Cette situation n’est pas très étonnante. Elle met en évidence l’impasse dans laquelle la « gauche de la gauche » s’est enfermée en maintenant contre toute raison l’idée de faire revivre le cadavre de l’Union de la gauche (version 73-84) ou de la « gauche plurielle » (version 1997-2002).
Rappelons que le PG a été fondé par une scission du PS quelques jours avant le congrès de Reims en novembre 2008, rupture dont les artisans étaient Jean-Luc Mélenchon et son association « pour la république sociale » (PRS) et Marc Dolez avec son réseau de « Forces militantes ».
J’avais eu, à l’époque, l’occasion de marquer mon scepticisme concernant cette aventure :
On peut prendre un à un tous les grands thèmes qui ont structuré l’opposition droite-gauche, pas un ne tient encore. Un homme de droite qui défend le droit de son pays à décider librement de son sort est-il vraiment plus à droite qu’un homme de gauche qui vote pour le traité de Lisbonne, c’est-à-dire l’engagement ad vitam aeternam dans le système capitaliste, quels que soient les suffrages populaires ? Poser la question, c’est y répondre. Un homme de droite qui lutte contre les OGM est-il plus à droite qu’un scientiste de gauche qui fait la propagande de Monsanto ?
En réalité le clivage droite-gauche est à peu près inutilisable. Du traité de Maastricht au TCE de 2005, sur les questions les plus importantes pour l’avenir, ce sont d’autres lignes de partage qui ont traversé l’électorat. Quel sens peut avoir l’appel du PG à rassembler toute la gauche ? Peut-on faire une alliance avec Mmes Royal et Aubry, toutes deux libre-échangistes, européistes, atlantistes, partisanes de l’économie de marché ? Sont-ce là des positions de gauche avec lesquelles il serait possible de trouver un compromis.
Se définir à gauche de la gauche ou dans la gauche radicale ne vaut guère mieux. Dans tous les cas on se situe par rapport à une topographie politique artificielle et non par rapport à des positions précises.
Avec mes amis de « La Sociale », nous avions enfoncé le clou par une série d’articles publiés en décembre 2008. L’opération « Parti de Gauche » menée de concert avec la secrétaire générale du PCF de l’époque, Marie-George Buffet, avait un modèle stratégique : le parti allemand « Die Linke » alliant le socialiste Lafontaine, quelques petits groupes d’extrême gauche plus ou moins trotskistes et le PDS, parti présent dans les Länder de l’est et regroupant les rescapés du parti stalinien SED. On sait que « Die Linke » est loin d’avoir tenu ses promesses – ce parti a perdu 3,5% des voix lors des dernières élections allemandes, bien que les ex-PDS d’Allemagne de l’Est n’aient rechigné à aucun compromis ni à aucune compromission pour sauvegarder leurs postes de gestionnaires régionaux ou locaux.[1] La logique du PG, sur le modèle allemand, n’était pas de fonder un nouveau groupe révolutionnaire faisant concurrence au POI ou au NPA mais bien de fusionner PG et PCF dans un nouveau parti qui pèserait d’un poids suffisant pour attirer les militants socialistes de gauche demeurés au PS après le congrès de Reims. Le Front de Gauche, agglomérant également les derniers restes du PSU et le courant « Gauche Unitaire » venu du NPA était souvent présenté comme le moyen stratégique adéquat à cette visée. D’un autre côté le FDG se présentait aussi comme une sorte d’union de la gauche rénovée : il se voulait le « front de la gauche de transformation sociale » et le front de « toutes les forces politiques à gauche qui combattent la ratification du traité de Lisbonne. » La première formulation est évidemment parfaitement creuse. Même le PS se dit pour la transformation sociale. Et, à dire vrai, on trouve bien peu de partis qui seraient pour la non-transformation sociale. La droite elle-même se dit réformatrice et le mot « conservateur » est devenu un gros mot. Mais ces formules ambiguës permettaient de laisser dans l’ombre l’importante question du PS et des relations que l’on devait entretenir avec lui.
