M. Collin, je vous cite : « Tout cela, le projet de Confédération des Nations d'Europe, pourrait être détaillé et peut-être même faire l'objet d’un projet complet. » M. Collin, s'il vous plaît, juste deux questions :


« En quoi votre projet de Confédération des Nations d'Europe est-t-il compatible avec la phrase phare inscrite au tout début de tous les traités : ‘‘ Une Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. ’’ »? 


« Comment envisagez-vous le passage de l'Union Européenne actuelle vers la Confédération des Nations d'Europe ? »



Pour mémoire, mais nous pouvons retrouver un formulation équivalente depuis le traité de Rome :

Traité de Maëstricht
Titre premier
Dispositions communes
Article A
Par le présent traité, les Hautes Parties contractantes instituent entre Elles une Union européenne, ci-après dénommée « Union ».

Le présent traité marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe, dans laquelle les décisions sont prises le plus près possible des citoyens.

L'Union est fondée sur les Communautés européennes complétées par les politiques et formes de coopération instaurées par le présent traité. Elle a pour mission d'organiser de façon cohérente et solidaire les relations entre les États membres et entre leurs peuples.






 


Re: par la-sociale le Samedi 27/02/2010 à 22:38

Je ne veux pas faire de cuisine dans les marmites du futur. Mais un traité peut toujours être renégocié. L'évolution actuelle de l'UE, le développement des tensions internes - la situation en Grèce est de ce point de vue révélatrice - pourrait précipiter les événements et c'est à une échéance peut-être assez courte que ces questions vont être reposées, non dans quelque cénacle ou quelque bulletin confidentielle, mais devant l'opinion publique et les peuples européens.


Quand la banque centrale européenne prépare l'expulsion d'un pays de l'eurozone par gilles le Vendredi 22/01/2010 à 13:29

Quand la banque centrale européenne prépare l'expulsion d'un pays de l'eurozone

La Banque Centrale Européenne publie sur son site un avis juridique consacré à la question de l'expulsion ou du retrait d'un pays membre de l'Union européenne et de la zone euro. Très délicatement, cette note est signée Phoebus Attanassiou, vraisemblablement grec (ou chypriote ?).


Symbole d'un fichier pdf [url=http://files.getwebb.org/index.php?mode=view&id=cre66fjj]Télécharger la note - ecblwp10.pdf - 1.5 Mio[/url], intitulée "Withdrawal and expulsion from the EU and EMU: some reflections" (note à M. Raffarin : tout le site de la BCE est en anglais).


Peu importe. Il s'agit dans cette note (que je n'ai parcourue qu'en diagonale, elle fait 50 pages denses), d'étudier ce qui se passe en cas de sortie de l'eurozone par un pays membre.


Quelques idées relevées dans ce papier :


1. Très clairement, d'après M. Attanassiou, donc d'après la BCE, un retrait de l'Union européenne avant le Traité de Lisbonne était impossible. L'Union européenne est un état, de facto, dont les régions que sont l'Allemagne, l'Italie, la France et autres survivances folkloriques ont perdu assez vite le droit de se retirer (the lack, until recently, of a formal exit clause in Community primary law must have been intentional, testifying to the Member States’ lasting commitment to the EU’s objectives and to the irreversibility of the European unification process, which is irreconcilable with a unilateral right of withdrawal).


Il ne s'agit pas d'une simple position de juriste international considérant qu'un état ne peut se dédire d'un traité. L'auteur assimile l'Union européenne à un état en devenir et démarque bien cette institution liberticide d'un simple traité (it would be to disregard the sui generis constitutional nature of the Community legal order and the ECJ’s well-established interpretation of the treaties as being permanently binding on the Member States.)

L'auteur renvoie ceux qui prétendraient que les états membres de l'union européenne ont conservé leur souveraineté à leur ringardise : "it would be to subscribe to an extreme and largely obsolete concept of sovereignty".

Comme le Traité de Lisbonne prévoit une clause de retrait explicite - assimilée à une énorme faute de goût par M. Attanassiou (a recently enacted exit clause is, prima facie, not in harmony with the rationale of the European unification project and is otherwise problematic, mainly from a legal perspective), il faut se féliciter du passage en force du Traité de Lisbonne.


2. on trouve confirmation du fait qu'entre européens on ne mache pas ses mots. Alors que les européens nous rebattent les oreilles de la faiblesse de la pauvre Union européenne (on nous a refait le coup récemment avec Copenhague), notre juriste note que l'Union voit sans cesse s'accroître ses pouvoirs souverains, à mesure que les états en sont dépouillés (The Union’s slow but continuing progress towards a more advanced level of integration, involving closer political and economic ties between its Member States and the transfer of an ever-increasing share of their essential sovereignty to the supranational European institutions).


3. Pour la BCE, la sortie d'un membre de l'eurozone est une possibilité non nulle (however remote,  the risk of a non-compliant Member State being expelled from the EU or EMU is still conceivable).


4. Un état qui sortirait de la zone euro actuellement devrait également quitter l'Union européenne. Mais l'auteur ajoute qu'un état qui quitterait l'Union européenne pourrait continuer à utiliser l'euro.


5. Une province d'un état-membre qui déclarerait son indépendance n'aurait pas de droit automatique à une place dans l'Union européenne (the assumption that the EU would treat both the rump Member State and the seceding entity as Member States would not hold true, as the rump Member State could veto the accession of the seceding entity under Article 49 TEU [...]. Moreover, it cannot be in the EU’s interest to have an ever increasing number of veto-wielding members, as this would make its business more difficult to manage).


