Ainsi donc, un peu à la hâte Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez ont-ils décidé après leur rupture avec le PS de créer un nouveau parti, le « Parti de Gauche » dont l’inspiration, jusque dans le nom, vient d’outre-Rhin. C’est en effet Oskar Lafontaine, principal dirigeant du parti allemand « Die Linke » (La Gauche) qui tiendra le parti français nouveau-né sur les fonds baptismaux samedi 29 novembre lors du meeting fondateur. Jusqu'à son dernier congrès, Die Linke s'appelait Linkspartei, «parti de gauche»...
Depuis quelques mois, le modèle « Die Linke » fonctionne comme un véritable mythe pour toute une partie de la gauche française. Issu de l’unification du PDS (les « réformateurs » de l’ex-SED au pouvoir à l’est de l’Allemagne avant 1989) et du WAGS, une petite scission de la SPD à laquelle l’ancien ministre Lafontaine s’est rallié en 2005, « Die Linke » a le vent en poupe. Ce parti a obtenu quelques percées dans les élections locales et les sondages le créditent d’environ 12-13% des suffrages. « Die Linke » semble profiter de la crise qui érode les positions de la CDU/CSU et place la SPD dans une situation pour le moins délicate.
Incontestablement, « Die Linke » exprime à sa manière une résistance à la décrépitude de la social-démocratie et à la « grande coalition » qui, poursuivant l’action de Schroeder, organise la mise en pièces de l’État social et du fameux « modèle rhénan ». Il est nécessaire cependant de ne pas idéaliser « Die Linke », sous peine de déconvenues dans les années qui viennent. De toute façon, entre camarades ou compagnons, c’est la vérité qui est importante et la solidarité internationaliste n’est pas une entreprise de flagornerie réciproque.
Tout d’abord, il y a des faiblesses qui viennent des origines du parti lui-même. L’ex-WAGS est un parti de militants assez réduit (environ 10000 membres), extrêmement disparate et tiraillé entre les militants issus de la SPD ou de l’appareil syndical et les diverses fractions de l’extrême gauche qui l’ont rejoint (souvent pour y mener la classique politique de l’entrisme). Le PDS est beaucoup plus puissant er regroupe, avant l’unification, 60000 membres, mais souvent plutôt âgés. La fusion entre ces deux organisations reste plus théorique qu’effective et la coupure Est-Ouest est persistante. Les succès électoraux ne se sont pas encore traduits par une véritable organisation de masse, surtout à l’ouest.
Ce qui est le plus problématique, cependant, c’est la fragilité politique et idéologique du nouveau parti qui est plus un amalgame de refus qu’une construction politique programmatique. Ainsi la partie PDS de « Die Linke » n’a pas toujours bien digéré le passé de la RDA. D’où quelques embardées dommageables quand une députée nouvellement élue en Basse Saxe exprime sa compréhension pour l’ancienne Stasi… Du coup, les dirigeants doivent donner des gages à la bourgeoisie pour prouver qu’ils ont vraiment rompu avec le « communisme ». Ainsi Gysi, président du groupe parlementaire doit-il s’excuser : « Il n’y a pas de retour possible à la RDA. Il n’est pas question pour nous de revenir à la nationalisation des moyens de production. » L’assimilation de la nationalisation des moyens de production à la RDA est peut-être la formulation la plus manifeste que cet homme reste dans sa tête un stalinien – l’idée d’un communisme véritable, sans aucun rapport avec le régime tyrannique qui régnait jadis de l’autre côté du « rideau de fer » lui est encore proprement inimaginable.
