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De la modernité sociétale dans la pensée libérale (1)

Par Pierre Delvaux • Actualités • Samedi 07/03/2009 • 0 commentaires  • Lu 2289 fois • Version imprimable


Ainsi, à la faveur du débat parlementaire sur les droits des beaux-parents, Nicolas Sarkozy compte légaliser l’homoparentalité, épaulé par sa fidèle et distinguée secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano. Cela en offrant la possibilité pour les deux parents d’autoriser en commun un tiers à effectuer des actes importants de l’autorité parentale. Pour reprendre une dépêche AFP (03/03/09), « si le texte lui-même ne fait pas référence expressément aux couples homoparentaux, il les prend en compte de fait. Mais une petite phrase introduite dans la dernière mouture de l’exposé des motifs, à la demande des associations de défense des homosexuels, précise sans ambiguité que des droits nouveaux sont accordés aux couples de même sexe ». Et, toujours d’après l’AFP, le porte-parole de l’association Inter-LGBT de se féliciter « que les termes « père »et « mère » de la première mouture aient été remplacés par le terme « parent ».

Rares furent les voix à s’élever contre cette révolution étatique dans la cellule familiale traditionnellle. Et, christine Boutin, la ministre comptable des voix catholiques auprès de Nicolas Sarkozy, s’en étant ému, elle s’entendit sèchement répliquer par Nadine Morano qu’elle avait « une posture passéiste et idéologique ». Il faut dire que le Président de la République se serait personnellement agacé que des voix de sa majorité osent aller à l’encontre d’une de ses promesses de campagne. Si l’on en croit Fabrice Drouel, dans son édition matinale de France Inter, contester l’homoparentalité serait pour Nicolas Sarkozy d’une insupportable ringardise, un défaut de modernité qu’il ne saurait tolérer dans sa majorité. Qu’il se rassure, le chef de celle-ci à l’Assemblée Nationale, le toujours courageux Jean-François Copé déclara au premier jour du débat qu’il n’avait pas d’avis sur la question, ajoutant : « j’ai maintenant parmi mes amis des gens qui sont homosexuels avec la question des enfants, de l’homoparentalité… »

J’AI MAINTENANT DES AMIS QUI... C’est sans doute au nom de cette puissante argumentation, que la majorité des courtisans du monarque éclairé vont voter un bouleversement majeur de la société française. Appliquant comme des ânes en attente d’une carotte les catastrophiques réformes de « rupture » de leur « président-acteur », les députés de la majorité, sans doute épaulés par la plupart de ceux de gauche, vont porter un coup majeur à la cohésion sociale du pays, cela au nom de la dite modernité véhiculée depuis des années par Canal+, TF1 et Libération, cœur du programme « de rupture » de Nicolas Sarkozy. Bien entendu, cette nouvelle réforme vise aussi à s’assurer les voix du puissant lobby gay qui a su imposer son poids électoral depuis d’aussi nombreuses années. Mais cela est anecdotique.

La question de fond de cette affaire réside dans la conjonction historique entre la sincère vulgarité de Nicolas Sarkozy et le développement du chaos que le capitalisme propage dans la société pour se perpétuer. Pour schématiser, j’avancerai que le chaos capitaliste se développe sous deux aspects en interaction : d’une part, le chaos social découlant directement du système d’exploitation dans le processus de production (sphère du travail) et, d’autre part , le chaos sociologique que ce même système provoque dans la société en éradiquant tout ce qui lui fait obstacle (sphère de la vie privée et publique). Ce processus fût identifié par et analysé à sa suite par d’autres. Son état actuel est dans la continuation des attaques successives portées par le capitalisme aux différentes formes d’organisation sociale de la société française. Les débuts du capitalisme mirent à bas la société féodale dans laquelle il ne pouvait s’épanouir. Aujourd’hui, le capitalisme mondialisé achève de détruire la société moderne organisée entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.