6. Question soulevée par Attanassiou : si, grâce au Traité de Lisbonne, les états disposent indéniablement d'un droit unilatéral de sortie de l'Union, ont-ils pour autant le droit de sortir de l'euro ? L'auteur conclut que ce n'est pas très clair en l'état du traité. Les états ayant le droit de sortir de l'Union doivent a fortiori avoir le droit de sortir de l'euro, mais autant la sortie de l'Union est organisée par les textes, autant il y a silence sur la sortie de l'euro - puisqu'au contraire l'entrée dans l'euro est explicitement désignée comme "irrévocable". L'auteur en conclut qu'il faudrait amender le traité de Lisbonne (good luck my dear fellow !)

 Il rappelle aussi que la politique peut faire des miracles : le Groenland a quitté l'Union européenne en 1982-1984, dans le silence des textes et contre l'interprétation des traités que défend l'auteur.


7. Non content de constater que la sortie unilatérale de l'euro sans quitter l'Union pose un cas juridique complexe, l'auteur se demande si, puisque les états peuvent sortir de l'Union, l'Union ne pourrait pas, réciproquement, en mettre quelques-uns dehors ? La question se pose d'ailleurs aussi bien pour l'Union que pour l'euro d'après lui. Pour mettre un état en dehors de l'Union, la question est complexe et juridiquement difficile. Mais son propos n'est pas l'Union en général, le représentant de la BCE s'intéresse plus particulièrement à une question : peut-on sortir un état de la zone euro ? L'auteur ne répond pas sur ce point, qu'il trouve juridiquement très peu justifiable, mais s'attarde longuement sur un fait : il serait possible que les états membres de l'Union ayant évacué un pays membre, concède à celui-ci la possibilité d'utiliser l'euro comme monnaie domestique (euroisation concédée). L'auteur cite San Marin, le Vatican et monaco comme exemples.


Que conclure de ce papier ?


1. Il est brillant et fort intéressant. Nul doute que l'auteur a traité le problème à tous les niveaux, depuis les principes du droit public jusqu'aux détails techniques.


2. On peut le lire comme un avertissement à la Grèce : la BCE et l'Union européenne se préparent à votre départ. Ce qui est envisagé c'est de vous mettre à la porte de l'euro et de l'Union (c'est indissociable pour l'auteur) et de vous laisser utiliser l'euro sans participer à sa gestion (comme cela l'Union ne sera pas accusée d'ingratitude).


3. On notera avec beaucoup d'intérêt que dans le secret des notes obscures et techniques publiées en anglais, les juristes du système européen se lâchent : bien sûr que l'Union européenne est un état, bien sûr qu'elle grignote les pouvoirs souverains les uns après les autres et bien évidemment il est inconcevable que ce système soit défait - même si une clause de sortie de l'Union chagrine beaucoup les doctes et trouble l'harmonieuse marche en avant sans issue de secours que dessinaient jusque là les traités.


4. Le mieux : il est de moins en moins irréaliste d'évoquer, de demander et de préparer la sortie de la France de l'Union européenne. Puisque déjà, officiellement, la Banque Centrale Européenne s'y prépare.

Je remercie Edgar pour son article sur son blog de réflexion sur la sortie de l'UE.


http://www.lalettrevolee.net/article-quand-la-banque-centrale-europeenne-prepare-l-expulsion-d-un-pays-de-l-eurozone-43321876.html


par gilles le Vendredi 19/03/2010 à 22:52

Manifestations du 5 mars 2010 en Grèce contre le plan d'austérité de l'UE. 
Manifestations en Grèce le 5 mars contre le plan d'austérité de l'UE

Extrait d'un article de Jacques Sapir :
 « La question de l’internationalisme de l’extrême gauche me semble relever du faux problème. L’internationalisme consiste à reconnaître que, par delà les frontières, nous partageons avec « l’autre » les mêmes problèmes. Ce constat est vrai et j’y suis très attaché. Mais dire que l’on partage les mêmes problèmes ne signifie pas que l’on peut élaborer ensemble des solutions nécessairement communes. Les cadres politiques, les institutions, sont des créations de l’histoire et elles spécifient les espaces nationaux comme des espaces politiques particuliers. Ce sont dans ces espaces politiques particuliers qu’il nous faut trouver des solutions.

Guizot, qui fut un grand historien au début du XIXème siècle (et par ailleurs Ministre de Louis-Philippe) écrivait que la « lutte des classes » était la source des institutions de l’Europe. On connaît la formule, elle fut reprise par Marx. Mais, ce que Guizot ajoutait, c’est que cette lutte des classes avait besoin d’espaces de souveraineté. Le passage de la ville à l’État-Nation a permis ainsi d’ouvrir des espaces plus considérables à ce processus, et nous en avons tous bénéficié. John Commons, l’un des pères du courant institutionnaliste américain, souligne lui aussi ce que les institutions doivent à ce qu’il appelle la « conflictualité sociale » soit la lutte des classes. Il souligne que le processus d’extension des institutions, qui le fait passer du niveau local au niveau national est un processus indispensable.

Alors, pourquoi ne peut-on avoir un processus identique au niveau européen et au niveau mondial ? Et bien, et tout simplement, parce que ce mouvement d’extension des institutions du local au national a été dans le même temps le processus de constitution historique des États, qui leur a donné leur singularité propre. Et c’est pourquoi, aujourd’hui, le projet fédéraliste bute sur cette singularité. Il ne peut que la nier, mais ce faisant, et nous avons assez d’exemples à ce sujet, il nie la démocratie. Le fédéralisme aujourd’hui, en Europe, ne peut être qu’un projet anti-démocratique. »



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