Les positions de la direction du PG se sont souvent radicalisées depuis 2008. Mélenchon semble considérer que la rupture idéologique et politique complète avec le PS est la condition pour reconstruire un mouvement politique apte à s’opposer aux entreprises de la droite classique et de ses alliés « sociaux-démocrates ». Du moins on peut lui faire ce crédit, jusqu’à ce qu’il propose des alliances municipales avec les Verts de EELV, c’est-à-dire des gens qui ont encore moins de relations – si c’est possible – avec la tradition du mouvement ouvrier et les intérêts de la lutte des travailleurs contre le capital…
D’un autre côté le PCF est tiraillé. Une fraction est favorable à maintenir des liens serrés avec le PG – même si l’idée d’un rapprochement allant jusqu’à la fusion est repoussée. Mais une majorité, très composite, est hostile à cette perspective. Pour une part, elle se méfie du « socialiste » Mélenchon et tient au nom du parti, « communiste », un nom qui disparaîtrait en cas de fusion. Cette critique radicale (faite souvent du point de vue d’une tradition communiste rénovée) se combine avec les intérêts de l’appareil dont l’existence est liée à l’existence d’un parti communiste qui ne pourrait se dissoudre dans une formation plus large. Or l’existence de l’appareil repose sur les positions électorales, parlementaires, cantonales ou municipales, lesquelles dépendent à leur tour de la bonne volonté du PS. Pierre Laurent et ses amis le savent : s’ils suivent la ligne Mélenchon, ils sortiront laminés en termes d’élus … et montreront aussi que leur poids électoral en voix ne cesse de se réduire. Mais en se ralliant au PS, le PCF dévalue d’un seul coup son discours oppositionnel et se trouve ainsi en butte à la vague d’hostilité qui monte contre le PS dans les classes populaires : il n’est pas au gouvernement, mais n’en tire aucun avantage et risque fort de payer au prix fort sa volonté de maintenir l’Union de la Gauche.
Pour le PG la situation est tout aussi dramatique : le pari du PG reposait sur l’alliance durable avec le PCF. Sans le PCF, le PG est réduit à l’état de NPA-bis. Les élus PG ou ceux qui y aspirent savent bien que l’alliance avec le PCF est cruciale tout comme il est crucial qu’il reste quelque chose de la bonne vieille « discipline républicaine » pour le vote au second tour. Mais si on suit leur ligne, le PG se retrouve pris en tenaille entre le PCF et le PS : pourquoi un PG indépendant si c’est pour dire à peu près la même chose que la gauche du PS ?
De quelque côté que l’on se tourne, pour chacune des composantes essentielles du FDG, c’est l’impasse. Le FDG est incapable de capitaliser le mécontentement populaire. Les électeurs ne passent pas du PS au FDG mais à l’abstention et, dans des proportions non négligeables, au FN. Pis, quand, comme à Brignoles, il est le représentant de toute la gauche, le candidat FDG (PCF en l’occurrence) est éliminé dès le premier tour. Quelle est la cause de cette situation que les dirigeants du PG et du PCF semblent tout à fait incapables de comprendre ? Il faut la chercher dans la profonde recomposition politique qui traverse toutes les couches et toutes les classes de la société. Donnons quelques pistes pour comprendre :
1) Le PCF survit, mais il est incapable de se redresser et de se reconstruire à long terme. La raison fondamentale en est que ses cadres et son idéologie correspondent à un état du mouvement ouvrier disparu depuis longtemps. Le PCF n’a jamais été un parti révolutionnaire, mais un parti de conservation de l’ordre social, pourvu que cet ordre soit favorable aux intérêts de la bureaucratie soviétique. Mais pour que ce parti puisse jouer son rôle (« Produire d’abord, revendiquer ensuite », comme disait Thorez en 1945), il devait être le porteur d’un certain nombre d’acquis ouvriers au sein même d’une société soumise au mode de production capitaliste. Accessoirement ces acquis (syndicats, mutuelles, organismes divers) formaient la base matérielle autochtone de la bureaucratie stalinienne. Plus rien de tout cela n’existe, le mur de Berlin s’est effondré sur la tête des dirigeants français ; mais les cadres formés à l’école de Thorez, Marchais et Robert Hue sont mentalement incapables de s’adapter à la nouvelle situation. Ils vivent dans un rêve : retourner aux conditions sociales, économiques et politiques de l’Union de la gauche et attendant ils cherchent à « sauver les meubles » : encore un instant, monsieur le bourreau !
