Pour comprendre les évènements, il faut commencer par dissiper l’enfumage idéologique organisé par le régime, par diverses variétés d’anti-impérialistes, et par les impérialistes euro-américains.
La propagande officielle annonce qu’il ne s’agit pas de vrais opposants, mais de gens manipulés par les médias américains et occidentaux en général. Vieille astuce de tous les tyrans : les opposants sont des agents de l’étranger qui veut asservir la patrie. C’est si évidemment absurde qu’il ne vaudrait même pas la peine de le réfuter. Mais rappelons tout de même que le point de départ des manifestations a été l’élection truquée d’Ahmadinejad et le refus du peuple de se voir spolier de sa victoire par ce tyran qui règne qu’en maintenant le pays dans l’insécurité, en jouant d’une tension bien calculée avec les USA et Israël, tout en désorganisant économiquement un pays très riche : l’Iran, un des principaux pays de l’OPEP s’est ainsi trouvé confronté à des sérieuses pénuries d’essence. Si Ahmadinejad était roi du Sahara, sûr qu’il devrait importer du sable ! On rappellera que les Occidentaux, États-Unis en tête, ont immédiatement entériné l’élection d’Ahmadinejad avec lequel ils conduisent un intéressant jeu de poker menteur qui arrange les uns comme les autres, sachant qu’il y a un accord de fond entre l’Iran et les États-unis sur la question irakienne (Nous avons eu l’occasion de nous exprimer sur ce point à plusieurs reprises).
Les débris du stalinisme et de prétendus « anti-impérialistes » de tous poils, tous cerveaux handicapés ne connaissant que la logique binaire la plus fruste, croient que, puisque Washington fait mine de menacer le régime iranien, il en faut déduire qu’Ahmadinejad est un vrai « anti-impérialiste » qu’il faut soutenir ardemment. Les mêmes ou leurs ancêtres soutenaient les procès de Moscou, ils furent pour le pacte germano-soviétique contre les impérialistes anglo-saxons, pour l’Alliance de Staline avec Roosevelt quelques mois plus tard, contre l’impérialisme allemand et japonais cette fois ; ils furent aux côtés des forces de répression russe contre les ouvriers de Berlin en 1953, aux côtés des chars (anti-)soviétiques en 1956 à Budapest, aux côtés des chars à Prague en 1968 ; ils approuvèrent chaleureusement l’invasion russe en Afghanistan en 1980 pour se retrouver aujourd’hui à soutenir comme « anti-impérialistes » ceux-là même qui, avec l’aide et la logistique des USA, ont défait les Russes … « L’anti-impérialisme » est slogan facile et vraiment très pratique car il peut servir à couvrir toutes les situations possibles et imaginables. Après tout en 1914, les Français menaient la guerre contre l’impérialisme allemand et les Allemands menaient la guerre contre la triple alliance des impérialistes anglais, français et russe ! Les anti-impérialistes d’aujourd’hui sont la copie conforme de ceux d’hier. Ils soutiennent (avec Mélenchon) l’impérialisme chinois au Tibet ainsi que la répression des Ouïghours, au motif que la Chine est opposée à l’impérialisme US, dont pourtant elle est le principal créancier ! Tous ces braves gens font mine de ne pas s’apercevoir qu’en Afrique, c’est la Chine qui prend le relai des vieux impérialismes européens décatis. Les anti-impérialistes aiment plutôt Poutine en qui ils voient une sorte de successeur légitime du petit père des peuples. Et selon les mêmes raisonnements sophistiques, les voilà qui volent au secours d’Ahmadinejad, reprenant sans la moindre pudeur la propagande du régime, soutenant les massacres organisés par les groupes fascistoïdes des « pasdaran » et alléguant que nous n’avons pas à protester contre Téhéran étant donné qu’Israël ferait bien pire en Palestine (ce qui n’est, au demeurant pas certain du tout, car la comptabilité macabre est une science difficile).
Qu’Ahmadinejad soit chaleureusement embrassé par Chavez n’est pas un argument en faveur du régime de Téhéran mais plutôt une preuve que Chavez n’est qu’un leader nationaliste petit-bourgeois, à la tête d’un riche pays pétrolier et nullement la figure marquante du « socialisme du XXIe siècle » comme le croient les néo-bolivariens parisiens ou fraîchement élus au Parlement de Strasbourg... On remarquera aussi avec quel prudent silence, les féministes radicaux du NPA, du PG et tutti quanti ont parlé de l’aide médicale apportée par Ahmadinejad à la Bolivie (voir l’article de Jean-Paul Damaggio, « Coup dur pour les droits des femmes en Bolivie »).