Cette société française de l’ère moderne s’équilibrait autour d’un certain nombre de valeurs dans lesquelles se reconnaissaient peu ou prou la bourgeoisie et la classe laborieuse. L’une de celles-ci étant la cellule familiale traditionnelle dont le triptyque père-mère-enfant ne se limite pas aux sociétés généralement qualifiées « d’occidentales ». Chacun peut avoir son sentiment sur cette organisation sociale mais nous en sommes tous issus. N’est-ce-pas la base fondatrice de la société dans laquelle nous vivons (encore…) ? Mais voilà, il semblerait, d’après la rumeur, que nous soyons arrivés au point de l’Histoire où cette base devrait voler en éclat. Est-ce vraiment inéluctable et y sommes nous prêts ? Tout le problème est là. Les sociétés humaines ne sont pas des PME dont on change la structure en fonction des fluctuations du marché. Dans le cas qui nous intéresse, n’est-il pas sidérant de voir avec quelle facilité, quelle indifférence, les représentants du peuple s’apprêtent à détruire la structure de base de notre société ? Des milliers d’années de vie sociale, familiale jetés aux poubelles de l’Histoire pour se conformer à l’élection hasardeuse d’un aventurier politique revendiquant l’ignorance (rappelons qu’il s’offusqua que l’on interroge aux concours les candidats-fonctionnaires sur « La princesse de Clèves »).

Au-delà des individualités politiques, il en va de la société toute entière et des fragiles équilibres qui la conditionnent. Et ceux-ci ne se décident pas par décret (de fait ou consenti). Ils reposent sur d’immémoriales pratiques sociales. Bien entendu, l’argument de la tradition n’est pas une réponse en soi. A lui seul, il concentre toutes les formes de la Réaction. Pour autant, le changement pour le changement, la rupture pour la rupture est tout aussi inepte et dangereux. Nous sommes actuellement dans une telle séquence où une sentence de bistrot vaut vérité historique de par la grâce des media qui savent pour qui ils parlent.

Bien sûr, le capitalisme n’est pas une entité consciente ayant des avis sur nos modes de vie. C’est un système économique qui évolue empiriquement au gré des sources de profit potentielles. Et, dans la mesure où il agit dans la société humaine, son évolution dépend aussi de choix humains individuels, à commencer par ceux des décideurs financiers et, dans un deuxième temps, ceux des décideurs politiques. Dans le cas présent, la structure familiale traditionnelle s’oppose aujourd’hui au dégagement de nouveaux profits. L’entité père-mère-enfant est devenue obsolète pour le marché. Elle divise les profits par quatre dans la mesure où, depuis les années 80, nous sommes entrés dans l’ère des « tribus » qui, au-delà des débats ethnicistes, caractérisent des cibles-marketing. Il s’agit ici 1 : des jeunes, 2 : des femmes, 3 : des homosexuels, 4 : des hommes, tribu provisoire destinée à se fondre dans la troisième. Sur ce dernier point, les signes avant-coureurs, visibles de tous, ne manquent pas. Le plus frappant étant peut-être l’image du sportif que les media posent aujourd’hui comme exemple à tous les hommes : image d’athlète figée dans cette caricature des canons de la statuaire grecque dont les S.A. et Leni Riefensthal savaient bien à quel « esprit de corps » elle renvoie. Il est d’ailleurs symptomatique que personne n’ait été choqué que le calendrier de rugbymen nus du Stade Français s’intitule «Les Dieux du Stade » comme le tristement célèbre film de la cinéaste d’Hitler.

A l’obsolescence de l’entité familiale traditionnelle s’ajoute donc la conquérante « positive action » des consommateurs G&L. Marché exponentiel incontournable pour les capitalistes qui font ici d’une pierre deux coups. En Sarkozy, entouré de ses affidés qui « ont des amis qui… » les marchands mondialisés ont trouvé le vecteur politique idéal sur le marché français. Que vont devenir les familles, les enfants, la société française ? C’est l’évolution des choses !... a décidé le patron de la supérette France.