2) La « gauche » est une réalité politique française qui se construit au moment de l’affaire Dreyfus, où les socialistes s’allient aux radicaux pour « défendre la République ». L’existence de la gauche suppose à la fois un mouvement ouvrier assez puissant et discipliné et un capitalisme assez florissant pour payer des concessions sociales à un adversaire qui lui semble encore menaçant. La gauche ne peut exister que tant qu’on peut croire à la réforme sociale du mode de production capitaliste. L’idéologie de base de la gauche est le keynésianisme ou le « New Deal » de Roosevelt, même si tout cela est emballé dans des grands discours révolutionnaires. Pour des raisons qu’il faudrait analyser sur le fond, le mouvement ouvrier s’est largement désintégré – il se survit surtout parce que tous les baby-boomers ne sont pas partis en retraite ! Et par ailleurs le mode de régulation keynésien du capitalisme a épuisé tous ses effets et peut se déployer ce que certains nomment le « capitalisme absolu ». La vérité c’est que « être de gauche » ne veut plus rien dire du tout. Au lieu de tirer les conséquences de cette situation, PCF et PG maintiennent la fiction de la gauche. C’est sans doute la raison majeure pour laquelle les « déçus de la gauche » ne se tournent pas vers lui, mais sombrent dans le désespoir.
3) Le PG en vérité n’a rien compris à cette situation. Il développe un radicalisme verbal et sociétal qui l’empêche de trouver l’oreille des classes populaires : il lui faut être pour le mariage pour tous, l’euthanasie et autres calembredaines de la même farine et du coup, le travailleur ordinaire se demande pourquoi le PG accorde tant d’importance à tout cela et si au fond il y a vraiment quelque chose qui sépare Mélenchon des bobos, de Pierre Bergé et de toutes ces figures de la gauche caviar. Le pseudo « antifascisme » du PG (les « antifas », quelle plaisanterie !) va exactement dans le même sens. La diabolisation de Marine Le Pen est contre-productive. Depuis son équipée chaotique à Hénin-Beaumont contre MLP, Mélenchon aurait dû s’en rendre compte. Il faudrait au contraire parler aux électeurs du FN ou à ceux qui sont tentés. Dire clairement que c’est bien la construction européenne et le libre-échange qui sont la cause des malheurs du peuple et ne pas s’accrocher à l’euro et aux autres fétiches de l’UE. Et à partir de là proposer à tous sans exclusive l’action contre les directives de l’UE. Là on verra clairement que le FN ne veut surtout pas qu’on touche à la poule aux œufs d’or capitaliste, et qu’au fond le vrai représentant du FN, c’est le richard Delon planqué en Suisse. Bref, on peut combattre le FN seulement en menant un combat résolu contre le capital, ce qui suppose qu’on se défasse radicalement du langage de la gauche, et de tous les oripeaux du gauchisme petit-bourgeois qui avait une certaine fraîcheur en 1968, mais qui est maintenant franchement décati.
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(...) Et à partir de là proposer à tous sans exclusive l’action contre les directives de l’UE. (...)
Ou plus terre à terre:
- se battre dans la rue contre l'augmentation de 5% tu tarif EDF en juillet et de l'abonnement fixe d' Orange
- ou contre la non revalorisation du barême des impôts qui a fait que des milliers de petits payent maintenant des impôts
- ou soutenir, dans la rue, la vibrante proposition de Filoche qui a fait le tour des télés et du Net d'embaucher 1 000 inspecteurs du fisc pour récupérer 60 milliards de fraude au lieu de casser les retraite
- etc