Laissons-là donc les pantins de « l’anti-impérialisme ». Certains, même parmi les groupes iraniens opposés au régime, affirment que ce qui se passe en Iran n’est pas vraiment une révolution. Moussavi et le « mouvement vert » seraient en fait une aile du régime, mise en avant par le pouvoir, y compris en le réprimant (!), pour mieux protéger les mollahs. Bref nous aurions surtout affaire à un affrontement entre pro-Khomeynistes. Ce n’est pas complètement faux : la dimension de crise interne à la caste au pouvoir est assez claire. Moussavi était un des principaux lieutenants de Khomeiny et, dans les débuts du régime, il a dirigé la répression d’une main de fer. Mais s’en tenir là, c’est ne pas voir l’origine des divergences au sein de la caste au pouvoir. Ces divergences portent sans doute sur la situation internationale : tout en étant aussi favorables qu’Ahmadinejad au nucléaire iranien, ses opposants veulent prendre leurs distances à l’égard d’une espèce de volonté « pan-islamiste » qui leur semble contraire aux intérêts de l’Iran et des fractions de la classe capitaliste qui les soutiennent. Après Ahmadinejad, l’Iran pourrait facilement devenir une puissance impérialiste secondaire comme le Brésil ou comme la Turquie, entretenant de bonnes relations, notamment commerciales, avec les USA et les institutions financières internationales. La stratégie de la tension, qui sert bien Ahmadinejad pour justifier son pouvoir, leur semble totalement hors de propos. Mais elles portent aussi et surtout sur la manière d’affronter le mouvement de masse. Les mollahs pro-Moussavi, suivant la ligne de l’ex-président Khatami sont pour lâcher du lest afin de sauvegarder l’essentiel – tout changer pour que tout reste comme avant – c’est-à-dire le système capitaliste et la place qu’y occupe la hiérarchie religieuse.
Mais les révolutions surviennent toujours quand la crise en haut se combine avec la poussée en bas. Depuis plusieurs années, les fondements du régime sont ébranlés par une double poussée : d’une part, celle des luttes ouvrières, avec la tendance à la constitution de syndicats libres, faisant éclater le corset de fer du régime corporatiste-religieux ; d’autre part avec la poussée de la jeunesse, et pas seulement de la jeunesse étudiante, et des mouvements des femmes qui veulent en finir avec l’oppression machiste-islamiste. Plus généralement, c’est une révolution démocratique qui reprend, à une génération d’intervalle, le mouvement commencé en 1978. Les informations que nous avons témoignent clairement de la nature du mouvement.
Il serait un peu obscène de lancer d’ici des mots d’ordre pour la révolution iranienne. On ne peut cependant manquer d’être frappé par le fait que le terrain de la solidarité ait été à près totalement déserté dans notre pays. Les « anti-islamistes » de profession, où sont-ils pour soutenir, dans la rue, les femmes d’Iran qui ne veulent plus de leur voile ? Ils préfèrent préparer une absurde loi anti-burqa. Et la gauche, où est-elle ? Occupée à digérer le réveillon ? À préparer de nouvelles manœuvres de balayeurs en vue des prochaines élections régionales ? Et la gauche de gauche ? Est-elle gênée parce c’est l’ami de ses idoles tropicales qui trempe ses mains dans le sang des ouvriers et de la jeunesse ? La révolution iranienne agit comme un puissant révélateur de l’état de décomposition morale de notre prétendue « gauche ».
Denis Collin – 28 décembre 2009.
Manifeste de la révolution iranienne adopté par le Parti Communiste de Ouvriers d’Iran
La révolution qui a commencé en juin 2009 est l’explosion de la colère refoulée du peuple contre le régime islamique criminel d’Iran. C’est une révolution pour la libération d’un système corrompu, pour détruire une machine de meurtres, de pillages, d’ignorance et de mensonges qui a écrasé la vie du peuple pendant trente ans. Cette révolution ne s’arrêtera pas avant d’avoir démoli tout le système inhumain au pouvoir.