Voilà ce qu’est la modernité dans le monde libéral : d’un côté, la liberté pour les uns de se déssocialiser et de se décerveler, la liberté de travailler le Dimanche et d’accoucher à la maison (ou sur la route), la liberté d’adopter et d’élever des enfants et, de l’autre côté, la liberté de vendre des jeux en ligne, du canabis, des cliniques privées et des enfants…

L’institutionnalisation de ce principe n’est pas le seul fait de ce gouvernement. Au vrai, le quinquennat de Nicolas Sarkozy est l’aboutissement de trois décennies de societalisation de la politique. Et Nicolas Sarkozy en est lui-même le produit. S’il faut reconnaître un mérite à Valéry Giscard d’Estaing c’est d’avoir su avancer sur des sujets de société de manière raisonnée et ciblée. Sa connaissance de l’Histoire et de la Politique, peut-être aussi son caractère orléaniste le prévalaient des grands déséquilibres. C’est François Mitterrand qui érigea le sociétal en politique à part entière. Déjà présents dans sa campagne de 1980-1981, ces thèmes prirent une importance majeure après le tournant de la rigueur. Une fois les espoirs socio-économiques brisés, la gauche au pouvoir ne pouvait guère exister que sur les questions sociétales. C’est à cette époque que l’on commença à parler de « tribus » (et leur corolaire : « le droit à la différence ») dans les différents media mitterrandiens (Libération, Actuel, Canal+, Radio Nova et quelques autres plus éphémères comme Globe). On sait comment l’agitation de ces thèmes permit à Mitterrand d’être réélu en 1988 grâce à l’épouvantail Le Pen agité parallèlement par les mêmes media. Ce jeu dangereux mit à mal la République, entre autre en disloquant l’école. Puis, les choses se calmèrent après Mitterrand quand on eut atteint le point critique du voile islamique.

Cependant, le pli sociétal était pris. Il n’allait cesser d’irriguer le monde intellectuel, politique et socio-économique. Et la génération de Nicolas Sarkozy fut justement bercée par ce salmigondis. En cela, on peut dire que Nicolas Sarkozy est l’héritier de François Mitterrand avec qui il partage le même caractère d’aventurier n’hésitant pas à jouer le destin de la France sur des coups de poker. Ce pli sociétal, il va bien au-delà des débats sur les questions de société. Il influence profondément la sphère économique non seulement du point de vue des marchés mais aussi dans la vie des entreprises et des travailleurs. Au niveau des entreprises, les 35 heures et la promotion des « minorités visibles » en sont des exemples. Mais il est un secteur d’une brûlante actualité dans lequel ,j’ai déjà eu l’occasion sur ce site de pointer l’influence du sociétal, c’est celui du marché de l’emploi. Le dispositif appelé Sécurité Sociale Professionnelle, bien au-delà de la seule formation professionnelle, rationalise une nouvelle organisation de la société (l’un de ses inventeurs, Jean-Christophe Le Duigou, y voit « un nouvel ordre social »). Je renvoie aux deux articles que j’avais écrit sur le sujet : quand-la-transformation-sociale-se-substitue-a-la-lutte-des-classes et ump-ps-et-cgt-candidats-a-la-gestion-de-la-precarite (rubrique Lutte de classes).

Il s’agit d’un dossier de première importance : le dispositif social sur lequel s’accordent droite et gauche pour faire passer la précarité généralisée dans la société française, la fin du salariat et du contrat de travail pour « la formation tout au long de la vie ». Nous rentrerions dans la société de nomades que promouvait Jacques Attali dans les années 80.

C’est l’enjeu du moment, accéléré par la crise. Soit les libéraux parviennent à faire accepter cette nouvelle société, soit cela ne passe pas et il y aura une confrontation dont personne ne peut prédire l’issue. Nous pouvons seulement espérer que de cette confrontation émerge une société réhumanisée puisant dans les formes de lutte organisée qu’elle suscitera, loin des appareils et des compromissions. C’est peut-être un des messages que nous livre le combat des travailleurs des Antilles.

Pierre Delvaux le 7 mars 2009

NOTES :
(1) : J’aurais pu mettre des guillemets à MODERNITE et PENSEE mais cela n’aurait guère de sens dans la mesure où nous savons tous, à présent, que le débat médiatique est, que nous le voulions ou non, le débat de notre société et que, comme l’a écrit Debord, « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ».










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