Entre ceux qui défendent la gestion pragmatique de Berlin en compagnie de la SPD (privatisations incluses) et les éléments les plus radicaux, les tensions sont pour l’heure contenues puisque le système électoral allemand (proportionnelle avec un seuil de 5%) interdit la division ouverte du parti sous peine de perdre complètement tous ces élus, nationaux (54 au Bundestag) ou régionaux (Brême, Hanovre, Poméranie, …)
Pour maintenir l’unité, la direction fait preuve d’un syncrétisme idéologique assez étonnant puisqu’on n’hésite pas à se référer à Benoit XVI et si les portraits de Karl Marx trônent encore parfois dans les bureaux des dirigeants, l’inspiration programmatique ne vient pas de l’auteur du Kapital. Le projet politique, au demeurant, ne va pas au-delà d’un keynésianisme plus rose que rouge, combinant des lois de protection sociale et un secteur étatique fort, comme dans la France d’avant les années 2000, c’est-à-dire un retour à ce qui était la norme dans les pays de l’Europe de l’Ouest avant la folie « libérale ». C’est donc un parti très modéré, idéologiquement un parti social-démocrate à l’ancienne, qui paraît très à gauche seulement par comparaison avec ce qu’est devenue la social-démocratie. Même sur des questions qui, ici, semblent réglées, les flottements ne manquent pas. Un jour, un secteur du parti s’oppose au droit à l’IVG, le lendemain Christa Muller, la compagne Lafontaine, défend le « salaire d’éducation » pour les femmes et laisse entendre qu’il est bon que les femmes restent à la maison (retour en force des trois « K », « Kinder, Kirche, Küche », autrement dit pour les femmes, les enfants, l’église et la cuisine). Un autre jour c’est Lafontaine lui-même qui déclare : « L’État doit protéger ses citoyens et ses citoyennes ; il doit empêcher que des pères de familles et des femmes ne se retrouvent au chômage, parce que des travailleurs étrangers à bas salaires occupent leur emploi. » (Discours à Chemnitz, juin 2005)
Le machisme est une vieille tradition du mouvement ouvrier (en France, ce fut une spécialité proudhonienne largement répandue au-delà des cercles anarchistes) et la question de l’immigration et du rôle que les patrons font jouer aux travailleurs immigrés pour casser le salaire est une très vieille affaire, un épine dans le pied du mouvement ouvrier tiraillé entre la lutte immédiate pour défendre les salaires et les proclamations internationalistes. Donc rien de tout cela ne mérite donc qu’on jette l’opprobre sur « Die Linke » et l’attitude sectaire des petits groupes « révolutionnaires », notamment trotskistes ( ?) à son encontre n’a aucun sens. Mais il est nécessaire d’avoir une vision lucide de ce parti, tiraillé entre une aile « gauchiste » et un véritable courant de « droite » (représenté par André Brie, député européen) qui n’a rien à envier à certains courants de la SPD ou du PS français. Bref, discuter, collaborer, mais ne pas en faire un « modèle » à suivre.
Si le prétendu modèle n’est pas fameux, il est encore plus hasardeux d’en faire un schéma stratégique à suivre pour la reconstruction d’une gauche en France. Car s’il existe bien dans le groupe PRS/FM et quelques petits cercles « républicains » l’équivalent du WAGS allemand, rien de semblable au PDS n’existe en France. Mélenchon a longtemps espéré convaincre Marie-Georges Buffet de suivre l’exemple de Gisy. Mais en vain. Le PCF est doublement paralysé. Paralysé d’abord par ses divisions internes entre des courants staliniens, des courants plus ou moins « communistes maintenus », des courants trotskisants, des sociaux-démocrates à peine camouflés et ainsi de suite. Paralysé ensuite par les exigences de sa survie. Dépendant entièrement du PS pour le maintien de sa seule base, le réseau de 13000 élus locaux donc quelques maires de villes moyennes, le PCF n’a nulle envie de risquer ses vieux os dans une aventure incertaine aux côtés du fougueux sénateur de l’Essonne.
Comme le mariage entre Jean-Luc et Marie-Georges paraît bien compromis, le nouveau « parti de gauche » semble s’orienter vers une version modifiée de la stratégie d’Oskar Lafontaine. Le « parti de gauche » serait le moteur d’un « front de gauche » qui aurait vocation d’unir le PCF, le NPA, le PG et autour d’eux les restes des « antilibéraux » et des collectifs du 29 mai 2005. Il n’est cependant pas certain que cette « stratégie d’union de la gauche de la gauche » qui a toujours échoué depuis 2002 réussisse cette fois-ci. Le NPA n’a aucune envie de manger avec le diable Mélenchon : le facteur a encore une trop petite cuiller et ne veut pas partager sa soupe. Du reste ses soutiens médiatiques lui feraient défaut dès lors qu’il cesserait de jouer le rôle que la bourgeoisie et les médias lui ont attribué. Pour le PCF, la meilleure solution risque d’être encore le cavalier seul, quoi qu’il lui en coûte. Bref, la stratégie « parti de gauche » à la française pourrait bien être à courte vue.
La crise dans laquelle nous sommes n’est pas seulement une crise économique du capitalisme mais aussi et surtout une crise morale et politique du vieux « mouvement ouvrier ». Pour en sortir les formules express ne suffiront pas. Et surtout la formule consistant à essayer de reconstruire un parti social-démocrate keynésien de gauche en espérant qu’on pourra repartir comme en 45 !
Pour une vue d'ensemble sur "Die Linke", voir Le Monde Diplomatique de mai 2008, « Ce nouveau parti qui bouscule le paysage politique allemand », par Peter Linden
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