Mais cette révolution ne concerne pas seulement la libération du peuple d’Iran du cauchemar islamique. Elle n’est pas seulement une source d’espoir et d’inspiration pour les régions soumises à l’islam. Cette révolution parle depuis le cœur du peuple du monde. Fondamentalement, elle est une révolution contre la sombre période caractérisée par l’offensive de la Nouvelle Droite et du Nouvel Ordre Mondial, le 11 septembre et l’ascension de l’Islam politique, la guerre contre la terreur et l’embrasement du monde dans la guerre des terroristes. Une période qui, par la métamorphose de l’être humain par la religion, l’ethnie et la nationalité, par la définition des relations entre les membres du genre humains par le Choc des Civilisations, et par la négation des droits universels des êtres humains par la notion du relativisme culturel, a, dans les faits, imposé un Moyen-Age post-moderne à l’humanité. La révolution iranienne est en fait la voie du troisième camp contre cette régression de la bourgeoisie de notre époque. Elle est une voix qui crie « Liberté, Égalité, Identité humaine ». C’est pour cette raison qu’à travers le monde des chansons ont été écrites pour cette révolution et que Neda est devenue l’héroïne du peuple du monde.
La révolution iranienne est, d’abord et avant tout, contre le pouvoir religieux et islamique. Elle est profondément laïque et s’oppose au pouvoir de l’ignorance, de la superstition et du clergé. Par cela, elle poursuit, par une voix radicale, les tâches inachevées ou oubliées de la Révolution Française. Avec la victoire de cette révolution, non seulement la religion sera complètement séparée de l’Etat et du système éducatif, mais tous les privilèges, lois ou traditions qui donnent aux appareils religieux le droit d’interférer dans la vie sociale seront également abolis. La religion sera confinée à la sphère du choix volontaire et des croyances privées des adultes. La religion officielle sera abolie et ce sera la fin de l’emprise de la religion sur la société et les affaires sociales. Aussi, pour la première fois, la véritable liberté d’avoir ou de ne pas avoir de religion sera établie. La révolution iranienne a déjà, de façon pratique, délivré sa sévère censure à la complaisance vis-à-vis de l’Islam politique des gouvernements européens et occidentaux et leurs reculs honteux sur la laïcité. La révolution anti-religieuse en Iran est le début d’une nouvelle Renaissance dans l’histoire humaine.
L’actuelle révolution en Iran est une « révolution féminine », non seulement parce qu’elle est se place directement contre l’apartheid sexuel et un gouvernement misogyne, non seulement parce que les femmes et les filles sont aux premières lignes dans les ferventes manifestations et les combats de rue, mais aussi parce que la maxime « la liberté des femmes mesure la liberté de la société » est de plus en plus présente dans la conscience des masses populaires. L’égalité inconditionnelle des femmes est le décret inviolable de l’actuelle révolution. Cette révolution est une nouvelle étape dans les efforts de l’humanité moderne pour la libération du vil esclavage de genre. Depuis la Révolution russe d’Octobre 1917 jusqu’aux mouvements de libération des femmes en Occident, des manifestations de femmes en Iran contre le voile en mars 1979 aux trente années de résistance et de protestations des femmes contre le voile islamique, les discriminations et l’humiliation, elles sont la colonne vertébrale et l’inspiration de l’actuelle révolution en Iran. La victoire de l’actuelle révolution aura non seulement un impact phénoménal sur le statut et la lutte des femmes dans les pays frappés par l’Islam, mais fera aussi avancer le mouvement de libération des femmes dans le monde dans sa globalité.
La révolution en Iran est pour la liberté. La réalisation de la plus radicale et humaine définition de la liberté individuelle, civile, culturelle et politique est la tâche immédiate de la génération « Twitter » et « Facebook » qui surgit dans la révolte. Elle n’accepte aucune restriction dans la liberté d’expression, d’assemblée, de grève et d’organisation ou d’autres libertés politiques. Elle ne reconnaît aucune limite dans la liberté de critiquer les « sanctuaires ». Elle n’accepte aucune censure sur la culture, l’art, la littérature et l’activité créatrice humaine. Elle est contre toute ingérence de l’Etat ou de toute autorité officielle dans la vie privée, y compris dans les relations et préférences sexuelles, des membres de la société. Non seulement les prisonniers politiques doivent être libérés, mais la notion même de prisonniers politiques devrait être abolie. C’est une révolution contre la peine de mort et contre tous les châtiments brutaux et islamiques. Elle n’est pas seulement contre Kahrizak, mais aussi contre Guantanamo et la culture politique qui y correspond, de la thérapie de choc aux viols et à la torture qui ont été élevés aux rangs d’outils officiels par l’Etat. Ce n’est pas seulement une révolution pour la libération culturelle de l’Islam, de la dictature et de tout obscurantisme et du recours à « c’est leur propre culture », mais elle se lève pour une culture globale, humaine et moderne. Dans ce sens, la comparaison la plus proche de la révolution iranienne sont les mouvements pour les droits civiques des années 1960 et 1970 aux États-Unis et en Europe Occidentale, avec cette différence que cette révolution, avec Marx, va plus loin que la « société civile » et vise une « société humaine » ou une « humanité sociale ».
Cette révolution est la puissante réponse d’une société frappée par la pauvreté aux parasites au pouvoir. C’est une révolution pour abolir la pauvreté, le chômage et le terrible fossé entre la vie d’une minorité milliardaire et la grande masse des gens défavorisés vivant sous le seuil de pauvreté. C’est une révolution non seulement contre le non-paiement des salaires à des millions d’ouvriers, mais dans son essence contre la vente et l’achat de la puissance créative humaine et le pouvoir des lois aveugles et brutales du marché sur la vie des gens. C’est une révolution pour mettre fin à la toxicomanie, à la prostitution, à la situation des enfants ouvriers des rues, à l’absence de logement, à la dépression, au suicide et à toutes les conséquences de la pauvreté qui se déchaînent au sein de la société iranienne. C’est une révolution pour « le bien-être et la dignité », pour « le pain mais aussi les roses ».
Aussi, l’actuelle révolution en Iran concerne la libération de l’être humain dans toutes ses dimensions politiques, sociales, intellectuelles, culturelles et économiques. C’est une révolution contre les fausses identités de l’être humain, qu’elles soient religieuses, ethniques ou nationales, et finalement pour mettre un terme à la division en classes. C’est une révolution pour la dignité humaine, pour le bonheur, la liberté, le bien-être et l’égalité pour tous dans la jouissance des richesses matérielles et intellectuelles de la vie sociale. Elle est en effet une révolution pour la restauration de la volonté de l’être humain, tant dans ses capacités individuelles que sociales. En un mot, comme nous le disons depuis le premier jour, c’est « une révolution humaine pour le règne de l’humain ». Aussi, la révolution en Iran est liée aux grands efforts de l’histoire, de Spartacus aux jacobins de la Révolution Française, des Communards de Paris aux ouvriers de Petrograd, des conseils de la révolution de 1979 en Iran aux mouvements anti-capitalistes des débuts du troisième millénaire allant de Seattle à Rome. La révolution iranienne est fondamentalement contre l’esclavage salarié moderne, dont le temps est depuis longtemps révolu, et qui pour sa survie a eu besoin de recourir à la religion, à la superstition, à la torture, à la terreur et à la bombe nucléaire. Ce slogan des étudiants de Téhéran exprime les bases de la révolution iranienne : Socialisme ou barbarie !
Le triomphe de la révolution du peuple d’Iran sur la République Islamique ouvrira un nouveau chapitre dans le monde et sera une nouvelle pierre de départ pour mettre un terme à l’histoire des classes et commencer une véritable histoire humaine. Le 7ème Congrès du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran appelle le peuple du monde au soutien le plus résolu et enthousiaste de la révolution et du peuple d’Iran. Le Congrès envoie ses salutations aux femmes, jeunes et travailleurs en Iran et les appelle à rejoindre les rangs du parti pour la victoire de cette révolution et la réalisation de ce manifeste.
Adopté à l’unanimité par le septième congrès du Parti Communiste-Ouvrier d’Iran, 5-6 décembre 2009.
Articles portant sur des thèmes similaires :
- Racisme, xénophobie, islamophobie ? - 11/09/24
- Extinction des Lumières - 30/09/19
- La grande transformation - 24/09/19
- Le progressisme totalitaire - 02/08/19
- L’Union européenne et la double catastrophe qui s’annonce - 29/04/19
- Où va La France Insoumise? - 25/01/19
- 1968-2018 - 02/12/18
- Démission de Collomb, symptôme et accélérateur de la crise - 04/10/18
- Mitterrand et la mort de la gauche - 13/07/18
- Macron et sa « société du 10 décembre »… - 07/04/18
Je suis partagée entre l'émotion et l'admiration à la lecture de ce texte. Quelle maturité, quelle générosité, quelle intelligence! Il nous rappelle que le peuple iranien est un grand peuple. Je ne peux que souhaiter que ce manifeste reçoive une vaste audience, et ces rédacteurs le soutien qu'ils méritent.